Heyyy ! Yep, de retour déjà :D et pour une histoire en 2 parties (la seconde sera publiée d'ici quelques jours normalement). Bon alors déjà, c'est une historie qui date un peu — post s5 ! Donc il y a des éléments (Krolia, Lotor) qui ont biennn changés depuis et bref ;; voilà.
Cette fic a été en gros une façon de bien se défouler et je ne sais honnêtement pas comment ça a donné un truc pareil. Sérieusement. Les deux parties ont été écrites en une semaine à peine, en pleine préparation d'entretiens super importants ; en pleine crise de nerfs ou dans les bus de nuit qui m'ont amenée à Paris, sur une aire d'autoroute avec un pauvre café pour tenir le coup. Dès que j'avais un peu de temps j'écrivais, et voilà ce que ça donne et ce n'est vraiment pas si terrible que ça (dans le sens où ce n'est pas un gros drama). Bref, j'avais besoin d'écrire ce truc et voici le résultat.
Un énorme merci à Sido bb, qui a corrigé la fic, et qui m'a donné le prompt de base qui a tout commencé : Things you said with too many miles between us. Des gros bisous à toi, t'es un amour !
La fic est classée T car les personnages ne sont pas dans un état psychologique ultra stable, disons. Si vous avez des soucis avec ça, je vous conseille d'éviter, même si honnêtement, ça va. Il faut aussi savoir que les personnages prendront ça de façon probablement ironique, mais ça ne veut pas dire que je pense que les problèmes psychologiques sont une blague — je prends ça très au sérieux et c'est pour ça que je tiens à préciser tout ça. Bref, en vrai ce n'est pas si lourd que ça mais je préfère prévenir pour ne pas qu'on se trompe sur mes intentions.
Le titre est une chanson de David Bowie que vous devez sûrement connaître. Honnêtement, vous pouvez juste. Écouter n'importe quelle chanson de David Bowie en lisant et ça rendra probablement l'expérience bien plus agréable, ce qui fonctionne d'ailleurs pour n'importe quelle expérience ;) enfin bon je vais juste arrêter de parler et vous laisser avec la première partie ! Bonne lecture et à bientôt pour la suite ! :D
i. keith — take your protein pills and put your helmet on.
—
I'm stepping through the door
And I'm floating in a most peculiar way
And the stars look very different today
—
Pidge lui dit tout le temps que quatre heure du matin, ce n'est pas une temporalité, mais un état d'esprit.
Keith est à peu près sûr qu'elle n'a aucun droit pour dire ça — okay, c'est un ressenti personnel, et il comprend plus ou moins ce qu'elle veut dire par là, mais pour autant elle ne peut pas juste— genre, dire que c'est quelque chose que ça n'est pas. Parce que vraiment, quatre heure du matin, c'est ce que c'est. Une temporalité. Pidge peut dire ce qu'elle veut, c'est un fait (et Pidge continuera à dire un tas de trucs qui ne veulent pas dire grand-chose de toute façon).
Mais c'est dans ce genre de moments que Keith ne peut que lui donner raison. Il n'a pas l'heure exacte — il aimerait, mais plusieurs espèces travaillent en collaboration sur cette base, et on lui a gentiment fait remarquer qu'utiliser tout système de mesure terrien ici risquait d'être vu comme une entrave au dialogue, alors que vraiment, Keith essaye juste d'être un peu moins paumé — pourtant il est sûr qu'il est, genre, tard.
Suffisamment tard pour que ses paupières soient toutes lourdes, et ses muscles sur le point de le lâcher.
— Dis, t'es pas déjà en train de t'endormir, hein ?
L'écran devant lui montre l'image pixelisée d'un Lance légèrement contrarié. Keith fait claquer sa langue contre son palais, ne prenant pas la peine de répondre.
— Déjà qu'on a pas beaucoup de temps pour se parler.
— Désolé pour ça, fait Keith. J'ai eu une réunion sur les préparatifs pour l'alliance avec Laff'ak de demain, et c'était. Tellement long. Tellement long, Lance—
— Ça va aller, bébé, répond-il avec un sourire en coin.
— Tu n'as pas l'air de comprendre, dit Keith avec un air de reproche.
Parce que Lance ne comprend pas. Il n'a jamais eu à participer à ces réunions. Ce n'est pas le genre de réunion où il faut juste écouter Allura parler et parfois se permettre de glisser une ou deux blagues, même si c'est au risque de se prendre un regard désapprobateur de la part de Shiro — et oui, d'accord, ce regard vous amène à remettre en question votre existence même, mais il faut bien survivre à ces moments-là.
Là, c'est tout un enchaînement au niveau du protocole, il faut toujours faire un tas de gestes que Keith ne comprend pas, se lever alors que personne n'a rien dit, prononcer des phrases étrangères dont il ignore la signification, éviter de regarder ailleurs, etc. Keith, qui est absolument incapable de se concentrer plus de cinq minutes sur quelque chose qui ne l'intéresse pas — ou qu'il ne comprend pas, bordel, et là on parle d'un mix de ces deux choses-là — trouve donc que ces réunions sont une véritable torture. Et à chaque fois, on le reprend sur un tas de choses auxquelles il ne trouve aucun intérêt, et à chaque fois, il doit faire semblant de se sentir mal, ou un truc du genre.
— Okay, dit Lance, okay, c'est horrible.
— Tu parles avec ironie.
— Je veux dire, il y a des gens qui sont en train de mourir—
— Mais— mais ça n'a. Aucun. Rapport, grogne Keith.
— Non, mais j'aime bien te faire culpabiliser pour rien, fait Lance avec un haussement d'épaule.
— Pourquoi— pourquoi—
— Écoute, personne n'est parfait.
Il est vraiment tard. Keith décide de laisser à Lance le bénéfice du doute ; peut-être qu'il est juste trop crevé pour dire des choses qui ont encore du sens.
— Il n'empêche, reprend Keith, tu es le premier à te plaindre des réunions, d'habitude. Je m'attendais au moins à un minimum de support de ta part.
— Je suis de tout cœur avec toi, répond-il avec un air beaucoup trop blasé pour être sincère.
— Tu es le pire.
Parce que Lance est incompréhensible, ça à l'air de lui faire plaisir.
— Je vais écrire un bouquin sur toi, dit-il. « Comment pousser à bout Keith Kogane : un guide ». Étape une, enfermez-le dans une pièce pendant des heures en lui faisant croire que c'est d'une importance capitale.
