Vendredi 18 novembre, 8h20, lycée paumé aux milieux de la campagne. C'est là que tout commence. En cette matinée plus que glaciale, tous les élèves s'abritaient où ils pouvaient de la pluie qui ne cessait de se transformer en grêle sans prévenir, avant de revenir à sa forme originel. Les portes des bâtiments n'ouvraient qu'à 8h30 précises, et quelques faiseurs de trouble commençaient déjà à s'agiter. Le préau était blindé de monde, et c'est donc sur un banc à l'écart, sous la pluie, qui patientait sagement une jeune fille à la carrure frêle, le teint blafard, des cernes d'une inquiétante couleur violette, une silhouette affreusement maigre que certain qualifiait de rachitique, et tout cela soutenu par deux jambes minces et tremblantes. Elle devait mesurer en tout et pour tout 1 mètre 60, pas plus, et pesé mois de 40 kilos. Ses cheveux blonds collaient à son visage, lui faisant un rideau doré sur le front. Ses yeux bleus dénués de vie fixaient un point invisible, à mi hauteur entre le sol et les bacs de fleurs.
-Je peux savoir ce que tu fous sous la pluie pauvre idiote ? s'égosilla une voix féminine très atypique de par l'agressivité qui se dégageait de ses paroles.
La jeune fille releva lentement la tête vers la lycéenne plantée raide comme un piquet devant elle, avant de hausser mollement les épaules.
-Bonjour Mélissa... salua-t-elle d'une voix mortellement éteinte. Salut Kinsley.
En effet, derrière la première fille se trouvait une autre adolescente, tout aussi grande que la première, possédant exactement la même taille fine, les même longues jambes et la même beauté presque irréelle. Mélissa était brune claire ou châtain foncé suivant les avis, elle avait des yeux chocolats qui pourraient être vraiment magnifiques si elle cessait de constamment froncer les sourcils. Elle était âgé e 18 ans, ce qui signifiait qu'elle avait redoublé, bien que ce ne soit un secret pour personne. En effet, tout le lycée était au courant des résultats médiocres de la jeune fille, bien qu'elle soit très douée en sport. Kinsley, elle, avait plutôt les traits sereins, les yeux verts rieurs et des cheveux presque noirs qui lui donnait un côté légèrement asiatique, renforcé par ses pupilles légèrement bridées. Elles avaient tout pour être mannequins, mais ni l'une ne l'autre n'était intéressée par ce domaine, et elles préféraient respectivement le sport et le chant. Enfin, Kinsley aimait toutes les formes d'arts de toute manière...
-Salut Sarah, répondit chaleureusement Kinsley en accompagnant ses paroles d'un signe de main.
-Je t'ai posé une question ! trancha froidement Mélissa en toisant presque méchamment la pauvre fille trempée.
-Je n'ai pas de réponse à t'apporter, désolé.
Sur ces paroles, la dénommé Sarah se leva, attrapa son sac qu'elle avait sagement posé sous le banc, et se dirigea sans envie vers le portes du bâtiment principal qui venaient de s'ouvrir. Elle entendit presque inaudiblement la série de jurons de Mélissa, mais elle s'en fichait pas mal, et elle préféra se concentrer sur sa première heure de cours : français. Elle aimait bien ce cours. Peut-être parce que son prof était le seul qui n'en avait rien à cirer qu'elle ne l'écoute pas, peut-être parce qu'il était un des rares à ne pas les avoir placés en début d'année, ce qui lui avait permis de s'isoler dans le fond, peut-être aussi parce que sa voix apaisait Sarah et faisait travailler son imagination trois fois plus que d'accoutumé. Peut-être... Mais en ce vendredi, la petite blonde n'était pas franchement sûre d'avoir envie d'aller en cours. Elle n'avait envie de rien. La routine lui pesait lourd sur les épaules, le froid et la fatigue aussi, sans compter sur ses maux de têtes et ses nausées. Elle entendit Kinsley la rejoindre au son très reconnaissable de ses talons haut, bientôt suivit de Mélissa, qui elle était repérable grâce à ses jurons et sa voix hautaine.
