La folie se mange en salade.
Une coccinelle qui court entre les doigts. Une main dans les cheveux. Des particules de poussières dans un rayon de soleil. Une porte, bleue, avec la poignée qui grince. Une bicyclette biscornue. Un morceau de bois qui fait des étincelles. Quelques poils sur le menton.
Elle le répète, inlassablement, cette voix qu'elle ne comprend pas.
La voix panique, parfois oublie, parfois pleure, la voix ne rit jamais.
Elle, ne comprend pas. Elle se pose des questions, des questions que l'instinct formule mais que sa langue trop lourde n'écrira jamais dans le monde des sons.
Souvent des "Qui est-ce ?". Cette odeur qu'elle connait mais qui n'a pas de nom.
La voix cherche les noms, souvent elle s'exerce.
"A. La coccinelle. La porte. A... A quoi ?"
A vrai dire, elle n'écoute pas la voix, ou plutôt elle ne l'entend pas, elle ne l'entend plus.
Au début elle s'y raccrochait, quelque chose lui disait qu'elle le devait.
"Au début de quoi ?"
Il n'y a plus de temps.
Un énorme nuage. Des poils de chat sur le canapé. Un arbre qui bouge. Une main dans les cheveux. Des pleurs d'enfant. Un ruban jaune. Du vent. Une bicyclette biscornue. Un animagus.
Animagus. Animagus. Drôle de mot.
Parfois elle rit, car la voix lui renvoie de drôles d'échos. Elle rit et elle oublie pourquoi elle rit. Alors elle ne rit plus.
Souvent elle ne comprend pas.
Immobile au centre, entourée de mouvements.
Parfois il y a quelqu'un qui s'assoit devant elle et presse sa main. Elle regarde la main. Puis oublie que c'est sa main.
Parfois elle l'écoute mais ne comprend pas. Les mots se battent entre eux et ne sont plus que des lettres qui chahutent.
A chaque fois elle se retrouve seule.
Une fois elle s'est souvenue, elle a oublié depuis. Mais cette fois-là un morceau d'elle lui a rendu visite. Un morceau douloureux.
Elle aurait été heureuse de l'oublier si elle avait su être heureuse.
Quelques poils sur le menton. Un pull qui gratte. Un morceau de bois biscornu. Un nuage qui bouge. Un arbre énorme. Une bicyclette qui fait des étincelles. Une porte, bleu. Ou rouge. Une main dans les cheveux. Un A. Un A tout seul. Un A qui meurt.
Lorsqu'elle dort la voix continue. La voix ne dort jamais. La voix est malheureuse.
La voix la réveille dans la nuit mais à côté d'elle il y a le lit.
Et dans le lit il y a l'autre.
Celui qui rit et qui crie. Celui qui crie et qui pleure.
Parfois elle le connaît. Parfois elle a peur, parce qu'il crie et il pleure. Puis elle oublie qu'il crie et l'autre redevient son ami.
Cette fois là la voix hurlait dans sa tête. Alors elle s'est mise à hurler aussi.
La voix était trop forte mais la voix semblait heureuse.
"Je m'appelle Alice ! Je m'appelle Alice !"
Elle avait peur. La voix ne crie jamais. L'autre crie. Mais pas la voix.
"Je m'appelle Alice !"
Sa langue est lourde mais son cri est puissant. Son cri transperce tout.
"Je m'appelle Alice !"
La voix se calme. Ils sont là. Ceux qui soignent.
"Je m'appelle Alice…"
Ils font de grands gestes avec leurs bouts de bois.
"Je… Je… Alice…"
Ils parlent, elle ne les entend pas. Un combat de consonnes.
"Je… Ali...ce"
Les voix de ceux qui soignent deviennent plus fortes.
"Ali…"
Elles écrasent tout le reste.
"Al…"
Et elle s'endort peu à peu, les doigts crispés sur les draps.
"A…"
"Ce n'était qu'un cauchemar Madame Londubat."
