Bonjour tout le monde, si vous êtes là je suppose que c'est parce que vous avez lu mon message sur Hiding Sun. Si jamais vous avez atterri là par hasard, je vous conseille d'aller lire une de mes autres histoires (elles sont succinctement résumées dans l'introduction de Hiding Sun).
Je préfère ne pas vous faire de faux espoir et vous prévenir que cette histoire sera très courte (elle aura au moins trois chapitres mais c'est tout). C'est la raison pour laquelle c'était pratique de poster dans les Bonus de Burning Moon, au moins personne ne s'attendait à lire 50 chapitres ^^ Mais bon, comme vous l'avez compris cette histoire concerne Abigael et il me semblait bizarre de la réduire à un bonus.
Sur ce, on se retrouve en bas. Bonne lecture !
A ses dix-huit ans, Abigael Wells Black fut confrontée au choix le plus difficile de toute son existence. Cela dit, ce choix n'en était pas moins une décision très banale, à laquelle faisaient face tous les jeunes de son âge sans exception.
Qu'allait-elle bien pouvoir faire de sa vie ?
A son grand désespoir, elle n'en avait pas la moindre idée.
C'était assez ironique dans le sens où tout le monde sauf elle avait une opinion bien précise sur la question.
Elle savait pertinemment que son père espérait qu'elle choisisse de devenir un Enfant de la Lune. Il était assez malin pour ne pas lui en parler, ce qui d'une certaine façon accentuait la pression qu'elle ressentait. Après tout, les enfants du village avec lesquels elle avait grandi aspiraient tous à être transformés.
D'ailleurs, il était rare qu'un jeune atteigne le début de la vingtaine sans avoir été transformé. En général, les indécis passaient quelques années dans le monde humain, souvent pour étudier à l'université. Dans la plupart des cas, ils revenaient ensuite dans leur clan natal. Cette façon de fonctionner faisait dire à Allie que les Enfants de la Lune ressemblaient à la communauté Amish.
Abby n'avait jamais vraiment su à quel moment l'idée de devenir un Enfant de la Lune avait cessé de lui paraître alléchante. Peut-être lorsque son meilleur ami Aaron, qui n'avait qu'un an de plus qu'elle, avait été transformé à l'âge de dix-huit ans. Il lui avait annoncé la nouvelle d'un ton parfaitement naturel, comme si c'était aussi banal que se faire tatouer. L'année suivant sa mutation, elle ne l'avait que rarement croisé : à l'instar des vampires, les Enfants de la Lune étaient attirés par le sang humain et les nouveau-nés étaient donc gardés sous haute surveillance. Elle avait d'abord été vexée du peu d'importance qu'Aaron semblait accorder à leur éloignement, éloignement destiné à durer plusieurs années au moins, lorsqu'elle avait réalisé qu'il s'attendait à ce qu'elle soit transformée prochainement elle aussi.
C'était logique, bien sûr. A quoi d'autre aurait-il pu s'attendre ?
Mais il y avait aussi Allie.
Abby savait très bien que sa mère redoutait sa future hypothétique transformation. Les nouveau-nés avaient toujours beaucoup de mal à supporter sa présence. Au fil des années, cet inconvénient s'était transformé en atout car la personne d'Allie constituait maintenant une sorte de test pour savoir si un Enfant de la Lune se contrôlait. Cette fonction amusait énormément Allie, que la perspective de roussir quelques poils pour calmer les loups les plus belliqueux ne rebutait pas. Mais en serait-il de même lorsque la bête enragée serait sa propre fille ? Abby n'imaginait pas passer les cinq prochaines années de sa vie sans être capable de toucher sa propre mère.
Côté Cullen-Black, on n'avait pas été aussi subtil que ses parents. Sa grand-mère Renesmée, porte-parole officieux de toute la famille, lui avait un jour glissé que le clan Cullen avait beaucoup d'expérience en termes de transformations vampiriques et qu'ils seraient heureux de lui en apprendre plus sur le sujet.
