Je ne vois plus rien
Je ne vois plus rien, Maman.
Mes yeux brouillés de larmes enfouis dans ma couette, mes cheveux trempés la mouillant plus encore.
Dis-leur, Maman. Dis-leur que je n'en peux plus. Que mon cœur explose d'avoir trop souffert pour finalement n'avoir rien connu.
Chaque petit désagrément de ma vie me démange, et me bouffe. A présent, il ne reste plus rien de moi, Maman.
J'y suis allée, comme chaque semaine. Toujours la même impression de ne rien faire, de ne servir à rien, que le monde se porterait mieux sans moi. Au fond, qui me regrettera vraiment, Maman ?
Ils pensent tous la même chose, les gens. Qu'ils sont tous le centre de l'univers, et fatalement, que tout tourne autour d'eux et de leur monde simple trop propre. Je ne veux pas tourner autour d'eux. Je les hais, Maman.
Je me redresse. J'ai envie de cracher, de vomir toute cette haine et cette douleur cachées depuis trop longtemps. Le parquet ciré me donne le tournis. Je ne reconnais plus rien autour de moi. Aide-moi, Maman.
Je me lève. La vitre sale me renvoie un reflet déprimant. Des traits tirés, des cernes, une bouche rouge d'avoir trop cracher de sang, des yeux bouffis d'avoir trop pleuré en trop peu de temps. Un visage défiguré par le vide. Le néant qui hante mon existence, Maman.
Mon poing frappe violemment la vitre qui ne fait que me mettre une part de vérité sous les yeux. Elle se brise, les morceaux de verre rentrent sous ma peau, éclatent sur mon visage. Ma main se trouve à présent au-dehors, sous la pluie, qui lave partiellement le sang abondant de mes doigts. Ca fait mal, Maman.
Pendant tout le temps que je marchais, elle m'a trempée, cette pluie. Ces gouttes glacées qui lacéraient et transperçaient mon âme déjà agonisante. Je courrais, pour rentrer à l'endroit que je dois appeler « chez moi ». Cet endroit qui a tellement changé. Elle m'a achevée, cette pluie, Maman.
J'utilise ma main encore valide pour ouvrir entièrement la fenêtre. Mes larmes continuent de se mêler à la pluie. J'observe la rue, les rares voitures, l'horizon pollué. La ville fait du bruit. Elle est toujours en mouvement. Elle continuera. C'est moche, Maman.
Le vent s'est levé. Les gouttes fouettent mon visage, mon crayon coule tout le long de mes joues. J'enlève mon sweat, et monte sur le rebord de la fenêtre. C'est haut, Maman.
Dis-leur, Maman. Je passe une après l'autres mes jambes de l'autre côté de la barrière de sécurité de la fenêtre. Dis-leur, Maman. Personne n'est là, personne ne me voie ; je jette un regard sur cette ville : la dernière vision de ma cité sera aussi désespérée que mon pauvre cœur torturé. Dis-leur, Maman.
Tu m'as quittée sans prévenir. C'est devenu trop dur. Dis-leur que je n'en peux plus. Maman, dis-leur que je te rejoins.