— Étape deux, dit Keith, dites-lui que pendant qu'il se relaxe, des gens meurent.
Un petit silence suit sa déclaration, puis Lance éclate de rire.
— Des gens meurent vraiment, Steven.
— Pourquoi est-ce que tu dis ça en te marrant— et pourquoi est-ce que tu m'appelles Steven. Attends. Je suis sûr que c'est encore une référence que je capte pas.
Lance semble trouver amusant de toujours balancer plein de références partout, alors qu'il sait, il sait que Keith ne va pas comprendre. Et ça lui déplaît, parce qu'à chaque fois, il se sent un peu plus stupide. Ou au moins en décalage. Il est habitué à ça, bien sûr, mais au moins, à force de parler avec des aliens, on n'a plus ce genre de problèmes. Mais Lance est juste— Lance.
— Keith, Keith, Keith, dit Lance avec un air vieux-jeu. Quand tu rentreras, je te montrerais tout ce qu'il faut pour que ta culture soit au point.
— J'ai hâte, répond-il avec toute l'ironie dont il est capable.
— Bien.
Ils se mettent à bailler en même temps, et cette synchronisation fait doucement sourire Keith. Il se dit que même s'il se sent seul ici, même s'il ne comprend pas trop ce qu'on attend de lui, Lance reste là, si facilement accessible, et c'est toujours ça.
— Il faut vraiment que j'aille dormir, soupire-t-il.
Lance grimace, mais ne se plaint pas, lui envoyant un baiser virtuel. Avec un bonne nuit timide, Keith s'apprête à couper la communication, quand Lance murmure, presque inaudible :
— J'aimerai quand même mieux avoir un hologramme de toi. Comme ça je pourrais t'embrasser avant de dormir.
Et il se sent bien obligé de le reprendre, moitié sérieux, moitié hilare.
— Lance, on— on ne peut pas toucher un hologramme.
— — —
— Écoute, Keith, si tu continues à venir habillé comme ça, les gens d'ici vont vraiment finir par croire que tous les terriens ressemblent à des personnages de films des années quatre-vingt.
La fille qui lui fait ce reproche, plus sérieuse qu'elle n'y parait, est l'une des autres terriennes à accompagner Keith sur la base. Elle est dotée du prénom difficile à porter qu'est Dior, et passe son temps à jongler entre une attitude prétentieuse et une naïveté un peu étrange, comme si elle n'avait pas bien défini son personnage avant d'atterrir ici.
Ils sont trois à avoir vécu sur Terre : Keith et les deux filles, Dior et Jeannelle. On ne l'avait pas vraiment mis au courant — comme souvent — et Keith leur a juste— lancé un regard paumé pendant au moins quatre minutes, parce qu'il ne savait même pas qu'il y avait d'autres terriens dans l'espace, et que vraiment, c'est le genre de choses qu'on est supposé lui dire, non ?
Dior a passé les dernières années de sa vie dans une colonie Martienne — qui étrangement ne se situe pas sur Mars, ce que Keith trouve un peu bizarre, mais quand il l'a fait remarquer, elle lui a jeté un regard condescendant et lui a fait remarquer que « Mars est le nom que les Terriens donnent à Mars, espèce de crétin, ça ne veut pas dire que Mars s'appelle vraiment Mars, ou qu'une autre planète ne pourrait pas s'appeler ainsi » ; et Jeannelle a juste grandi, uh, quelque part. Il ne sait pas vraiment. Son père semblait voyager dans l'espace et l'emmener avec elle un peu partout, ce qui d'après elle est aussi cool que ça en a l'air.
La première fois qu'elles se sont vues, Dior a failli éclater en sanglot parce qu'elle avait cru entendre « Chanel » au lieu de « Jeannelle ». Elle s'est quasiment jetée dans ses bras en disant qu'elle comprenait, qu'elle aussi elle avait un prénom merdique et que plus jamais elles ne seraient seules. Puis Jeannelle l'a reprise sur son prénom et Dior a refusé de lui parler pendant, genre, tout le reste de la journée.
Mais depuis, elles semblent s'entendre à merveille, et Keith pense qu'il ne s'entend pas trop mal avec elles — sauf que Keith n'a aucune notion concernant toute relation avec un autre être vivant, et qu'il n'est pas suffisamment apte socialement pour savoir ce genre de trucs. Mais des fois, quand ils parlent, elles lui répondent et se marrent avec lui, alors il suppose que c'est un bon départ.
— Je n'ai pas d'autres vêtements, dit-il simplement.
Parce que c'est vrai. Keith possède une veste, trois t-shirt noirs, deux jeans noirs, et des chaussures. Et c'est tout.
— Allons, dit Dior en haussant un sourcil, tu ne peux pas être sérieux.
— Je, euh, si, répond-il avec toute l'éloquence dont il est capable. Je te rappelle que j'ai été entraîné dans un, ah, un lion robotique alien. Je n'ai pas eu le temps de préparer ma valise.
Dior lève les yeux au ciel et marmonne :
— Tu aurais pu t'acheter des fringues après.
— Déjà, j'étais en pleine guerre sans avoir le temps de faire du shopping, et— et, attends, tu veux dire qu'il y a des fringues adaptées pour les terriens ?
— Plus ou moins.
Keith décide d'arrêter de poser des questions. Bientôt, il apprendra qu'il y a un mini Las Vegas à quelques années-lumières d'ici. Et il n'est pas prêt pour ce genre de conneries.
— Moi j'aime bien son look, dit Jeannelle avec un demi-sourire. Il est rétro.
Il ne sait pas s'il doit vraiment bien le prendre, mais Keith arrête de parler à partir de là, et laisse les deux autres débattre de son look. Ça dure quelques minutes, puis Dior finit par proposer d'aller traîner sur le pont.
Sur la base, L'Ode, il n'y a pas grand-chose à foutre. La première fois que Keith a vu l'endroit, il n'a pas vraiment su s'il le trouvait génial ou juste affreux, mais rapidement il s'est positionné du côté de la seconde option — plus à cause des habitants que du lieu, d'accord. L'Ode ressemble à une sorte de— bidonville, vu de l'extérieur. Un bidonville géant, flottant dans l'espace. Des bouts de maisons, des larges pièces découpées dans différents matériaux qui semblent vieux de millénaires, à la dérive dans le cosmos. Rien que ça. Sauf que tout le monde est genre, super riche. Et que les gens d'ici sont insupportables.
