Note : Voilà un OS pour Crimson Realm, en manque de VanVen. J'espère que ça plaira, j'ai fais selon son thème.
Note 2 : Merci chers lecteurs, Kingdom Hearts ne m'appartient pas, bien sûr. Le principe de l'histoire de base est par contre tiré d'un livre, "Les Enfants Rats" de Françoise Jay. Bonne lecture à tous !
Note 3 : Pardonnez moi pour l'ambiance glauque. Lu et approuvé par Wa-chan !
Gutter's children.
La forme dos au mur cracha deux fois par terre avant de porter la main à sa bouche. Elle fit glisser le bout de ses doigts sur sa langue et, par habitude, mordit la pulpe molle de son pouce. C'était âcre, salé et surtout sans saveur. Regardant tranquillement le filet de salive transparent qui pendouillait, elle fit tourner son index dans la substance et mordit à nouveau. C'était bon.
L'extrémité de son doigt pulsait et le sang affluait dans sa chair, là où la douleur avait fait son chemin, et on vit quelques gouttes écarlates s'écraser sur le sol froid et crasseux. La crasse, la forme s'y était habituée comme on s'habitue à un compagnon de jeu : on le trouve collant et pénible, puis on en fait son bagage sans plus y prêter attention. Le contact du mur était rude et lisse contre son dos, quelques aspérités s'incrustant dans la peau de ses omoplates nues. Cela faisait maintenant deux heures qu'il était assis, les genoux resserrés près du ventre et les mains de part et d'autre de ses jambes, attendant, respirant, écoutant. Il tendait l'oreille plus que n'importe qui, comptant les secondes au bruit imperceptible, imaginant le temps au son des gouttes qui tombaient dans les tuyaux circulant à travers le béton, ces monstres de fer brillants et métalliques.
Plic, Ploc.
La forme ne bougeait pas, à aucun prix.
« Tu bouges, t'es mort ».
Il respirait le moins possible et camouflait les mouvements réguliers de son abdomen sous ses bras maigres mais puissants tout en fixant l'autre pan de mur avec une haine indescriptible, comme si la pierre avait un jour porté atteinte à sa propre vie. Et c'était vrai. Plus loin, par-delà le large canal vaseux, on apercevait une petite cavité incrustée, sombre et profonde, juste assez pour y caler le couffin d'un nouveau-né.
C'était là que Vanitas était né. Dans une bouche d'aération pas plus grande qu'une boite en carton. Un jour ses parents en avaient sûrement eu assez de l'entendre gueuler et faute de mieux, ils l'avaient peut être amené ici pour qu'il crève dans l'obscurité. Ou alors ils l'avaient trimbalé en poussette toute la sainte journée et, alors qu'il tendait les bras pour récupérer son hochet, il était tout simplement tombé au travers d'une grille mal fermée. Ou bien il n'était pas désiré par sa putain de mère, et celle-ci avait préféré le jeter aux ordures au lieu de le tuer elle-même.
Peut-être. Mais Vanitas avait cessé depuis longtemps de chercher les causes et le comment. Il ne rêvait plus, n'y pensait pas et oubliait. De sa vie de bébé il ne restait à présent que ce trou dans lequel il ne rentrait que le bras, et une odeur de talc moisit qui lui pourrissait les narines chaque fois qu'il s'en approchait. Pour lui, c'était juste à cet endroit qu'avait commencé son Enfer. Sans doute par provocation, il y revenait toujours pour prendre l'air.
Oh, façon de parler.
Ici, tout était vicié. De toutes les galeries alentours celles-ci offrait le courant de fraicheur le plus prisé et de nombreuses créatures, qu'elles soient poilues, visqueuses ou pelées, s'y pressaient pour insuffler un semblant de vie dans leurs petits poumons creusés.
C'était ici que Vanitas faisait les meilleures prises. Il ne bougeait pas, se fondait dans son environnement naturel et fermait les yeux. Alors seulement il entendait le grattement de petites pattes griffues sur le goudron et bondissait, déployant sa force brute d'adolescent pleinement achevé. Il hurlait. Ses yeux s'agrandissaient. Il tuait.