-Français, maths, arts plastiques, espagnol, pause, histoire, sport pendant deux heures, énuméra l'asiatique à l'attention de la brune claire.
-Putain on a maths... geignit presque immédiatement son interlocutrice.
-Corrige ton langage... soupira Kinsley.
Un grognement lui répondit, et Sarah tourna la tête vers Mélissa, qui avait maintenant l'air de très mauvaise humeur.
-Bien dormis Sarah ? finit par demander la noiraude en commençant à monter les marches d'un escalier blanc.
-Pas vraiment... avoua-t-elle avec un air las à peine dissociable de son expression habituelle.
-T'as encore gerbé ? s'informa Mélissa en sautant quatre à quatre les marches, comme si elles étaient en retard.
-Un peu...
La petite lycéenne détourna le regard, et ses deux amies comprirent qu'elle ne voulait pas en parler. Amies... Ca sonnait encore bizarre à ses oreilles, comme faux, comme pas naturel, comme impossible. Elle n'avait jamais eu "d'amies" à qui elle disait tout sans regretter la seconde suivante. Alors sa rencontre avec Kinsley et Mélissa lui avait fait tout drôle. Et peut-être du bien au fond. Les trois jeunes filles débarquèrent dans un grand couloir au sol en synthétique bleu ardoise avec des murs blancs, donnant une allure d'hôpital à l'étage. Toutes les portes étaient de la même couleur que le sol, seul un numéro ou un mot "amphithéâtre" les dissociait les unes des autre. Une rangée de casier s'étendait sur toute une cloison, et chaque petite porte portait un numéro permettant de les identifier. Sarah se dirigea vers le 76, Kinsley ouvrit le voisin pour prendre son livre de maths, et Mélissa traina des pieds jusqu'au 74 pour prendre son cahier de français. La blonde déverrouilla son cadenas et ouvrit la porte métallique, avant de sortir de son sac son cahier d'anglais, son livre de physique et celui d'SVT pour tout mettre dans le casier, avant de sortir les deux cahiers de maths et celui de français. Elle avait à peine refermé que la sonnerie peu mélodieuse du lycée retentit, signalement le début de cours.
-Et c'est partit, une journée de plus coincé le cul sur une chaise ! ironisa Mélissa en suivant la masse d'élèves.
Il y eu quelques regards obliques en direction des trois filles, et suivant la personne regardé, le sentiment qui se dégageait de ces pupilles était différent. Si on regardait Kinsley, c'était de l'envie, du respect, de la chaleur. Si c'était Mélissa, c'était de la peur et juste de la peur. Quant à Sarah, c'était tout bonnement du mépris ou de la moquerie.
-Qu'est-ce que vous avez à nous regarder comme ça ?! cracha la brune en relavant hautainement la tête, foudroyant tout le monde du regard.
Les têtes se détournèrent, le trafic reprit son cours dans les couloirs, et bientôt, les trois amies furent devant la porte de leur salle de classe. Il n'y avait que deux élèves à l'intérieur, ainsi que le professeur qui semblait occupé à rentrer les notes du dernier contrôle sur l'ordinateur. Kinsley entra et alla s'assoir à sa place, au troisième rang, talonnée par Mélissa, et Sarah partit d'une démarche trainante vers le fond de la salle, côté fenêtre, avant de laisser tomber son sac sur la chaise vide à côté d'elle. Elle retira sa veste et s'assit doucement sur le bois peu confortable qu'elle avait l'habitude de côtoyer 5 jours sur 7. Elle fixa pendant de nombreuses minutes les nuages gris, un coude sur la table, la main supportant sa tête, et le second bras posé sagement sur le pupitre. Si bien que lorsqu'elle se reconnecta à la réalité, ce ne fut que lorsque le prof lui tendit avec un léger sourire sa copie.
-Excellent travail Sarah.