Un bidonville dans l'espace, mais pour des espèces de riches qui se croient au-dessus du reste du monde.
Le nom de la base n'est d'ailleurs pas réellement L'Ode — il s'agit là d'une traduction plutôt approximative faite par Jeannelle —, mais un mot pratiquement impossible à prononcer dans leur langage, composé de f et de d uniquement. Mais heureusement pour eux, Jeannelle parle une bonne dizaine de langues extra-terrestres, et Keith possède un de ses traducteurs portatifs — qui d'après Allura sont horriblement dépassés mais qui peuvent quand même les sauver d'un certain nombre de situations —, alors ils ne se débrouillent pas trop mal.
L'Ode est plus ou moins uniquement peuplée par des connards, mais ce sont eux qui ont eu l'idée du programme inter-galactique ECIP, qui officiellement veut dire Échange Culturel Inter-Planétaire, mais qui d'après Keith signifie plutôt un truc du style Empire Colonial Industriel de Pacotille, parce que ça semble surtout être une grosse arnaque pour attirer du monde et soit les garder comme travailleurs ici, soit leur faire dépenser leur fric dans un programme qui n'a aucun intérêt — il le sait parce qu'il en fait partie. En gros, c'est une connerie qui n'existe probablement que pour faire comme si la guerre était finie, mais Allura a l'air de trouver que c'est une bonne idée, et personne ne veut rendre Allura malheureuse, alors Keith y participe. Ce qui est idiot, mais peu importe.
Keith, Dior et Jeannelle sont donc supposés leur parler de la Terre, et déterminer la façon dont les terriens pourraient participer au programme, ce qui est parfaitement stupide parce que l'existence des aliens n'est même pas prouvée là-bas. Et Keith est à peu prêt sûr que la première chose qu'ils feront en apprenant leur existence sera de leur tirer dessus ou un truc du genre. Probablement quelque chose de stupide comme ça.
Le pire, c'est que tout le monde a conscience que les terriens n'ont pas grand-chose à foutre dans le projet — mais qu'on les inclut quand même pour des raisons politiques, parce que vous savez, la plupart des paladins de Voltron en sont. Keith se retrouve donc face à des connards dont le cerveau fait trois fois la taille du sien, qui passent leur temps à se montrer condescendants, sachant parfaitement que l'espèce humaine n'apportera rien à personne, mais qu'il faut avoir l'air poli de toute façon. Et, ugh.
Le seul point positif de cet endroit — à part Jeannelle (beaucoup) et Dior (un peu moins) —, c'est le pont, c'est-à-dire l'endroit qui traverse toute la base. Ce n'est pas réellement un pont — ou bien ils seraient tous morts —, mais plus une espèce de tuyau transparent qui traverse l'espace, rempli de boutiques en tout genre et d'accès vers différentes parties de l'Ode. C'est le seul endroit où personne n'a besoin de porter de combinaison pour survivre — sauf dans les chambres réservées aux bourgeois et aux invités prestigieux comme eux —, ce qui est plutôt agréable.
Keith ne sait pas pourquoi, mais c'est une traversée qui le rend presque nostalgique. Peut-être que ça lui rappelle les marchés qu'il faisait parfois étant plus petit. Il a du mal à se souvenir. Mais c'est un peu bizarre.
Ils vont acheter des conneries sur le pont, comme d'habitude. Dior trouve une machine à écrire le langage d'ici (qui n'a que trois touches et que Keith trouve remarquablement hideuse), Jeannelle des sortes de spécialités locales qui semblent encore vivantes. Keith regarde autour de lui sans trop chercher. Au bout d'un moment, il trouver une sorte de balle toute bleue, qui lui rappelle vaguement la Terre. Il l'achète sans trop y penser, et de retour dans sa chambre, la pose avec le reste de bidules qu'il compte offrir à Lance quand il le reverra.
— — —
Tout le monde se rend rapidement compte que Keith ne sait pas faire grand-chose à part piloter — et encore.
Quand il faut parler de la Terre, il récite mécaniquement les pays et leurs capitales en espérant que ça suffira — sauf que non —, et quand on lui demande de parler de ses études ils se lance tout de suite dans des explications sur la façon dont on leur apprend à piloter. Enfin, explications est un grand mot — pour être honnête, Keith s'est juste jeté dans une navette garée juste à côté de la salle pour faire une démonstration qui s'est, eh bien, mal passée, puisqu'elle a résulté en un gros trou dans le mur et une bonne dizaine d'alarmes déclenchées.
(Vraiment, ce n'est pas sa faute si les navettes d'ici se dirigent dans le sens inverse de celui indiqué par le levier — et d'abord, qui a pensé que c'était une bonne idée d'adopter ce genre de système ?)
Et c'est à peu près à ce moment que les membres du programme se sont rendu compte que Keith n'était a) en aucun cas digne de confiance et b) pas stable sur le plan émotionnel (principalement parce qu'après coup, il s'est mis à gueuler comme pas possible sur le propriétaire de la navette, lui disant qu'inverser les manettes de contrôle était horriblement dangereux — mais comment aurait-il pu savoir qu'ici, c'était normal ?)
Bref, d'après eux, « voler » une navette pour une démonstration subite, avant de causer plusieurs dégâts matériels et de crier sur un innocent est la preuve d'un certain nombre de troubles psychologiques, ce qui signifie que Keith est maintenant supposé suivre une thérapie pendant plusieurs semaines. Et comme il n'a rien d'autre à foutre, il ne peut même pas y échapper.
Le soucis, c'est que ce que les Odiens appellent thérapie à en gros zéro rapport avec quelque chose d'approprié pour un terrien. En fait, ils se contentent de s'asseoir en tailleurs avec leur énorme tête bleue penchée en avant, attendant que leur cerveau produise une espèce de bruit — qui donne plus ou moins la chair de poule à Keith —, pendant une période monstrueusement longue. Keith ne comprend pas ce qui est supposé lui arriver pendant ce genre de séance — parce qu'on soit bien clairs, son cerveau à lui est silencieux, genre, vraiment —, et à par le rendre plus mal à l'aise qu'il ne l'est déjà, ces heures ne changent en rien son comportement.
Il en parle à Jeannelle et Dior, qui semblent plus fascinées qu'autre chose par le processus — alors que ce n'est pas drôle ! C'est flippant, d'accord, ce n'est pas. Drôle. Elles se mettent à lui poser trop de questions, et Keith regrette de leur en avoir parlé. Puis, au bout d'un moment, elles décident de s'occuper personnellement de lui — ce qui est l'idée la plus mauvaise qu'elles auraient pu avoir.