De ses mains longues et fines il brisait la nuque de la pauvre bête, l'éventrait d'un vif cou d'ongle et avant qu'elle n'ait pu pousser son dernier cri d'agonie, il lui tranchait la tête. Rapide, net et précis. Ce nuisible-là n'aurait plus à supporter une vie de misère et d'ennui. Il avalait son repas en vitesse, laissait les poils et les viscères sur la pierre grise et s'en allait sans bruit, comme l'assassin qu'il était.
« Sois discret. »
Depuis vingt ans, Vanitas frayait parmi les rats. Avec le temps il avait beaucoup appris d'eux, puis s'était mis à les dévorer une fois son apprentissage achevé. Tout jeune, il avait compris qu'il fallait manger plutôt qu'être mangé, et Dieu seul sait que c'est grâce à cela qu'il avait pu survivre dans ce monde sans lumière. Privé d'amour et de pitié, il était devenu animal. Plein de rage. Bouffi de solitude. Muré dans le silence de celui qui ne parle jamais tout simplement parce qu'il en est incapable. Par nature, il fuyait l'extérieur mais connaissait son monde hideux et froid mieux que quiconque. Les galeries n'avaient plus de secret pour lui. Les secrets n'existaient pas.
Apprendre à écouter, à devenir insensible, à se faire aussi discret que possible. Au fil du temps il avait aiguisé ses sens, ses muscles et, dans l'ironique éclat de la providence, son intelligence. Un seul but : la survie. Pourquoi ?
« Par instinct ».
Pour son plus grand malheur, Vanitas était doué d'esprit. Il savait son état et riait de sa faiblesse chaque jour, le son de sa voix haché par un écho douloureux qui résonnait toujours un peu trop fort contre les parois humides alentours. Il riait lorsqu'il était seul, à gorge déployée et la main serrée sur sa poitrine osseuse, enfonçant ses phalanges sous ses os, cherchant ce cœur séché et sale qui battait encore douloureusement contre ses côtes. Il grattait sa chair et blessait les lèvres luisantes d'une quelconque plaie, s'amusant à voir sa vue se brouiller de larmes limpides et salées. La douleur ne venait jamais, même lorsqu'il la suppliait. Juste pour voir. Pour rire. Pour comprendre.
Vanitas cracha une nouvelle fois par terre. Avec une lenteur remplie de brusquerie, il plongea doucement son pouce meurtri dans le liquide près de lui et entreprit de le faire tourner un peu. Le sang se mêla à la salive, la salive à la saleté, la saleté au sang. Avec le coin de ses ongles noirs, il traça patiemment un petit cœur sans forme devant lui. Tout cela, il l'avait fait en silence ; mais au fond de son être vibrait un affreux rire de gorge, qui redoubla lorsqu'il baigna son majeur dans la substance et dessina deux traits. Lentement. Bientôt le trait forma des lettres, et les lettres devinrent un nom.
V.E.N
Son dos s'arqua et il passa mécaniquement une main dans ses cheveux à la noirceur épaisse, tout en mimant le son du bout des lèvres avec une infinie précaution.
« Ven- Ventus. Ven. »
Celui qui lui avait fait perdre la raison.
Le garçon baissa la tête et regarda ses jambes, tirant sur sa nuque devenue raide à force de rester dans la même position. Ven. Le nom qui siffla entre ses lèvres lui arracha une courte plainte et il se mordit la langue. Ven. La lumière blanche et vicieuse au fond du couloir. Ven. Celui qui écartait les lèvres pour lui montrer des dents blanches et douces, une langue tiède et suave. Ven, aux poils blonds, au visage propre et aux yeux remplis d'une couleur étrangère. Un mélange qui n'avait rien de la couleur vermeille du sang, ni de la noirceur des tunnels. Ven.
La douleur ne venait jamais, sauf quand il prononçait ce son. Un souffle contracté par sa bouche, initié par ses cordes vocales profondes, qui remontait dans sa trachée pour claquer sur sa langue. Et ce nom mourrait sur ses lèvres dans une plainte grotesque et rauque. Vanitas pencha la tête un peu plus et contempla son œuvre, frustré de ne pas pouvoir prononcer le son comme lui le faisait.
« Je suis Ventus. Ven. »
Sa main se balada un instant entre ses mèches puis passa sur son menton. Elle continua ensuite son chemin sur son cou et descendit près de ses épaules. Il en trembla. Puis ses yeux se fermèrent, laissant place à la nuit des souvenirs, une nuit lumineuse et mélancolique, bien différente de sa nuit perpétuelle et quotidienne.
