Disclamer : Les personnages appartiennent à Masami Kurumada.
Univers UA et Yaoi. Même si j'ai essayé de garder le caractère de chacun dans la mesure du possible, pour les besoins de l'histoire, certains peuvent apparaître, surtout au début, sensiblement différent. Veuillez m'en excuser.
Bonne lecture !
Chapitre 1
Paris
Il faisait nuit noire et une fine pluie tombait sur la capitale française, Camus traversait le parvis de Notre Dame d'un pas pressé pour regagner son appartement quand son regard fut attiré par un mouvement sur le quai. Il ralentit un peu et découvrit un jeune homme aux longs cheveux blonds vers la cathédrale qui longeait le parc et sembla même y disparaître un instant pour réapparaître quasiment aussi vite et continuer ensuite à courir vers le pont enjambant la Seine au bord duquel il se laissa tomber à genoux en… pleurant, sembla-t-il à Camus d'autant qu'il pouvait en juger d'aussi loin.
Ce dernier soupira déjà résigné à rentrer un peu plus tard encore. En tant que policier, il ne pouvait laisser ce jeune homme dans cet état et prit à son tour la direction du pont, ne quittant pas un instant les mouvements du jeune blond qui, pour l'instant, restait prostré. Mais une bande de petites frappes le devança et semblait vouloir, au contraire, profiter de la cible idéale qu'offrait le jeune homme qui venait de relever la tête vers ses agresseurs potentiels.
Camus accéléra l'allure, redoutant le pire, ces petites bandes étaient de véritables calamités et même si la Cité était un endroit relativement tranquille, elles y sévissaient parfois, comme maintenant.
Sur le pont, le jeune homme semblait résigné, il regardait ses assaillants sans vraiment les voir. Si en cet instant quelqu'un mettait fin à sa vie, il n'aurait pas à le faire lui-même, songea-t-il. Il eut une pensée pour son ami, qu'il avait laissé baignant dans son sang et se prépara à mourir, il ferma ses grands yeux bleus et attendit les coups…
L'un des hommes s'avançait un couteau à la main, Camus se jeta sur lui et le désarma d'un geste sur, lui assénant dans la foulée un coup sur la nuque qui le mit à terre. Il se tourna ensuite vers le reste de la bande, son arme à la main. Bien trop surpris par sa rapidité d'action pour réagir, ils prirent immédiatement la fuite sans demander leur reste, le premier se relevant péniblement et les rejoignant.
Satisfait Camus fit valser le couteau au fond de la Seine du pied, rangea son arme et s'approcha du jeune blond, toujours agenouillé par terre.
Celui-ci ouvrit les yeux à ce moment, surpris de ne pas recevoir l'avalanche de coups auxquels il s'attendait et découvrit au-dessus de lui un homme un peu plus vieux que lui, de longs cheveux bleu indigo et des yeux également bleu foncés qui le dévisageaient, sa main se tendit vers lui :
-Tu comptes passer la nuit à les attendre ? demanda-t-il en français.
Il ne bougea pas, regardant toujours l'homme qui reprit :
- Je suis Camus et tu n'as rien à craindre de moi en souriant légèrement. Comment t'appelles-tu ?
- Shaka.
Il avait répondu machinalement, comprenant ce que le français lui demandait :
- Viens Shaka, j'habite à côté.
Shaka prit la main tendue mais chancela en se relevant, Camus le rattrapa et le regarda d'un peu plus près. Il était magnifique malgré ses cheveux emmêlés et collés à cause de la pluie, ses yeux si bleus semblaient complètement perdus. Il le maintint debout en le prenant par la taille et l'entraîna sans plus attendre avec lui vers son appartement situé quelques rues plus loin.
Shaka, qui se demandait confusément ce que lui voulait ce français et pourquoi il venait de le sauver, sentit tout le poids de cette journée lui tomber subitement sur les épaules. Il essaya vainement de garder les yeux ouverts mais sombra dans l'inconscience contre le corps de sn sauveur. Celui-ci le resserra son étreinte avant qu'il ne s'écroule et le souleva doucement, continuant un peu plus vite sa route vers son appartement.
Heureusement, ce dernier, héritage de ses parents défunts, se trouvait tout près du parvis de Notre Dame de Paris, qu'il retraversa, la pluie inondant un peu plus ses vêtements et ceux de celui qu'il venait de sauver. Il pensa bien un bref instant à appeler des secours, mais cette résignation face à la mort dans le regard du jeune homme l'avait profondément ébranlé, lui rappelant vaguement cette même résignation qu'il avait lue tant de fois dans le regard des êtres privés de leur droit le plus essentiel.