Keith se retrouve donc avec deux psychologues analysant ses faits et gestes à peu près tout le temps où ils sont ensemble, et oui, c'est aussi insupportable que ça en a l'air. Jeannelle pourrait presque avoir l'air professionnelle, avec son air mystérieux et ses questions évasives, mais Dior, plus pragmatique que jamais, se contente d'imprimer tous les questionnaires liés à toute forme de psychologie qu'elle trouve pour les faire subir à Keith.
— Est-ce que tu as souvent l'impression que les gens autour se moquent de toi ? demande-t-elle avec un air très sérieux.
— Euh, parfois ? tente Keith. Je ne fais pas tout le temps gaffe, mais—
— Donc oui. Et quand ça t'arrive, est-ce que tu— oh.
Elle soupire, et déchire le formulaire en deux.
— Je suppose qu'un pied supplémentaire ne te pousse pas en plein milieu du front dans ce cas, dit-elle.
— Quoi— fait Keith, dans quel genre de situation—
— Les Laffiens ont ce genre de problème, intervient Jeannelle avec un air lunatique. Une fois, j'en ai vu un dédoubler sa tête parce qu'il était gêné.
— Mon Dieu, grogne Dior.
Mais elle continue à lui sortir ce genre de formulaire quand même, et Keith finit presque par s'y habituer.
— — —
Quand il n'est pas trop occupé à échapper à Dior et ses horribles questionnaires, ou coincé à ces réunions inutiles, ou en colère contre trop de monde pour faire quoi que ce soit d'autre, Keith pense aux autres paladins.
Les autres lui manquent, il ne pensait pas que ce serait à ce point. Coran, Shiro et Allura sont tout le temps occupés, alors dès qu'ils parlent ils se quittent avec un goût de trop-peu, et Keith a comme l'impression qu'ils n'ont plus grand chose à faire de lui, et se met à se sentir très seul. Il parle aussi à sa mère, mais les choses avec Krolia sont encore trop bizarres pour que ça le rassure vraiment, et la moitié du temps, il est plus en train de paniquer à l'idée de la faire fuir — parce qu'elle finira bien par se rendre compte que vraiment, il ne vaut pas le coup, et elle finira par partir encore, probablement — que réellement heureux de la voir.
Pidge, Hunk, Matt et Lance sont les plus disponibles. Plus le temps passe, plus Keith se demande s'ils ne passent pas juste leurs journées à— à foutre le bordel un peu partout, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire. Il ne sait pas trop, mais il lui semble que laisser ces quatre là au même endroit sans mission précise est une horrible idée.
Lance est toujours là. Dès qu'il essaye de le contacter, il répond — et même quand parfois, Keith espère à moitié qu'il ne répondra pas, il répond quand même. Parler à Lance est toujours une expérience un peu étrange. Principalement parce qu'il fait toujours comme s'ils étaient une sorte de couple ultra solide ou quoi, alors qu'ils se sont embrassés peut-être trois fois en tout.
(Bon, exactement trois fois, d'accord — comme si Keith ne se souvenait pas de ces moments dans tous leurs détails).
Le truc, c'est que Keith, n'ayant aucune putain d'idée de comment gérer ses relations, ne sait pas quelles questions poser ni quoi penser de ce quelque chose qu'il y a entre eux, et qu'il laisse juste Lance diriger tout ça — parce qu'au moins, lui semble savoir un minimum ce qu'il fait. Contrairement à Keith. Qui ne sait vraiment pas ce qu'il fait. Vraiment pas.
Vraiment pas, mais quand il repense à la douceur des lèvres de Lance contre les siennes, juste avant qu'ils ne se quittent, il se dit que peut-être que pour une fois, il devrait faire quelque chose pour que ça fonctionne. Pour que quelque chose fonctionne. Parce qu'il aime bien Lance ; il l'aime vraiment et il n'a pas envie de gâcher ça aussi, et c'est comme avec Krolia, Lance va forcément à un moment se rendre compte qu'il perd son temps avec lui et rien que d'y penser, ça lui fait du mal, ça le fout en l'air et il déteste ça.
Dernièrement, tout semble aller trop bien pour que ce soit réel. Sa mère, Lance, le reste des paladins. Keith a envie de dire que non, ça n'est pas supposé fonctionner comme ça — il n'est pas supposé être heureux et entouré de gens qui tiennent à lui et en train de gagner une guerre. Il y a forcément un moment où tout ça va éclater en milles morceaux, comme ça l'a toujours fait, et quand ça arrivera ce sera encore plus douloureux que d'habitude, et ce sera de sa faute. Parce qu'il a laissé ça arriver, parce qu'il s'est habitué à tout ça et à ce que ça lui apportait.
Peut-être que ce sera comme avec Shiro, se dit-il parfois, quand il se sent de trop bonne humeur pour se lamenter sur son sort et qu'il cherche désespérément à rester dans cette bulle de confort, peut-être que personne ne partira.
Pourtant, avoir Shiro lui semble déjà trop énorme pour que ce soit crédible — alors ça multiplié par sept, ça relève de la folie.
— — —
— Tu sais, lui dit Lance, Pidge n'arrête pas de dire que tu serais horrible au Poker, mais je pense que tu serais un excellent joueur. Probablement parce que tu passerais ton temps à fusiller les gens du regard et à avoir l'air intimidant, et que les gens finiraient par abandonner parce qu'ils auraient peur de se faire tabasser, ou un truc du genre.
Keith ne sait pas comment il est supposé prendre ça. Il n'a jamais joué au Poker — il n'est même pas sûr de bien savoir ce que c'est.
— Ne sois pas offensé, répond-il, mais je préfère faire confiance au jugement de Pidge. Principalement parce qu'elle ne me prend pas pour une sorte de guerrier sanguinaire.
— Parce qu'elle ne sort pas avec toi, fait remarquer Lance.
— Est-ce que j'ai déjà eu l'air de vouloir te tuer ? demande Keith, incrédule.
Le pire, c'est qu'il a déjà eu envie de tuer Lance — pas particulièrement depuis qu'ils sont ensemble, certes.
— Pas moi, Dieu merci, grogne Lance. Parfois, je te vois lancer des regards meurtriers aux gens à qui je parle, je trouve ça plutôt drôle mais je crois que tu leur fait peur.
