Au départ, je ne l'ai suivi qu'à cause d'un ridicule concours de circonstances. On allait dans la même direction et il pouvait m'être utile. Sa compagnie n'était particulièrement plaisante mais je suppose que je n'avais tellement d'autres choix à ce moment-là. Il parle tout le temps, n'est jamais sérieux et à la première occasion, il se laisse aller à la débauche, que ce soit l'alcool ou les femmes, et il ne peut pas s'empêcher de se moquer de moi à chaque escale pour mon manque de participation à ses beuveries.

Malgré cela, j'ai appris à lui trouver des qualités. Il est débrouillard et même si ses méthodes sont souvent douteuses, il obtient toujours les résultats voulus. En plus, je ne peux que respecter son incroyable talent pour la visée, ce qui, dans notre profession, est un atout indéniable.

J'avoue, la première fois quand je l'ai vu avec un fusil entre les mains, j'ai redouté le pire. Et pourtant, quand j'ai réalisé de quoi il était capable, j'ai révisé mon jugement. Kalinin me l'avait dit mais je dois reconnaitre que je n'y croyais pas. Un homme comme lui, sans aucun sérieux ni aucune retenue ne pouvait pas savoir manier une arme. J'avais tort. Et même si ça me coûte de l'admettre, Kurz est bien le meilleur tireur de l'ouest et probablement de tout le pays. J'ai passé assez de temps à explorer ce continent pour reconnaître un vrai professionnel de la gâchette et aussi curieux que cela puisse paraître, Kurz Weber en est un. Et le plus surprenant encore, c'est qu'il ne se contente pas d'être un vulgaire chasseur de primes sans conscience. Depuis que je le connais, je l'ai toujours vu mettre son talent à profit pour des causes justes et il évite au maximum les morts inutiles.

C'est d'ailleurs cette raison qui m'a poussé à accepter de travailler avec lui pendant si longtemps. Nous n'avons pas vraiment d'objectif commun,mais nous partageons un peu la même vision du monde et de notre profession. Ça crée une certaine relation de confiance. Ainsi quand Gauron est réapparu, il s'est retrouvé mis sur l'affaire et sans se douter de mes motivations, il m'a proposé de l'accompagner, comme il le faisait à chaque fois.

Je ne lui ai jamais parlé de mon passé et il n'a jamais demandé, donc il ne pouvait deviner qu'avec son accord ou non, je serais tout de même parti sur les traces de ce criminel. Pour Kurz, la prime sur la tête de Gauron est suffisante pour que j'accepte de collaborer avec un idéaliste comme lui sans discuter. Alors que même sans récompense, ce tueur est à moi. J'aurai sa peau, quoi qu'il en coûte. Bien sûr, Kurz ne sait pas ce qui me motive, tout ce qu'il voit, c'est que je suis prêt à le suivre et que pour une fois, il n'y a besoin de me forcer la main pour que je reste au même endroit pour une durée indéterminée. Puisqu'il est dans les parages, je n'ai plus de raison de bouger. Du moins pas tant que je ne l'aurai pas éliminé.

J'ai eu de la chance, finalement de l'avoir suivi. Sans lui, je ne saurai probablement pas encore où je devais chercher. Une amie de Kurz a envoyé un télégramme il y a deux semaines pour parler des problèmes qu'elle rencontrait et la description qu'elle donnait était une preuve suffisante pour moi. Du Gauron tout craché.

Cette femme est une des rares à avoir pu lui échapper, mais de ce qu'en dit Kurz, elle est débrouillarde. J'avoue que ça m'intrigue et je ne suis pas mécontent de pouvoir la rencontrer. En plus, il paraît qu'elle n'est pas la seule dans son genre, du coup, l'aventure sera peut-être plus intéressante que prévu et le poste de shérif adjoint auquel Kurz m'a promu ne sera peut-être pas si pénible que dans les villes précédentes.

-oOo-

Située à près de deux cents kilomètres au nord de la frontière, Dana Town était une de ces petites villes insipides où rien ne bougeait passé midi. La chaleur y était bien trop étouffante pour permettre à quiconque de s'agiter et encore moins de travailler. Pourtant, quand les deux cavaliers accrochèrent leur monture le long d'une barrière avant de grimper les trois marches menant à l'entrée de l'auberge, ils découvrirent que le restaurant était en plein ébullition. Kurz, le plus grand, repoussa son chapeau en passant la porte, révélant des cheveux blonds lui tombant sur la nuque et de grands yeux bleus espiègles. Son compagnon, Sosuke, était plus sombre, aussi bien dans son physique que dans son attitude. Il restait invariablement dans l'ombre de son acolyte et gardait une posture défensive, alors même qu'ils se présentaient ensemble à la réception.

