D'Ombres et de Lumières
Chapitre 1 : L'Antichambre
Poussant un cri de surprise, Rosette ouvrit soudainement les yeux. Elle avait l'impression de sortir d'une trop longue apnée, son souffle lui manquait, son esprit brouillé. Et sa vue, et bien, que dire de sa vue ? Elle avait l'impression d'être aveugle, mais à défaut d'être plongé dans le noir, elle l'était dans le blanc. La panique se saisit d'elle. Elle ne parvenait pas à se rappeler comment elle était arrivée là. La dernière chose dont elle se souvenait était… Chrno ! . Chrno qui la serrait dans ses bras cette nuit-là, cette nuit… Cette nuit qui devait être la dernière. Ses souvenirs émergeaient. Leur étreinte, le coucher de soleil, leur discussion, leurs baisés, le gout de ses lèvres… Sa promesse. Tu avais dit que tu ne me laisserais pas seule… Mais il n'était pas là. Il n'était pas à ses côtés. Elle était seule. La sainte se laissa tomber au sol, du moins le croyait-elle, car dans cet univers immaculé, elle ne discernait pas même le haut du bas. Étreignant ses genoux, elle fondit en larme.
...
Chrno attendait. Il appelait la mort avec impatience, assis sur la balancelle. Il avait délaissé la contemplation du coucher de soleil pour se plonger dans celle de sa bien-aimée. Humaine. Le silence et le calme ne lui allait pas, pas plus que l'expression de terreur qu'il lisait sur ses traits inanimés. Plus que six minutes… Six minutes qui, il le savait, allaient paraitre une éternité à Rosette. Elle est dans l'Antichambre. Il faut qu'elle y soit. Et je vais l'y rejoindre. Il ne doutait pas d'être lui-même dirigé dans l'Antichambre, son âme appartenait désormais à la terre et elle était suffisamment singulière que pour attiser l'intérêt de Saint Pierre. Si le portier était comme le lui avait décrit le gamin de Pandémonium, l'ange voudrait le juger en personne. Une chance pour un démon que d'avoir deux vies ! Trois s'il considérait son existence a Pandémonium comme une vie à part entière. Être un Pécheur avait au moins eu cet avantage-là. La mort me rendra mes cornes… pensa-t-il, un sourire lui effleurant les lèvres. Sa patience arrivait à son terme et il ne doutait pas un seul instant que celle de Rosette soit déjà épuisée. Il relâcha sa forme démoniaque. J'arrive.
...
Elle avait l'impression d'être assise là, le menton sur les genoux, depuis des heures. Elle avait depuis longtemps cessé de pleurer et fixait désormais la petite porte de bois clouté qui était apparue devant elle. Miteuse la porte… Elle regardait la porte. J'en ai marre ! Elle esquissa un mouvement pour se lever, mais se ravisa presque immédiatement. Et si une fois le porche franchit, Chrno ne pouvait plus la rejoindre ? Pas question. Elle attendrait. Et elle lui hurlerait dessus pour son retard. Parce qu'il ne pouvait être qu'en retard, n'est-ce pas ? À nouveau, la panique se saisit d'elle. Chrno était un démon et selon les écritures, les démons n'avaient pas accès à la vie après la mort. Or, c'était bien ce qui lui arrivait à elle, non ? Elle vivait. Mais elle était morte. Bizarre. Mais il lui avait promis d'être avec elle et Chrno tenait toujours ses promesses. Elle attendrait. La blonde se leva, elle était ankylosée d'être si longtemps resté dans la même position. Bien qu'invisible, le sol était dur, ses fesses meurtries le lui criaient haut et fort ! Tournant sur elle-même, elle observa les alentours, du vide, du vide et encore du vide. Sauf cette maudite porte !
- Chrno ! » Le son lui revenait comme étouffée.
- Chrno , Chrno, CHRNO ! » Hurla-t-elle de plus en plus fort. Ses cris lui semblèrent être absorbés par les lieux.
Furieuse d'être laissée sans réponse, elle planta ses poings sur ses hanches et fit face au battant. Elle avait l'impression que la présence de la porte se faisait de plus en plus impérieuse, qu'elle grandissait, l'appelait.
- Je m'en fiche ! cria-t-elle, à l'adresse de la porte elle-même et elle lui tourna résolument le dos, bras croisés et sourcils froncés.