Keith décide de ne pas répondre, et fait de son mieux pour ne pas avoir l'air embarrassé — et il échoue lamentablement, se dit-il, vu l'air satisfait qu'aborde Lance.
— Tu as conscience, dit-il pour se défendre, que je n'ai jamais vraiment envie de— de genre, tuer des gens, hein ?
— Keith, soyons honnêtes. Tuer quelqu'un ne ferait que te faire paniquer plus et ajouter plus de problèmes à cette liste déjà remarquablement longue que Dior m'a envoyée hier.
Il ne fait même pas semblant d'être surpris. Bien sûr, que Dior lui envoie tout ça — bien sûr. Pourquoi est-ce que Keith existe toujours, alors que ce sont les autres qui doivent gérer tout ce qu'il fait et ce qu'il est sans cesse ? La question commence à revenir de plus en plus souvent.
— Et qu'est-ce que tu as pensé de cette liste ?
— Moi, pas grand-chose. Je n'ai pas compris la moitié des termes, mais du coup je l'ai montrée à Hunk, qui l'a montrée à Pidge. Et Pidge à dit qu'il manquait une demi-douzaine de troubles de l'anxiété.
— Tu devrais lui dire de les ajouter sur la liste avant de l'envoyer à Dior, soupire Keith (parce qu'il a décidé d'abandonner et de laisser les gens faire ce qu'ils veulent, de toute façon protester ne lui apportera rien), elle sera ravie.
Accessoirement, ça lui évitera les questionnaires correspondant aux troubles en question.
— Oh, mais c'est déjà fait, dit Lance d'un ton joyeux.
Et parce que Keith se sent soudainement très fatigué, il ne sourit qu'à moitié.
— Ce n'est pas si drôle que ça, pas vrai ? demande-t-il.
Mais Lance ne perd pas cet air encourageant et un peu moqueur, même si quand il lui répond c'est avec beaucoup plus de douceur.
— Pas tellement. Mais tu sais, ça ne veut pas dire que tu n'iras pas bien.
Encore une chose que Keith laisse les autres décider pour lui.
— — —
Keith finit par trouver une excuse plus ou moins crédible pour pouvoir envoyer des messages à Lance pendant ses réunions. Il joue la carte du petit terrien stupide qui doit rechercher les termes compliqués sur son portable (ou du moins l'équivalent qu'ils ont ici) pendant que les autres parlent. De toute façon, c'est à moitié vrai — parce qu'il ne comprend réellement pas ce qu'on lui dit, mais il s'en fout, et que parler à Lance est quand même nettement plus intéressant.
Parfois, il se demande à quoi Allura et Shiro pensaient quand ils se sont dit, tiens, un programme culturel alien ? Et si on envoyait, je sais pas, Keith, probablement la personne la moins apte à être utile dans ce genre de situation ?
Parce que vraiment, pourquoi.
Ils auraient pu envoyer Hunk, ou Pidge. Ou Lance, qui adore tant parler de la Terre. Mais en y réfléchissant, Keith se demande si ça n'a pas un rapport avec son statut de sorte de co-leader de Voltron, ou une connerie du genre. C'est sûrement ça, parce que quand on annonce sa présence quelque part, c'est sous le titre de « Paladin Noir et Leader de Voltron » qu'il est reçu, et il trouve ça un peu ridicule, d'accord.
Keith ne sait pas parler de la Terre — il ne connaît que le désert et les horribles années à l'école, où personne n'avait autre chose à foutre que de le harceler parce qu'il n'avait pas de parents. À un moment, on lui demande ce que les terriens aiment et il ne sait pas trop, alors il cite le cinéma. Les Odiens ont l'air de trouver le concept des films assez idiot, puisqu'ils ont cette étrange réaction — qui apparemment s'apparente au rire — et se mettent à lui demander où est l'intérêt de regarder une situation fausse à travers un écran alors qu'on peut vivre un situation bien réelle. Keith proteste vaguement en disant qu'on ne peut pas juste tuer des gens autour pour se divertir ; mais les Odiens rétorquent alors qu'ils ne comprennent pas pourquoi les terriens aiment voir des gens se faire tuer même en faux, et Keith arrête de répondre à partir de là. Il voit le secrétaire griffonner quelque chose sur le compte rendu de réunion, et il est presque sûr que c'est une autre remarque sur le côté sanguinaire des humains, mais peu importe.
À partir de là, il se rend compte que ça ne sert à rien de parler plus que ça, parce qu'il ne sait pas quoi dire, et que personne ne le prend au sérieux de toute façon, alors pourquoi se faire chier ? Il se contente de hocher la tête avec un air poli — qui d'après Dior, donne vaguement l'impression qu'il a envie de mourir, ce qui n'est pas si loin du compte que ça — et fait le strict minimum. On veut le voir comme un terrien à problèmes ? Bien. Ce n'est pas comme si ce n'était pas le cas.
Keith se dit que peut-être qu'il a vécu trop longtemps avec des gens trop bizarres, dernièrement, et qu'il en a oublié que le reste du monde ne trouvait pas tout acceptable. Qu'il se barre en plein milieu d'une conversation pour aller trouver refuge dans son Lion, parce qu'il a peur de hurler sur quelqu'un ou de casser quelque chose s'il reste là, ça semble rester okay pour Shiro et les autres, mais pour des gens comme les Odiens, c'est un comportement impardonnable. Keith a toujours été comme ça. Il déteste qu'on lui foute la pression et qu'on attende quoi que ce soit de lui, et il déteste les gens en général, parce qu'il ne peut jamais dire comment ils vont réagir et ça lui pourri tellement la vie que parfois il se demande s'il ne ferait pas mieux de retourner dans son désert avec personne pour l'embêter pour ne pas avoir à subir tout ça.
Sauf que Keith n'est pas à ce point un connard, il sait qu'on a besoin de lui et il tient à un certain nombre de personnes ici, alors il reste. Rien ne va, mais il reste. Et c'est vrai que dernièrement, les choses sont un peu moins merdiques.
— — —
Ses mains tremblent et il essaye de ne pas voir les expressions choquées autour de lui, mais personne ne veut avoir la décence de regarder ailleurs et ils sont de plus en plus autour de lui, comme s'il était un putain d'animal de foire ou quoi, et Keith voit rouge, rouge, rouge.
