Quand Arwen posa son pied fin sur l'herbe encore verdoyante de la Lothlorien, elle laissa échapper un gémissement, léger comme la plainte d'un oiseau. Le réconfort des lieux familiers, qu'elle avait tant attendu, ne surgissait plus comme autrefois… Elle ne percevait plus la vie frissonnante des grands arbres, ni la joie des fontaines jaillissantes, ni la puissance immuable et pesante des pierres sculptées. Où était donc le pays de sa jeunesse? Il lui semblait arriver sur une terre inconnue, accueillant, certes, mais où tous ses repères faisaient défaut.
Marchant lentement sur l'humus perlé de rosée, elle se surprit à admirer la terre et les arbres avec un nouveau regard. Pourquoi ne s'était-elle jamais réjouie, auparavant, des taches fugaces du soleil sur les écorces grises, ni de la plainte changeante de la bise entre les troncs? Auparavant, ces choses qui passaient trop vite la remplissaient de nostalgie. Et à présent, elles faisaient naître en son coeur une étrange joie, qui dépassait sa solitude et sa tristesse.
Ses pas la menèrent dans le verger de sa grand-mère. Les arbres au repos ne laissaient deviner aucune promesse de récolte. Le Miroir se dressait au milieu d'eux, semblant attendre patiemment que l'on dispose de lui.
Irrésistiblement attirée, Arwen s'approcha et se pencha doucement sur l'onde immobile. Elle se rejeta en arrière en étouffant un cri: elle s'était vue, mais son reflet avait les cheveux blancs! Une intuition la fit saisir une mèche de cheveux et le porter à son regard. Elle était blanche comme le givre.
Arwen comprit que l'humanité qu'elle avait embrassée se manifestait dorénavant dans toute sa plénitude, l'empêchant de percevoir ce que les Elfes avaient le don de connaître, mais ôtant l'amertume de demeurer dans un monde qui passe plus vite qu'eux. Elle goûtait à présent l'étrange douceur donnée aux Hommes qui, se sachant mortels, savent profiter de chacune des beautés qui leur sont offertes.
Elle se sentit soudain lasse. Ce n'était pas la langueur qui avait atteint sa mère puis son père, mais plutôt une fatigue qui courait dans ses veines et l'engourdissait lentement.
Au pied du plus grand mallorne, elle se coucha sur l'herbe verte, ferma les yeux et laissa la fatigue la submerger comme une douce ondée printanière, la lavant de son chagrin. Très haut dans les cimes, dans la pénombre argentée du soir qui tombait, un rossignol chanta.
Voici: son esprit s'échappa et vagabonda, la menant dans un rêve bienheureux, dans lequel Aragorn, rayonnant de joie et de vigueur, s'approchait d'elle, les bras ouverts.
Et voici: ce fut un rêve sans fin.