Compte tenu de l'activité qu'ils entendaient un peu plus loin, ils pensaient trouver quelqu'un derrière le comptoir, malheureusement, le hall était désert et avant de pouvoir formuler un mot ou simplement de comprendre ce qui leur arrivait, ils furent interpellés violemment par une grande brune en tablier qui passa à toute allure.

« Trainez pas dans le chemin, merci. Vous voyez pas que vous gêner ! »

Kurz s'esquiva immédiatement mais Sosuke ne fut pas assez rapide et il se prit de plein fouet le plateau que portait une petite serveuse, reversant la pile d'assiettes au passage.

« Mais c'est vrai, gronda la brune en se précipitant vers lui. »

Elle le dévisagea froidement et comme il ne bougeait pas, elle lui prit le bras et ordonna simplement :

« Ça va pas se ramasser tout seul ! »

Puis elle se tourna vers la serveuse, une blonde au visage enfantin, et vérifia qu'elle ne s'était pas blessé avant de repartir dans un tourbillon de jupon vers la porte battante au fond du restaurant.

Le cavalier resta interdit et malgré lui, commença à empiler les morceaux de vaisselle brisée avec l'aide de la serveuse qui s'excusa de l'avoir bousculé mais également du comportement de sa patronne.

« On doit recevoir du beau monde ce soir, alors Kana est un peu sur les nerfs. Faut pas lui en vouloir, m'sieur. »

Puis elle lui offrit un sourire poli avant de l'interroger sur les raisons de sa présence, ainsi que celle de son ami, dans une petite ville comme Dana Town. Étonné par la curiosité évidente de cette jeune fille, il chercha comment lui répondre sans trop se dévoiler mais son acolyte intervint et avec son plus beau sourire charmeur, demanda à la serveuse s'il était possible de loger à l'auberge pour quelques jours. Il se mit ensuite à faire les présentations, se désignant sous le nom de Kurz Weber et mentionnant son camarade, Sosuke Sagara, il s'excusa pour la gêne qu'ils avaient occasionnée avant d'expliquer leur situation.

Kurz omit bien évidemment le plus important, se contentant des banalités d'usage sur leur arrivée récente mais il réussit à mettre la serveuse en confiance et elle oublia un instant ce qu'elle faisait face aux yeux bleus de ce bel étranger.

« Si toutes les filles de cette ville sont aussi mignonnes que vous, je pense qu'on va se plaire ici, déclara-t-il en lui prenant la main. »

Puis il se tourna vers son collègue et ajouta : « T'es pas d'accord, Sosuke ? »

L'intéressé garda le silence, comme s'il n'était pas concerné et il déposa sa pile de vaisselle au milieu du plateau avant de se redresser et de chercher du regard le patron afin d'obtenir une chambre. Il ne vit pas la jeune fille rougir pas plus qu'il ne prêta attention à son prénom quand elle se mit à discuter un peu plus avec Kurz.

Sosuke parcourut le hall du regard, détaillant attentivement chaque recoin sans trouver trace d'un quelconque responsable, ce qui ne fut pas pour lui plaire. Il n'écoutait pas le verbiage de son collègue, qui comme toujours, tentait de séduire celle qu'il avait devant lui et il se concentra sur le nouvel environnement auquel il voulait au plus vite s'habituer.

Cette auberge, de même que toute cette ville, allait être son terrain d'action pour les prochaines semaines, par conséquent, il se devait d'en connaître par cœur chaque réception, avec son petit bureau coupait le rez-de-chaussée en deux. À droite se tenait le bar, fermé pour l'instant, et à gauche, le restaurant avec une grande salle le long d'une grande baie vitrée donnant sur la rue principale de la ville. Au fond, il devait y avoir les cuisines, là où l'agitation semblait être à son comble vu le nombre d'allées et venues dans cette direction. Mais le personnel ne faisait pas attention à lui et par conséquent, Sosuke en profita pour contourner le comptoir et il s'approcha de l'escalier menant aux chambres. Comme l'endroit était désert, il se permit d'attraper le registre posé bien en évidence sur le bureau. Le cahier était grand ouvert et il contenait les noms de tous les occupants de l'hôtel depuis des mois. Sans un mot, il commença à le feuilleter, à la recherche d'informations sur Gauron seulement sa lecture fut assez rapidement interrompue par l'arrivée de grande brune de début. Les mains sur les hanches, elle le toisa froidement avant de lui arracher des mains le registre.

« Mais vous vous prenez pour qui, hein ? En voilà des manières ! Ca vous prend souvent de fouiller dans les affaires des autres ? »

Sosuke resta imperturbable, pas vraiment impressionné par cette gamine autoritaire et il aurait très probablement répondu qu'il était dans son bon droit si une femme plus âgée, les cheveux courts et portant une robe relativement révélatrice n'était subitement apparue du bar.

