Antigone
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Attention, vous êtes prêts à replonger dans un autre truc bizarre avec moi ? Alors, mon point de départ pour cette histoire, c'était une de mes songfics, sur Brother in arms des Dire Straits, mais peut-être que je reprendrai cette chanson pour un autre texte. Celui-là, donc, c'est une inspiration libre du mythe d'Antigone et des pièces de Sophocle et d'Anouilh. A bien me relire, je suis plus inspirée par Anouilh, mais c'est peut-être parce que je connais mieux le texte (je ne l'ai jamais étudié, mais je l'ai joué! souvenirs...)
J'ai aussi été subitement inspirée en lisant Feux de Marguerite Yourcenar (série de nouvelles mythologiques, à mi-chemin entre essais et réécritures) et... voilà.
Ce sera donc une sorte de remake avec les personnages de Shaman King.
Petits détails pratiques:
Disclaimer: Shaman King est un manga d'Hiroyuki Takei. Je ne risque pas de me faire des sous avec ça, de toute façon. Je ne fais que lui emprunter quelques uns de ses personnages, juste pour le fun.
Rating: T
Genre: Tragédie. Et, donc forcément, deathfic. Vous êtes prévenus ^^ Comme disait Anouilh dans Antigone, justement : C'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir.
Un petit rappel de la pièce et des mythes qui y sont rattachés:
Œdipe, sans savoir qu'il s'agissait de ses parents, avait tué son père et épousé sa mère. Il en a eu quatre enfants : Etéocle et Polynice, deux garçons, et Ismène et Antigone, deux filles. Lorsqu'il découvre son crime, Œdipe se crève les yeux, abandonne le trône et part en exil avec Antigone. Elle revient à sa mort. Pendant ce temps, Jocaste, la mère-épouse, se suicide. Etéocle et Polynice se disputent alors le trône de Thèbes et décident de régner chacun à leur tour. Mais Etéocle rompt leur pacte et Polynice se rebelle contre lui. Ils combattent et s'entretuent.
C'est alors le frère de Jocaste, Créon, qui hérite du pouvoir. Il impose sa loi et choisit un héros et un traître pour remettre de l'ordre : il fait enterrer Etéocle avec les honneurs et laisse le cadavre de Polynice (devenu le traître) pourrir dehors. Il fait interdire à quiconque de l'enterrer sous peine de mort, pour donner un exemple. Ismène se soumet. Mais Antigone, au nom de la loi divine, supérieure à celle des hommes, et qui veut qu'on respecte les morts, décide de désobéir au péril de sa vie. Jean Anouilh a réécrit la pièce de Sophocle sous l'Occupation : il l'actualise et fait clairement allusion à la Résistance.
Note pour un personnage qui sera également présent : Antigone, dans la plupart des versions, a un fiancé, le propre fils de Créon, Hémon.
Distribution :
Etéocle: Hao
Polynice, son frère: Yoh
Antigone, leur sœur: Tamao
Ismène, leur sœur: Jeanne
Créon, roi de Thèbes: Marco
Hémon, son fils: Lyserg
Eurydice, épouse de Créon: Sati
Tirésias, le devin: Rakist
Gardes, messagers: les X-Laws
(Œdipe: Mikihisa)
(Jocaste: Keiko)
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I
Etéocle et Polynice
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Lorsque vous les voyez face à face, il vous semble qu'ils sont le reflet l'un de l'autre.
Ils le sont. Nés ensemble, du même ventre, la même nuit, c'est ensemble qu'ils mourront. Leurs épées jumelles se planteront dans leurs chairs si proches et l'éclat de leurs yeux s'éteindra au même moment. Leurs paupières s'abaisseront, ils tomberont au sol, entremêlés, fouillis de jambes, de cheveux, de blessures et de sang que l'on ne saura plus démêler. Dès lors il sera impossible de distinguer Yoh d'Hao, Hao de Yoh. Fondus l'un dans l'autre, comme si le miroir qui les séparait les avait happés à sa surface pour les dissoudre et les pétrifier en une hideuse statue difforme, bouches béantes, yeux froids, membres éclatés.
Pour l'heure, ils sont encore là, vivants et chauds, pleins de vie et d'énergie. Nous n'en sommes qu'à l'affrontement, aux menaces. Yoh, en-dessous des remparts, vient réclamer la couronne que Hao s'obstine à lui refuser. Il y a droit, à cette couronne, car tous deux sont du même sang, jumeaux, héritiers du royaume.