Elle murmura un vague merci et attrapa du bout des doigts la feuille de papier blanche striée de bleu et de rouge. Elle le posa devant elle et lut à peine sa note. 19,5/20. Elle ne savait pas si le prof notait objectivement ou non, toujours était-il qu'il lui donnait de très bon conseil dans la marge, écrit avec application. Sarah aimait beaucoup l'écriture de ce prof. Fluide, des lettres joliment tracée, légèrement obliques. Elle rangea le contrôle dans son cahier, l'ouvrit par la même occasion à la page où ils s'étaient arrêté lors du cours précédant, et la jeune fille se permit de rêvasser à nouveau. L'ennui la tuait à petit feu, elle le savait. Quoi que, c'était peut-être plutôt la maladie qu'elle trainait depuis quelques temps qui l'achevait. Personne n'y faisait attention, sauf Mélissa, Kinsley, et le prof de français. Sarah ne s'expliquait pas pourquoi est-ce qu'il lui accordait autant d'importance, mais elle lui en était reconnaissante d'une certaine façon. C'était le seul adulte qui la considérait comme quelqu'un à part entière, et pas juste comme la protégée des deux tops modèles que tous les mecs rêvent de baiser un jour. Un mal de tête vint lui frapper les neurones, juste au-dessus de l'œil gauche. Elle ne dormait presque pas, pas étonnant que son corps ne tienne pas le coup...
Elle manqua de s'endormir à plusieurs reprises durant le cours, mais elle réussit toujours à se concentrer un temps soit peu. Lorsque la sonnerie retentit, ce fut comme une délivrance pour beaucoup d'élèves. Pas pour elle. Elle aurait aimé rester ici, laissé la voix si belle de ce prof la bercer, mais elle devait se rendre à l'évidence, le cours de maths l'attendait, et elle ne pouvait pas rester ici. Elle se leva, rangea son cahier dans son sac, reprit sa veste et jeta le tout sur son épaule avant de s'aventurer dans l'allée bordée de table.
-Sarah, appela le prof avant qu'elle ne sorte.
L'interpellée fit demi-tour et revint vers l'homme qui l'avait appelée. Il était grand, légèrement musclé, soigneusement rasé, il avait des petits yeux bleus clairs et des cheveux blonds foncés tirés en arrière qui lui donnait un côté sympa.
-Tu as bien compris ton erreur à l'exercice 4 ?
-Oui monsieur... murmura-t-elle.
Il marqua une pause et examina son élève.
-Tu en as parlé à l'infirmière ? finit-il par demander.
-Non.
-Tu devrais.
-Je sais.
Cette discussion ne mènerait nulle part, il le savait, mais ça ne lui coûtait rien d'essayer.
-Tu manges un peu ?
-Pas vraiment.
Elle n'avait pas honte de l'avouer, ça ne servait à rien de le cacher.
-Je vais y aller, je vais être en retard, balbutia-t-elle.
-Oui bien sûr, vas-y. Mais Sarah, si tu as besoin de quoi que ce soit, si tu ne te sens pas bien, n'hésite surtout pas.
-Merci monsieur...
Elle se dirigea vers la porte, Kinsley et Mélissa l'attendait à la sortie, et elles partirent vers la salle de maths. Arrivée là-bas, une bonne surprise les attendait. Le proviseur était dans la salle, et lorsqu'elles arrivèrent, il leur fit signe de ne pas aller s'assoir.
-Jeunes gens, j'ai le regret de vous annoncer que votre professeur de mathématique est en arrêt pour une durée indéterminée, et vous avez donc quartier libre.
Il y eu des exclamations de joie, et chacun partit vers la sortie.
-Centre ville ? proposa Mélissa.
-Ok, approuva Kinsley avec un grand sourire.
-Je suis, murmura Sarah.
Après un détour par la case casier, les trois lycéennes étaient dehors, abritée sous le parapluie de l'asiatique, en direction d'un café. Elles s'arrêtèrent à un feu, attendant de pouvoir passer.
-Ce serait bien qu'il reste absent longtemps, fit remarquer la brune en soupirant de bonheur.
-Oui, plus de maths pendant... trois mois, ça serait trop bien ! s'enthousiasma Kinsley en sautant sur place comme une hystérique.
