« Non ! Non ! C'est nul ! Pourquoi je m'acharne là-dessus ? »
Le jeune apprenti jeta violemment ses outils de l'autre côté de la pièce et attrapa le joyau entre son pouce et son index. « Tu n'es pas digne. »
Il reposa le joyau sur une enclume et ramassa un marteau. Alors qu'il s'apprêtait à détruire son œuvre, son maître, Mahtan, lui attrapa le bras.
« Arrête ta folie, Fëanor ! Ce joyau est parfait. Bien plus beau que les plus belles de mes œuvres. »
Fëanor tourna la tête vers son maître forgeron.
« Ça ? Cet objet impur ? Laissez-moi rire. Il ne vaut même pas la peine que l'on perde du temps dessus. »
Mahtan, mesurant la détermination de son apprenti, lui lâcha le bras et le vit détruire ce qui était à ses yeux la plus belle chose que les premiers-nés avaient jamais créée.
« Que cherches-tu à faire, Fëanor ? »
« Mais la seule chose qu'il y a à faire, mon cher maître. L'unique raison pour laquelle je suis né : la beauté. »
Fëanor était épuisé, cela se voyait. Il avait des cernes bleuâtres sous les yeux et ne se tenait plus droit depuis bien longtemps.
« Tu sais que ce que tu viens de détruire était d'une beauté inimaginable, j'espère. »
« Non, je vous parle de la beauté ultime. La seule qui vaille la peine de travailler, de vivre. »
Fëanor désigna quelques joyaux sur l'établi.
« Ces pierres que vous appelez votre œuvre, sauf le respect que je vous dois, ce ne sont que des fraudes, indignes des Valar qui vous ont donné votre talent. »
Mahtan ne répondit pas. Son cœur était partagé entre la déception et une admiration grandissante pour son apprenti. Ce soir, il en était convaincu : Fëanor aurait une destinée exceptionnelle. Ce jeune elfe avait un tel objectif et une telle détermination pour y parvenir, qu'il ne pourrait avoir qu'une place de choix dans l'histoire. Mahtan n'était cependant pas aveugle. Cette détermination était à double tranchant. Bien entendu, elle permettrait à Fëanor de réussir tout ce qu'il entreprendrait. Mais elle pourrait également l'empêcher de faire preuve de discernement et causer sa perte.
Mahtan alla se reposer dans la pièce d'à côté, laissant son apprenti travailler.
Ce ne fut pas un bruit, mais le silence qui réveilla Mathan. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il se rendit compte qu'il n'y avait plus un son qui provenait de la forge. Il tourna la tête et vit sa fille Nerdanel qui brodait près de la fenêtre. Elle le regarda et lui sourit sans rien lui dire. Mais son attention se porta sur autre chose : Fëanor sortait de la forge. Alors qu'il s'asseyait sur une chaise, à bout de forces et couvert de sueur, Nerdanel posa son ouvrage et s'approcha de lui. Ce fut la première fois que Mahtan se rendit compte de l'affection que sa fille portait à Fëanor. Et si c'était elle, et non lui-même, qui permettrait au fils de Finwë de ne pas se perdre dans sa propre ambition.
Fëanor s'était endormi d'épuisement. Nerdanel était près de lui, silencieuse. Elle lui caressa la joue et l'embrassa. Mahtan, lui, sourit et se rendormit.