Et il détestait voir quelqu'un avec ce regard… ça le révoltait…
Il parvint enfin à l'abri de son immeuble, composa le code pour pénétrer dans le hall et gravir les deux étages le séparant encore de son appartement. Portant le jeune blond dans ses bras, sa tête calée contre sa poitrine, il batailla un peu avec sa clé pour ouvrir la porte d'entrée, mais finit par y parvenir. La refermant du pied, il traversa rapidement le hall et suivit un long couloir desservant les chambres. Il entra dans l'une d'elle et déposa délicatement son fardeau sur le lit.
Allumant une lampe de chevet, il l'observa longuement. Il tremblait. Camus posa sa main sur son front, il était glacé. Il se dirigea vers la salle de bain attenante et mit un bain chaud à couler puis entreprit de le déshabiller.
Il était presque parvenu au bout de cette tâche quand Shaka émergea de son inconscience et le regarda paniqué en sentant ses mains qui le débarrassaient de son boxer. Camus interrompit son geste et recula devant l'air terrorisé mais… résigné ? qu'affichait le jeune blond :
- Shaka, tu te rappelles de moi ? demanda-t-il doucement ne voulant pas l'effrayé davantage.
Le blond hocha la tête en signe d'assentiment.
- Je t'ai fait couler un bain, tu es glacé. Si tu te sens assez fort, je te laisse finir seul. La salle de bain est là, finit-il en désignant la porte ouverte.
Il lut alors l'incompréhension dans les yeux bleus du blond qui ne bougea pas d'un pouce. Shaka de son côté cherchait à comprendre où voulait en venir celui qui l'avait recueilli sur le pont. En général les hommes ne lui demandait qu'une seule chose, or, celui-là semblait vouloir autre chose, mais quoi ? Finalement il se risqua en le regardant timidement :
- Vous voulez quoi ? dit-il en français avec accent prononcé.
Ce fut au tour du français de rien comprendre, mais il se rapprocha de lui doucement :
- Je veux juste que tu te réchauffes, et pour ça un bain m'a parut la meilleure solution. Tu veux bien venir avec moi ? Tu finiras de te déshabiller dans l'eau, si c'est ce qui te gêne, finit-il en lui tendant la main.
Shaka l'attrapa timidement et Camus le guida jusqu'à la salle de bain, prenant garde à ne pas trop l'approcher. Il semblait toujours terrorisé et à la lumière de la salle de bain, le policier qu'était Camus nota tout de suite les nombreuses marques qui parsemaient la peau blanche. Il frémit intérieurement mais ne posa aucune question et quand Shaka fut enfin installé dans la baignoire, il se baissa à sa hauteur, toujours en douceur pour ne pas risquer de le surprendre, lui montrant comment se servir de la douche ainsi que le gel douche et le shampoing avant d'ajouter :
- Je vais te préparer quelque chose de chaud, tu veux du thé ou du café ?
- Du thé, s'il vous plait, demanda Shaka en baissant les yeux.
Mon dieu, cette soumission, pensa Camus. Il commençait à comprendre sa terreur, mais d'où s'était-il donc échappé ?
- Tu as faim ?
Il fit oui de la tête.
- Je laisse entrouvert, si tu as un souci, appelles-moi et quand tu auras fini rejoins-moi à la cuisine. Je prends tes affaires pour les laver, il y a un peignoir là, finit-il en lui désignant une chaise et en sortant de la salle de bain.
Camus mit une machine à tourner dans la buanderie, examinant au passage les vêtements usés de Shaka, mais sans y trouver le moindre signe de papier ou même d'argent pouvant lui en dire davantage sur lui. Il se rendit ensuite à la cuisine où il prépara du thé, du café et des sandwichs.
Il fut tenté de retourner voir comment se débrouillait son jeune réfugié, mais repensa à la peur dans ses yeux et décida d'attendre, les bruits de la salle de bain lui parvenant lui parvenant à intervalles réguliers dans le silence de l'appartement endormi. Il se reprocha un instant de ne pas avoir donné plus d'explication à Shaka pour le rejoindre à la cuisine. Vivant dans cet ancien appartement parisien depuis son enfance, Camus en oubliait parfois la taille, bien plus grande que la moyenne mais qui n'avait rien d'exceptionnel dans ce quartier.