Chacune des deux solutions avait ses avantages et ses inconvénients. Côté Enfant de la Lune, cela la rapprocherait de son père et du clan au sein duquel elle avait grandi, mais elle y perdrait sa mère plus ou moins momentanément. Côté vampire, cela la rapprocherait de sa famille maternelle, mais elle y perdrait son père ainsi que la possibilité d'avoir des enfants.
Abby n'étant pas idiote, elle penchait davantage pour l'option "Enfant de la Lune", ne serait-ce que parce qu'elle n'avait pas envie que Nathaniel la déteste pour le restant de ses jours.
Mais ce choix, elle le faisait avec sa raison, pas avec son cœur. Pire encore, elle le faisait sans enthousiasme.
Et puis il y avait Liam Uley.
Son imprégné.
Le reverrait-elle jamais si elle devenait un Enfant de la Lune, un loup comme lui mais appartenant à une espèce ennemie ? Le reverrait-elle jamais si elle devenait un vampire, lui dont le grand-père avait été tué par des vampires ?
Dix ans auparavant, leur histoire avait très mal commencé.
Quand Abby avait huit ans, Allie l'avait emmenée passer l'été à La Push. Comme d'habitude, ça avait été des vacances magiques, principalement parce que les presque trente degrés qui régnaient dans la région donnaient à l'enfant, habituée au froid glacial du Nord du Canada, l'impression d'avoir déménagé sous l'équateur. Bon, et aussi parce que les frères et sœurs de sa mère ainsi que leurs conjoints respectifs étaient fous d'elles et lui passaient tous ses caprices.
Le dernier jour des vacances, Nathaniel vint les chercher. Abby insista pour aller voir l'océan une dernière fois et ils acceptèrent, même si Nate n'avait techniquement pas le droit de mettre les pieds à La Push.
Pour échapper au spectacle dégoûtant de ses parents en train de s'embrasser, elle courut le long de la plage, les chevilles plongées dans l'eau. Depuis qu'elle avait failli se noyer quand elle avait cinq ans, elle n'autorisait plus les vagues à dépasser ses mollets.
C'est là qu'elle le vit pour la première fois. A quelques mètres de là, un jeune adolescent, plus grand qu'elle de trente centimètres, la regardait fixement, une expression étrange peinte sur le visage. Bizarrement, elle n'en fut pas effrayée. En réalité, elle fut tellement intriguée qu'elle tourna le dos à la mer, chose qu'elle n'aurait jamais faite en temps normal, et elle le dévisagea.
Il était grand et dégingandé, comme la plupart des modificateurs de treize ans. Sa peau avait la teinte cuivrée caractéristique des indiens Quileute mais ses cheveux, plus bruns que noirs, avaient des reflets dorés au soleil. Ses yeux noirs étaient immenses.
Fascinés et fascinants.
Liam avait cinq ans de plus qu'elle mais le sentiment qu'elle lisait dans ses yeux était pur. Intemporel.
A leurs pieds, seuls témoignages du temps qui s'écoulait, les vagues allaient et venaient.
L'une d'entre elles, plus forte que les autres, renversa violemment Abby dans le sable mouillé. L'eau gicla sur ses vêtements et son visage comme elle l'avait fait trois ans auparavant, lorsqu'elle avait sombré dans la mer. Elle poussa un hurlement strident, submergée par le souvenir de ses poumons en train de suffoquer.
Déjà la vague repartait, la laissant indemne, mais c'était trop tard : Liam, alerté par la terreur de son imprégné, incapable de contrôler la transformation, muta en un jeune loup au pelage noir d'encre.
Au même instant, un éclair blanc se jeta devant elle et envoya Liam bouler quelques mètres en arrière. Elle n'eut pas besoin de lever les yeux pour reconnaître son père. Dans un effet boomerang assez impressionnant, un second loup noir, beaucoup plus imposant que Liam, sortit de nulle part et se plaça devant le louveteau. Il avait fallu moins d'une seconde aux deux loups pour comprendre le phénomène sur lequel leurs enfants étaient incapables de mettre un mot.
L'Enfant de la Lune et le modificateur n'eurent pas le temps de se jeter l'un sur l'autre, pourtant Abby eut la nette impression qu'ils l'auraient fait si Allie ne s'était pas précipitée pour s'interposer.