Cette nuit-là, la pénombre avait envahi tous les couloirs et Vanitas se lavait dans le caniveau, sous le couvert de milliers d'yeux étincelants. Il trempait calmement ses bras dans l'eau noire lorsqu'un bruit horrible défonça ses tympans, rebondissant sur tous les murs et cassant la torpeur nauséabonde propre aux soirées d'été. Il s'était alors redressé, sur le qui-vive, et avait plaqué ses mains sur ses oreilles, cherchant par tous les moyens à faire cesser cette litanie incessante et suraiguë. Ce cri de douleur avait pénétré son crâne ; plus jamais il n'en sortirait. Ce fut après un court moment de silence que la plainte se mua en gémissements étouffés et que Vanitas découvrit, en suivant l'écho d'une respiration, un être.
Plié, arqué, en sang.
Le ventre de Vanitas se mit à gémir devant cette nourriture offerte, et tandis qu'il s'approchait, il se demandait de quelle manière il allait pouvoir transporter le cadavre, oubliant cet étrange sentiment de peur injustifiée, inutile. Un jet de lumière monstrueux perçait d'une grille d'aération branlante et l'on voyait les ombres trembler sur la figure du déjeuner présumé, sur ses cheveux, ses joues, ses bras, ses vêtements gris et or, son torse déchiré. Il était étalé sur le sol et hoquetait doucement, en proie à une souffrance que Vanitas ne ressentirait pas et qu'il ne pouvait pas comprendre. On venait de lui ôter sa fierté, sa famille, sa vie. Vanitas n'avait jamais possédé tout ça et se fichait bien des liens conçus par les hommes : celui qui ne connaît rien n'a rien à perdre. Mais un sentiment inconnu montait en lui, et lorsqu'il s'accroupit près du corps, ce ne fut pas pour le manger, ni même l'achever.
Il le regardait juste. Pour la première fois, Vanitas voyait. C'était comme une petite lumière au bout d'une longue galerie glacée, un morceau de soleil chaud qui tombe dans la mer, un ange déchu qui s'écrase en Enfer. Ce qu'il voyait était à la fois inconnu et familier, il reconnaissait les courbes de ses membres, la forme de ce visage. Il touchait la texture des lèvres, effleurait la douceur du cou. Cette chose lui ressemblait.
Et elle allait mourir.
Alors il la porta jusqu'au caniveau, déchira ces tissus étranges qui lui piégeaient la peau, et lui lava le corps. Pendant cinq jours il fit taire l'incompréhension et la panique qui lui mordaient le cœur. Pendant cinq jours il prit soin de l'être extérieur. Il partageait avec lui ce qu'il avait de moins mauvais, il lui donnait la chaleur de ses bras froids. Peu à peu, l'être reprit vie. Il respirait mieux, se mettait à bouger, clignait des yeux. Au bout d'une semaine, il se mit à parler.
« Je suis Ventus. Ven. »
Ven. Vanitas écarquilla les yeux et manqua de lui envoyer sa main gauche en pleine figure tant il fut horrifié. Une vie de solitude brisée en une seconde de parole. Ne savant pas s'il devait être fasciné ou effrayé, il recula. Il haussa les sourcils. Il grimaça. Tout se bousculait dans son être à l'écoute de ce son qui n'aurait jamais dû exister. A la vue de cette figure qu'il aurait dû dévorer. Il ne savait pas.
L'être en face de lui ne bougeait plus et semblait scruter son regard. Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucune frayeur ne se lisait sur son visage. Il n'avait pas peur. Alors, avec une douceur extrême -doublée d'une lenteur sourde qui gela l'atmosphère pour un temps incertain- il lui prit la main et la posa délicatement sur le bord de sa bouche.
« Je te parle. »
Pendant un instant il n'y eut plus que le froid humide autour d'eux, troublé par la chaleur d'un souffle irrégulier sur une main. Jamais encore ils n'avaient été aussi proches et Vanitas du se faire violence pour ne pas repousser l'autre et partir en courant. Peut-être aurait-il dû le tuer, finalement, puisqu'il était incapable de surmonter le déluge de sensations qui couraient dans ces veines, coulant en lui comme un poison lent et sournois. Il fusilla son adversaire du regard et baissa les yeux, conscient que cette vague de frissons circulant le long de son échine n'était pas anodine. Tout dans cet échange était déplacé, nouveau. Tout doucement, Vanitas prenait conscience que l'étranger avait une sorte d'ascendant sur lui, et cela le troublait.