Son portable sonna, interrompant le cours de ses pensées et il l'attrapa. Le numéro lui était inconnu mais peu de gens connaissaient ce numéro de travail :
- Allo ?
- Salut Camus !
- Shion ! Mais comment as-tu eu ce numéro ?
- Je suis à Paris pour le boulot, tu peux me rejoindre à Lariboisière ?
- Pas dans l'immédiat !
- Tu n'es pas seul ?
- Ce n'est pas ce que tu crois, dans une heure ça te va ?
- Ok, je t'indique le service
Camus prit alors note sur un bloc des indications de son collègue et ami.
- J'ai vraiment besoin de toi Camus, dit Shion avant de raccrocher d'une voix qui parue tendue au français.
Camus resta pensif un moment, Shion était un collègue grec dont il avait fait la connaissance quelques années plus tôt. Ils enquêtaient alors, chacun pour leurs pays respectif, sur la même filière de prostitution. Ils leur arrivaient depuis de travailler ensemble à intervalles réguliers, surtout depuis la création d'un service de lutte européenne contre la prostitution dont Shion était justement l'instigateur principal. Mais ce dernier se déplaçait de plus en plus rarement… En fait il était un peu devenu le coordinateur à l'échelle de l'Europe de ce service, et Camus le soupçonnait même d'en être le principal dirigeant donc son supérieur direct, même s'il ne l'avait jamais fait valoir devant le français.
Pendant ce temps, Shaka, ayant fini sa toilette essayait de se retrouver dans l'immensité de l'appartement et de rejoindre son sauveur, car maintenant il pouvait l'appeler ainsi. Il en était sûr, il était bien trop coutumier des regards concupiscents et lubriques se posant sur lui, pour être sur de n'avoir rien décelé de tel dans les yeux saphirs du français. Il marchait doucement dans le noir, se guidant par la force de l'habitude aux murs qu'il suivait vers une lumière qu'il apercevait au bout de ce couloir qui lui paraissait interminable tant il se sentait fatigué. Mais la douce perspective d'un thé et d'un peu de nourriture le poussait en avant malgré lui. Depuis quand n'avait-il rien mangé ? Toute cette journée lui paraissait encore tellement cauchemardesque…
Camus était toujours plongées dans ses pensées quand un toussotement discret l'interrompit. Il se retourna, Shaka en peignoir était debout à la porte de la cuisine, le regard terrorisé de quelqu'un qui avait peur de gêner :
- Entres Shaka, j'ai préparé des sandwichs et du thé, lui dit-il en souriant.
Le blond s'avança timidement et s'assit sur la chaise la plus éloignée de lui, un peu incertain. Il ne savait pas trop comment se comporter face à cette gentillesse dont il n'était guère coutumier.
Camus déposa l'assiette qu'il avait préparée devant lui avant de lui servir une tasse de thé. Il ne fut guère étonné qu'il dévore quasiment l'ensemble des sandwiches, il semblait complètement affamé :
- Qui est cette charmante beauté ? dit soudainement une voix ensommeillée à la porte de la cuisine :
Shaka se retourna vivement et se leva tout aussi brusquement, renversant la chaise sur laquelle il était encore assis quelques instants plus tôt, et vint instinctivement se réfugier derrière son sauveur :
- Désolé de t'avoir réveillé Milo, dit Camus. Je te présente Shaka.
- Bonsoir Shaka, dit le nouveau venu en entrant dans la pièce et en se servant une tasse de café après avoir ramassé la chaise.
Ce dernier, qui restait prudemment à l'abri derrière celui qui l'avait ramené ici osa alors regarder l'autre homme, juste vêtu d'un caleçon et d'un tee-shirt qui semblait totalement indifférent à sa présence :
- Qui est-ce ? demandait-il.
- Il se faisait agresser sur le pont, je l'ai ramené ici, expliqua sommairement Camus.
- Tu as bien fait, les rues ne sont plus sures de nos jours, dit-il en s'approchant et en déposant un baiser sur la joue de son interlocuteur. Il a l'air sauvage, rajouta-t-il à voix basse.
- Effrayé me semble plus juste, dit Camus sur le même ton, avant d'ajouter normalement. Tu peux veiller sur lui ? Il faut que j'aille bosser.
