It's All About Blood : Unseen Stories
Perséphone roula sur le côté et tendit le bras. Sa main ne rencontra que du matelas froid. La déesse ouvrit ses yeux bruns.
Le soleil entrait à flots par la grande baie vitrée, faisant étinceler le carrelage blanc du sol et conférant un lustre satiné à la peinture gris perle et blanc crème des murs ainsi qu'à l'acajou des mobiliers. Sur la table de nuit reposait une petite note soigneusement pliée. Perséphone s'assit en repoussant les couvertures et s'en empara.
Ma chérie,
Zeus m'a fait savoir qu'il ne voyait pas d'un bon œil mon retour sur Terre en dehors de l'horaire habituel. Je reviendrais le plus vite possible et j'espère que tu me pardonneras de t'avoir fait faux bond ce matin.
Ton époux qui t'aime jour et nuit.
La déesse sentit un sourire se former sur ses lèvres. En épousant le Dieu des Enfers, elle avait réellement gagné le grand prix de la vie. Combien de femmes pouvaient se vanter d'avoir un mari sérieux, riche et toujours aussi attentionné et amoureux qu'au premier jour ? Dans le cas d'Hadès, c'était d'autant plus notable étant donné qu'ils étaient mariés depuis plus de six mille ans.
Elle reposa le papier et se leva, exposant son corps nu à l'air frais de la journée. Elle ne portait jamais rien pour aller au lit. Enfin, sauf pour les occasions particulières… Tous les couples adoraient pimenter leur vie intime.
Alors ce matin, c'était quartier libre ? Un bain brûlant, ce serait une bonne façon de se réveiller. Suivi d'un petit déjeuner qui aurait fait cauchemarder un diététicien. Et après, peut-être qu'elle irait plancher sur la décoration de jardin commandée par ce gros humain suant… comment s'appelait-il déjà ?
Elle avait terminé de se savonner lorsque la femme de chambre humaine qu'elle avait engagée pénétra dans la salle de bains.
« Madame ? Un jeune homme s'est présenté à la porte et demande à vous parler ? »
Perséphone haussa un sourcil.
« Ah oui ? A-t'il dit qui il était ? »
« Il dit s'appeler Dennis et que c'est son père qui vous a présentée à Monsieur… »
Dionysos. Les sourcils de la jeune femme atteignirent presque la ligne de ses cheveux. Que venait-il faire ici ? Quand on connaissait sa répulsion notoire pour tout ce qui touchait à la famille, une telle conduite était pour le moins surprenante.
Elle se leva et sortit de la baignoire.
« Fais-le entrer dans le salon, veux-tu ? »
« Comme vous voudrez, Madame. »
Pensive, Perséphone jeta son peignoir sur ses épaules, nouant la ceinture à la va-vite, et retira de ses cheveux la pince-crocodile qu'elle avait utilisée pour les empêcher de tomber dans l'eau.
D'accord, elle était la seule de la famille que son neveu jugeait digne de son attention, mais pourquoi venir ? Quand ils se retrouvaient face-à-face, c'était par pure coïncidence. Non, il y avait anguille sous roche, et grosse.
D'un pas décidé, elle se rendit au salon. Dionysos se leva à son arrivée dans la pièce.
« Oh, pas tant de formalité » protesta-elle. « Je suis ta tante, je te le rappelle. »
« Et tu es aussi la maîtresse de maison » lui répliqua le jeune homme en lui saisissant délicatement la main pour l'effleurer de ses lèvres.
Perséphone sentit un sourire pointer sur son visage. Si le dieu de l'ivresse savait à quel point il ressemblait à son oncle, il en ferait sans aucun doute des convulsions de rage.
« Bon, ça suffit avec les flatteries » fit-elle jovialement.
« Mais tu les mérites » rétorqua son interlocuteur avec l'air de s'amuser comme un petit fou.
Elle lui asséna une calotte sur le côté de la tête.
« Assis » ordonna-t-elle en lui désignant le canapé qu'il avait quitté.
Elle se laissa tomber sur le sofa en face de lui et replia les jambes, juste au moment où la femme de chambre arrivait avec un plateau petit-déjeuner qu'elle posa sur la table basse avant de s'éclipser.
« Alors » fit Perséphone en se penchant pour s'emparer d'une biscotte, « je t'écoute. »
Dionysos posa les mains à plat sur ses cuisses.
« J'aurais besoin de ton aide pour retrouver quelque chose. »
La déesse le considéra platement.
« Quelque chose d'important ? »
« Très. »
« Quelque chose de précieux ? »
« Aussi. »
La jeune femme eut un sourire de requin qui voit un plongeur aveuglé par son masque lui foncer dessus.
« On dirait que ça progresse avec ta jolie Viking » commenta-elle nonchalamment.
Il sursauta et la regarda comme s'il venait de lui pousser deux têtes supplémentaires dans le plus pur style Cerbère.
« Cela n'a rien à voir » bafouilla-t-il dignement, une coloration rose se répandant sur ses joues d'humain.
« Tu es sûr ? » insista la déesse, pas décidée à lâcher un morceau si prometteur.
« Je cherche le Colt » dévoila brusquement le jeune homme. « Est-ce que tu peux m'aider, oui ou non ? »
Perséphone se renversa en arrière.
« Là, tu me surprends » murmura-t-elle. « Pourquoi tu t'intéresses à cette chose ? »
Inutile d'exiger des précisions : toutes les créatures surnaturelles connaissaient la légende du Colt – l'arme ultime créée par Samuel Colt. L'arme capable de tuer tout et n'importe quoi, tant qu'il y avait un corps tangible sur lequel tirer. L'arme que tout le monde croyait perdue, jusqu'à sa réapparition puis sa seconde disparition.
« J'imagine que ça ne te plaît pas trop d'avoir été obligée de quitter les Asphodèles ? » glissa Dionysos.
Le visage de la déesse se ferma.
« En effet » reconnut-elle d'une voix soigneusement inexpressive.
« Et que dirais-tu de voir le responsable de cet état des choses… recevoir ce qu'il mérite ? »
Perséphone n'était pas stupide.
« Grâce au Colt ? »
« Grâce au Colt » confirma son interlocuteur.
Elle émit un sifflement surpris.
« Nous parlons d'un Archange déchu, je te le rappelle. Au moins aussi puissant que les Trois Grands. »
Il haussa les épaules.
« Tant qu'on n'essaie pas, on ne saura pas si ça marche » déclara-t-il.
Perséphone croqua dans sa biscotte.
« Et pour essayer… il faut le Colt. »
« C'est ça. »
Elle sourit.
« On a un accord. »
