Un petit sourire s'étira sur ses lèvres. Elle ne comprenait pas vraiment d'où il venait mais elle ne parvenait pas à le faire partir. Ses collègues allaient la prendre pour une véritable folle. Sourire à son plat de pâtes n'était pas quelque chose de courant. Jennifer planta sa fourchette dans son assiette avant de mettre un temps considérable à la mettre en bouche. Ses pensées étaient bien trop préoccupées à songer à cet homme qui l'avait sauvée de créatures qu'elle n'avait pas réussi à identifier. Ce sentiment étrange de soulagement qui l'avait envahie n'était pas quelque chose qu'elle pouvait oublier si facilement. Elle revoyait encore son visage apparaître à la faible lumière de la réserve, la peau pâle et couverte de sang de part et d'autre, tendant une main rassurante dans sa direction. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait attrapé cette dernière. Elle ne le connaissait pas, elle ne l'avait jamais vu avant. Pourtant, un brun comme ça, ça ne se ratait pas à Beacon Hills. Certes, elle venait tout juste d'arriver, mais ce n'était pas une raison. Pourtant, elle avait saisi cette main tendue sans réfléchir. Guidée par un instinct qu'elle ne se connaissait pas. Il l'avait alors conduite dehors, sans lui laisser le temps de poser ne serait-ce qu'une seule question, et l'avait aidée à rentrer chez elle. La jeune professeur secoua la tête négativement. Elle était simplement parvenue à bégayer quelques indications infimes. Probablement était-elle encore bien trop sous le choc. Voir un inconnu se faire attaquer de la sorte avant de venir à son secours relevait à la fois d'une bravoure incroyable mais également d'une folie certaine. Bien évidemment, elle ne pouvait pas dire qu'elle lui en voulait. Son actuel visage béat en témoignait.

« - Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça J... C'est quoi déjà ton petit nom ? »

Jennifer releva la tête vers cet homme à la voix reconnaissable entre toutes : Bobby Finstock. La jeune femme lui adressa un petit sourire timide avant de lui désigner la chaise en face de lui. Elle devait commencer à se faire des amis, pourquoi ne pas commencer par les autres enseignants ? Ce dernier ne se fit pas prier et croqua à pleines dents dans son sandwich.

« - C'est Jennifer.

- Très joli prénom.

- Merci. »

Elle détourna le regard quelques instants, gênée de la situation. Si lui avait vu son air perdue et rêveur, les autres membres de l'équipe pédagogique n'avaient pas dû passer à côté. Avalant difficilement sa salive, Jennifer croisa de nouveau les prunelles de Bobby avant de lui offrir un petit air amusé. Il préparait son attaque, chacun de ses traits l'annonçait. La jeune professeur respira profondément avant d'avaler une nouvelle fourchette de pâtes.

« - Bien alors, c'était quoi ce petit sourire sur ton visage ?

- Quel petit sourire ? tenta-t-elle d'une voix innocente.

- Ne joue pas à cela avec moi, je l'ai, comme le nez au milieu de la figure. Greenberg essaie souvent de me faire le coup lorsqu'il est en retard mais ça ne marche pas avec moi.

- Greenberg est un élève formidable.

- Pas en sport, crois-moi. Tu le verrais essayer ne serait-ce que tenir correctement la batte de Lacrosse, tu n'imagines même pas à quel point il m'épuise. Mais là n'est pas la question. Revenons-en au sujet de ma visite. C'était quoi ce petit sourire, Jennifer ? Tu as déjà rencontré quelqu'un ? C'est ça ? Tu sais que tu peux tout me dire. »

Malheureusement, il avait tort. S'il y avait bien une chose que cet homme lui avait conseillée, c'était de ne parler à personne de ce qu'elle avait vu ce soir-là. Il prétendait se retrouver en danger si elle divulguait la moindre chose. Son pouls s'était légèrement accéléré lorsqu'elle avait tourné la tête vers lui. Son regard l'avait alors transpercée. Il était sincère. Touchant et sincère. Elle avait promis. Elle avait juré de ne jamais parler à quiconque de cette soirée, même si elle ne pensait intérieurement qu'à cela depuis. Que ce soit dans ses rêves ou tout simplement dans ses pensées les plus secrètes. Personne ne devait savoir, cependant, elle pouvait à sa guise se repasser cette scène en tête. Son jardin secret, en somme. Jennifer se concentra sur le professeur Finstock. Il attendait avec impatience sa réponse et ne semblait pas prêt à lâcher le morceau. Poussant un petit soupir, elle se mit à rire face à cette attitude déterminée qu'il venait d'adopter.

« - Il n'en est rien. Je repensais seulement à ce qu'un de mes élèves a écrit dans sa fiche de présentation...

- Laisse-moi deviner : Greenberg ? »

Jennifer n'eut pas le temps de secouer la tête que Bobby s'était déjà levé de sa chaise.

« - Je le savais ! Ce gosse est vraiment irrattrapable ! Mais qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de lui ? »

Elle lui jeta un regard mi-interloqué, mi-amusé avant de l'observer quitter la salle sur ces derniers mots. Elle reporta son regard sur son plat avant de pouffer discrètement. Ce lycée allait lui plaire.