Il pense que son nez est plus ou moins cassé et il y a du sang qui dégouline jusqu'à sa mâchoire, mais Keith n'en a plus rien à foutre, et sérieusement, il faut voir l'état de l'autre type. Il aimerait bien qu'on le lâche et qu'il puisse continuer ce qu'il a commencé, mais Dior et Jeannelle refusent de le laisser partir, leurs petites mains agrippées à ses bras agissant comme des entraves. Ça dure quelques minutes, où Keith n'entend pas ce qu'on lui dit, il n'entend rien à part son cœur tambouriner d'une façon beaucoup trop forte et irrégulière — comme s'il allait exploser —, et les de toute façon je ne vois pas ce qu'on attend de quelqu'un qui a du sang humain et galra, c'est sûr qu'il va finir par tuer quelqu'un si on ne l'enferme pas qu'on lui a balancé juste avant. Émotionnellement instable, c'est ça ? Peut-être qu'il l'est, mais ce n'est pas— ce n'est pas une raison pour le traiter comme ça—
Les filles l'amènent jusqu'au mur le plus proche, pour qu'il puisse s'adosser et se calmer, ou au moins arrêter d'être dans cet état de rage qui ne veut plus le quitter. Il a envie de tuer quelqu'un — il ne sait pas pourquoi ça lui vient si soudainement, et c'est peut-être parce que ça fait des semaines qu'on le regarde avec rien d'autre que du mépris —, mais Jeannelle n'arrête pas de murmurer que ça va aller, qu'il doit se calmer, et Dior lui dit que c'est un idiot.
Le mur est froid et presque désagréable sous ses doigts, mais Keith est au moins reconnaissant d'avoir quelque chose où il peut s'accrocher. Il y a tellement de monde autour — bien sûr, parce qu'il a eu la putain d'idée de laisser sa rage de déverser en plein milieu du pont, l'endroit le plus bondé de cette putain de base. Mais il faut qu'on lui explique comment il est supposé garder son calme dans ce genre de situation.
Quand il commence à reprendre ses esprits, il pense à la façon dont Shiro, Allura et Lance seront probablement déçu par son comportement — et rien que d'y penser, il a envie de pleurer mais il ne le fait pas, parce que tout le monde est encore là à le regarder. Jeannelle lui dit de respirer et il essaye plus ou moins de suivre ses directives, même s'il est à peu près sûr qu'il s'y prend très mal. Il regarde son poing en sang et a envie de vomir, mais il ne le fera pas. Pas en public.
— Tu dois vraiment être très con, lui dit Dior avec un air un peu froid mais aussi un peu inquiet. Ou bien n'avoir aucune notion de survie.
Et Keith hausse les épaules, parce que vraiment, c'est un peu des deux. Il se dit aussi que Dior doit vaguement être dans le même cas si elle sort ce genre de chose à un type qui vient de frapper quelqu'un devant tout le monde, et qui a encore du mal à se contrôler. Mais, peu importe. Peut-être qu'elle le connaît un peu, aussi.
— Ce qu'il a dit— parvient à articuler Keith.
— N'a aucune espèce d'importance, le reprend-elle. C'est un con. Ne te rabaisse pas à son niveau.
— Alors on est supposés— on est supposés le laisser dire ce genre de conneries ?
— Ce n'est pas ce que j'ai dit. Mais je pense que lui sauter à la figure était le meilleur moyen de lui donner raison.
Avec ça, Keith est encore plus en colère, mais cette fois, c'est contre lui-même, et c'est encore pire.
— — —
Allura l'appelle le lendemain, ce qui était à prévoir. Keith passe au moins une dizaine de secondes à hésiter avant d'accepter l'appel — Allura va le tuer, elle va le tuer et il le méritera. Mais il n'a pas envie d'ajouter « lâche » à la longue liste d'adjectifs péjoratifs qui peuvent être utilisés pour le décrire, alors il accepte de toute façon.
Étrangement, Allura n'a pas l'air en colère — bon, peut-être un peu —, ni sur le point de lui crier dessus. Elle est plus fatiguée qu'autre chose. Keith ne l'a jamais vu avec d'aussi grosses cernes, et il se demande si elle ne dort pas moins que lui, ce qui serait en exploit en soi vu le nombre ridicule d'heures où il a réussi à trouver le sommeil, dernièrement. Allura a l'air épuisée, ses cheveux sont à peine coiffés et elle a une tasse de café qui fait deux fois la taille des mugs terriens habituels à la main.
Keith baisse immédiatement les yeux, parce qu'il n'est pas préparé à entendre Allura lui dire à quel point elle est déçue par lui.
— Tu sais, je te fais plus confiance qu'à n'importe quel autre membre du programme, et je suis à peu près sûre que tu n'as pas, comme on me l'a expliqué, eu la soudaine envie de tuer un parfait innocent sans aucune raison — mais quand même, quand on me dit ce genre de choses, je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter un peu et de me demander ce qu'il s'est vraiment passé.
Son ton n'est pas irrité, juste ennuyé. Keith se dit qu'elle doit avoir autre chose à foutre, mais que contrairement à lui, Allura est une personne responsable, et qu'elle n'aime pas laisser traîner les problèmes autour en attendant juste qu'ils reviennent vers elle plus tard. Ce qui n'est pas idiot.
— Je suis désolé, dit Keith, parce qu'il n'a pas grand-chose d'autre à répondre.
— Raconte-moi, demande Allura.
Alors il lui dit tout, depuis le départ, il lui dit à quel point il se sent exclu de tout et à quel point il a envie de se casser et à quel point il en vient à détester tout le monde, même eux, parce qu'ils ne sont pas là et qu'il ne comprend pas pourquoi il doit rester si seul.
Allura ne l'interrompt pas, elle ne prend pas d'air embêté ou déçu, elle ne le prend pas en pitié et se contente de le regarder comme une personne normale, pour une fois.
— Je t'ai envoyé pour le programme parce que je pense que c'est important, dit-elle. C'est important d'inclure la Terre partout où on peut, parce que si la Terre reste à l'écart, alors on ne sait pas quels genre de répercussions ça pourrait avoir en cas de temps durs. Ce programme est peut-être naze, mais c'est le premier et il y en aura probablement d'autres après ça. Et dans une période où tout le monde se reconstruit après une guerre aussi violente, on ne peut pas se permettre de s'éloigner de potentiels alliés.
Il ne peut pas lui donner tort, alors il reste silencieux.
— Désolée de t'infliger ça.
— Non. C'est ma faute.
— Pas vraiment.
