PARTIE I : LE VOYAGE
CHAPITRE I
Pour Draco Malfoy, sa mésaventure était typique de tout ce qui n'allait pas à Poudlard. Vous penseriez que dans une école de sorciers, avec des défenses magiques, tout serait mis en œuvre pour que des adolescents trop curieux ne tombent pas sur des artefacts magiques incontrôlés et dangereux. Que nenni. Et le fait que ce soit lui l'adolescent trop curieux n'avait rien à voir avec sa colère. Comment Dumbledore pouvait-il prétendre que Poudlard était sûr ? Visiblement, il était trop occupé à se mêler de politique pour veiller consciencieusement à la sécurité de ses élèves. Dès qu'il serait rentré, Draco déposerait une plainte pour mise en danger délibérée et sénilité.
Encore fallait-il qu'il arrive à rentrer.
Ce n'était pas un fait que Draco annonçait publiquement, mais Harry Potter n'était pas le seul à souffrir d'insomnie. Depuis qu'en troisième année il avait pris conscience de la balance délicate de sa situation, il avait pris l'habitude de passer quelques très désagréables heures à se demander quel côté finirait par le tuer et sous quelle excuse au lieu de dormir. Il lui était même arrivé de se demander si les avantages d'être le fils de son père valaient vraiment la peine. Le manque de sommeil prenait clairement son dû.
C'est pourquoi il lui arrivait souvent de se promener la nuit dans les caves de Poudlard, en espérant tomber sur un artefact puissant qu'il pourrait offrir à son père. Ça n'avait pas tourné exactement comme il l'avait espéré.
Le pentacle sur lequel il avait mis la main – ou plutôt, le pied – puait la magie noire.
Et le lieu où il l'avait emmené n'était clairement pas un camp de vacances.
Gris. Tout était gris. Des décombres, des ruines, des cendres fumantes…
Mon Dieu, où suis-je tombé ?
Des pierres éparpillées; de la poussière volant en nuages; des rues à demi éboulées…
Le centre de Londres.
NON !
Ne crie pas.
Il faillit avoir une crise cardiaque.
Qui ? Quoi…
Tout s'arrêta sur une amertume bien connue quand il reconnut son interlocuteur.
Il cracha.
Potter.
Pendant un long moment, seul le silence régna.
La silhouette encapuchonnée devant lui ne disant rien il en profita pour l'observer.
Le personnage qu'il scrutait était certainement différent du Harry Potter qu'il connaissait. Les longs cheveux noirs caressants les cuisses étaient un indice en eux-mêmes.
Mais plus que tout, c'étaient les yeux, vides, d'un vert bronze terne, qui trahissaient la différence d'âme entre le sauveur du monde qu'il connaissait et ce… zombie.
Une voix terne, sans inflexion s'éleva dans le vide du centre-ville dévasté.
- Draco Malfoy. Quelle surprise. N'es-tu pas censé rester mort ?
- Tu n'as pas l'air déboussolé à l'idée de rencontrer un fantôme.
- Ce monde est tellement déglingué, je ne serais pas surpris de voir les morts sortis de leurs tombes.
Regardant d'un air vague tout autour de lui.
- Ça serait un peu la foule, évidemment.
- Comment je suis arrivé ici ?
- Si tu ne le sais pas, qui va le savoir ?
- Je croyais que tu savais tout, Potter.
- On a tous de ces déceptions.
Draco regarda fixement le garçon, essayant de déterminait s'il se fichait de sa tête. Non, il avait l'air parfaitement sérieux.
- Tu n'es pas Potter.
- J'ai porté ce nom. Mais il était trop lourd, je l'ai laissé tomber. Appelle-moi Seth.
- Seth ? Comme le dieu égyptien ?… Je ne t'imaginais pas en érudit. … bonne éducation. Mais tu l'as mal choisi; le dieu des typhons et de la malice, c'est un peu déplacé pour le Champion du Blanc, non ?
- Il me va parfaitement, au contraire. Il définit bien ce que je suis.
- Oh ? Et tu es ?
- Je suis le Potter qui est passé à Voldemort.
Draco eut un passage àblanc.
- C'est impossible. Potter, il…ne… Et même Voldemort n'accepterait jamais !
