J'ai écrit cette version alternative du fabuleux film de James Ivory « Les Vestiges du Jour » il y a quelques années, après un énième visionnage qui m'a laissé terriblement frustrée... (Juste pour savoir : combien d'entre vous n'ont jamais souhaité voir une autre fin à 'Autant en emporte le vent' ?)

C'est en la relisant tout récemment que j'ai voulu vous la faire partager, en espérant que vous prendrez autant de plaisir que moi. Si vous aimez, faites-le moi savoir par voie traditionnelle… Merci.

Disclaimer : tous les personnages appartiennent à l'œuvre de Kazuo Ishiguro, sauf George Dickinson. Certains passages sont les retranscriptions de scènes apparaissant dans le film. Cette histoire n'existe que dans un but ludique et non commercial.

Chapitre 1 : Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur… un livre, sans jamais oser le demander

Stevens releva brusquement la tête au bruit des pas de Miss Kenton. La jeune femme s'avança vers le bureau, un bouquet à la main. Elle jeta un regard vers l'homme assis dans le fauteuil et croisa ses yeux hagards. Il devait s'être assoupi dans la pénombre de l'office.

"Des fleurs…"

"Hum?"

"Des fleurs…"

Elle disposa les fleurs dans un vase pendant qu'il sortait de sa torpeur, gêné qu'elle l'ait surpris assoupi.

"Vous lisez?"

"Oui…"

"Il fait sombre, vous y voyez?"

"Oui…"

Miss Kenton jeta un regard incertain vers lui.

"Que lisez-vous?"

"Un livre."

"Quel livre?"

"Un livre, Miss Kenton. Juste un livre."

Elle avança la main vers l'ouvrage mais il mit rapidement l'objet hors de sa portée avec agacement. Miss Kenton ne se laissa pas décourager par son attitude revêche et au contraire, s'en amusa.

"Qu'est-ce que c'est?"

Il se leva et passa devant elle sans un mot.

"Seriez-vous gêné de le dire?"

"Non."

"Qu'est-ce que c'est?"

Stevens contourna le bureau et Miss Kenton le suivit. Il soupira. Elle n'avait visiblement pas l'intention de le laisser tranquille.

"Est-ce leste?"

"Leste?"

"Lisez-vous un livre léger?"

Il s'appuya contre l'armoire, tout en feignant la nonchalance.

"Vous croyez qu'il y aurait des livres lestes dans la bibliothèque de Sa Seigneurie?"

"Je ne sais pas."

Miss Kenton eut un sourire et s'avança à nouveau vers lui.

"Qu'est-ce que c'est? Laissez-moi voir…"

Elle tendit la main vers le livre et, à nouveau, il écarta l'ouvrage en évitant son regard.

"… S'il-vous-plaît, faites-moi voir votre livre…"

Pris au piège, il recula lentement sans oser la regarder. Miss Kenton sentit le malaise de Stevens et lui adressa un sourire rassurant qu'il ignora.

"S'il-vous-plaît, laissez-moi tranquille, Miss Kenton."

Il continua de reculer, terriblement mal à l'aise. Elle le suivit.

"Pourquoi refusez-vous de me le montrer?"

Stevens se retrouva acculé contre le mur et posa son bras sur le meuble à sa droite. Il releva les yeux et la regarda. Doucement, il lui dit :

"Vous violez mes moments d'intimité."

Elle le regarda avec un sourire et demanda avec humour :

"Vraiment?"

"Oui."

"Je viole vos moments intimes?"

"Oui."

Sa réponse tenait dans un souffle. Miss Kenton était de plus en plus intriguée. Elle s'avança vers lui.

"De quoi parle ce livre?… S'il vous plaît, faites-moi voir…"

Elle demeura soudain incertaine, regardant alternativement le livre et le visage torturé de Stevens.

"… Essayeriez-vous de me protéger? C'est cela, n'est-ce pas?… Ce livre me choquerait-il?…"

Comme il ne répondit pas, elle continua.

"… Ou me perdrait-il?"

Miss Kenton hésita un instant avant de faire un nouveau pas vers Stevens. Elle tendit la main vers le livre et il sursauta violemment. Elle arrêta son geste et le regarda, indécise, mais il détourna les yeux, incapable de croiser son regard inquisiteur. Elle toucha finalement sa main et il sursauta à nouveau au contact de ses doigts sur sa peau. La main de Stevens était crispée sur le livre et Miss Kenton dut faire un effort pour écarter ses doigts. Elle sentit le regard de son compagnon peser sur elle et la transpercer. Troublée mais déterminée, elle se concentra sur la main qui tenait le livre et glissa ses doigts sous les siens pour le faire lâcher prise. Elle releva les yeux et plongea son regard dans celui de Stevens. Elle resta un instant captiver par la douleur exprimée par les yeux du majordome. Ils étaient si proches l'un de l'autre qu'elle s'aperçut qu'elle retenait sa respiration. Finalement, il écarta les doigts et elle put s'emparer du livre. A aucun moment, il ne la quitta des yeux.