Le feu passa au vert pour les piétons, et elles s'engagèrent sur la chaussée en discutant. A partir de là, tout se passa très vite. Il y eu des crissements de pneus, des hurlements effrayés, et avant que les trois amies ne puissent bouger, un camion leur fonça dessus. Sarah vit la scène au ralentit, elle ne pensa pas à crier ni à bouger, elle resta pétrifiée, à attendre le choc. Elle ferma les yeux, et juste au moment de l'impacte, elle se fit aspirer, comme si elle sombrait dans l'inconscience. Alors c'était ça la mort ? Elle voyait ça un peu plus douloureux...
Elle se sentit flotter dans une sorte de rêve monochrome pendant longtemps, peut-être une éternité. Elle avait trouvé la réponse à un des plus grands mystères de la science : mourir est affreusement ennuyant, et il n'y a absolument rien après. Juste une étendu noire qui ne semble pas avoir de fin. Sarah ne se sentait pas le courage de bouger, elle n'en avait tout simplement pas la force et pas la possibilité. Elle ferma les yeux sur ce paysage monotone, tout comme elle avait fermé les yeux sur le camion lorsqu'il lui avait foncé dessus, et par la même occasion, fermé les yeux sur la vie. Et Mélissa ? Et Kinsley ? Etaient-elles mortes elles aussi ? Ce serait triste... Il y avait tant de gens qui les aimaient... Alors qu'elle, pauvre petite fille sans personnalité, trop vive d'esprit pour son âge, n'était attendu par personne.
Soudain, la peur la remplie. Elle ne savait pas pourquoi. Elle se sentait bizarre. Lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle marqua une pause. Le paysage autour d'elle était tellement changé que s'en était effrayant. Elle se trouvait dans une forêt, des arbres d'une taille démesurée l'entouraient, mais pire que ça, un géant de 5 mètres de haut se tenait devant elle, abaissant doucement sa main vers elle. C'était ça, la cause de sa peur. Ce monstre allait soit la broyer soit la bouffer.
Elle tourna alors frénétiquement la tête à droite et à gauche, cherchant quelque chose du regard, n'importe quoi qui pourrait l'aider. Puis elle se stoppa net. Pourquoi faisait-elle ça ? Ne voulait-elle pas mourir ? N'était-ce pas ce qu'elle souhaitait depuis ses 15 ans ? Elle baissa les yeux, vaincue, et laissa ses bras pendre mollement le long de son corps. C'était là, à genoux sur un chemin pavé cerné d'arbres géants, qu'elle allait mourir, avalée ou désarticulée par une bête immonde qui présentait tout de même des traits un peu humains. Et puis, alors que l'énorme main n'était plus qu'à un ou deux mètres d'elle, elle se permit de lever ses pupilles bleus vers la cause de son décès. Elle croisa le regard fou de son bourreau, et ses yeux s'écarquillèrent. Il y eu une décharge électrique dans son cerveau, une vive douleur, puis des images qui défilèrent à toute vitesse, lui donnant envie de vomir. Ce qu'elle ne manqua pas de faire. Elle se pencha en avant et recracha de la bile, puisque c'était tout ce que contenait son estomac. La sueur perlait à grosses gouttes sur son front alors que tout un film défilait en accéléré dans sa tête, lui donnant envie de hurler.
Elle se rendit finalement compte que les gros doigts du géant venaient de se refermer sur elle et la soulevait du sol. Elle pensait qu'il l'aurait broyée vivante, mais il l'amenait doucement à sa bouche. Donc elle finirait sa misérable vie dans le ventre de ce monstre. Les images qui lui vrillaient les neurones ralentirent, et une scène se dessina dans sa tête.
Il y avait cinq soldats à cheval qui avançaient sur un chemin ressemblant étrangement à celui d'où elle avait été soulevée. Ils portaient tous un uniforme blanc et marron clair, ainsi qu'une cape verte derrière laquelle elle avait réussit à identifier un symbole qui représentait des ailes, une noire et une blanche. Ce petit groupe fonçait droit sur un monstre gigantesque à la tête hideuse, l'un d'eux se redressait sur sa monture, celui qui était en tête, et il sauta de son cheval. Il appuya sur une poignée et un câble armé d'un grappin alla se planter tout droit dans un tronc, le propulsant droit vers le géant avant qu'il ne s'écrase sur le pavé. Un second câble sortit d'un énorme étui appuyé sur son flanc droit et l'éleva au niveau de la tête de l'adversaire. Sarah eu du mal à comprendre la suite, il y eu des mouvements rapides, une nuque tranchée, et le monstre s'étala par terre, du sang couvrait le soldat alors qu'il rangeait les deux énormes épées dans leur fourreau.
