Huit heure, nous nous étions retrouvées avec ma sœur à l'Opéra de Strasbourg pour une pièce supposément novatrice reprenant le classique que sont Les Amours tragiques de Pyrame et Thisbé en les remettant au goût du jour. L'histoire d'origine, malgré son statu de pièce phare du XII, ne m'emballait guère, car nous narrant les amours impossibles et démentiels de deux jeunes personnes qui n'avaient pas su faire la différence entre un amour passager de jeunesse, certainement poussé par une décharge hormonale en roue libre, et un amour véritable dont les bases se seraient construites sur des éléments fondés et tangibles. Partant de là, et combattant, de toute ma volonté et à l'aide d'une aspirine, une forte migraine qui m'avait assaillie un peut plus tôt, nous arrivions au bas de la salle, prîmes place sur les sièges qui nous avait été attribués et attendîmes patiemment le levé de rideau.
Interminable, c'est le seul mot qui me venais encore et encore à l'esprit. Certes les acteurs étaient bons, mais les décors et les choix de mise en scène n'aidaient guère l'histoire à se faire apprécier. Je conçois que la déclamation de vers telle qu'on la concevait au XII pouvait paraître étrange à l'oreille et même donner un aspect factice à la performance, mais je ne pensais pas ce niveau de fausseté atteignable ! Et alors que l'acte final se jouait et que l'acteur venait de poignarder son texte, il s'attaqua à sa propre personne et, à ce moment, je cru voir quelque chose couler de ses mains encore cramponnées au manche de son arme. L'orchestre avait continué à joué, et dans un spasme, sa tête se releva: les yeux comme des soucoupes, la bouche entre ouverte et, quand ses bras tombèrent le long de son corps, la lame resta étonnamment stable. Il s'écroula quelques secondes plus tard laissant la scène inerte. Bientôt, le rideau se referma, les lumières se rallumèrent, une clameur s'éleva de la foule et alors que j'allais applaudir, je vis quelque chose de rouge passer sous le rideau. Personne ne semblait avoir remarqué, et du coin de l'œil, je crus voir quelque chose bouger au plafond; peut-être juste un technicien vérifiant les projecteurs ?
Peu après, le rideau se rouvrit sur les acteurs, toutefois, il me sembla qu'il en manquait un et alors qu'ils avançaient main dans la main vers le publique, une ombre tomba du plafond au centre de la scène s'arrêtant dans les airs avec un craquement terrible. La réaction du publique ainsi que celle des acteurs ne se fit pas attendre, emplissant la salle de cris d'horreur, de gémissement ainsi que des pleurs des enfants suffisamment grands pour comprendre ce qui venait de se passer. Par réflexe, j'avais serré ma sœur tout contre moi et caché ses yeux de mes mains. Une légère rumeur subsistait dans la salle, et les acteurs qui se tenaient collés aux rideaux des coulisses et regardaient pétrifiés, le corps de l'acteur principale se balancer dans les airs à la façon d'un pendule. Assise sur mon siège, je n'entendais plus, ne sentais... à vrai dire je ne suis même pas sûre que je voyais quelque chose... peut-être avais-je fermé les yeux... peut-être n'était-est-ce qu'un cauchemar après tout... A cet instant, les lumières se mirent à clignoter puis la salle fut complètement plongée dans le noir. Une fois dans la pénombre, mon cœur se mis à battre plus lentement, plus régulièrement... je cru alors effectivement que j'allais me réveiller, que tout était fini, que j'allais enfin pouvoir quitter cette salle, rentrer chez moi pour boire un bon thé et lire un roman...
Sortie de nulle part, une étrange mélodie résonna dans mes oreilles, elle était discordante et traînarde... et plus je l'écoutais, plus j'avais l'impression de reconnaître une version amoindrie de la vieille comptine anglaise « Pop goes the weasel », sans doute un ajout grotesque de mon cerveau qui a trouvé judicieux d'ajouter un côté enfantin à toute cette merde ! Essayant désespérément de me réveiller, je fut finalement éblouie par une forte lumière. Le temps que mes yeux s'ajustent à la luminosité, je parcouru la salle du regard, et à ma surprise, il y avait moins de monde que dans mon souvenir... peut-être étaient ils déjà partis... je m'apprêtai alors à me levé quand je senti quelque chose m'agripper, je baissai alors les yeux et vis ma petite sœur, cramponnée à mon blouson, la tête enfouie dans mon écharpe... A ce moment, je cru que c'était encore une de ces technique pour me forcer à la porter...
