Chapitre premier.
« Encore une bouteille », tonitrua allégrement Goyle en égarant malencontreusement sa main sur le fessier joliment rebondi de la serveuse. Après tout, quel mal à cela ? Des soldats restés tapi si longuement dans l'ombre, à attendre le retour du Lord Noir, pouvaient au moins fêter dignement leur victoire ; et la bouteille d'hydromel était restée vide trop longtemps déjà. La jeune femme passa rapidement derrière le comptoir d'où elle sortit trois bouteilles poussiéreuses, espérant bien malgré elle qu'ils tomberaient tous ivre mort avant d'avoir à les resservir.
Ainsi les Mangemorts fêtaient-ils copieusement l'arrivée au pouvoir de Tom Elvis Jedusor, plus communément connu par la communauté magique sous le nom de Lord Voldemort. Il y a deux mois de cela, Albus Dumbledore était enfin tombé. Le grand mage blanc avait titubé, entraînant dans sa chute un Ministère de la Magie déjà chancelant et laissant la voie parfaitement libre au Seigneur des Ténèbres. Bien sûr, on s'était attendu à un mouvement de résistance. : Poudlard avait même été fermé et la Garde de l'Ombre, nouvellement instituée, semait une terreur sans pareille sur l'ensemble du territoire. Mais, contrairement a ce qui avait pu être prévu, les insurgés s'étaient fait plutôt rare. C'était une nouvelle ère qui commençait, sans heurts. Et c'est cette absence de contestation spontanée, ces soirées trop calmes, qui, plus que tout, inquiétaient Draco. Son verre d'alcool vide fermement serré dans son poing, il soupira.
- D… déjà sur la touche, Dray ? Hoqueta joyeusement Pansy en se lovant un peu plus contre Crabbe.
- L'hydromel qui passe mal. Répondit-il en feignant le malaise. Je ferais mieux d'aller me coucher, chérie.
Un léger baiser sur les lèvres de la sorcière et Draco regagna sa chambre. La porte fermée à double tour, il se laissa mollement tomber sur le lit. Impossible de penser distinctement. L'alcool n'y était pourtant pour rien. Il ferma les yeux. Le Maître avait fait fort en le nommant à la tête de la Garde de l'Ombre ; une punition à la hauteur de son incompétence. Il aurait seulement suffit de tuer Dumbledore, suffit de lever cette foutue baguette. Il aurait simplement suffit de prononcer l'Avada Kedavra. Alors, peut-être le Maître aurait-il accepté de le cantonner à poste de paperasserie. Mais il avait fallu qu'il faillisse…
« Je sens bien que tu regrettes, Draco. Mais comment te faire confiance après ce que tu m'as fait ? Comment ? Sais-tu le nombre de sorciers de nos rangs qui m'ont supplié de se voir confier cette tâche si délicate, si vitale ? Le sais-tu seulement ? Pourtant, je n'ai pas cédé. J'ai voulu faire de toi le membre le plus prestigieux de notre corps renaissant. Tu aurais été le bras vigoureux, le poing puissant et fatal. Mais au lieu de te montrer digne de moi, qu'as-tu seulement fait ce soir-là ? Rien. Tu t'es lamentablement pissé dessus, comme un gamin. Tu m'as fait honte, Draco. Tu m'as tellement déçu. Mais soit, puisque c'est toi, je vais te faire le privilège de te guérir de tes accès d'humanité. A partir de maintenant, tu dirigeras la Garde de l'Ombre, et chaque jour tu allégeras notre monde parfait du fardeau de ses impurs, chaque jour tu répandras leur sang. J'ose espérer que ta loyauté envers moi aura raison de tes faiblesses, que ta cruauté enflera avec le nombre des parasites que tu auras éliminé. Et rappelle-toi :, je n'ai pas besoin d'un bon Saint Maritain dans mes rangs. Ceux qui éprouve de la compassion ; je les tue. »
Draco frissonna. Aucune échappatoire si ce n'est celle de passer à l'échafaud. Pas encore un tueur, mais bien loin d'être un héros, il s'endormit lourdement sous l'écho des rires gras de ses compagnons.
