Au delà des fins du monde
J'ai vu trop d'êtres partir, j'ai été déchiré trop de fois. Ne pouvant faire autre chose que les regarder s'éloigner, de moi, peu à peu.
Je restais sur place, toujours, incapable de bouger, incapable de pleurer. Des fantômes dans le regard.
Et maintenant c'est moi qui pars. Et la douleur est la même. Que je parte, que je reste, jamais je ne serai entier.
En même temps, je ne l'ai jamais été, n'est-ce pas ? Moitié elfe, moitié humain. La moitié d'une paire brisée.
Séparé des êtres chers par le Temps, par le Mal, par l'Amour. J'aurais tout connu !
Aurais-je eu deux siècles, je n'aurais pas été prêt à cela. L'éternité ne m'y suffirait pas. Je ne m'attendais pas à devoir un jour la perdre, elle. C'est le lot des Hommes de subir cela. Le manque, l'absence. La peur de la mort. C'est leur destin. Ce ne devait pas être le notre.
Et maintenant, elle est là, face à moi, je pourrais la toucher. Elle est si près... Ses deux yeux, des étoiles qui m'avaient toujours éclairé. Sa beauté, le dernier soubresaut de vie de notre peuple. Son dernier coup d'éclat. Le visage calme d'un soir d'hiver.
Et la pluie qui ruisselle sur ses joues.
Elle prend mes mains.
« Dis moi que tu ne m'en veux pas. Ada... »
Le présent qui meure un instant.
« Ada ! »
Le cri déchire le silence. Imladris. L'air est plus libre, plus jeune. Tout comme mon esprit et mon cœur. Le printemps est beau. Arda est en paix. Et ma fille... Insouciante, joyeuse. Son père étant le seul homme de sa vie.
« Ada !
-Ma petite étoile...
-Je suis pas petite, Ada ! J'ai déjà 50 ans, et Erestor et Glorfindel et Lindir et ben ils m'appellent tous : « ma grande » !
-C'est vrai... Ma grande...
-J'ai des questions dans ma tête Ada ! On est des Eldars ?
-En gros, oui.
-Alors on mourra jamais ?
-Exactement.
-Et on restera toujours ensemble dans une maison en gâteau ?
-Euh... On verra plus tard pour la maison en gâteau, mais je te promets, petite étoile, je te promets que je serais toujours à tes côtés. Quoi qu'il arrive !
-Chouette ! Je t'aime Ada ! »
Et la petite elfe éclate d'un rire léger, parle de biscuits à la menthe, tout en sautant sur les pavés des chemins d'Imladris.
« Ada... »
Pourquoi a-t-il fallu que sa voix devienne si triste ? Où est passé l'être fait de rires et de chants ? Elle n'est plus que désespoir et culpabilité.
Je m'efforce de sourire.
« Tu as pris ta décision, Arwen. Comment pourrais-je t'en vouloir ? »
Elle se jette dans mes bras. Nous sentons des âges défiler. Les secondes sont des siècles, mais tout va trop vite, trop vite, le crépuscule pose déjà sur nous son regard de mélancolie dorée.
« Adieu. »
Elle s'en va. Non, c'est moi qui m'en vais. Mais pour le moment c'est à moi de la regarder se détourner, fleur rendue encore plus belle par la rosée venant de ses yeux. Moi, assis sur ma pierre, en haut de cette colline, près d'Edoras.
Elle ne se retourne pas. La dernière blancheur d'un tissu blanc, une mèche de nuit.
Je ne la reverrais plus jamais. C'est fini. Je n'arrive pas à y croire. Tout ce que je n'ai pas dit !
Un chant s'élève qui cristallise l'air.
C'en est trop.
J'ai pleuré.