Abby avait déjà vu ses parents sur le qui-vive. Elle les avait déjà vu adopter des attitudes menaçantes envers d'autres gens. Elle les avait même vu se battre quelques fois. Cette fois-là, inexplicablement, c'était différent.
Pour commencer, Nate et Matthew ne grondaient pas. Pas vraiment. Ils ne cherchaient pas à s'impressionner, plutôt à déterminer quel serait le prochain geste de l'autre. Entre eux, Allie tournait lentement sur elle-même, ses mains rougeoyant comme du fer chaud levées en guise d'avertissement. Elle non plus ne fit aucun bruit, consciente qu'ils ne pouvaient pas être raisonnés.
Abby regarda entre les pattes des deux loups et aperçut Liam qui tournait la tête dans tout les sens, l'air aussi déboussolé qu'elle. Il croisa son regard et fit quelques pas maladroits dans sa direction, inconscient du danger. Nate claqua des mâchoires en guise d'avertissement tandis que Matthew le repoussait fermement en arrière.
C'est alors qu'elle comprit que ce n'était pas contre Matthew que la colère de son père était dirigée. C'était contre le louveteau qui en ce moment même paraissait aussi inoffensif qu'une mouche.
Désemparée, elle regarda les deux loups écumants de rage prêts à en découdre, sa mère dont les mains rougies par la chaleur étaient comme un nuage de mauvais augure. Elle regarda ses propres mains, des mains faibles, des mains humaines. Elle n'avait aucun pouvoir sur eux.
Sauf un.
Pour la première fois de sa vie, elle éclata en sanglots.
Toute sa existence elle avait été entourée de gens puissants qui faisaient rarement preuve de faiblesse. Etant relativement pudique, pleurer devant les autres n'avait jamais été son truc. Mais ce jour-là, au lieu de se retenir elle libéra tout le chagrin et l'angoisse contenus dans son cœur, elle les accentua même volontairement.
Pendant de longues secondes, il ne se passa rien. Aucun son ne lui parvenait à part le bruit déchirant de ses propres pleurs. A travers ses larmes, elle constata que sa mère n'était pas venue la rejoindre. En revanche, elle vit ses yeux verts se détacher d'elle pour venir se fixer sur l'Enfant de la Lune. Abby avait toujours pensé qu'Allie avait les plus beaux yeux de l'univers mais en ce moment, ils étaient sans nul doute les plus effrayants. Son regard dur soutint celui de Nathaniel sans flancher, comme pour le défier de laisser pleurer leur fille plus longtemps.
Elle finit par entendre son père pousser un grognement de frustration. L'instant d'après, il redevenait humain et la saisissait par la taille pour la soulever dans les airs. Submergée par le soulagement, elle s'accrocha de toutes ses forces à sa chemise, mais déjà Allie surgissait à leurs côtés en tendant les bras. Nate lui passa leur fille en disant :
-Ne la laisse pas seule.
Seule avec lui, sous-entendait la phrase.
Ce furent les derniers mots qu'elle l'entendit prononcer. Il muta et disparut dans la forêt avoisinante, silencieux comme un fantôme. Sans mot dire, Allie referma ses bras autour du dos d'Abby, qui se blottit contre elle malgré la chaleur presque insupportable émanant de sa peau.
Quand Abby fut calmée, quelques minutes plus tard, elle releva la tête et remarqua que Liam et Matthew étaient toujours sous forme animale. Allie et celui qu'elle ignorait être l'imprégné de sa mère échangeaient un regard qu'elle ne comprit pas. C'était en réalité un regard rempli de crainte et de désespoir, un désespoir appartenant à un passé lointain mais pas totalement révolu.
Allie et Abigael repartirent au Canada quelques instants après. Nathaniel s'y trouvait déjà. Abby leur posa des questions sur ce qui s'était passé mais ils ne lui répondirent pas, et cela la choqua parce que d'ordinaire ils ne lui cachaient rien, et ce malgré son jeune âge.
