Salut salut!

Un petit twoshot en attendant une fiction qui normalement devrait arriver bientôt.

Plutôt inspiré du poème qui suit, il ne traite cependant pas d'amour fou mais d'obsession passionnée.

Si vous pouviez le lire sur Bouche à lèvres d'Odezenne ce serait génial!

Bonne lecture!

« Voici le jour

En trop : le temps déborde.

Mon amour si léger prend le poids d'un supplice. »

Paul Eluard, Le temps déborde

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Lorsque Levi l'appris, il était appuyé à sa fenêtre, détaillant les rues barrées par les longs sillons humides qui ruisselaient le long des carreaux. Ce jour-là c'était le ciel entier qui semblait s'être brisé, déversant ses sanglots sur la ville plus grise que les lourds nuages qui la surplombaient, happant les ardoises des toits trop hauts et les cheminées.

Puis il avait reçu un message d'Erwin, bref et rempli d'empathie impossible.

Cela s'était passé quelques jours avant qu'il ne soit mis au courant par le proviseur. Et Levi avait vu juste. Il voyait toujours juste.

Mais cette fois ci, il aurait voulu se tromper.

Son portable entre ses paumes tremblantes il s'était assis sur son lit, en proie à de violents hauts le cœur. Quelques jours. Des heures d'ignorance passées, mille pensées perdues. C'était un profond néant qui l'étreignait violemment, brisant ses os, tordant ses entrailles, déchirant tout son être. Levi avait essayé de se lever, d'atteindre une nouvelle fois la fenêtre pour joindre sa peine au ciel, en vain. Happé par une force invisible il était brusquement retombé au sol et, tressautant de rage, il y avait enfin laissé éclater sa douleur.

La dernière fois qu'il l'avait vu, alors qu'il n'avait jamais été si vivant, il n'aurait pu croire que la souffrance serait telle lorsque tout prendrait fin. Et pourtant. Mais, même baigné de délires fiévreux, il ne put regretter de l'avoir croisé un si beau jour. Il ne pouvait en vouloir à la personne qui avait, l'espace d'un instant, éclairé les ténèbres de toute une vie.

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Des mois plus tôt.

Eren était le jour, aussi brûlant que l'astre dans les cieux aux couleurs de son regard, brouillant ses sens à son passage. Il était d'une fraîcheur exquise, indispensable, une légèreté dans un décor trop chargé. Et ses doigts enroulés autour de la barre métallique, son pied tapant machinalement le plancher du bus, il attendait que ce dernier desserve son arrêt.

Levi, face à lui, le détaillait doucement. Ses mèches de cheveux bruns trop longues qui retombaient sur ses yeux fermés à cette heure trop matinale, sa peau autrefois halée mais qui maintenant semblait d'une pâleur maladive autour de ses lèvres rosées, les froids rayons du soleil d'hiver qui éclairaient faiblement ses épaules et dessinaient dans son cou des sillons d'ombres brunâtres.

Le bus eut soudainement un mouvement d'écart puis il freina brusquement. Les portes s'ouvrirent et l'air froid s'engouffra dans le véhicule tandis que de nouveaux élèves rentraient. Eren, maladroit, tituba dans un froissement d'étoffes avant de resserrer sa prise sur la barre métallique. Une main aux ongles vernis se posa rapidement sur son avant-bras pour l'aider à se stabiliser, et Levi vit apparaître parmi la masse une jeune fille souriante qui plaqua ses lèvres d'un rouge sombre sur les joues du plaisant Eren. Leurs rires recouvrirent un instant le bourdonnement incessant du bus, s'évapora dans l'air chargé.

Levi rentra son menton dans son écharpe, enfonça ses mains plus profondément dans les poches de son manteau de toile.