« Allez debout la tique, je ne te porterais pas cette fois t'as des jambes pour marcher !» lui chuchotai-je en lui secouant l'épaule.
« C'est vrai mais pour combien de temps encore, hein Lizzy ? » dit une voix rauque qui semblait venir de ma droite. Mon sang se figea et j'entendis ma sœur gémir, ses petits poings se serrant un peu plus sur ma veste. A ce moment, un vague gloussement se propagea dans la salle, s'intensifiant de seconde en seconde, pour finalement laisser place à un fou rire des plus glaçant. Ce faisant, les lumières se mirent à clignoter et claquèrent l'une après l'autre, pour ne laisser qu'une seule et unique source de lumière : celle procurée par la scène. Et alors que j'avais enfin réuni le courage nécessaire pour regarder vers la lumière, mon cœur rata un battement. Là, sur la scène, se trouvait ce qui me sembla être un géant : Vêtu d'un pantalon graphite à bretelles, sa silhouette filiforme se dessinait sous une sorte de t-shirt ample entouré de bandages autour de sa taille. Ses bras d'une longueur grotesque, étaient bardés de bandes partant de ses doigts et s'arrêtant à ses coudes, pour ensuite rejoindre son tronc à l'aide de manches rayées noires et blanches. Plus haut, je cru voir ce qui ressemblait beaucoup à de la fourrure ou même des plumes. Cependant, le plus inquiétant restait ses dents proéminentes et pointues que son sourire dérangé, souligné d'un rouge à lèvre noir, mettait particulièrement en avant. Il s'avança sur la scène, et se mis à parler d'une voix rauque, sèche et qui au lieu de résonner dans la salle semblait directement être envoyée dans mes oreilles.
« Mesdames et messieurs, bienvenus à notre grand jeu ! ~» annonça-t-il joyeusement.
« MAIS DE QUOI VOUS PARLEZ ?! LAISSEZ NOUS PARTIR D'ICI ! CINGLÉ ! MONSTRE ! » s'écria une voix dans l'assistance. Un instant plus tard, la scène était vide : il avait disparu ! puis un cri terrible retenti.
« Si tu n'as rien à dire de gentil alors ne dis rien... » chuchota-t-il, sa voix plus grave et sinistre qu'avant. Je tournai mon attention vers la source du bruit et, à mon plus grand malheur, il n'était plus qu'à quelques mètres de nous deux, et alors que j'essayai de calmer ma sœur, j'eus l'impression de recevoir un seau d'eau glacée dans le dos. Sans vraiment réfléchir, je relevai la tête et mes yeux rencontrèrent ceux du géant. Cachés derrières ses mèches en bataille, je crus voir des yeux bleus clair, presque blancs mais dont la férocité évidente trahissait l'aspect vitreux. Je sentis son regard dériver plus bas, et par réflexe, je serrai Liz au plus prêt de moi, pour la dérober aux regard de cette énergumène. Un vaste sourire s'étendit alors sur son visage blafard, montrant encore une fois ses dents de scie, puis l'instant d'après, il n'était plus là...
« Où en étions nous... ? » dit-il alors qu'il faisait mine de réfléchir.
« Ah oui... je disais donc, bienvenu à notre grand jeu !» s'exclama-t-il en ouvrant ses bras dans les airs.
« Vous avez tous gagné le droit d'êtres débarrassés d'un fardeau~... » expliqua-t-il en gloussant. ' L'offre ' me sembla plus qu'étrange, et la seule apparence de ce type n'y était pas pour grand chose, mais aux vues de ce qu'il avait déjà fait subir aux personnes du rang de gauche ainsi qu'à l'acteur principale, je ne me sentis pas de lui faire confiance...
« En effet, votre dévoué serviteur Laughing Jack » dit-il en faisant une révérence « va, devant vos yeux ébahis, faire disparaître les causes de tous vos petits problèmes... oh oui : je vais dératiser votre vie, la débarrasser de cette engeance crapahutant et baveuses qui transforme en enfer l'existence de tous... oui~... dans un geste magnanime, je vous offre de vous délivrer de vos braillards. » Annonça-t-il le sourire aux lèvres.
« JAMAIS JE NE VOUS LAISSERAIS MON ENFANT ! JAMAIS ! » s'écria une femme tout près de nous. L'instant qui suivi, il était devant elle, accroupi sur le dossier du fauteuil qui lui faisait face, ses longs doigts maintenant son visage en place, et lui dit en la regardant dans le blanc des yeux avec un sérieux que je ne lui connaissait pas .