N'ayant pas cours avant quinze heures, Jennifer décida de continuer à lire les fiches de ses élèves. Ces derniers s'étaient démenés pour lui rendre quelque chose de correct, après qu'elle ait réussi un coup de maître en leur faisant tous éteindre leurs téléphones portables, elle devait donc leur rendre la pareille. Le couloir était désert. Étrangement, personne ne s'était échappé de cours ou quoi que ce soit dans le même ordre d'idée. Ce qui était plutôt une première, surtout dans un lycée. Accélérant quelque peu le pas, le rythme cardiaque de la jeune femme se mit à battre de plus en plus vite. Comme si une présence se faisait sentir dans son dos. Semblable à celle des créatures de l'autre soir. Arrivée près de sa salle de classe, elle s'empressa de pénétrer dans cette dernière et de claquer la porte derrière elle. Un petit soupir passa le seuil de ses lèvres avant qu'elle ne dépose doucement sa tête contre le bois clair.

« - Personne ne se trouvait dans ce couloir, qu'est-ce qui t'a pris... »

Jennifer secoua la tête et se retourna vers son bureau. Elle s'avança d'un pas légèrement tremblant vers ce dernier avant de s'y installer prestement. S'affairant à chercher les fiches au fond de son sac, elle aperçut soudainement une masse sombre dans le fond de la classe et poussa un cris. Sans attendre, elle se releva de sa chaise et fronça les sourcils pour voir qui se trouvait en sa compagnie. Instinctivement, elle se saisit de la première chose capable de la défendre un tant soit peu : la règle du tableau, entreposée sur son bureau. Néanmoins, sa main se desserra lentement quand elle réalisa qui la fixait.

« - Qu'est-ce que...

- Je me demandais quand est-ce que vous remarqueriez ma présence. »

Jennifer baissa le regard, embarrassée. Elle ne savait pas quoi répondre, ni même comment faire cesser les battements de son cœur de faire un bruit si imposant. Ce dernier l'empêchait de se concentrer et de faire les choses correctement. Ce fameux petit sourire prit place au creux de ses lèvres et elle osa enfin affronter l'objet de son affolement. L'homme était en train de se rapprocher d'elle, ou du moins du bureau qui les séparait actuellement. Ses jambes étaient comme pétrifiées derrière ce dernier, ce qui semblait amuser l'inconnu. Il planta alors son regard dans celui de Jennifer qui tenait de moins en moins son arme. Sans prévenir, il fit glisser la règle hors de sa portée, jusqu'à ce qu'elle se retrouve dans sa propre paume. Un petit sourire et il observa ce qu'avait désigné sans réfléchir la raison de la jeune professeur.

« - Il faudrait peut-être quelque chose de plus costaud la prochaine fois. Je ne pense pas que ce morceau de bois puisse faire grand mal.

- Je suis d'accord. »

Jennifer ne put s'empêcher de lui sourire à nouveau. Elle ne parvenait même plus à se freiner. Elle avait besoin de lui témoigner sa gratitude pour l'autre soir, même si elle beaucoup de mal à savoir comment. Peut-être que prendre la parole était la meilleure solution.

« - Pourquoi êtes-vous là ?

- Je tenais à m'assurer que vous alliez bien. »

Un petit silence s'installa. Absence de bruit durant laquelle il ne la quitta pas une seule seconde des yeux. Comme s'il sentait qu'en son fort intérieur, tout n'était que tempête.

« - Merci », dit-elle finalement.

Il hocha simplement la tête. La situation devenait gênante. Jennifer dût se mordre discrètement la lèvre pour ne empêcher le flot de questions qu'elle avait en tête de se déverser sans qu'elle ne puisse plus rien contrôler. Elle avait besoin de réponse, c'était certain. Elle avait bien évidemment remarqué qu'il ne portait plus aucune blessure alors que son corps en était parsemé. Néanmoins, elle ne dirait rien. Elle allait le laisser faire ce qu'il voulait. Elle n'avait pas dans l'intention de le forcer à tout avouer. Peut-être un peu, mais elle faisait taire cette idée sur-le-champ.

« - Je vais y aller. »

Ce fut au tour de Jennifer d'acquiescer sans forcément en avoir envie. Elle ne voulait pas le voir partir. Le savoir près d'elle lui apportait quelque chose de réconfortant. Tout à l'heure, dans le couloir, elle avait eu l'impression de sentir cette menace pesait de nouveau sur elle. Elle avait la sensation d'avoir besoin de lui à ses côtés. Il allait poser la main sur la poignée de la porte lorsqu'elle eut un petit mouvement en avant.

« - Attendez. Qui... Qui êtes-vous ?

- Derek. »

Derek. Elle pouvait dorénavant mettre un nom sur le visage de cet homme mystérieux. Ce dernier passa la porte et, avant qu'il ne la referme, la jeune femme lui adressa une dernière parole.

« - Jennifer. »