Il détourna son regard de son beau visage, détailla distraitement le tissu de ses chaussures abîmé par les années. Ce n'était pas si vieux, comme histoire. Un mois, deux mois peut-être. L'apparition soudaine de cette sublime créature entre les vieux ouvrages de la bibliothèque du lycée, ses mains caressant les pages jaunies, quelques jours après la rentrée. Le lendemain, il avait dévalé devant lui les escaliers d'un pas mal assuré, deux livres sous ses bras croisés. Une fois, un trop court instant, il avait pu croiser son envoutant regard, tel un douloureux baiser. Et depuis, Levi n'avait plus jamais réussi à la quitter des yeux.

Mais en vérité, Eren, lui, ne le voyait pas.

Il ne le vit pas lorsque Levi le frôla lorsque le bus desservait l'arrêt du lycée, il ne le vit pas lorsqu'il marchait devant son amie et lui. Levi se fondait dans le décor, sans âme et sans couleur, peut-être trop fade pour son innocence éclatante. Et il ne vit pas non plus Levi ôter discrètement ses écouteurs pour s'enivrer de sa voix.

« … nouvel album, il est génial. Le guitariste est fantastique. Sans oublier la voix du bassiste ! Il faut absolument que je te l'apporte, demain. »

Son amie glissa brusquement sa main sur son avant-bras.

« Tu ne faisais pas de la guitare, avant ? »

Levi vit le brun hésiter.

« Si, si. Mais elle a été perdue dans le déménagement de l'été dernier, et j'économise pour m'en racheter une, maintenant. Ça me manque beaucoup trop. Gratter un peu, chanter. En ce moment, je rêve de pouvoir reprendre un des titres du groupe dont je t'ai parlé. Et puis celle de la salle de musique a disparu aussi. »

La fille hocha la tête, secoua ses courts cheveux ébènes.

«Justement, tu sais, nous avons monté un groupe avec Jean, Armin et Annie, il y a quelques mois. Mais Annie est partie, et il nous manque un guitariste et un chanteur – Armin fait de son mieux mais c'est juste impossible. Lorsque tu auras ta guitare, tu voudrais nous rejoindre ? »

Eren marqua un arrêt, Levi ralentit.

« Oui, oui. Ce serait génial. »

Le reste de la conversation ne l'importa pas, il ne prêtait attention qu'au doux ronronnement de la douce voix du brun, trop occupé à assimiler ce qu'il venait d'apprendre. Autrefois Eren jouait de la guitare, chantait. Il avait déjà remarqué les éternels écouteurs enfoncés dans ses oreilles, ses doigts qui frappaient un rythme sur n'importe quelle surface – le siège du bus, une table de la bibliothèque.

Il pensa soudainement à la vieille guitare de son père, qui trainait dans le grenier, jamais touchée depuis qu'il était parti en lui laissant.

Le soir, lorsqu'il rentra chez lui, il se précipita vers la trappe qui donnait au dernier étage de leur maison. L'instrument était là, protégé par une housse râpée et poisseuse de poussière. Il la prit sous son bras avec difficulté, redescendit sur le palier. Lorsqu'il la retira, la guitare semblait intacte, luisante sous la lumière, son bois mordoré parcourut de noeuds plus foncés.

Lorsqu'il fit glisser ses doigts sur les cordes, il sentit comme un coup dans sa poitrine.

Il y avait plusieurs années de cela, il s'était juré de ne jamais y toucher, ni même d'y penser. Les affaires de son père devait rester au grenier, là, à leur place dans la poussière, aussi oubliées que l'était leur propriétaire.

Mais pour Eren, Levi ne pouvait-il pas mettre tout cela de côté?

Il soupira, mis la guitare de côté et entreprit de nettoyer la housse. Oui, demain, il la lui donnera.

Ces dernières semaines, il n'avait pas vraiment vu Eren sourire. Se décomposer, plutôt. Sa peau de plus en plus pâle, ses gestes toujours plus saccadés.

Demain, il laissera la guitare dans la salle de musique, posée en évidence contre un des pupitres.