« Oy ! Kaname, qu'est-ce qui se passe ? »

Melissa fronça les sourcils puis d'un coup, son visage s'éclaira d'un sourire carnassier et elle passa outre les deux jeunes gens pour aller saluer Kurz, toujours en train de flirter avec la serveuse.

« Weber ! Je t'y prends à tenter de débaucher une mineure ! T'as pas honte ! »

L'intéressé se contenta de hausser les sourcils et répliqua calmement :

« Je ne fais rien mal, n'est-ce pas miss Kyouko ? »

Kyouko confirma mais Melissa garda son air sévère en mettant la jeune fille en garde contre cet inconnu peu fiable.

« Hé ! Je te signale tout de même que je suis là pour représenter la loi, Mel ! Alors un peu de respect !

- Ouais, c'est ce que j'ai entendu dire, se moqua-t-elle. Mais c'est pas parce que t'as gagné une insigne que ta morale a progressé. »

Sur ce point, Sosuke aurait bien confirmé, malencontreusement pour lui, Kaname intervint avant.

« Oh, vous êtes le nouveau shérif ? Et je suppose que lui, c'est votre adjoint, demanda-t-elle en désignant Sosuke. Et ben c'est sûr que ça promet... »

Melissa observa un peu mieux le compagnon de son ami et elle ne put retenir un sourire en coin en voyant comme il se tenait face à Kaname. Enroulant un bras autour de Kurz, la jeune femme lui glissa à l'oreille :

« Et tu m'expliques où tu l'as trouvé, celui-là ? »

Le shérif ricana.

« Oh, ne te fie pas aux apparences. Il est bon.

- J'ai jamais dit le contraire, mais il a quel âge ? Douze ans et demi ? »

Kurz rit de plus belle en notant le coup d'œil assassin de Sosuke quand Mao renchérit sur son comportement glacial de gamin capricieux. Coupant court aux retrouvailles plutôt étranges des deux amis, Kaname profita de la familiarité de la jeune femme avec les nouveaux venus pour se débarrasser d'eux.

« Mademoiselle Mao, puisque vous avez l'air de bien les connaître, pourriez leur montrer leurs chambres, s'il vous plait. En l'absence de Shiori, c'est un peu la panique. »

En guise de remerciement, elle lui offrit un sourire faussement contrit puis se tournant vers ses deux visiteurs, elle les gratifia d'un sourire professionnel tout aussi faux que le précédent et leur souhaita la bienvenue à Dana Town avant repartir vers la cuisine. Mais avant qu'elle n'ait pu faire un pas, Sosuke tendit la main vers elle et lui attrapa le bras.

« Le registre, commanda-t-il d'un ton plat. »

C'était la première fois qu'il ouvrait la bouche depuis son arrivée et Kaname s'étonna de découvrir une voix si jeune. Avec son chapeau baissé sur ses yeux, il était difficile de lui donner un âge, ou même de deviner à quoi il ressemblait mais ce qui était sûr, c'était qu'il était fort. Simplement avec les doigts serrés autour de son poignet, il avait pu l'arrêter et elle dut réprimer une frisson alors que trop récents souvenirs menaçaient de surgir.

« Je répondrais à toutes vos questions si vous en avez, mais ce qui est inscrit là-dedans est confidentiel. Je dois respecter la vie privée de mes clients. »

Il était évident qu'elle ne céderait pas et Kurz devina que Sosuke allait commettre un impair en insistant. Par conséquent, il prit sur lui d'intervenir et avec son éternel sourire charmeur, il remercia Kaname de son aide et attrapa son collègue pour le pousser vers l'escalier tandis que Mao essaya de modérer l'humeur de la régente. Après quelques échanges discrets, la jeune femme rejoignit le shérif et son adjoint à l'étage et leur indiqua leurs chambres.

Kurz et Sosuke étaient installés dans deux pièces contiguës mais indépendantes qui offraient à chacun son intimité tout en permettant les échanges en cas de besoin. C'était bien pensé et les deux hommes ne purent qu'être satisfaits des dispositions prises pour eux. Bien sûr, Sosuke garda le silence mais son collègue se chargea de remercier son amie, comme si elle était responsable de la disposition choisie.