Comme elle savait pertinemment qu'ils allaient en parler à un moment ou un autre, la nuit venue elle fit semblant de s'endormir et se releva dès qu'elle les entendit élever la voix pour espionner leur conversation. (NDA : cf flashback du tout premier bonus)
De leur dialogue, elle ne retient et comprit que trois choses : Liam et elles étaient imprégnés, sa mère était imprégnée, et aussi et surtout elle serait amenée à revoir Liam de temps en temps. Quand à connaître la signification du mot imprégnation, c'était autre chose.
Jour et nuit la curiosité la dévorait. Elle fit donc un saut par la bibliothèque du village. Bizarrement, le dictionnaire ne connaissait pas le mot imprégnation, et aucun des ouvrages de la bibliothèque ne traitait du sujet. Elle hésita à chercher sur Internet, mais elle ne savait pas effacer un historique. Finalement, elle se résolut à poser la question à sa tante Sarah qui se fendit d'un :
-Alors c'est un coup de foudre version Quileute. Très romantique, très guimauve et surtout très utile pour ne pas devoir se coltiner dix abrutis qui n'en ont rien à faire de toi avant de trouver ta véritable âme-sœur. Hum, que disais-je ? C'est comme ça que mes parents se sont rencontrés, et aussi Will et Madison, et Liz et Keith. Cela dit, ça ne marche pas à tous les coups : Allie aussi était imprégnée et ça ne lui a pas réussi. Mais je ne veux rien te spoiler, tu lui poserais toi-même la question.
Abby posa donc innocemment la question à sa mère. Laquelle grimaça et marmonna son intention d'étouffer sa chère sœur la prochaine fois qu'elle la verrait. Puis elle raconta à Abby comment un loup de la meute de Jacob s'était imprégné d'elle, et comment elle était tombée amoureuse de Nate à la place. Evidemment, elle prit soin de ne pas mentionner le nom de Matthew et d'éviter les détails les plus sanglants - autant dire qu'elle fut donc obligée d'éclipser la majeure partie de l'histoire.
Ce récit fit retomber l'excitation d'Abby vis-à-vis de sa rencontre avec Liam comme un feu qu'on étouffe. De son point de vue, tout ce qui aurait pu empêcher ses parents d'être ensemble était nécessairement mal. On l'avait élevée avec l'idée qu'elle seule contrôlait sa destinée et elle avait la ferme intention de continuer de la sorte.
Cependant, ses moments passés avec Liam ne furent jamais une corvée. Abby le voyait une ou deux fois par an en moyenne, en général pendant ses vacances à La Push. Comme elle n'avait pas été élevée dans les légendes Quileute et qu'elle n'était pas une grande romantique, elle dédramatisa assez rapidement son imprégnation : finalement, ce n'était plus le fabuleux coup de foudre qui avait réuni la moitié des couples qu'elle connaissait, ni l'horrible phénomène qui avait failli séparer ses parents.
C'était simplement le point de départ de son amitié avec Liam et cela lui convenait parfaitement.
En revanche, il lui fallut longtemps avant de réaliser que la situation n'était pas aussi simple pour Liam. Il y avait plusieurs raisons à cela. Pour commencer, Liam était un excellent acteur. Ensuite, il souffrait bien moins d'être séparé de son imprégnée que Matthew grâce au soutien de ce dernier, avec lequel il vivait depuis sa transformation. Par ailleurs, ses parents étant divorcés et sa mère n'étant pas une Quileute, il passait beaucoup de temps en dehors de La Push. Le contact avec le monde humain mettait de côté sa nature lupine et le forçait à s'ouvrir à d'autres horizons, démystifiant quelque peu les phénomènes Quileute. Pour terminer, Matthew apprit à son fils qu'il devait se protéger des effets dévastateurs de l'imprégnation et c'est ce qu'il fit. Difficilement, mais il parvint à se maintenir la tête hors de l'eau.
A ses dix-huit ans, Liam quitta La Push pour étudier à l'université. Vivre à l'écart de la meute était ardu pour les loups, mais ça ne l'était sans doute pas autant que vivre loin de son imprégnée. Abby le trouva changée lorsqu'elle le revit, plus mature et sûr de lui, et l'affection qu'elle lui portait se teinta d'admiration.