Nul combat ne saurait les départager : ils sont de force égale. On a bien imaginé un tournoi pour régler la question : tous deux se sont alors entourés de partisans, ont combattu, mais le destin les poursuivait. Voilà que tous leurs compagnons sont vaincus et que le tournoi du Shaman Fight s'achève sur un nouveau face à face des jumeaux. Ils n'ont plus le choix, ils s'affrontent, ils s'épuisent. Et là-haut, au-dessus d'eux, rit le sombre Great Spirit, prix de la victoire, qui sent bien qu'il n'appartiendra jamais ni à l'un, ni à l'autre.
Trois jours et trois nuits dure le combat, mais leurs forces les abandonnent en même temps, de sorte qu'ils sont toujours à égalité. Aucune issue ne semble possible, quand soudain les deux princes s'effondrent. Signe prophétique d'un destin plus sombre, ils tombent d'épuisement l'un auprès de l'autre : c'est comme s'ils dormaient. Ils semblent redevenus deux enfants, qui se seraient assoupis après une après-midi de jeux.
Il faudra choisir pour eux. Le Great Spirit s'en charge. A leur réveil, les deux princes sont faits rois de Thèbes. L'un après l'autre ils régneront, à tour de rôle, et chaque année devront échanger la couronne.
C'est Hao qui est désigné le premier. Yoh, beau joueur, accepte et se retire. Mais...
Au bout d'un an, lorsqu'il revient pour réclamer son dû, c'est un éclat de rire qui l'attend. Le même que lorsqu'ils étaient enfants et que Hao jouait à le surprendre avant de s'enfuir.
Yoh ne prononce pas un mot. Il comprend et, encore une fois, se retire.
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C'est ici que nous commençons : la confrontation. Yoh est revenu, avec une armée cette fois. Mais cela ne convainc pas. Ils se souviennent tous deux de leur premier tournoi, ils savent qu'une force, quelque part, a décidé qu'ils étaient destinés à se combattre. Ils savent que leurs hommes s'entre-tueront avant de leur laisser la place. Mais Yoh espère que son frère est un vrai roi, qu'il tient à ses soldats et qu'il les épargnera en choisissant le chemin de la sagesse. Il espère que, comme lui, Hao ne veut pas d'un bain de sang inutile et qu'il reconnaîtra le droit de son frère et lui fera justice. Il espère, il espère... mais Hao n'est pas un vrai roi.
Tant pis. Yoh ne le sera pas non plus.
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La bataille s'éternise. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus un seul corps en vie sur toute l'étendue de la plaine, les deux armées combattent, s'écharpent, s'éparpillent, se tranchent et s'arrachent. Bientôt, le dernier hurlement qui résonne, le dernier membre qu'on arrache, la dernière vie qu'on prend, le dernier glaive qui tombe annoncent aux deux frères que c'est pour eux que l'heure sonne. Alors, sereins, ils se lèvent et sur le monceau de cadavres, s'élancent l'un contre l'autre.
Deux chiens se battent pour un morceau de viande. Deux frères s'étripent pour une couronne. A moins que ce ne soit un trône. Un royaume. Est-il plus honorable de combattre pour une femme ? Qui sait, le résultat est le même.
Mais cette fois, la rage qui les anime écrase l'amour fraternel dans leurs cœurs. Cette fois, ils ne retiennent pas leurs coups comme lors de leur précédent duel... cette fois ils n'ont pas le temps de s'épuiser.
On ne sait plus qui a porté le coup de grâce le premier. On ne sait plus qui a immédiatement répliqué en abattant son frère au même instant.
La seule chose qui compte, c'est que le destin s'est accompli. Les frères ennemis, les frères maudits gisent dans la boue noire et âcre du sang de leur folie. Le rouge qui s'échappe de leurs blessures se répand autour d'eux, se mêle à celui des soldats, vient abreuver la terre trop nourrie, déjà, où plus rien ne poussera.
Est-ce un sourire que l'on voit fleurir sur leurs lèvres, ou n'est-ce qu'un rictus d'agonie ? Il semble que par-delà leur haine, ils aient tous deux obtenu ce qu'ils voulaient. Personne ne le saura. Les jumeaux unis par le sang sont par le sang réunis à jamais.
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A présent c'est au peuple de les pleurer. Aux peuples et à ces deux femmes qu'ils laissent derrière eux.
Non pas des épouses, mais deux sœurs. Deux sœurs dont les larmes et le sang viendront, eux aussi, s'écouler sur la plaine du massacre, en leur temps.
Regardez, elles approchent. Graves, lentes, elles sont semblables et différentes à la fois. Ces deux-là sont aussi du même sang, mais sont opposées.
Yoh et Hao se ressemblaient trop pour survivre l'un à l'autre.
Tamao et Jeanne sont le jour et la nuit.
C'est ce qui les sauve, mais c'est aussi ce qui causera leur perte.
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