Elle reprit contact avec la réalité lorsque l'haleine fétide du monstre lui retourna l'estomac. Elle se retint de vomir et baissa la tête, avant de se rendre compte que sa vision était altérée par un liquide poisseux qui colorait tout en rouge et lui obstruait la vue. Ce même liquide coula en larmes épaisses sur ses joues, et elle comprit en distinguant les perles rouges sur les doigts du monstre que c'était du sang. Elle saignait au niveau des yeux...
Il y avait trop de chose qu'elle ne comprenait pas, et elle décida de tout simplement se laisser aller. Elle détendit ses muscles les uns après les autres, et ferma ses yeux bleus tâché de sang. Sa tête passa la barrière des mâchoires du géant, mais comme il ne refermait pas la bouche, elle en conclu qu'il allait la gober vivante. Ce n'était peut-être pas plus mal après tout...
Il y eu soudain un bruit de câble métallique, des sabots qui claquent le pavé, des voix, le sang qui gicle, et le monstre fit faire à la main qui tenait la blonde un retour en arrière, la sortant de sa bouche. Puis il la lâcha alors qu'une énorme quantité de sang giclait de sa nuque. Sarah se sentit tomber, le vent fouettait ses cheveux et son corps. Combien de temps lui restait-il avant de percuter le chemin ? Quelques secondes ? Elle ne savait pas, et elle se dit finalement que la mort ne voulait pas d'elle pour ralentir à ce point le moment final.
Lorsqu'elle jugea être à deux doigts de s'écraser, quelque chose la percuta de plein fouet et la propulsa sur le côté, l'écartant du pavé. Le quelque chose en question remonta légèrement avant de se poser sur ce que Sarah identifia comme une branche d'arbre. Elle ouvrit les yeux pour confirmer son hypothèse, mais une douleur violente la fit crier et la força à refermer immédiatement ses pupilles bleus.
Une fois la douleur atténuée, elle se concentra sur ce qu'elle pouvait ressentir, à défaut de pouvoir voir. Elle était visiblement dans les bras de quelqu'un, et ce quelqu'un ne la soutenait que d'une main, la forçant à tenir à moitié sur ses jambes. Il y eu un bruit de câble, elle se sentit faire une chute libre, avant d'être retenu un peu avant le sol, et elle se posa sans peine sur le pavé, toujours soutenu par son sauveur.
Les bruits de sabots se rapprochèrent rapidement, et les voix s'agitèrent.
-Je croyais que le front de droite devait retenir les Titans, s'insurgea une voix grave appartenant sûrement à un homme pas spécialement jeune.
-Peut-être que ce front a été décimé, alors un peu de respect, réprimanda quelqu'un, également un homme, peut-être plus jeune que le premier.
-Vous n'êtes pas blessé caporal ?! s'inquiéta à priori la seule femme de groupe.
-Hm...
Ca, c'était la voix de celui qui l'avait rattrapé.
-Qu'est-ce que... reprit la première voix.
-Elle était sur le point de se faire bouffer, coupa celui qui la tenait.
-Pourquoi une civile est ici ? s'étonna la jeune femme.
Sarah cru sentir celui qu'ils avaient appelé "caporal" hausser les épaules, puis il resserra sa prise sur ses hanches en la sentant glisser.
-Petra, prend la avec toi, on la ramène à Erwin, ordonna-t-il en la trainant jusqu'à un cheval.
-A vos ordres.
Deux bras minces lui saisirent les épaules, tandis que le caporal la soulevait pas les hanches.
-Elle est consciente ? voulu savoir une voix que Sarah ne reconnu pas.
-Aucune idée, répondit le supérieur en rejoignant sa monture.