Abby attendait sa majorité avec impatience, parce qu'elle savait que Liam serait alors autorisé à lui parler de l'imprégnation. En définitive, le plus ennuyeux dans cette histoire était que personne ne savait qu'elle savait que Liam était imprégné d'elle. Elle soupçonnait son père d'avoir des doutes, parce qu'il la regardait parfois d'un air vaguement suspicieux, mais elle n'était que trop consciente du fait que discuter de Liam avec lui n'était pas envisageable.
Le silence lui pesait.
D'autant plus que pour son imprégnation comme pour sa transformation, tout le monde avait son avis sur le sujet. Evidemment Nathaniel ne voulait pas qu'elle finisse avec Liam. Allie était plus mitigée, même si au fond elle partageait l'avis de Nate. Et de l'autre côté sa famille maternelle espérait de tout cœur qu'elle tomberait amoureuse de son imprégné.
Résultat des courses : dans tous les domaines concernant sa vie future, il n'y avait personne à qui Abby aurait pu parler de ses dilemmes, tout simplement parce que personne n'était suffisamment objectif.
La vérité, c'était qu'elle aurait bien aimé retarder l'heure du choix et passer un peu de temps seule à seule avec Liam. Pas pour contrarier ses parents ou faire plaisir à Jacob, simplement par curiosité : en dehors du spectre de l'imprégnation qui impressionnait tant les adultes, ce jeune loup-garou était-il si effrayant que cela ? Car s'il y avait bien une chose qu'Abby avait apprise en dix-huit ans d'existence, c'est qu'on ne pouvait pas passer sa vie apeuré par les possibilités qu'elle offrait.
Alors Abigael fit un choix. Le jour de l'anniversaire de ses dix-huit ans, pendant la fête que Sarah lui organisa, elle s'adressa à sa famille et ses amis, aux modificateurs, Enfants de la Lune, humains et vampires réunis et leur annonça qu'elle partait étudier le droit à Berkeley pour une durée indéterminée.
L'expression sur le visage de Liam, qui comme par hasard étudiait justement le droit à Berkeley, valait vraiment le détour.
Cela dit, d'autres visages aussi valaient le détour. Aaron ainsi que ses amis d'enfance, qui pensaient qu'elle allait leur faire part de son désir de devenir un Enfant de la Lune, la regardaient comme si elle avait perdu l'esprit. La plupart des adultes avaient l'air indécis. Le fait qu'elle aille étudier à la fac ne leur donnait aucune indication sur ce qu'elle comptait faire de sa vie. Alice se tapotait la tempe d'un air exaspéré.
Du coin de l'œil, elle vit son père se pencher en avant pour murmurer quelque chose à l'oreille de sa mère, qui se couvrit la bouche de la main pour étouffer un rire. Elle haussa les épaules, déçue de ne pas avoir réussi à les surprendre. Ils semblaient conscients qu'en choisissant cette fac, ce n'était pas réellement Liam qu'elle choisissait, mais plutôt la possibilité de mener une vie normale sans le spectre effrayant de sa future transformation.
Quelques mois plus tard, elle emménageait sur le campus de Berkeley. C'était la première fois qu'elle quittait sa famille pour de vrai et cette sensation était étrange. Comme tous les enfants, elle avait l'impression que ses parents n'avaient pas eu de vie avant elle et elle s'inquiétait vaguement de ce qu'ils feraient sans elle, jusqu'à ce que son oncle Logan ne lui déclare avec un sourire en coin qu'ils seraient "contents d'avoir le chalet pour eux tout seuls". Affirmation qu'Hannah agrémenta d'une moue écœurée. Il va sans dire qu'Abby bannit aussitôt ce sujet de son esprit.
Autre grand changement, son déménagement la faisait passer du statut de la fille de l'alpha ultra respectée et protégée au statut d'humaine lambda. Mais cela ne l'inquiéta pas outre mesure : même si elle n'était pas dotée d'une force surnaturelle, elle savait se défendre. Elle possédait aussi le même don que Renesmée, ce qui lui donnait l'impression d'emporter une partie de son héritage avec elle.