C'est de sa faute, parce qu'il sait que s'il devait retourner dans le passé pour revivre ce même moment, il referait la même chose.
— C'est à toi de décider ce que tu veux faire, dit finalement Allura. C'est à toi de voir. Ils veulent bien te garder, mais je comprendrais que tu sois contre.
Il pourrait partir et laisser quelqu'un d'autre aller à sa place, il pourrait laisser Dior et Jeannelle se démerder, il pourrait être avec Lance. Mais en même temps, il y a cette petite voix à l'intérieur qui lui dit qu'il est temps de faire quelque chose de sa foutue vie, et qu'être le co-leader — ou peu importe le titre — de Voltron là tout de suite, ça pourrait avoir plus d'importance que ça en a l'air.
Alors il inspire, doucement. Il n'en a pas envie, mais c'est comme ça.
— Je vais le faire, dit-il.
Allura se met à sourire, et c'est la première expression sincère qu'il lui lit depuis le départ.
— Merci, je savais que je pouvais compter sur toi.
Il hausse les épaules. De toute façon, il ne va probablement pas faire grand-chose, à part juste, uh, rester là à faire semblant d'écouter.
— Je n'ai rien dit à Shiro pour le moment, continue Allura. Il est demandé de partout et je crois qu'il a beaucoup de mal à suivre…
Elle le dit sur un ton qui laisse entendre qu'il serait dans un pire état qu'elle, ce que Keith pense quasi-impossible.
— J'espère juste qu'il ne l'apprendra pas de quelqu'un d'autre. Mais au moins, s'il t'appelle avec des yeux plein de reproches et d'inquiétude, tu sauras pourquoi.
Puis elle raccroche, et Keith se laisse tomber sur son lit avec fatigue. Il n'est pas suffisamment tard pour que les lumières qui passent sous la porte depuis le couloir soient éteintes, pourtant il a l'impression que sa journée en a duré deux.
Il n'est pas vraiment sorti depuis l'accident, mais on lui a envoyé un bref mail lui informant qu'il était quand même attendu à la prochaine réunion, et qu'on attendait des excuses de sa part, et qu'il se rende réellement aux sessions de thérapies qu'on lui a donné — auxquelles il n'allait plus vraiment, d'accord. Le mail est aussi teinté de mépris que le type qu'il a cogné, mais Keith est trop fatigué pour être en colère, alors il essaye de penser à autre chose.
Un peu plus tard, sa mère l'appelle.
Il ne sait pas qui l'a mise au courant — il ne sait pas grand-chose à propos d'elle, à vrai dire —, et elle ne le lui dit pas. Elle se contente de le regarder pendant au moins dix minutes sans prononcer le moindre mot, le regard perçant et un peu déçu, comme n'importe quelle mère à qui ont aurait dit que son fils se battait en cours.
Keith ose soutenir son regard — ce n'est pas comme avec Allura, et il a plein de choses à reprocher à Krolia, qui doit être à l'origine d'une bonne partie de ces troubles que Dior aime ajouter sur son interminable liste — et il le fait pendant autant de temps qu'il faut, jusqu'à ce qu'elle se décide à parler.
— Tu vaux mieux que ça.
Et il a un peu envie de lui dire qu'elle n'en a aucune putain d'idée, parce qu'elle n'était pas là, et que de toute façon elle n'a jamais été là. Mais il est tellement— fatigué. Et il n'a pas envie de se disputer avec quelqu'un d'autre maintenant.
— D'accord, dit-il.
— Ce connard méritait amplement son sort, continue-t-elle, mais tu vaux mieux que ça. Ne te rabaisse pas à leur niveau.
— D'accord, répète-t-il.
Ils se regardent encore un moment. Keith se met à ressentir un tas de choses qu'il n'arrive pas à nommer, mais dont il ne parlera pas à Dior, ni à personne d'autre. Et quand il raccroche finalement, la lumière venant du couloir n'est plus là.
— — —
Lance lui dit tout le temps que si, s'envoyer des playlist est d'un romantisme fou, et que non, Keith n'est pas autorisé à juste les ignorer et à faire semblant d'avoir tout écouté pour lui faire plaisir.
— Tu dois, genre, écouter les morceaux pour de vrai ! s'exclame Lance. Le contraire est juste cruel !
— Okay, dit Keith, okay— mais tu sais que je ne vais pas aimer, de toute façon.
— Mais tu ne peux pas savoir ça si tu n'as pas écouté !
Dans une situation normale, Keith serait ravi d'écouter ces playlist. Mais il est à des millénaires de la Terre, ce qui veut dire que a) ni lui, ni Lance n'ont accès à la musique terrienne et b) les Odiens ne possèdent aucun type d'écouteurs — comme avec les films, ils semblent trouver le concept de musique enregistrée ridicule.
Ce qui veut dire, donc, que Keith reçoit une liste de chansons qui ne sont pas terriennes et qui par conséquent sont inécoutables, et il doit le faire directement depuis cet espèce de portable qu'il a et qui n'a pas de variation sonore, et donc faire profiter tous ses voisins.
— Écoute, dit Lance, je te promets que je n'ai pas mis de chants Ark'iens !
Keith en frissonne encore, mais refuse de tomber dans le panneau.
— Je suis sûr que tu as réussi à trouver pire, dit-il.
— Juste— à quel point penses-tu que mes goûts sont mauvais, fait Lance en levant les yeux au ciel.
Voilà enfin une question à laquelle Keith a envie de répondre.
— Déjà, tu sors avec moi, et ça en dit long sur ton absence de goût, dit Keith, et puis—
— Keith, est-ce que tu t'es déjà regardé dans un miroir—
— Et je ne parle pas de mon apparence, grogne Keith en rougissant.
Un petit silence suit, ponctué par les soupirs de Lance.
— Combien de fois— combien de fois dois-je te rappeler que tu es la personne la plus merveilleuse au monde ? Après Hunk et ma mère, peut-être ? Mais presque au même niveau ?
Keith est à peu près sûr que Hunk est un niveau de perfection qu'il ne pourra jamais rêver atteindre, mais les mots de Lance ont quand même pour effet de lui réchauffer le cœur, même s'il n'y croit pas trop — enfin, peut-être que Lance y croit, mais Lance ne sait visiblement pas ce qu'il dit.
— Bon, ça suffit, décide-t-il, mais dans tous les cas je n'écouterai pas cette playlist.
— Tu loupes un enregistrement de Matt en train de chanter.
