À Ikebukuro, un distributeur vola dans les airs avant d'atterrir violemment sur le sol, non loin d'un jeune homme à la chevelure aussi noire que le plumage d'un corbeau. Il l'aurait d'ailleurs sans doute écrasé si celui-ci n'avait pas fait un pas sur le côté. N'importe qui se serait enfui à toutes jambes s'il lui était arrivé un événement semblable, mais pas lui. En effet, on vit même apparaître un sourire sur le visage de l'homme, qui, malgré la sobriété de sa tenue, le différenciait de toutes les autres personnes que l'on pouvait croiser dans cette ville. Il était tout de noir vêtu et portait un manteau de la même couleur, avec de la fourrure beige au bas, sur le tour de capuche et au bout des bras. La façon dont il souriait, ce n'était pas le genre de sourire comme on avait l'habitude d'en voir tout les jours quand on faisait rire quelqu'un. Non. Plutôt que bienveillant et synonyme de joie, celui-ci était purement mauvais et moqueur. Ce n'était pas quelqu'un de foncièrement méchant pour autant. Cet homme s'ennuyait juste et pour se divertir, se plaisait à mettre les gens de cette ville dans des situations invraisemblables uniquement pour le plaisir de pouvoir observer leurs réactions. Il s'était, pendant un certain temps, fait passer pour quelqu'un voulant en finir avec la vie sur un blog afin de rencontrer des personnes suicidaires pour comprendre ce qui pouvait pousser les humains à vouloir mourir. Mais maintenant, cela l'ennuyait. Il préférait de loin son petit Shizu-chan, comme il se plaisait à l'appeler. C'était l'une des seules personnes qui restaient pour lui un mystère. Il lui était strictement impossible de prédire ses mouvements futurs, ce qui le rendait d'autant plus dangereux pour lui que les autres humains. Et c'est ce qui le fascinait et l'énervait le plus chez cet homme, continuellement habillé d'une tenue de barman bien qu'il n'exerça plus ce métier depuis voilà bien des mois.

La personne ayant projeté le distributeur s'avança enfin dans la rue, criant le nom du plus jeune avec hargne en articulant bien chaque syllabe de son prénom.

-IIIII-ZAAAAAAA-YAAAAAAA ! Ne t'avais-je pas dit de ne JAMAIS revenir à Ikebukuro ?

Le petit brun fit glisser le couteau à cran d'arrêt de sa manche et pointa l'homme à la tenue de barman avec. Le sourire malsain sur son visage s'élargit.

-Shizu-chan ! Quelle surprise de te voir ! Que me vaut cet honneur ?

Ses propos étaient plein d'ironie. On ne lisait dans ses yeux aucun étonnement, simplement une passion ardente. Il prenait plaisir dans ces affrontements presque quotidiens. Depuis qu'il avait emménagé tout en haut de sa tout d'ivoire, à Shinjuku, il croisait moins souvent le grand blond, qui, lui, ne quittait jamais son cher quartier d'Ikebukuro. Or, dans son appartement luxueux, malgré ses nombreuses petites affaires, Izaya s'ennuyait. Cela peut paraître invraisemblable vu les nombreuses manigances dans lesquelles il était impliqué et pourtant... Il s'ennuyait bel et bien. Surtout en ces temps calmes. La seule occupation qu'il trouvait actuellement n'était qu'un simple chat avec des personnes anonymes sur internet et la collecte d'informations dans la rue.

-Parce que tu ne le sais pas peut-être ? Dégage de mon quartier !

Au plus grand étonnement des passants étant aux alentours, on voyait vraiment une veine palpiter sur la tempe du blond à cause de l'énervement que lui procurait son interlocuteur.

-Tu es si cruel Shizu-chan. Tu m'en veux encore pour la fois où je t'ai fait virer de ton travail ?

Le plus petit jouait la comédie. Il fit une moue boudeuse, comme s'il en voulait au barman d'agir comme cela à son encontre. Il s'amusait beaucoup de cette situation et attendait avec impatience le moment où son cher Shizu-chan le prendrait en chasse.

-Non, c'est du passé et ARRÊTE DE M'APPELER AVEC CE SURNOM STUPIDE !

Shizuo était loin d'être stupide et malgré sa simplicité d'esprit, il connaissait l'autre par cœur. Pour lui, voir à travers les paroles d'Izaya était d'une simplicité enfantine. Il s'étaient rencontrés au début de la première année de lycée de par leur ami commun, Shinra. Mais leurs rapports avaient été quelques peu houleux durant cette période. Le plus petit n'avait cessé de lui causer des problèmes durant ces trois années. Et à cause de cela, le seul ami qu'il gardait de cette période était Shinra.

-Bon, ce n'est pas tout mais moi, j'ai des choses à faire aujourd'hui !

Izaya fit demi-tour et commença à s'éloigner de la personne qui le détestait probablement le plus au monde en lui faisant un petit signe de la main, un sourire mesquin sur les lèvres.

-Crois pas que tu vas pouvoir t'en tirer comme ça la vermine !