Abby s'adapta donc assez facilement à sa nouvelle vie.
Suivre les cours ne se révéla pas trop compliqué ; l'éducation qu'elle avait reçue chez les Enfants de la Lune était riche car enseignée à un petit nombre d'élèves.
Elle se fit des amis humains et constata qu'ils étaient loin d'être aussi égoïstes et immatures que ce que les séries télé sous-entendaient. En réalité, elle n'avait même pas l'impression de faire tâche quand elle se trouvait avec eux.
Son amitié avec Liam faisait un peu jaser, sans qu'elle en comprenne vraiment les raisons -elle n'était pas encore assez habituée au raisonnement des humains. Elle était en première année de droit, Liam en cinquième (il préparait une maîtrise) et leurs études communes les rapprochaient.
Leur relation avait une dynamique nouvelle à présent qu'ils étaient aptes à se voir tous les jours. D'une certaine manière, le fait d'être libérés des contraintes imposées par leurs parents était apaisant, bien qu'un peu intimidant par moments.
Cependant, il ne fallut pas longtemps à Abigael pour remarquer que Liam était distant avec elle. Pas assez pour qu'elle s'en plaigne, mais suffisamment pour qu'elle s'en étonne. Pourtant, au cours de son enfance les membres de sa famille maternelle lui avaient maintes fois expliqué que rien n'était plus fort que l'amour et la dévotion d'un loup pour son imprégnée. Un jour, Sarah avait même comparé ce lien à de la servitude volontaire, remarque qui avait été récompensée d'un regard massacrant de Keith et Elizabeth.
On lui avait dit que Liam réaliserait tous ses désirs. Elle lui demanda de l'aider à réviser pour ses examens et il déclina parce que sa fraternité organisait une soirée. Puis lui proposa tout de même de passer le lendemain.
On lui avait dit qu'il ne regarderait qu'elle. Lors de l'une de ses fameuses soirées, elle le vit poser sa main sur la taille d'une des filles qui l'accompagnait. Lorsqu'il remarqua qu'elle les regardait, il la lui présenta et elles s'entendirent bien.
On lui avait dit qu'il serait ultra protecteur à son égard. Elle recevait beaucoup d'attentions de la part des garçons de sa promo, les repoussait systématiquement. Certains étaient un peu lourds et elle devait employer les grands moyens. Jamais Liam ne se mêla de ses affaires.
Lorsqu'Abby comprit que Liam ne la traiterait pas autrement que comme son amie d'enfance ou sa petite sœur, elle réprima le rire qui montait dans sa gorge. Le comportement de Liam avec elle n'était pas distant, il était normal. Si elle ignorait comment il parvenait à se comporter de la sorte, elle avait la ferme intention de suivre son exemple. Elle se sentait à la fois reconnaissante à son égard et fière de lui.
Contrairement à ce que tout le monde leur avait prédit, leur relation était saine et naturelle.
Autant dire qu'Allie tomba de haut lorsqu'au cours d'une conversation téléphonique avec sa fille, elle lui demanda comment allait Liam et que celle-ci lui répondit :
-Il est parti en randonnée dans le Nevada depuis trois jours mais je crois que ça va, mon amie Priscilla m'a était surexcitée parce qu'ils se sont embrassés et il m'a envoyé des photos magnifiques de...
La communication fut brutalement coupée. Quelques jours plus tard, Nate raconta à Abby qu'Allie s'était pliée en deux, avait fait tomber le téléphone et n'avait pas été capable de s'arrêter de rire avant cinq bonnes minutes.
Bref, la vie était belle. Le fait que le côté romantique de leur relation n'existe pas réellement enlevait un poids des épaules d'Abby. Bien sûr, il n'en restait pas moins qu'elle avait toujours trouvé Liam incroyablement attirant-séduisant-charmant mais c'était un aspect qu'elle gérait sans trop de problèmes. Elle n'était pas amoureuse de lui, il ne l'était pas d'elle, ils étaient d'heureux d'être près l'un de l'autre et personne ne souffrait.