Sarah était désormais assise sur une selle peu confortable, derrière une jeune femme dont elle ne connaissait que le nom. Comme elle ne pouvait pas la voir, elle fit courir ses doigts sur son corps pour se faire une idée de ce à quoi elle ressemblait.
-Je crois que oui, déclara Petra en sentant les doigts frêles de la blonde bouger. Comment t'appelles-tu ? demanda-t-elle à l'attention de Sarah.
-... Sarah... réussit-elle à articuler.
Elle n'écouta plus ce qui se dit à partir de là, elle se contenta de glisser ses mains des hanches jusqu'au visage de Petra. Elle ne devait pas être grande, à peu près sa taille, fine, des cheveux au carré très doux, un visage fin. C'était tout ce qu'elle pouvait discerner. La troupe se mit en marche, et la petite blonde du s'accrocher fermement aux hanches de la jeune femme pour ne pas être désarçonnée. Elle n'avait jamais vu un cheval aller aussi vite. Enfin "vu"... Façon de parler.
Le trajet se passa dans le silence, coupé par le bruit d'un revolver, et en entendant les autres parlers de couleur, Sarah s'imagina des bombes de couleur chargée dans un pistolet. Elle ne comprenait plus rien... Puis quelque chose la frappa de plein fouet. Ils étaient cinq soldats. Comme dans sa vision. L'un d'eux avait terrassé le monstre. Comme dans sa vision. Elle avait vu avant que ça ne se produise ce qui allait se passer. Cette pensée lui glaça le sang. Elle essaya d'ouvrir à nouveau les yeux pour voir si elle avait encore mal, mais la douleur qui lui brula la rétine n'était pas la même que celle de son premier essai. Elle était semblable à celle qui l'avait inondée avant sa "vision". Avant que son cerveau ne commence à s'embrouiller de choses qui ne s'étaient pas encore passé, la jeune fille remarqua qu'ils n'étaient plus dans la forêt aux arbres immenses mais dans une énorme plaine verdoyante, vallonnée par endroit, offrant des promontoires très utiles pour l'observation.
Des images défilèrent à nouveau, d'abord rapidement, puis le tout se calla sur une vitesse plus faible, lui permettant de comprendre le sens. La plaine était la même que celle qu'ils étaient en train de traverser. Un énorme monstre surgit alors de leur droite alors qu'ils rejoignaient d'autres soldats qui attendaient, perché en haut d'une petite colline. Le monstre était nettement plus imposant que celui qui avait faillit la bouffer. Les images s'interrompirent brutalement alors qu'une affreuse souffrance lui carbonisait les yeux.
Elle laissa un cri de douleur passer ses lèvres, alarmant Petra, qui restait méfiante à son sujet.
-Un problème ?
-A droite... gémit-elle, le visage tordu par la douleur.
Il y eu un silence, tout les regards étaient braqués sur elle, mais elle ne les voyait pas, elle ne voyait plus rien. Elle ne pouvait pas porter ses mains à ses yeux sous peine de lâcher Petra et de s'écraser au sol. Alors elle se contenta de plisser ses yeux au maximum, elle sentait les larmes de sang s'épaissirent de manière alarmante.
-Caporal, ses yeux... commença la voix de l'homme le plus âgé.
-Je sais j'ai vu, le coupa l'homme de tête.
Sarah ne voyait pas, et par conséquent elle ne su pas si les soldats avaient pris en compte son avertissement. Sûrement pas, quand on y réfléchissait bien. Qui écouterait une fille débarquée de nulle part, qui a manqué de se faire bouffer par un monstre aux proportions titanesque...? Titanesque... Elle se rappela alors que le plus vieux des soldats avait parlé de "Titans" en évoquant un mystérieux front de droite qui se serait fait décimer... Elle tira faiblement sur la cape de Petra pour attirer son attention avant de murmurer près de son oreille :
-Je ne sais pas si c'est ça, mais je crois que ces monstres s'appellent des Titans... Je ne sais que vous n'avez aucune raison de me faire confiance... Et je vous demande de ne pas poser de question, mais s'il vous plait, guettez votre droite... Il y a un "Titan" qui va débarquer...