Alors qu'elle se reprochait de parler à une porte, le blanc du monde sembla se ternir, s'assombrir, grisonner.
...
Trois secondes. C'est le temps qu'il avait fallu à son véritable corps pour épuiser les dernières gouttes de l'énergie qui le maintenaient en vie, il avait compté.
Sept millisecondes. C'est le temps qu'avait duré son inconscience. Il n'avait pas pu compter, il le savait. Il le savait, il en était conscient, son corps entier était conscient de l'écoulement du temps et cette acuité ne pouvait signifier qu'une chose. Chrno porta les mains sur les côtés de son crâne. Elles étaient là. Ses cornes étaient de retour. Ses ailes. Ses cornes. Adulte. Ses cornes. Enfin !
Huit secondes et septante-trois centièmes. C'est le temps qu'avaient duré ces constatations. Il le savait. Chrno éclata de rire. Et alors même qu'il riait, il la sentit se jeter sur lui, l'étreindre de toutes ses maigres forces d'humaine. Il riait et elle pleurait.
...
Elle pleurait. Elle avait pourtant décidé de le frapper… pas de le serrer dans ses bras en pleurant comme une fillette. Se ressaisissant, Rosette lui décocha ce qu'elle estimait être un coup de poing monumental en pleine face.
- Arrête de rigoler bêtement ! » Le bougre n'avait pas même oscillé ! Il la regardait en souriant, avec ce sourire enfantin qu'elle adorait tant et il la tenait par la taille. « Tu es en retard ! Et puis je ne vois pas ce que tu trouves de si agréable à être mort ! »
- Désolée, j'ai fait au plus vite ! Promis ! » Il avait bien essayé de prendre un air contrit, mais c'était un pitoyable échec avec ce sourire qui ne le quittait pas… « Mais, soit dit en passant, tu n'as attendu que quelques minutes… ».
Mais c'est qu'il se fiche de moi en plus ! Elle ne lui laissa pas le temps de finir et tenta de l'envoyer paître d'un nouveau crochet du droit… qu'il esquiva d'un simple pas en arrière. C'est là qu'elle comprit pourquoi il avait l'air si heureux. Quelle idiote je fais ! C'est pourtant évidant… je suis censé être morte, pas aveugle ! Le léger recule qu'il avait pris lui permettait de l'observer à loisir. Elle s'était tellement précipitée sur lui qu'elle n'avait même pas remarqué qu'il se tenait sous sa forme originelle. En le voyant ainsi, sa main se porta machinalement à sa montre… et ne rencontra que du vide. Chrno avait dû remarquer son air étonné, car il commenta d'un ton badin,
- Il n'y a aucune raison pour que nos possessions nous accompagnent dans la mort. Surtout ce genre d'objet là… » Dit-il. Tu devrais le savoir non ? C'est toi la bonne sœur à la base je te rappel… ne put-il s'empêcher d'ajouter en pouffant.
Elle fronça les sourcils, mais dédaigna de répondre, au lieu de quoi, elle poussa son examen plus avant. Elle le détaillait des pieds à la tête et il la laissait faire, patient, comme d'habitude. Même si elle l'avait presque toujours côtoyé sous sa forme enfantine, elle connaissait cette apparence. Elle aimait cette apparence. Il est beau. Et son sourire est le même. Elle n'avait plus sa montre et pourtant il se trouvait sous cette forme… Alors, cela veut dire que… Oui, ses cornes étaient là, dans sa chevelure. Ces cornes qui quelques mois plus tôt ornaient encore celle de son frère. Joshua…
- Tu as récupéré tes cornes, dit-elle en souriant à son tour, et tes pouvoirs ?
- Difficile à dire, dans ce genre de lieu il m'est impossible de tester… répondit-il d'un ton pensif, mais je suppose que oui puisque j'ai à nouveau conscience du temps.
- Tout le monde à conscience du temps ! Répartit-elle, et moi plus que tout autre pendant que je t'attendais comme une cruche pendant des heures ! fit-elle boudeuse, les bras à nouveau croisés sur la poitrine, le regard rivé dans le sien, écarlate. Ce n'est pas qu'elle avait voulu qu'il meure vite, bien sûr que non… mais elle l'avait attendue. J'avais peur que tu ne me rejoignes pas… mais ça, pas question de l'admettre devant lui !
- C'est justement ce que j'essayais de t'expliquer. Le temps ici est figé. » Il reprenait peu à peu son sérieux.
