- Sommet, Mathieu ! lança une voix claire.
Un garçon de même pas 18 ans, aux yeux bleus et aux cheveux châtains, se leva de son siège.
Une femme blonde, âgée d'une quarantaine d'années, plutôt petite (à vrai dire, elle faisait la même taille que Mathieu, qui lui-même culminait à peine à 1m60) et mince, se tenait dans l'encadrement de la porte. Elle semblait pressée, aussi Mathieu songea qu'il n'avait pas intérêt à traîner. Il quitta cette salle d'attente miteuse pour la suivre dans un bureau tout aussi miteux, qui empestait la clope et le café. Le papier peint était décrépi, la moquette était arrachée, et le traditionnel divan était littéralement défoncé.
La femme alla s'asseoir derrière son bureau en bois effrité et, appuyant ses doigts sur son menton, scruta Mathieu avec une intensité dérangeante.
Gêné, le garçon se tortilla sur lui-même. Il était resté planté au beau milieu de la pièce, ne sachant que faire.
- Assieds-toi, je t'en prie. lança-t-elle en désignant les deux chaises (dépareillées) qui faisaient face au bureau.
Mathieu s'exécuta. Il put ainsi admirer de plus près le joyeux bordel de dossiers, feuilles volantes et paquets de clopes vides, qui s'entassaient sur le bureau. Il y avait aussi une plaque dorée, où était inscrit « C. Clément, psychologue ». Une chose était sûre, cette pétasse se prenait pas pour de la merde.
- Tu sais pourquoi tu es ici ? l'interrogea-t-elle, toujours en le scrutant de son regard perçant de vautour.
- Ouais.
- Tu comptes me parler, ou rester assis là, à me regarder dans le blanc des yeux pendant une heure ?
- Je sais pas quoi dire.
Mathieu n'était pas du genre bavard, encore moins avec quelqu'un qu'il ne connaissait pas.
Mme Clément enchaîna :
- Ce sont tes parents qui payent, tu crois qu'ils accepteraient de raquer 50 euros de l'heure pour que je fasse du baby-sitting ?
- Je vous l'ai dit, je ne sais pas quoi dire. Et mes parents vous ont sûrement déjà tout raconté.
- Je ne peux pas tout savoir de toi uniquement d'après ce que disent tes parents. Ils pensent que tu es schizophrène, mais je suppose qu'ils veulent dire que tu as un trouble de la personnalité multiple.
La bouche de Mathieu était devenue sèche. Il souffla :
- Y'a des fois où, apparemment, je me comporte comme un gamin, au sens propre du terme, et d'autres fois où je peux être un salaud de première et.. Pardon ! s'écria-t-il en se rendant compte du mot qu'il venait d'employer. Et je me souviens pas de tout ça. C'est pas MOI, ça ne peut pas être moi. Mais des fois, ils me parlent. Je les entends, ils me parlent, et je ne veux pas les écouter. Ces voix dans ma tête...
Mathieu peinait à trouver ses mots. Sa respiration s'était accélérée.
- Qu'est-ce qui t'as poussé à me consulter ?
- L'autre fois, je gardais ma petite nièce, la fille de ma grande sœur et...
Sa voix s'enroua. Il souffla un petit :
- Vous le savez déjà...
Imperturbable, Mme Clément continua :
- Tu sais, dans un cas de force majeure comme ça, un internement est très souvent nécessaire.
Elle continuait son blabla, ne semblant pas tenir compte de son jeune patient, qui avait maintenant la tête baissée et était secoué de sanglots.
- J'ai peur. souffla-t-il. Pourquoi je suis comme ça ? Pourquoi MOI ?
Tout en continuant de griffonner sur son petit bloc-notes, elle lui répondit :
- C'est ce qu'on va essayer de comprendre. Mais tu dois y mettre du tien. Si tu ne parles pas, ça n'avancera pas.
Résigné, Mathieu releva la tête, s'essuya les yeux et demanda :
- Je suis obligé d'aller m'allonger sur le divan ?
- Non. Tu peux aller où tu veux dans mon bureau, tant que tu t'y sens bien. Tu peux rester sur cette chaise, aller sur le divan, faire les cent pas, t'asseoir par terre...
- Je vais rester ici.
À la fin de la séance, le verdict était tombé : Mathieu irait à la clinique du Plein Soleil (un bien joli nom pour un hôpital psychiatrique), pour une durée encore indéterminée.