-Comment tu... commença Petra.
-Ne posez pas de question s'il vous plait, geignit Sarah en se retenant de plaquer ses mains contre ses yeux.
Elle avait l'impression qu'on lui brûlait les yeux au fer rouge. La douleur se répandait lentement au niveau de son front, elle avait affreusement chaud, et le mouvement du cheval lui donnait envie de vomir.
-Caporal ! appela finalement la jeune femme après avoir réfléchis à la mise en garde de la blonde.
-Hm ?
-Je ne sais pas si c'est vrai, ou même si on peut lui faire confiance, mais elle dit qu'un Titan va arriver par la droite.
Nouveau silence. A croire que tout ce qui venait de la petite adolescente était à prendre comme un potentiel mensonge.
-Qu'est-ce que c'est que ces idioties ?! s'étrangla le plus vieux.
-Auruo ! le réprimanda Petra.
-Il n'a pas vraiment tort... fit remarquer la seconde voix, celle qui lui avait appris l'existence d'un pseudo front de droite.
Sarah réfléchis en quelques secondes, et décida que quitte à ne rien comprendre, autant essayer d'en apprendre un maximum.
-Comme est-ce qu'il s'appelle ? demanda-t-elle à Petra en essayant de calmer sa respiration pour ne pas vomir.
-Erd.
Sarah acquiesça doucement et nota ce nom dans un coin de sa tête.
-A quoi est-ce qu'il ressemble ?
La soldate ne répondit pas sur le coup, et la petite blonde devina son air sceptique.
-C'est juste que je ne peux pas le voir, se justifia-t-elle. Et je suis trop loin pour pouvoir le toucher comme je l'ai fait avec vous...
-Ah, ce n'est que ça...
Sarah percevait désormais moins d'hostilité dans sa voix, comme si elle commençait à lui faire un peu confiance. Ou tout du moins, elle ne la prenait pas pour un ennemi.
-Eh bien... Je ne sais pas trop comment te le décrire... Il est grand, blond... Et il a des yeux foncés... Après tu pourras le détailler par toi-même quand on sera arrivé.
-Oui... Merci...
Une voix retentit alors, pas trop loin mais pas toute proche non plus.
-Qui est-ce ? demanda curieusement la jeune lycéenne qui avait finit par vaincre ses nausées mais pas la douleur qui lui enserrait les tempes et les yeux.
-Un soldat du bataillon du commandant. On est presque arrivé.
Sarah se mit à réfléchir à toute vitesse, à deux doigts de la panique. Seulement elle ne le montrait pas, tout se passait à l'intérieur d'elle-même.
-Surveillez bien ! Il... Il doit être là... Dans pas longtemps...
Un rugissement retentit, loin d'être humain. La terre se mit à trembler, et l'adolescente n'eut pas besoin de le demander pour savoir qu'un monstre leur fonçait droit dessus, venant de leur droite. Elle l'avait vu. Ou plutôt prédit, elle ne savait plus quel terme employer. Au sursaut de Petra et au juron de celui qu'elle avait appelé Auruo, elle devina que ni l'un ni l'autre n'avait cru à son histoire.
-Rejoignez Erwin, ordonna le caporal qui semblait virer de bord.
Personne ne trouva à y redire et ils continuèrent de galoper à pleine vitesse jusqu'en haut de la colline. Quelques autres soldats s'étaient lancés pour aller prêter main forte au caporal, ça s'entendait aux caracolements des sabots sur la terre sèche.
-Il l'avait vu venir... commenta une voix grave et puissante, témoignant une autorité certaine.
-Qui... commença Sarah à l'attention de Petra.
-SARAH ! hurla une voix totalement hystérique que la petite blonde aurait reconnu entre mille.
Elle entendit un bruit de course, puis deux bras se posèrent sur sa jambe, et on l'aida à descendre du cheval. A peine eut-elle posé un pied par terre qu'elle se retrouva emprisonnée dans une étreinte, la tête contre une poitrine très opulente qui l'empêchait de respirer.
-Kinsley...? demanda-t-elle avec hésitation.