Autre point positif, ils s'étaient peu à peu ré-apprivoisés et étaient très honnêtes l'un envers l'autre.
Au début, Abby n'osait pas lui demander comment il faisait pour s'éloigner autant du cliché de l'imprégné lambda car elle craignait justement que son comportement en soit modifié. Mais un jour, il lui parla de ses propres parents et le sujet vint naturellement sur le tapis.
Le père et la mère de Liam avaient eu une relation difficile et conflictuelle. Tous deux n'accordaient que peu de foi aux relations amoureuses en général. Ils ne les dénigraient pas, mais ils estimaient que les deux parties se devaient d'être autant impliquées l'une que l'autre dans une relation.
Son éducation ainsi que le fait de ne pas vivre avec sa meute avaient eu pour conséquence de démystifier l'imprégnation aux yeux de Liam, comme ça avait été le cas pour Abby. Il ajouta néanmoins :
-Je ne vais pas te mentir, ça a été difficile quand tu es venue t'installer ici. J'étais à la fois fou de joie et en même temps j'avais peur de tomber totalement sous ton emprise. (Il laissa échapper un rire sans joie.) Mais mon père m'a bien conseillé. En fait, c'est un peu comme se sevrer d'une drogue. Tu dois apprendre à vivre avec le manque jusqu'à ne plus te rendre compte qu'il est là, tout en sachant que tu seras amené à consommer cette drogue régulièrement au cours de ta vie.
Abby souleva un sourcil et il admit :
-Désolé, cette comparaison est vraiment trop bizarre.
-Cannabis ou héroïne ? s'esclaffa-t-elle en secouant la tête.
Pour seule réponse, il se contenta de rire à son tour.
-Comment ça se fait que ton père sache autant de chose sur la façon de se débarrasser d'une imprégnée non désirée ? s'enquit-elle, sérieuse malgré le ton ironique de sa phrase.
-Lui-même était imprégné il y a très longtemps, expliqua Liam. Apparemment, elle l'a abandonné pour un autre, il a énormément souffert et a dû apprendre à se reconstruire. Je n'ai jamais réussi à savoir qui était cette fille. Le plus bizarre dans cette histoire, c'est que j'ai l'impression que tout le monde s'évertue à me dissimuler son identité. Quand je communiquais avec ma meute, personne ne pensait jamais à elle, un peu comme si Jacob ou Will leur avait ordonné d'oublier son existence quand j'étais dans les parages.
Abby s'arrêta littéralement de respirer. Pendant une minute entière, elle fixa Liam sans le voir. Inquiets, les yeux noirs de celui-ci fouillèrent son visage.
-Ma mère aussi était imprégnée, murmura-t-elle.
Une surprise identique à celle qu'elle éprouvait traversa le visage de Liam. Elle essaya de ne pas sauter aux conclusions. Après tout, elle ne savait que peu de choses de Matthew Uley.
-Qu'est-ce que tu sais de l'imprégnée de ton père ? demanda-t-elle d'un ton pressant.
Liam haussa les épaules.
-Pas grand chose. Il m'a dit qu'elle était belle.
Il était clair que Matthew ne s'était jamais remis de son imprégnation, mais ça ne faisait pas avancer les choses pour eux. Liam devait être traversé par les mêmes interrogations car il lui retourna la question :
-Et toi, qu'est-ce que tu sais de l'imprégné d'Allie ?
Elle fouilla dans les recoins de sa mémoire.
-C'est un garçon que grand-père Jacob aimait beaucoup. (Elle marqua une hésitation, surprise de constater qu'elle en savait vraiment très peu sur cet homme qui pourtant avait dû jouer un rôle important dans la vie de sa mère.) Heu, mon père ne l'aime pas je crois.
-Ton père n'aime personne, fit remarquer Liam.
-Pas faux, admit-elle.
Puis Liam ajouta :
-Mais Jacob considère effectivement mon père comme son fils.
Seul le silence lui répondit. Tous deux étaient conscient de penser la même chose. Ce n'était pas une coïncidence.