— … Je suis sûr que tu dis ça juste pour me faire écouter et que Matt ne chante nulle part…
— … Peut-être, mais tu ne pourras pas savoir si tu n'écoutes pas.
Bon sang, pense Keith. Maintenant, il a presque envie d'écouter.
— Si tu refuses d'écouter ma playlist— fait Lance, si tu refuses, alors—
— Alors ?
— Je t'appelle tous les soirs—
— Ce qui est déjà plus ou moins ce que tu fais.
— Pour te chanter du David Bowie.
Là, Keith ne sait pas s'il doit être horrifié ou émerveillé — il adore David Bowie, mais entendre Lance chanter lui paraît être une très, très mauvaise idée. Disons qu'il ne chante pas si mal que ça, mais qu'il a une façon de chanter qui est tellement. Embarrassante. Pour tout le monde— et il n'a pas envie de subir ça, okay.
— Je refuse, dit-il.
Parce que, non.
— Je vais— je vais rompre avec toi, je te préviens.
— Tu ne vas pas le faire, dit Keith avec un haussement d'épaule.
Il le fera probablement plus tard, mais ce ne sera pas pour une raison aussi idiote, probablement.
— Ouais, je vais pas le faire.
Puis Lance semble oublier un peu sa playlist, et ils parlent de choses apparemment plus importantes, dont Keith n'a pas vraiment envie de parler mais qui d'après Lance ne devraient pas rester sous la poussière. Ça finit en demi-dispute parce que Keith se met en colère dès qu'on lui dit qu'il devrait arrêter de se laisser mener par le bout du nez par ses émotions mais, vraiment, ce n'est pas sa faute à lui si tout est si difficile à gérer, non ? Et alors ils finissent par crier un peu (surtout Keith), et Lance a les larmes aux yeux et il se sent encore plus mal, alors il s'excuse, il s'excuse et Lance lui dit qu'il l'aime et Keith ne sait pas trop quoi répondre et tout est si bizarre, mais quand ils raccrochent ils sourient tous les deux et Lance lui fait un baiser volant, alors il suppose que ce n'est pas si mal.
— — —
Shiro finit par vaguement le rappeler à l'ordre, peut-être une semaine plus tard, mais Keith le soupçonne de le faire juste pour faire bonne impression et parce qu'il est la seule personne que Keith considère à peu près comme un parent. Il a probablement besoin que quelqu'un l'engueule, de toute façon.
Alors Shiro commence par lui dire qu'il doit agir comme un adulte et qu'il y a des connards partout, mais que ce n'est pas une raison pour faire n'importe quoi — et Keith répond avec colère qu'il en a marre qu'on le prenne pour un danger public, et Shiro dit qu'il le cherche un peu.
Mais après ça, il lui fait comprendre que c'était mérité pour un aussi sale type, et que Keith ne devrait pas avoir à subir ça, alors au final il ne sait pas trop quoi penser.
Shiro a l'air aussi fatigué qu'Allura, sauf qu'au moins il n'essaye pas de le cacher, du moins pas à Keith, et il lui explique pourquoi il est dans cet état-là.
— Lotor essaye de nous donner un rôle politique décisif dans les relations extérieures de l'Empire, et personne n'a l'air de trouver que c'est une bonne idée de s'allier avec ses pires ennemis, ce qui est compréhensible, alors il faut expliquer à tout le monde ce qu'ils auraient à gagner en travaillant avec nous.
Keith se sent soudainement tout petit, avec son programme à la con.
— Ça se passe mieux que prévu, dit Shiro. Il n'y a eu que cinq ou six débordements de masse et la presse n'utilise presque plus d'insultes à notre égard. Ah, et uniquement trois personnes ont essayé de tuer Allura.
Keith décide immédiatement que Shiro n'a aucune notion de ce qui est bien, et entreprend de le lui faire remarquer, mais se fait immédiatement rembarrer.
— Tu as démembré un parfait innocent comme une monstre sanguinaire en plein milieu d'un lieu de passage juste parce qu'il t'avait regardé deux secondes, dit Shiro.
Keith sent sa mâchoire se décrocher.
— Ce n'est— absolument pas ce que j'ai fait, je l'ai juste un peu frappé au visage ?
— Je sais, mais tout le monde exagère tout.
— Oh mon Dieu, grogne Keith, je n'arrive pas à y croire—
— Pour être honnête, quand j'ai entendu cette rumeur, je ne savais pas du tout à quoi m'attendre, reprend Shiro. Tu aurais tout aussi bien plus faire un croche pied à quelqu'un et on aurait probablement dit la même chose. Au moins, il y avait bien du sang.
— Oh, ouais, dit Keith avec ironie, alors ce n'est pas si loin de la réalité.
Shiro le regarde avec un sourire en coin, ce qui veut dire qu'il va répondre quelque chose de stupide.
— Dis-toi que la dernière fois qu'Allura a buté sur un mot pendant un discours, les journaux ont rapportés qu'elle était prise d'une crise de démence.
Keith se met vaguement à imaginer Allura avoir ce genre de crise, et décide que c'est plus drôle qu'autre chose, même si sur le coup ça ne devait pas être si amusant que ça.
— Les gens disent des conneries, dit Shiro. Et je pense que je ne suis pas le seul à te dire ça, mais vraiment, ne leur donne pas raison.
— Je sais.
— Alors je ne vais pas t'embêter plus longtemps avec ça, fait Shiro avec un haussement d'épaules.
Ils ne savent pas trop de quoi parler, alors Keith finit par annoncer une chose que Shiro finira de toute façon par apprendre.
— J'ai deux nouvelles psys terriennes. Elles m'ont trouvé un tas de problèmes dont je ne comprends même pas les définitions. Et je crois qu'elles essayent de me faire suivre une sorte de thérapie pour m'en débarrasser, mais j'ai du mal à saisir l'intérêt de tout ça.
Ça a le mérite de faire rire Shiro.
— Eh bien, je leur souhaite bien du courage.
Keith est content qu'il ne lui demande pas la liste, parce qu'il serait probablement d'accord avec une partie de ce qu'il y a dessus.
— Va te faire foutre, répond-il avec un sourire.
Et ils se quittent à peu près après ça. Mais Shiro semble plus amusé que fatigué, et Keith à l'impression d'avoir gagné un combat dont il ignorait l'existence jusqu'à présent. Il parait que ça fait ça, de parler avec la seule personne en qui vous avez vraiment confiance.