- Pas de problème… On va faire connaissance, répondit Milo.
Mais au moment où Camus fit le geste de partir, il sentit une main l'agripper :
- Ne partez pas… dit Shaka d'une voix suppliante.
Le français posa sa main sur la sienne pour le rassurer. Il tremblait de nouveau, et fit signe à Milo de se reculer un peu avant de parler :
- Milo est mon ami et il est également policier tout comme moi. Tu n'as rien à craindre de lui Shaka, dit-il en jetant un coup d'œil à son collègue et ami qui venait de comprendre la situation précaire du jeune blond :
- Je ne t'approcherais pas si c'est ce que tu souhaites Shaka, tu veux autre chose à manger ? demanda Milo en fourrageant dans le frigo et en sortant un assortiment de desserts.
Camus sourit intérieurement. Milo était grec et faisait parti, tout comme lui, de ce fameux service européen, pompeusement nommé « Lutte Contre la Prostitution et l'Exploitation » et appelé plus communément dans leur jargon le Sanctuaire, en référence à ce qu'il espérait offrir à ceux qu'ils délivraient de l'exploitation sexuelle qu'ils subissaient souvent depuis leur enfance. Car si leurs travails à eux, policiers, constituaient à démanteler ces réseaux forts bien organisés, Shion avait également créé dans son pays un centre où l'on soignait aussi bien les blessures physiques que psychiques de ces êtres marqués à jamais par ces années de servitude afin de leur donner une nouvelle chance.
Aujourd'hui, plusieurs pays européen travaillaient en étroite collaboration et Milo était venu à Paris deux ans auparavant pour aider Camus à coincer un gros poisson. Ils s'étaient tout de suite bien entendu et le français lui avait tout naturellement proposé de demeurer chez lui le temps de sa mission. Le grec avait finit par élire domicile dans la capitale parisienne et n'avait jamais quitté l'appartement de Camus, devenu entre temps, son ami. Ce dernier lui faisait toute confiance pour s'occuper de Shaka pendant son absence. En plus Milo avait un don pour communiquer sa bonne humeur et se faire accepter. La preuve lui fut encore un fois apportée en sentant son jeune réfugié se détendre quelques peu.
Shaka sembla encore hésiter un instant et regarda avec une envie visible les douceurs que venait de sortir Milo. Il était si innocent que cela fit sourire Camus à la grande surprise de son ami qui décida d'apprivoiser un peu plus le jeune homme :
- Ca va aller Camus, vas-y si tu veux, dit-il.
- Je peux ? demanda ce dernier à Shaka qui retira sa main et s'approcha de la table.
Décidément, il ne comprenait rien à ces français, mais au moins il mangeait comme cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps.
Camus lui jeta un coup d'œil avant de sortir de la cuisine, faisant signe à Milo de le suivre :
- Je ne sais pas d'où il vient mais il a visiblement été choqué par quelque chose, expliqua-t-il.
- Il se serait enfui de quelque part ?
- Son corps est couvert de bleus…
- T'inquiètes, je ferai attention à ne pas l'effrayer inutilement et je surveillerai qu'il ne sauve pas.
- Merci Milo
- Tu me devras un gage en échange, dit le grec avant de retourner dans la cuisine, non sans avoir négligemment laisser traîner sa main sur les fesses de son collègue et ami.
Camus eut un petit sourire, voyant très à quel genre de gage il faisait allusion. Il revint vers Shaka qui dévorait consciencieusement une mousse au chocolat. Il se pencha à sa hauteur et capta les yeux bleus :
- J'y vais, lui dit-il en caressant tendrement sa joue. Reposes-toi en m'attendant.
Le blond hocha la tête et lui adressa son premier sourire. Eblouissant. Camus pensa un instant que n'importe qui pourrait se damner pour un tel sourire… Il fit rapidement demi-tour et ne vit pas Shaka porter doucement sa main à sa joue, semblant vouloir conserver encore un peu l'empreinte laissé par la caresse de son sauveur.
Milo sourit en le voyant faire ce geste à la fois si innocent et si révélateur au policier qu'il était. Shaka s'était déjà attaché à Camus. Peut-être que ce jeune homme pourrait faire un peu fondre la glace dont le français avait peu à peu entouré son cœur. Il soupira bruyamment, attirant l'attention de Shaka qui lui lança un regard effrayé et lâcha sa mousse au chocolat, prêt à fuir. Milo saisit aussitôt un cornet de glace et lui montra :
- Et ça ? Ca te fait envie Shaka ? proposa-t-il.