« Ce n'est pas vraiment ce que tu disais à ton amant lundi dernier... tu voulais te barrer, larguer tes mioches et ton cher mari... quelle petite égoïste tu fais là~» sermonna-t-il, et avant même qu'elle ne réponde, il lui avait déjà enfoncé ses pouces dans ses orbites. Le corps convulsait encore sur son siège quand il retira ses doigts des deux orifices ensanglantés, le garçon cria et sanglota puis bientôt, plus rien, les deux s'étaient tus...
Il réapparu encore une fois sur scène, « Bien puisque vous ne voulez pas de mon offre, je vous propose un autre jeu... une partie de cache-cache. Notre cher ami pendule nous servira de top, quand il se sera stabilisé, je vous laisserais cinq minutes pour vous cacher, levez vous de vos fauteuil avant que ce ne soit la cas... » dit-il en disparaissant peu à peu.
Trois minutes, cela faisait seulement trois minutes qu'il s'était évaporé et pourtant avec tant de stress, il me sembla attendre une éternité. Nous avions tous les yeux fixés sur le comédien qui se balançait faiblement d'un côté à l'autre...
« RIEN A FOUTRE J'ME CASSE IL EST PAS LA DE TOUTE FAÇON ! » cria un homme dans la salle, lorsqu'il se leva, on l'entendit :
« A ha ha~ c'est pas bien de tricher » puis un craquement sinistre se fit entendre, et dans un tintement cristallin, le lustre commença à vaciller dangereusement. Voyant cela, les spectateurs se précipitèrent hors de leur sièges, bousculant, piétinant leurs voisin qu'ils avaient salué il n'y avait pas moins d'une heure. Je ne fus pas en reste : malgré le fait que notre rangé était la moins remplie, je me retrouvai tout de même séparée de Liz que ces fous furieux risquaient de blesser dans leur affolement. Le plafond craqua encore un fois, et voyant le lustre s'abattre sur le sol, je montai sur les dossiers des fauteuils, arrivai jusqu'à ma sœur et l'attirai tout près de la marche sous un siège. Le choc fut terrible, je sentis tous mes os trembler, mon souffle me quitta et ne revint que quelques instants plus tard lorsque je fus sûre que Liz n'avait rien. J'avais tellement mal, quelque chose de chaud semblait coulé sur mon front et le simple fait de me maintenir sur mes coudes et genoux pour ne pas écraser ma sœur me vidait. « Y/N j'ai peur... » sanglota-t-elle en se serrant contre moi « Je sais mais... il va falloir que tu te faufiles hors d'ici, je sais pas si le siège résistera encore longtemps... » lui dis-je le souffle court. « Je peux pas bouger » gémit-elle en tentant de se mouvoir, « Attend fait moins de bruit, je vais essayer de te faire un peu de place » dis-je en me plaquant le plus possible au siège écrasé « J'arrive pas... » chuchota-t-elle. Puisant dans mes dernières forces, je tentai de me redresser sur mes quatre membres, soulevant quelque peu le siège pour lui permettre de se dégager. Une fois sortie, elle rampa à toute vitesse dans la rangée, je voulu l'appeler, lui dire de m'attendre mais j'avais peur qu'une telle maladresse ne donne notre position à ce cinglé. Alors, faisant abstraction de ma fatigue, j'entrepris de la rejoindre quand, sorti de nulle part, un poids supplémentaire se fit sentir sur le fauteuil, ce qui empêcha ma progression.
« Et bien, si ce n'est pas ma meilleure amie qui essaye de me fausser compagnie... Oh Lizzy tu me fends le cœur... » dit-il avec une once de tristesse, ce qui fit reculer Liz. Soudain,une paire de chaussures vernies entrèrent dans mon champ de vision, laissant le siège se redresser quelque peu sans le poids de leur propriétaire.
« Dis moi, chérie : où est ta grande sœur ? T'as-t-elle abandonné toi aussi ? » dit-il en gloussant « Bien sûr qu'elle l'a fait, elle le fait toujours... » énonça-t-il alors qu'il n'était plus qu'à un mètre de Liz. Voyant une opportunité en or, je sorts de ma cachette, m'élance vers le clown, lui rentre dedans de toutes mes forces prend la main de ma sœur et sprint vers la sortie.
« TU PEUX FUIR MAIS TU NE POURRAS PAS TE CACHER Y/N ! » hurla-t-il alors que nous nous enfoncions avec ma sœur dans les couloirs de l'opéra.
