Fidèle Spectre de la rue,

Comment débuter sachant que vos yeux trop maquillés trempent déjà cette feuille ? Petites goûtes noires et salées qui auréolent mes lettres jusqu'à les faire disparaître… Je peux imaginer le khôl dégoulinant de votre regard et couler sur vos joues roses de fard. Ce n'est pas la couleur qui teinte ce visage mais le masque de la déchéance et de la peur. Ces lèvres rouges comme celle du diable dissimulent une grimace qui tente ces abrutis passants. Tous aveugles, ils ne peuvent voir ce que moi j'ai su discerner en dépit de l'obscurité.

L'iris de ce regard déçu parfois se dilate sous le mensonge et la honte…

A vous, je n'apprends rien car vous êtes aux premières loges de votre propre spectacle ! Oui, je sais à l'heure où j'écris que des larmes charbonneuses souillent cette page. Peut-être vos mains tremblent-elles et tordent ces mots dans l'espoir de les détruire… Essayez donc mais la vérité ne peux s'effacer une fois révélée. Elle perdure et envenime votre sang telle la plus dégradante maladie et vient marquer cette chair blafarde.

Chère fantôme, vile amante…

Je me souviens encore de votre souffle haletant écorchant mes oreilles. Par habitude, vous simulez le plaisir comme une mère fredonne inlassablement une berceuse à son enfant. Il n'est pour mon âme de chant plus divin que celui de votre jouissance car… j'ai réussi là où d'autres ont échoué.

Que mes poches soient emplies d'or ou bien trouées, c'est en femme amoureuse que vous vous êtes offerte et je me sens… victorieux… comme si j'avais remporté une guerre mais devenu à présent infirme !

Une guerre contre l'humanité même ! Un duel pour triompher de ces pauvres hères, ces criminels et ces pirates !

Catin ou pas, c'est votre amour que j'ai acheté ces nuits là… Pire qu'un poison, je me suis introduis dans vos veines afin de contaminer votre âme. Sachez que je vous en croyais dépourvue mais peut-être est-elle plus présente que la mienne encore.

Tendre traîtresse, oui, âme si faible... J'ai pu te contempler quand je faisais mien ce corps déjà usé malgré ta jeunesse. Telle une ombre, tu planes au dessus de cette chevelure rousse, de ces mèches éternellement emmêlées par la luxure...

Mais quand nous avons joui, c'est derrière son râle de plaisir que j'ai entendu ton cri de souffrance. Piteuse et petit âme...

A cet instant précis, quelque chose en moi s'est brisé pour venir éclater à ma vue.

Oui, mon cœur de marbre s'est fissuré et volé en éclat sous votre arrivée. Il me répugne à le dire et de l'avouer mais conscience doit être libérée !

Démone, vous avez installée en mon être ce sentiment ingrat appelé amour.

Comme cette réciprocité est ironique à défaut d'être d'une logique égale !

Seuls les édifices s'effondrent et tombent en ruines. Les hommes, eux, pourrissent et se décomposent, rendent à la terre du sable et de la poussière.

Nul retour en arrière est encore possible car vous me tenez enchaîné tout comme moi je vous tiens.

L'étau est d'acier mais ma poigne est de fer, je gagnerai ce combat quoi qu'il m'en coûte !

Soyez maudite pour ce que vous m'infligez, misérable putain vers qui mes uniques élans se sont dirigés.

Ma foi valse avec ma folie me damnant à cette émotion impure.

Pourquoi, Ô Seigneur de ce monde imparfait, me faire adorer d'une passion injustifiée cet air désespéré, ces gestes maladroits, ce parfum de démence qui virevolte autour d'elle ?

Scarlett, je vous jure au nom de Dieu et du mien, vous faire payer cette fatale addiction,

Lord Cutler Beckett