- Il était plutôt content, en fait. Il a interdit à ses mangemorts de me toucher. Regarde : il m'a donné un collier.
Douloureuse ironie : un collier de velours rouge avec médaille en or, comme on en donnerait à son animal favori.
- Qu'est-ce que tu es ?
- … Il m'appelle chaton.
- Tu es un monstre.
- Ça me va aussi.
Draco avait peine à rassembler ses idées, s'accrochant à ce qu'il connaissait de son monde qu'il avait cru indestructible.
- Et les autres ? Dumbledore, Weasley, la sang-de-bourbe ?
- Ils sont morts. Tous.
- Comment as-tu pu ?
- Oh, pour moi c'était facile : je n'avais qu'à regarder. C'est pour eux que ça a été dur.
- Oh mon dieu. Tu es complètement dingue.
- Ça n'est pas une si mauvaise position en ce moment, tu sais.
Un silence tomba entre les deux sorciers, fait de peur, de colère et d'incompréhension. Dans ce moment de pause, il fut plus facile d'entendre le vent et les échos qu'il provoquait dans la cité. Vide. Un espace vide. Un silence total.
Pour la première fois, Draco regarda vraiment autour de lui, en prenant note de l'absence totale de bruit, de l'absence totale de monde, de mouvement et accepta silencieusement la remarque de son vis-à-vis : être fou dans ce monde devait être plus facile.
Il ne voulait pas savoir. Il ne voulait pas savoir !
Comme toujours dans ces cas-là, Draco échappa à la peur en passant à sa deuxième émotion de base : la colère.
- Je me fous de ce qui est arrivé ici ! Je veux rentrer chez moi !
Il essaya d'effacer les échos que sa voix éveillait en criant plus fort.
- Un pentacle ! Que fichait un putain de pentacle au milieu des catacombes de Poudlard ?
- Une bonne question. Une autre serait : qu'est-ce que tu faisais dans les catacombes de Poudlard ?
- Tu es sûr que tu es fou ?
- Certifié.
Lentement, la peur recommença à grignoter la colère qu'il s'efforçait d'entretenir, avec une espèce de sensation nauséeuse remontant au creux de son estomac.
Draco hésita.
- Je ne suis pas sûr que je veux savoir. Mais dis-moi… qu'est-ce qui s'est passé ?
La silhouette ne fléchit pas. Seth continuait de promener un regard vague sur la cité détruite.
- J'étais terrifié.
- Je veux bien le croire, fit Draco d'un ton ironique.
- Je semblais être le seul.
La réplique inattendue le fit taire.
- Tous les autres pensaient que ça se passerait bien. Qu'on trouverait une solution.
Il se tourna vers Draco, le bronze de ses yeux éclairé pour la première fois par une féroce ironie.
- Et que de toute façon, je les sauverais tous à la fin, bien sûr.
Draco ravala sa salive, impressionné par la colère encore capable de faire réagir le zombi qu'il avait rencontré.
- Bien sûr.
L'émotion retomba. La créature, de nouveau éteinte, se tourna vers l'horizon et poursuivit de sa voix terne.
- Et je me suis rendu compte d'une chose. Je me suis rendu compte que personne n'était prévu pour me sauver, moi. Ça n'était pas dans l'histoire. Le Garçon-Qui-A-Survécu… il n'y avait pas de fin heureuse préparée pour lui.
Silence.
- Je me suis rendu compte que j'étais sensé mourir. Pour les sauver tous.
J'avais treize ans. Mon parrain venait de m'abandonner… pour la deuxième fois. Tout le monde faisait comme si c'était une bonne chose. C'est là que je me suis rendu compte qu'on n'avait pas le même but. Je ne voulais pas sauver le monde sorcier. Je ne voulais pas être héroïque. Je ne voulais pas veiller sur les autres. Je voulais qu'on veille sur moi. Visiblement, personne n'était intéressé.
J'ai appris que les apparences pouvaient être menteuses. Les criminels étaient des héros, et les victimes des criminels. Les innocents n'étaient pas tous sauvés à la fin. Les bons ne gagnaient pas forcément. Et ma vie n'était pas un conte de fées.
- Et il t'a fallu tout ce temps pour t'en rendre compte ?