Il mordit donc la peau fragile entre l'ongle et le pouce, comme pour se venger.
« Aie ! »
Avec un sourire tendu, ambigu, Ventus retira vivement sa main et brisa le contact. A l'évidence, il venait de comprendre qu'il ne tirerait aucun mot de son vis-à-vis et, aussi rapidement qu'il avait déduit cela, il sut : le jeune qui lui faisait face, rachitique, musclé, d'une saleté sans nom, la tête bizarrement penchée en biais, ne parlait pas. Il le fixait parfois avec une certaine agressivité, comme un animal qu'on menace, une violence latente profondément nichée derrière sa pupille dilatée par l'obscurité, mais il ne disait rien, ne grognait pas, ne feulait pas, ne faisait même aucun bruit auquel Ventus aurait pu s'attendre. Il y avait comme une sorte de curiosité permanente peinte sur ses traits, mêlée d'un peu de fierté animale, mais rien de véritablement cruel à son égard. Il semblait juste… Seul. Jamais Ventus n'avait ressenti autant de vide, ni même perçu autant de solitude dans le regard d'un être, aussi doré et brûlant soit-il.
Pendant un moment ils se regardèrent, désarmés, et Ventus eu de la peine. Son doigt à vif saignait toujours et sa main était posée sur sa cuisse, inerte, tandis qu'il pensait. Sans doute Vanitas ne savait il rien de son monde, de la vie extérieure, de l'odeur du pain, du parfum des fleurs, de la chaleur d'un corps blotti contre le sien.
Ventus pleura ce jour-là, comprenant soudain la cruauté des êtres comme si cette vérité lui avait été crachée au visage. C'était injuste. Tellement injuste...
Le jeune homme aux mèches noires balançait de temps à autre des œillades sceptiques dans la direction du blond, espérant qu'il se calme. Une heure, deux heures passèrent pendant lesquelles le corps du garçon fut secoué de désespoir. Ce n'est qu'après un laps de temps interminable que Vanitas s'approcha de lui, les dents serrées, et décida de placer une main maladroite sur son épaule pour le rassurer. Il ne savait pas pourquoi les yeux de l'être se remplissaient de larmes mais se surprit à ne plus vouloir le voir ainsi. Alors Il attendit, pressé contre lui, contemplant sa faiblesse avec une sérénité inhabituelle. Il caressa ensuite ses cheveux, le toucha, l'attira à lui. En une soirée, Vanitas fit connaissance de la proximité humaine et de l'attraction des corps puis s'endormi dans les couloirs sombres aux côtés de Ven, un mince et dérisoire sourire plaqué sur les lèvres.
A cette pensée Vanitas souleva les paupières et son cœur se serra, un peu. Il renifla avec agacement, se griffa le cou et s'étira. Ses yeux d'ambres devaient briller d'un éclat meurtri tandis qu'il se rappelait chaque instant passé avec Ven, et il devait avoir l'air bien pitoyable. Mais il s'en fichait, personne n'était encore là pour le voir. Alors il se remémora encore, portant cette fois son attention sur les trois lettres de sang bruni.
A partir de cette nuit, tout changea dans son monde. Il se rapprocha de Ventus, -essayant de voir en lui autre chose qu'un peu de viande fraiche- et prit plaisir à découvrir les multiples facettes de sa personnalité. C'était comme un trésor dont on trouve chaque jour une pièce différente, un long chemin semé de gemmes précieuses et colorées. Ventus tentait parfois de lui apprendre ce qu'il savait et Vanitas faisait mine d'écouter, perdu dans la contemplation des yeux bleus et immenses de son protégé inexpérimenté. Par ailleurs, celui-ci lui inculqua la parole avec une certaine patience et une bonne dose de pédagogie, arrivant presque à tirer quelques sons de sa gorge : à l'écoute de sa propre voix, Vanitas affichait toujours une moue à demi-dégoûtée avant d'hausser les épaules, signifiant silencieusement qu'il n'en avait rien à faire. Ventus quant à lui, apprit petit à petit à lire dans ses prunelles, à déchiffrer ses gestes. Durant un temps qui sembla des années, Vanitas fit cesser ses pulsions meurtrières. Ventus fit taire sa rancune amère envers la vie. Ils vivèrent côte à côte dans les tréfonds lugubres de l'humanité, s'aimant de la façon étrange dont s'aiment les déchets rejetés : silencieusement, peau contre peau, emplis d'un malaise pénétrant que la présence de l'autre pouvait presque effacer. Un peu de douceur, une force de persuasion effrayante, et Vanitas pouvait glisser ses bras le long du corps de Ven, se laissant sombrer dans une drôle de folie amoureuse, un cocon enivrant de ténèbres et de chaleur. Ventus sombrait lui aussi contre lui, oubliant son passé et ignorant son présent, se délectant juste de la présence moelleuse de l'autre, lui adressant un petit sourire, un baiser mal placé, un regard vide alors qu'ils étaient enlacés.