Le blond se détendit imperceptiblement et lui fit oui de la tête. Prudemment, le grec posa la glace devant lui s'en s'approcher davantage. La nuit risquait d'être longue, pensa Milo en souriant, mais je parviendrais à t'apprivoiser jeune sauvage !
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Hôpital Lariboisière
Camus se pressait dans les couloirs déserts de l'hôpital, se demandant ce que pouvait bien vouloir lui montrer Shion à une telle heure de la nuit.
Il arriva enfin à l'endroit que lui avait indiqué son collègue un plus tôt et ralentit son allure. Il se trouvait dans de ses services de réanimation d'urgence où chaque patient se trouvait dans une chambre séparé du couloir central par une vitre. Il frissonna en se revoyant quelques années plus tôt errant dans le même genre de service, dans l'attente insoutenable qu'engendrait l'incertitude de la vie ou de la mort de l'un de ses proches. Que faisait Shion ici ?
Il parcourut le couloir, jetant un œil dans chaque chambre à la recherche de son ami. Il stoppa devant une des ces vitres, observant un instant le patient occupant le lit près duquel se tenait son ami, sa longue chevelure vert pâle emprisonnée dans une de ces charlottes qu'on l'on était obligé d'enfiler pour venir voir ces patients qui semblaient déjà plus mort que vif, mais pour lesquels on gardait cet infime espoir de meilleur.
Shion, blouse d'hôpital sur le dos, tenait par la main le jeune homme qui reposait inconscient dans le lit blanc et dont la pâleur rivalisait avec l'espace de la chambre. Seul, ses cheveux mauves et les machines les reliant encore à la vie apportaient un semblant de couleur dans ce que Camus n'hésitait pas à appeler l'antichambre de la mort. Il frappa deux petits coups discrets à la vitre, suffisant pour attirer l'attention de son ami qui lui lança un sourire fatigué et reposa avec précaution la main du jeune homme, déposant même un baiser sur son front, avant de venir le rejoindre dans le couloir.
Il se débarrassa rapidement des accessoires nécessaires à la visite dans une poubelle prévue à cet effet dans le couloir et entraîna Camus dehors après une accolade chaleureuse pendant laquelle le français ne fut pas tout à fait certain de ne pas entendre un sanglot dans la gorge de son ami. Visiblement il était très ébranlé par ce qu'il ne comprenait pas encore mais devinait aisément, si comme il le supposait, le jeune homme en question était un proche du grec.
Dès qu'ils eurent atteints, en silence, la cour centrale de l'hôpital parisien, Shion se laissa tomber sur l'un des bancs et alluma fébrilement un énième cigarette :
- Tu n'avais pas arrêté ? lui demanda ironiquement Camus pour détendre un peu l'atmosphère pesante de cette rencontre.
Le grec sourit d'un air las sans répondre et leva enfin les yeux sur son ami, encore debout :
- Merci d'être venu Camus… Je ne savais plus vers qui me tourner, dit-il enfin.
- Et si tu me racontais toute l'histoire ? répondit le français en s'asseyant à ses côtés. Qui est ce garçon ?
- Il s'appelle Mu et il est mon demi-frère.
- J'ignorais même que tu en avais un ! s'étonna Camus.
- Il avait disparu depuis si longtemps… enlevé alors même qu'il n'était encore qu'un enfant…
La voix de Shion se brisa sur ces mots et il dut faire un énorme effort de volonté pour parvenir à se reprendre et continuer. Camus ne s'en étonna pas outre mesure. Tous ceux qui travaillaient dans ce service avaient une bonne raison d'être là et de continuer une lutte qui semblait pourtant perdue d'avance. Lui-même n'en avait-il pas une ? Il se contenta de poser une main apaisante sur le bras de son ami, l'encourageant par ce geste à se confier à lui tout en sachant qu'il risquait d'être profondément affecté lui aussi par son histoire…
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Appartement de Camus
Shaka s'était gavé. Trop, pour un estomac comme le sien qui avait tout juste de quoi ne pas mourir de faim ordinairement. Et très rapidement, ce dernier réagit comme tout bon estomac trop lourdement chargé d'un seul coup.