- Ça n'est pas facile, quand tout le monde ment. Depuis que j'étais arrivé dans le monde magique… je n'avais reçu que des discours soigneusement préparés. Pour les faits bruts, j'étais encore trop jeune, je n'étais pas prêt à savoir. J'avais été présenté à des gens choisis, aussi. Pour les autres, ils étaient peu dignes de confiance, ou trop dangereux, ou trop émotifs, trop subjectifs… A onze ans, douze ans, treize ans… c'est facile de se laisser guider par les gens qui de leur propre aveu ont tes meilleurs intérêts à cœur.
Le pire, pensa Draco, était peut-être le ton d'indifférence totale sur lequel cette accusation horrifiante était faite.
- ça ne te fait rien ? De penser que tes prétendus amis t'ont utilisé, t'ont menti depuis le début ?
Les yeux verts bronze se tournèrent vers lui avec une sorte d'étonnement vague.
- Ils sont tous morts, Draco, fit la voix plate. Ça semble un peu excessif de leur garder rancune.
La réplique lui coupa le souffle et ses pensées s'éparpillèrent dans tous les sens.
Mon dieu, il dit la vérité, il est vraiment passé à Voldemort.
Il évita de s'attarder sur le sort probable des ex-amis du sauveur en tant qu'exemples, le pire leur avait sûrement été réservé : torture en tout genre, viol, écartèlement, décapitation peut-être ?
Quand il avait dit que Weasley regretterait d'avoir pris sa place de meilleur ami de Potter, ça n'était pas exactement comme ça qu'il l'entendait.
Et les autres, réalisa-t-il petit à petit, les partisans de la lumière, les chiens-chiens de Dumbledore… Il l'a fait, se dit-il avec stupéfaction. Potter a vraiment aidé Voldemort à anéantir la Lumière. Il ne restait plus que…
- Tu es le symbole même de la Lumière. Pourquoi te laisse-t-il vivre ?
- Il y a une prophétie. Elle dit que j'ai une chance de le tuer. Il ne s'est jamais senti le cœur de la tenter.
Les vapeurs de cendres devaient lui avoir encrassé le cerveau, se rassura le jeune Malfoy ça et la magie noire du pentacle. C'était la seule explication. Dans son état normal, il aurait mis beaucoup moins de temps à se demander dans quelle mesure cette version correspondait avec son univers d'origine, au lieu de faire la conversation au - manifestement déséquilibré – sorcier en face de lui. Bon, il était évident que son Potter – berk, berk – n'avait pas trahi, et que les Weasleys – dommage – n'étaient pas morts, mais… les mensonges ? Les manipulations ? Il savait, bien sûr, que Dumbledore s'était arrangé pour avoir le Sauveur fermement de son côté mais… jusqu'où était-il allé ? Et combien de la sainteté dudit Sauveur n'était pas un choix personnel ou même pas un choix du tout ?
La voix plate interrompit ses pensées.
- La nuit tombe. Tu ne devrais pas rester dehors Il a lâché des trucs bizarres dans les rues. Ils me fuient, bien sûr, mais je ne sais pas ce qu'ils te feraient.
- … Je n'ai même pas envie de savoir. Tu as une solution ?
- Tu peux venir chez moi il n'y vient jamais personne. Je dois même avoir de la nourriture quelque part.
Une seule question s'imposait.
- Pourquoi tu m'aides ?
- Je m'ennuie. Il n'y a pas beaucoup de passage, forcément.
Il n'y avait vraiment pas de réplique à ça.
En chemin pour le refuge de Potter, Draco s'arrêta au milieu des ruines grises et repensa à une réplique qu'il avait laissé passer.
- Il n'y a pas beaucoup de passage. Tu veux dire que plus personne ne vit à Londres ?
Le brun ne se retourna même pas.
- Je veux dire que plus personne ne vit en Angleterre.
Draco hoqueta, son estomac se serrant à ce qu'il craignait être une très mauvaise nouvelle.
- Tu… tu veux dire qu'ils ont fui ?
Cette fois la silhouette se tourna vers lui et les yeux indifférents le fixèrent.
- Je veux dire qu'ils sont morts.
Draco s'étouffa vraiment.
Quand il eut reprit contrôle de ses réactions, il demanda :
- Toute l'Angleterre ?
- Et la France, l'Espagne, le Portugal, la Russie…
- D'accord, d'accord, d'accord, j'ai compris !