Miss Kenton parcourut la couverture et ouvrit le livre avec impatience. Stevens leva la main droite vers ses cheveux et les effleura doucement du bout des doigts. Elle ne s'en rendit pas compte et retourna le livre entre ses mains.

"Seigneur… Cela n'a rien de scandaleux…c'est juste un roman d'amour…"

L'atmosphère de la pièce venait subtilement de changer. Gravement, Miss Kenton leva les yeux vers Stevens. Il la dévisageait avec une telle intensité qu'elle en oublia le livre. Elle sentit la main de Stevens caresser doucement sa joue. Incapable de faire un geste, la jeune femme le regarda se pencher vers son visage et effleurer délicatement ses lèvres. Il suspendit son geste, incertain quant à la réaction de la jeune femme face à son audace et se recula légèrement pour la regarder dans les yeux.

Tremblante, Miss Kenton laissa échapper le livre qui tomba au sol, sans que les deux protagonistes n'y prennent garde. Elle posa ses mains sur la poitrine de Stevens et s'appuya sur lui, de crainte que ses genoux ne la soutiennent plus. La main droite de Stevens caressa lentement ses cheveux alors qu'il posait son autre main sur sa taille pour l'attirer à lui et l'embrasser à nouveau. Elle retint sa respiration. Il posa ses lèvres sur les siennes et en explora sensuellement le contour. Miss Kenton eut un gémissement et entrouvrit les lèvres. Leurs langues se mêlèrent et se livrèrent à un ballet des plus érotiques. Leur étreinte devint irrésistible et ils s'embrassèrent passionnément.

Ils s'écartèrent finalement l'un de l'autre pour reprendre leurs respirations. L'un comme l'autre pouvait lire la passion qui brûlait dans leurs regards et le choc qui résultait de cette découverte. Miss Kenton posa sa main sur la joue de Stevens et en traça doucement le contour. Ses doigts effleurèrent les lèvres de son compagnon. Il prit la main de la jeune femme dans la sienne et posa de légers baisers sur ses phalanges sans la quitter des yeux. Elle sentit ensuite les lèvres de Stevens caresser sensuellement la ligne de sa mâchoire et descendre dans son cou. Elle frissonna de plaisir et ferma les yeux, perdue dans l'instant. Sa réaction n'échappa pas à son compagnon qui reprit ses baisers avec ardeur. En même temps, comme possédant une vie propre, ses mains se mirent à explorer le corps de la jeune femme et s'arrêtèrent sur sa poitrine. Miss Kenton eut un gémissement et caressa le dos de Stevens. Ce ne fut que lorsque son corps heurta le mur derrière elle qu'elle se rendit compte qu'ils avaient changé de place. Ils continuèrent à s'embrasser avec passion, le souffle court. Elle pouvait à présent sentir pressé contre elle le désir de son compagnon. Stevens fut le premier à prononcer un mot.

"Sarah…"

Sa voix était rauque, terriblement empreinte de désirs et de sensualité, tellement éloignée de sa voix neutre et polie. Elle frissonna et réussit à articuler :

"Pas ici…"

Il continua cependant à l'embrasser et à la caresser. Des coups à la porte retentirent dans la pièce. Stevens et Miss Kenton se figèrent soudain. Quelqu'un frappa à nouveau et appela du couloir :

"Monsieur Stevens?"

Miss Kenton rajusta précipitamment ses cheveux et ses vêtements. Stevens se recomposa un visage et le masque impassible du majordome en chef refit son apparition. Il s'avança vers la porte mais elle lui attrapa le bras et le fit pivoter sur lui-même. Avec son mouchoir, elle essuya les traces de rouge à lèvres sur sa bouche. Il cria à l'attention de son visiteur.

"Un instant, s'il-vous-plaît!"

Miss Kenton le regarda avec un sourire. Il lui fit malicieusement un clin d'œil et alla ouvrir la porte de son bureau. C'était la cuisinière.

"Mrs. Mortimer? Qu'est-ce que je peux faire pour vous?"

"Excusez-moi de vous déranger, Monsieur Stevens. Il y a eu un accident à la cuisine. Paul s'est gravement brûlé."

"Vous avez appelé le Docteur Meredith?"

"Il est en route. Vous pouvez venir?"

"Bien sûr…"

Il se tourna vers Miss Kenton.

"Si vous voulez bien m'excuser, Miss Kenton…"

"Je vous en prie."

Il lui adressa un bref sourire, ses pensées déjà tournées vers ses soucis et son travail. Miss Kenton sortit et le regarda partir avec Mrs. Mortimer. Elle soupira et retourna vers ses tâches.

… A suivre…