Milo le vit soudain devenir plus pâle qu'il ne l'était déjà et un haut de cœur lui confirma ce qu'il soupçonnait déjà :
- Tu manges trop ! dit-il un peu brusquement en se précipitant vers lui, inquiet et oubliant toute prudence.
Shaka se tassa sur lui-même, laissa tomber la glace qu'il n'avait pas encore finie, tétanisé par son cri et tentant tant bien que mal de calmer les horribles nausées qui venaient de le saisir. Le grec se maudit pour sa réaction d'instinct un peu trop vive et se força à se calmer. Au pire le jeune homme risquait de vomir sur la table. Rien de bien grave et pas de quoi s'affoler :
- Ce n'est rien, tu as juste trop mangé d'un seul coup Shaka, reprit-il plus doucement. Viens avec moi jusqu'à la salle de bain.
Mais le mal était fait et le grec se traita de tous les noms d'oiseaux qu'il connaissait alors que le jeune homme se levait et le suivait dans une attitude si soumise que ce fut au tour de Milo de sentir un haut le cœur, qui cette fois, n'avait rien à voir avec son estomac.
Il se contint de le prendre dans ses bras, de le rassurer. C'eut été bien inutile, il le savait pertinemment et cela risquait au contraire de produire l'effet contraire à ce qu'il voulait obtenir. Combien de fois avait-on voulu tromper par une telle mascarade le jeune homme et combien de fois avait-il du payé un prix encore plus élevé à un peu de réconfort ? Non, Milo connaissait fort bien la réponse et cherchait désespérément un moyen de le remettre en confiance. L'idée de génie qu'il attendait pour rattraper la situation lui traversa l'esprit en passant devant la chambre de Camus, situé juste à côté de celle qu'il avait attribué à son invité. La sienne étant un peu plus loin dans le long couloir. Et tant pis si le français, qu'il connaissait bien, risquait d'en être mécontent… quoique avec un peu de chance…
Shaka soupira intérieurement en le voyant ouvrir une porte et s'y engouffrer. Il se traita mentalement d'idiot pour avoir un moment espérer qu'il soit lui aussi comme son sauveur, mais le suivit, déjà prêt à subir la suite des événements. Et ce malgré le malaise grandissant qu'il ressentait à cet instant. Son esprit se mit alors en ce que son meilleur ami appelait le « mode veille ». En fait, c'était simplement un moyen de défense que l'indien avait développé instinctivement pour se protéger. Son esprit et se son corps semblait se désolidariser l'un de l'autre. Peut-être un reste de culture hindouisme de son pays qu'il avait pourtant depuis bien longtemps oublié. Toujours est-il que cela lui permettait de supporter tout ce que pouvait exiger de lui dans ces moments-là, et peut importe que cela soit frustrant pour son partenaire, la plupart du temps ce dernier s'en foutait royalement, tant qu'il était docile et obéissant.
Mais Milo le tira en arrière pour l'entraîner vers la salle de bain au lieu de le laisser s'allonger dans le lit, comme il s'apprêtait à le faire. Tiens, pensa brièvement le blond, un adepte des jeux d'eaux ? Toujours docilement, il le suivi, retint de nouveau une nausée. Où du moins le tenta-t-il. Mais le grec le saisissait déjà pour le pencher au-dessus des toilettes, pressentant la catastrophe qui ne manqua pas d'arriver quelques secondes plus tard.
Un quart d'heure plus tard, Shaka relevait la tête, confus et terrorisé vers un Milo tout sourire qui s'empressa de le guider à nouveau vers le lavabo pour qu'il se rince. Tout en le faisant, le blond regardait du coin de l'œil les mouvements du grec, occupé à faire fondre un cachet dans un verre d'eau. S'était-il trompé à son propos ? Voulait-il juste être prévenant ? Cela paraissait tellement improbable à l'indien qu'on s'inquiète pour lui… Il repensa à son sauveur… Camus, un nom qui lui réchauffa instantanément le cœur… il avait été si gentil ! Il lui avait dit qu'il pouvait avoir confiance en cet homme qui lui souriait toujours, mais il avait si peur de faire à nouveau une erreur :
- Je suis désolé, murmura-t-il si bas que Milo dut tendre l'oreille pour le comprendre.
- Ne le sois pas Shaka, j'aurais dû être un peu plus prudent et ne pas te laisser manger autant d'un coup. Tiens bois ça, rajouta-t-il en lui tendant le verre, ça calmera tes nausées.