Les prunelles bleues d'Abby se fixèrent sur l'horizon. De déception, de chagrin, elle sentit ses épaules s'affaisser.
-C'est pour ça que mes parents étaient horrifiés quand tu t'es imprégné de moi. Ce n'est pas pour moi qu'ils s'en faisaient, mais pour eux-mêmes. Notre imprégnation leur donne tort d'une certaine manière.
Liam remarqua :
-Je ne comprends pas pourquoi ça t'étonnes qu'ils nous l'aient caché. Tu savais déjà que tes parents ne sont pas des enfants de cœur. Et puis, ils voulaient juste te protéger.
Le fait qu'il ne semble pas en colère augmenta celle d'Abby. En effet, il ne comprenait pas.
-Je ne peux pas leur faire confiance ! Jamais ils ne seront objectifs dans cette histoire et jamais ils n'accepteront quoique ce soit entre nous. Quoique nous fassions, quoique nous choisissons, nous les décevrons toujours.
Ils étaient assis dans le parc du campus, devant une des résidences. Abby ne sentait plus la chaleur tenace du soleil sur sa peau. Il lui semblait que la froideur de son propre cœur avait rejeté toute l'énergie thermique hors de son corps.
Empreinte d'un sentiment indéfinissable, elle resta figée un long moment, regardant devant elle sans rien voir.
Loin, très loin, une voix l'appela :
-Abby ?
Elle baissa les yeux et vit que Liam avait la main sur son bras. D'habitude, elle sentait immédiatement quand il la touchait, ne serait-ce que parce que sa peau était brûlante comparée à la sienne. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui, sa peau lui semblait presque froide.
Incrédule, elle leva une main pour se toucher le visage. Il était moite et couvert de sueur. La prise de la main du modificateur sur son bras se raffermit. Le contact, qui lui aurait paru agréable en temps normal, lui tordit l'estomac.
Pour échapper à son toucher, elle se leva d'un bond mais Liam suivit le mouvement et se mit debout à côté d'elle. Il lui semblait que le monde virevoltait autour d'elle. En voulant retirer son poignet, elle constata que ses mains tremblaient. C'est en examinant ses doigts qu'elle se rendit compte que ce n'était pas seulement eux qui tremblaient -c'était son corps tout entier.
Déboussolée, elle questionna Liam du regard. Il ouvrit la bouche et lui dit quelque chose, mais ses oreilles bourdonnaient trop pour qu'elle entende quoi que ce soit. Alors elle s'accrocha à la vision de ce visage familier et rassurant, incapable de faire autre chose, et elle se força à respirer calmement.
Elle inspira. Expira. Inspira. Expira.
Mais les battements de son cœur ne se calmaient pas. Les tremblements de ses muscles non plus, tout comme le bourdonnement dans ses oreilles. Le monde continuait de tourner, tourner, tourner, et elle se surprit à prier pour s'évanouir bientôt.
Brusquement, Liam recula. Elle voulut le suivre, mais son corps n'obéit pas.
Durant l'espace du seconde, il lui sembla même qu'elle n'avait plus de corps.
Quand enfin ses sens lui furent rendus, la jeune fille de dix huit ans qu'elle était un instant auparavant avait disparu.
A sa place se tenait une jeune louve au pelage blanc.
(Lise, si tu es toujours là : ton voeu est exaucé !)
Vous vous en fichez sans doute mais je me suis mise à écrire à la troisième personne du singulier, je trouve ça amusant. Et Abby ressemble à Nate, qui est aussi un personnage avec lequel j'écrivais à la troisième personne du singulier.
Je ne sais pas si ça se voit mais j'essaye de travailler un peu plus la psychologie des personnages. Sérieusement, si la fille d'Allie et Nate et le fils de Matthew deviennent des têtes à claque, je ne le supporterai pas ^^ . (C'est peut être pour ça que j'ai lâché Hiding Sun. Sarah et Drake ne sont pas trop agaçants -enfin j'espère- mais je ne les avais pas assez travaillés.)
J'espère que ce premier chapitre vous a plu (vous n'imaginez pas à quel point ça fait un bien fou de poster de nouveau). A bientôt !