Melissa sourit en s'asseyant sur le sofa qui trônait près de la fenêtre et croisant les jambes, elle s'amusa à observer le nouveau camarade du tireur. D'aussi loin qu'elle connaissait Kurz, il n'était pas du genre à travailler avec un associé, par conséquent, ce gamin silencieux et morose devait avoir quelque chose de particulier. Elle devinait à son accoutrement de même qu'à sa posture qu'il avait de l'expérience dans son métier, mais elle n'arrivait pas à comprendre comme il pouvait dégager une telle intensité de prédateur en étant si jeune. Au maximum, il avait vingt ans, pas plus. Elle se promit d'interroger Kurz plus tard et préféra rester sur des sujets plus légers avant que le shérif de lui-même n'aborde la raison de sa présence à Dana Town.

Dans son télégraphe, Mao avait parlé de plusieurs disparations répétées, de vols de chevaux, d'intimidation et même d'une agression. Sur ce dernier élément, Sosuke voulait des précisions et surtout, il espérait pouvoir rencontrer la victime, mais Melissa ne leur apprit pas grand chose d'intéressant. Elle avait dit l'essentiel dans son message et il n'y avait pas eu de nouvel incident depuis ce fameux soir où une jeune fille avait failli se faire enlever.

« Mais attends Mel, remarqua Kurz, il me semblait que c'était toi qui avais été confrontée à ce type.

- Oui et non en fait. Je ne l'ai pas vu personnellement, j'ai juste eu de la chance d'être pas loin quand c'est arrivé. J'étais armée et quand j'ai entendu les cris, j'ai tiré, ce qui a dû faire fuir ses acolytes, mais celui qui était derrière tout ça, elle s'en était déjà chargé. »

Les yeux dans le vague, elle eut un petit rire ironique.

« Il devait pas savoir à qui il avait à faire ! ajouta-t-elle toujours souriante.

- Vous voulez dire que la victime a réussi seule à échapper à Gauron ? demanda Sosuke stupéfait.

- Gauron ?

- Le type qu'on suspecte être derrière tout ça. Ça correspond parfaitement à ses manières et on sait qu'il était dans la région. Mais pour confirmer on aurait besoin d'une description. Tu penses pouvoir nous présenter sa... victime ? »

Kurz semblait incertain, comme s'il redoutait de devoir interroger une pauvre fille juste après son agression et la forcer à revivre un moment difficile. Il n'aimait pas cette partie de son travail et ce qu'il craignait le plus, c'était le manque de tact de Sosuke qui n'arrangerait rien. Mais Melissa lui offrit un sourire rassurant et écartant les bras pour les poser le long du dossier, elle étudia attentivement les deux représentants de l'ordre et leur annonça tranquillement :

« C'est déjà fait. Et elle a même promis de répondre à toutes vos questions, donc il ne devrait pas y avoir de problème. »

Sosuke parut décontenancé et la jeune femme crut voir quelque chose passer dans son regard sombre mais il ne dit pas un mot. Kurz en revanche ne cacha pas sa surprise.

« Tu veux dire...

- Que c'est Kaname qui a eu à faire à lui et qui a réussi comme une grande à berner sa vigilence. »

Devant l'ai ahuri de son ami, Melissa ne put s'empêcher de rire et froidement elle ajouta :

« Elle n'en a pas l'air, mais elle est coriace, la petite. Et elle en a vu d'autres... »

Satisfaite de la réaction de deux hommes en face d'elle, elle se leva pour leur laisser le temps de se remettre et de s'installer. Elle était sur le point de sortir quand elle glissa d'un ton plus grave :

« Mais ça ne veut pas dire qu'elle n'est pas blessée pour autant, alors soyez prudents. Si vous la brusquez, c'est toute la ville que vous vous mettrez à dos. »

La menace était claire et elle n'échappa pas aux deux hommes. Sauf que pour Sosuke, ça ne posait aucun problème, il n'avait pas l'intention de se lier.


Premier chapitre d'une histoire qui me trotte dans la tête depuis des mois et que je peux enfin poser sur l'écran. Théoriquement, ça ne devrait pas être très très long, genre une dizaine de chapitres, mais bon, je me méfie, des fois qu'une poussée de roman-fleuvisation me reprenne quand je m'y attends pas. Normalement, l'intrigue n'est pas bien compliquée donc je ne vois pas ce qui pourrait ralonger la sauce mais je suis capable du pire, donc je préfère prévenir.

En terme de délai de publication, n'attendez pas de miracle non plus. J'ai pas grand chose de plus palpitant à faire que d'écrire, malheureusement, j'ai aussi pas mal d'imprévus perpétuels qui me tombent dessus de jour comme de nuit et donc je n'ai aucune idée de mes capacités à avancer pour les prochaines semaines. Tout ce que je peux souhaiter c'est d'avoir fini avant de retourner au taf, fin octobre. Ca laisse de la marge.

Voilà, sur ce, j'arrête de raconter de ma vie et je vous dis à bientôt pour le prochain numéro !