L'indien s'exécuta docilement et voulut avancer d'un pas pour lui rendre le verre une fois vide, mais encore une fois son corps le trahi et il chancela, d'épuisement cette fois :
- Oh là… s'écria Milo en le rattrapant. Il est grand temps que tu dormes un peu Shaka…
Et il le guida encore jusqu'au lit, dans la chambre où ils n'étaient que passer en entrant. Imperceptiblement, le blond se tendit mais cette fois le grec avait l'argument imparable :
- Tu peux te reposer en paix ici, dit-il, c'est le lit de Camus…
Le lit de son sauveur ? Shaka s'y blottit volontiers, retrouvant avec délice le parfum viril de Camus dans son oreiller, où il enfouit sa tête blonde, un doux sourire aux lèvres, s'endormant instamment sous le regard attendri de Milo :
- Eh bien, murmura ce dernier pour lui-même, je me demande comment notre cœur de glace va réagir face à une telle ferveur…
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Cimetière du Père-Lachaise
L'aube se levait sur Paris. D'ici quelques heures le relatif calme de la nuit ne serait plus qu'un lointain souvenir.
Camus gara sa voiture sur l'esplanade encore déserte du plus grand cimetière parisien. Quelques minutes après, il marchait rapidement dans les allées encore vide, et pour cause, les grilles s'ouvriraient au public que dans quelques heures. Le gardien n'avait guère été surpris de le voir venir si tôt, c'était dans les habitudes du policier qui passait presque trois fois par semaine visiter une tombe, quand son travail le lui permettait. Toujours la même, amenant parfois des fleurs, mais pas cette fois. Il pouvait y venir quand il voulait, possédant une clé de la petite porte, réservée au personnel. Clé qu'il avait longuement négociée et finit par obtenir, après des mois de lutte acharnée. Finalement, un simple service rendu au gardien lors d'une intrusion nocturne, avait suffi à ce dernier pour lui accorder sa confiance. Chose qu'il ne regrattait en rien, le policier se montrait toujours d'une discrétion absolue. Et seul, les infimes traces de son passage sur la tombe en question, permettait de savoir qu'il l'avait visité récemment. Chose que l'on remarque à force d'entretenir ces allées…
Le gardien le salua d'un hochement de tête auquel le policier répondit avant de disparaître à sa vue. Il savait parfaitement bien où il se rendait mais n'arrivait toujours pas à savoir qui était le jeune garçon enterré là que Camus visitait avec tant de régularité. Mais ce n'était pas son problème, en gardien discret, il se contentait juste d'entretenir la tombe parfois délaissée par les absences du policier parti combattre le crime loin de Paris.
Comme chaque fois qu'il venait ici, Camus commença par balayer de la main, les feuilles mortes venues mourir sur la pierre tombale. Puis, il sortit un kleenex pour nettoyer l'unique photo de l'occupant de la tombe. Ce faisant, il lui parla, comme il faisait chaque fois, de sa vie quotidienne, de ses affaires en cours parfois, quand il était certain de ne commettre aucune indiscrétion. Cette fois bien entendu, il lui parla de ce que Shion venait de lui confier. A cette heure plus que matinale, personne n'était encore dans le cimetière et il ne risquait rien.
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Appartement de Camus
Milo bailla et alluma la télé, histoire de se tenir éveillé. Il choisit une chaîne d'information, débitant les faits divers sur le même ton monocorde que le dernier scandale politique ou la dernière conquête de la star à la mode. Une tasse de café à la main, il s'installa confortablement dans le fauteuil et regarda sans vraiment les voir tous ces reportages mais qui avait au moins le mérite de l'empêcher de finir sa nuit.
Une heure plus tard, alors que le jour commençait à entrer dans le salon, la somnolence l'avait gagnée et il n'entendit pas la porte qui s'ouvrait dans le couloir. Par contre, il sauta sur ses pieds dès que le cri retentit, couvrant largement le son de la télévision qui racontait qu'un jeune homme tibétain avait été trouvé quasiment mort, cette nuit à Paris, du côté de l'hôtel de ville.
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Camus sortait tout juste du cimetière quand son portable retentit :
- Allo !
- Camus… Vite ! Shaka est comme fou, il veut partir d'ici ! Je ne comprends rien à ce qu'il dit !
- Débrouilles-toi pour le retenir ! J'arrive !
L'instant d'après le français démarrait en trombe…
A suivre….