L'homme en habits de barman se lança à sa poursuite. Et ils commencèrent à courir dans les rues. Le premier, lançant des panneaux de signalisation et l'autre, les esquivant en ripostant à coups de couteau. Contrairement à ce qu'il laissait paraître, Izaya appréciait beaucoup ces affrontements dans la ville. Mais ce n'était pas par goût du danger ou pour attirer l'attention sur lui qu'il faisait cela. Il n'était pas si prétentieux. Ses raisons étaient bien plus simples, c'était nécessaire pour lui, pour qu'il puisse garder son perpétuel sourire sur son visage, qu'il soit sincère ou ironique, bienveillant ou mauvais, c'était nécessaire pour son bonheur. Si il faisait tout cela, c'était tout simplement car, dans ces moments là, Shizuo et lui étaient ensemble, presque comme isolés dans leur propre monde et le brun était alors la seule personne qui importait aux yeux du blond. La seule qu'il regardait... L'unique personne qu'il avait en tête. Il savait que si Shizuo l'attrapait, s'en serait fini de lui. Et pourtant, il ne pouvait empêcher une petite partie de lui, au plus profond de son cœur, de le vouloir. De vouloir qu'un jour il le rattrape enfin, qu'enfin, ils se retrouvent en face à face sans qu'il ne puisse fuir. Car il n'avait fait que cela depuis qu'ils se connaissaient, fuir, toujours fuir. À chaque fois qu'ils se croisaient. Il avait de nombreuses fois agi de façon à énerver Shizuo, pour attirer son attention. Cela avait marché au delà de ses espérances. Mais dès qu'ils se retrouvaient tous les deux. Izaya se défilait et s'en allait.

Shizuo ne savait pas vraiment pourquoi il le poursuivait dans toute la ville jusqu'à ce qu'il disparaisse enfin de son champ de vision. Sa seule certitude, c'était qu'il le haïssait au plus haut point. Toujours à lui chercher des ennuis. La dernière fois, elle lui avait même mis sur le dos les problèmes qu'il avait causé. Cette fois là, il avait même failli aller en prison et avait perdu son travail de l'époque, barman. Il lui en avait voulu pour cela. Tout comme il lui en avait voulu pour tous les problèmes qu'il lui avait causé au lycée. Mais c'était du passé, cela faisait bien longtemps qu'il n'en avait plus rien à faire. Et il ne comprenait pas. Pourquoi à chaque fois qu'il voyait cette vermine avec son sourire ironique et mauvais sur le visage, une grande rage le prenait et il le poursuivait jusqu'à n'en plus pouvoir ? Pourquoi... Pourquoi il le détestait tant alors que tout ce que cette vermine lui avait causé comme problèmes, il s'en moquait. Il n'aimait pas réfléchir à des questions trop compliquées, c'était ennuyant et ça n'apportait rien, alors il les mettait dans un coin de son esprit, les oubliait et continuait son éternelle guerre avec cet homme aux cheveux noirs de jais.

Cette fois-ci n'avait pas fait exception aux autres et le petit brun avait fini par semer l'ex-barman au bout de quelques heures. Il s'était alors réfugié sur le toit désert d'un immeuble et s'était alongé, à bout de souffle. Il avait beau être le seul, avec Simon, à pouvoir tenir tête à Shizuo, cela n'en restait pas moins éprouvant pour lui. Et il se retrouvait épuisé, autant mentalement que physiquement. Non seulement il n'en pouvait plus et chaque respiration lui coûtait, mais en plus il se retrouvait seul. Encore et toujours seul... Il était plutôt indépendant donc il avait l'habitude de la solitude. Mais petit à petit, elle avait commencé à le ronger et devenait de plus en plus pénible à porter pour ses frêles épaules. Personne ne connaissait cet aspect là de sa personnalité. Et peu auraient pu s'en inquiéter. Il n'était pas vraiment apprécié par ici. Il se servait constamment des autres, à leurs dépends la plupart du temps, et de cela en résultait généralement une haine féroce à son encontre. De l'extérieur, il paraissait fort et imperturbable. Il répliquait à chaque attaque sans faillir et effectuait chacune de ses manigances sans aucun accroc, il n'avait jamais commis une seule erreur. Mais à l'intérieur, il était en morceaux. Il avait vécu de nombreux traumatismes durant son enfance, en résultant son caractère si spécial. Il avait souffert, beaucoup souffert et cela avait causé de nombreuses fissures en lui. Très bien cachées mais tout de même là.

Et il était là, allongé, regardant le soleil décliner à l'horizon. Loin des bruits de la ville et de ses habitants, loin de tout, dans le silence. Une fois la nuit tombée, il se releva enfin et reprit le chemin de son appartement. Il était à Shinjuku, et ne fut rentré chez lui que trente minutes plus tard. Les rues s'étaient vidées petit à petit et les lumières de ville illuminaient maintenant trottoirs et routes. Il entra dans la Hall de l'immeuble et appuya sur le bouton de l'ascenseur. Il s'appuya sur l'une des paroi de cette cage de métal, ça avait été une journée épuisante. Mais, une fois arrivé devant la porte de son appartement, une surprise l'attendais. En effet, celle-ci avait été défoncée et gisait sur le pallier. Dans son salon, sa petite table basse était brisée en deux, son plateau de jeu renversé au sol au milieu de ses pions de go, d'échec et de Shogi. Et assis sur son canapé, quelqu'un l'attendais depuis maintenant de bien longues heures.