Plus rien ne vivait autour d'eux. Ils étaient les maitres du monde, souverains d'un Univers perdu et sombre. Ils crevaient à deux dans ce trou à rat. Vanitas cligna soudain des yeux et envoya une main fébrile s'éclater sur le sol, en plein sur son écrit séché. Ses phalanges craquèrent.
Dieu, comme il s'en foutait.
La bulle de souvenirs dans laquelle il s'était lui-même plongée éclata durement, et il pinça les lèvres. Ven… La douleur se lovait amicalement dans ses intestins, il aurait aimé qu'elle n'existât plus désormais. Il aurait hurlé pour ne pas ressentir la sensation de manque d'un être aimé. Il aurait adoré n'être encore qu'un vulgaire animal, sans esprit ni espoir. Pourtant, au fond de ce cœur introuvable greffé à sa chair et ses os, il avait espoir de le revoir à nouveau. Voilà pourquoi il était assis là à attendre, pourquoi il crachait sa haine sans bouger, humide de sang et gonflé d'amertume. Toutes les deux heures depuis son départ il errait dans le noir, se consumant dans cette folie qui le guettait déjà lorsque lui était là.
La trahison de Ven avait fini de bouffer son âme. Un jour, il était parti. Disparu comme un spectre, une illusion réelle dont personne ne lui rappellerait le souvenir. Probablement avait-il seulement attendu de pouvoir quitter cet endroit répugnant. Peut-être lui-même lui répugnait-il. Peut-être avait-il rêvé d'un cœur comme le sien, qui puisse s'élever de cette terre grise et ignoble où il restait enfermé depuis si longtemps, impuissant… Vanitas sourit, la blancheur de ses propres dents luisant d'une clarté salace. Il se dit qu'il avait souillé un être extérieur. Il rit. Sûrement Ven ne vivait-il plus que dans son esprit écorché par l'obscurité, à demi-mort dans son cœur d'enfant mutilé.
Alors Vanitas se leva avec précaution, crachant une ultime fois sur le dessin qui se dilua peu à peu, brillant. De lourdes larmes glissèrent sur sa peau assombrie tandis qu'il faisait demi-tour, les bestioles de la nuit couinant un bref chant d'hystérie sur son passage. Ven ne reviendrait pas.
Vanitas resterait un enfant rat.
Au bout du tunnel, près de la bouche d'aération, à l'endroit même où se trouvait la forme un peu plus tôt, une ombre. Une ombre blonde. Elle observa un moment les traits effacés, puis se pencha tranquillement en avant. Ses genoux craquèrent. Elle mordit la pulpe de son pouce, entre la peau et l'ongle de l'index, laissant perler quelques gouttes de sang. Puis avec une délicatesse mesurée, elle retraça les lettres. Ajouta un mot. Dessina une phrase.
« C'est Ventus.»
Une dernière courbe et elle se releva, contemplant son écrit. Elle pivota ensuite vers la lumière du tunnel et sortit. En lettre capitales reluisantes de rouge on pouvait lire un dernier mot, vermeil et fragile.
« VEN.»
Une fois que l'être fut parti, des milliers yeux avides se tournèrent vers l'écrit. Affluant en masse, suçant le liquide goulûment, ils ne laissèrent plus aucune trace d'un sang aussi appétissant.
Les rats, dans leur frisson hideux, se moquent bien de l'espoir des gens.