Après un silence, il reprit :
- Mais il doit y avoir des réfugiés, non ? Une résistance quelque part…,
Devant le regard vaguement perplexe de son interlocuteur, il s'énerva.
- Il n'a pas pu tous les tuer, non ? Parce que ça serait….
Il ne trouvait plus ses mots.
La voix monotone lui répondit.
- Je ne sais pas ce que tu veux entendre. Voldemort a toujours dit qu'il voulait conquérir le monde, non ?
Il ne répondit pas.
- Et il a toujours dit qu'il tuerait tous les moldus. Ce qu'il a fait.
Draco ne savait pas quoi dire. Tous les mots qui lui venaient étaient stupides, enfantins.
- Je ne me rendais pas compte que ça ferait autant de monde.
Ils continuaient à marcher dans les ruines de Londres, écrasant les débris, soulevant un nuage de cendres sur leur passage.
Trois quart d'heure de tours et détours dans un décor cauchemardesque, et Draco était prêt à accepter de passer la nuit dans une baraque quelconque. C'est-à-dire aurait été prêt s'il n'avait pas entrevu du coin de l'œil des silhouettes passer et repasser dans les ombres tombantes, sans doute repoussées par la présence de Potter et la marque de leur Seigneur sur lui. Il se rapprocha aussi discrètement que possible. Il ne manquerait plus que Potter s'imagine qu'il avait besoin de sa protection.
Tout cela pour dire que quand ils arrivèrent en vue d'une incongruité, c'est-à-dire d'une tour de marbre blanc solitaire en plein milieu du cœur de Londres, il ne commenta même pas, il se dépêcha de s'approcher de la porte.
- Bienvenue à la Tour de Seth, fit son hôte. On l'appelle aussi la Folie de Potter.
- Elle est si froide…
- J'ai toujours rêvé d'avoir une maison à moi. Mais quand j'ai construit ma tour, mon cœur était déjà mort. Elle ne sera jamais un foyer. Elle me reflète.
- Tu aimerais le manoir Malfoy. Il y a beaucoup de ressemblances.
Il s'y sentait déjà chez lui.
Il se dépêcha derrière le maitre des lieux, espérant un endroit où s'asseoir, une cheminée fumante et un repas, pas particulièrement dans cet ordre. Mais pour être franc, la porte massive qui avait silencieusement coulissé entre lui et les menaces de la nuit avait déjà exaucé son vœu le plus cher.
- Il y a une chose qui m'échappe, se rappela-t-il soudainement. Je suis mort, d'accord, mais les créatures de la nuit me reconnaîtraient, non ? Elles n'attaqueraient pas un mangemort. Ou est-ce que tout est lié à la marque, dit-il en regardant son bras et en regrettant pour la première fois de ne pas avoir été marqué à quinze ans comme son père le voulait.
Un silence pesant lui répondit.
Il releva la tête, curieux et un peu inquiet.
- Potter ? Je veux dire, Seth ?
Le brun le regardait avec curiosité.
- Tu n'es pas un mangemort.
- Non. Je veux dire, pas encore, mais dès que notre seigneur le voudra, bien sûr… Ce qui était un mensonge plus gros que lui, vu que le seigneur l'aurait bien vu marqué depuis sa naissance, mais ça il n'était pas prêt de le dire à cette version de Potter.
Version qui avait maintenant un presque sourire sur sa face inexpressive.
Draco commença à se sentir vraiment inquiet.
- Tu n'as jamais été un mangemort ici.
Curieux mais bon, pas si mauvais. Parce que…
- Je suis resté neutre, c'est ça ? Jusqu'à la fin de la guerre ?
L'autre ne disait rien.
- Accouche Potter ! Qu'est-ce que je suis ici ?
- Tu es le Champion de la Lumière.
- Je suis quoi ?
Le chevalier en armure blanche, le défenseur de la veuve et de l'orphelin
- Je te défends de m'insulter ! Je suis un Malfoy ! Je suis…
- Le célèbre Draco Malfoy. Le héros du monde magique. L'homme qui se tourna contre son père et Voldemort et défendit les Moldus. Et mourut en les défendant.
- C'est répugnant !
- Les Mangemorts te haïssent, si ça peut te rassurer.
A Suivre.