- Figé ? Pourtant…
- Nous sommes dans l'Antichambre, le temps ne s'écoule pas. C'est ton esprit qui simule l'écoulement du temps. C'est parce que tu pensais que le temps était long que pour toi se sont écoulées des heures. Tu aurais très bien pu n'attendre que quelques minutes, comme moi sur terre, ou seulement quelques secondes.
- Pourtant, nous parlons… donc le temps passe, non ? » Ces histoires de temps l'avaient toujours embrouillée. C'était Chrno qui lui avait expliqué ce roman, c'était quoi déjà ? Ah oui ! La machine à explorer le temps ! Il en avait bien profité pour se moquer de moi ce bougre…
Chrno lui sourit tendrement, « Oui, nous créons l'illusion de notre propre temps. » Il lui prit la main, « Bref, rester ici ne nous mènera à rien. Que dirais-tu de passer cette porte ? Dit-il en pivotant vers celle-ci.
- Et si on ne nous laisse pas rester ensemble ? » S'entendit-elle dire d'un ton bien moins ferme qu'elle ne le voulait…
- Depuis quand quiconque est-il capable de t'imposer quoi que se soit ? » Elle s'apprêtait à lui répondre quand il scella ses lèvres d'un baisé. Puisqu'il suffisait apparemment d'y penser pour changer l'écoulement du temps, elle comptait bien le ralentir et faire durer ce moment pour l'éternité. Ce n'était cependant pas aussi facile que ça en avait l'air et il se sépara bientôt d'elle, en lui caressant la joue.
- Tu as raison. On ne va pas moisir ici pour l'éternité ! Après tout, on a sauvé le monde tous les deux ! On peut bien faire ce qu'on veut ! » Et c'est d'un pas résolu qu'elle se dirigea vers la porte, Chrno marchant à ces côtés. Main dans la main. Ils feront une exception pour Chrno, non ? Il n'est pas mauvais. Il a un cœur malgré tout ce que peuvent affirmer les écritures… Il m'aime.
...
Il avait beau faire le fier, rencontrer Saint-Pierre l'angoissait. Il était un démon et il allait être jugé par un ange. Il savait qu'il avait changé depuis son départ des Enfers. Il était moins sanguinaire qu'avant… il y réfléchirait peut-être à deux fois maintenant avant d'arracher la tête de Pandémonium. Et puis il était amoureux… un sentiment merveilleusement noble selon les critères célestes. Mais il avait corrompu une sainte. C'est avec moi qu'elle a rompu ses vœux… ils la pardonneront elle, mais moi ? Il n'était sûr de rien sauf d'une chose. Je ne veux pas être séparée d'elle. C'était un vœu égoïste, il le savait et s'en fichait éperdument. Rosette sera admise au paradis, si je la suis, elle souffrira de me voir en si mauvaise posture. Un démon au paradis… Tout plutôt que de la perdre. S'il devait s'agenouiller devant Dieu pour ça, il le ferait. S'il devait courber l'échine devant chacun des anges du paradis, il le ferait. S'il lui fallait confesser la longue liste de ses péchés, il le ferait. S'il lui fallait passer par le purgatoire, pourquoi pas… la souffrance ne me fait pas peur. Et puis Rosette était une sainte, elle avait son mot à dire. Elle plaidera pour moi et ils nous accorderont de rester ensemble.
Ils avaient atteint la porte et, la main posée sur le bâtant, Rosette semblait l'attendre.
- Ensemble ? dit-elle en le questionnant du regard. Sans répondre, il posa sa main sur la sienne et ils poussèrent la porte. Celle-ci s'ouvrit avec une extrême facilité, pivotant sur ses gonds sans le moindre bruit. Et alors… alors rien. Pas de lumière aveuglante, pas de trompettes célestes, pas d'effroyable courant d'air ni de nuage de fumée blanche. Rien qu'une espèce de vieux bureau d'allure aussi minable que la porte, agrémenté d'une plante verte de santé douteuse, d'un lampadaire pourri et d'un chat étalé sur un tas de paperasse. Ils restèrent tous les deux cois. Sur le pas de la porte. Deux fauteuils immaculés semblaient les attendre face au bureau, mais personne derrière celui-ci pour les accueillir.
- On fait quoi ? demanda-t-il en continuant à inspecter l'étrange pièce. Les murs étaient peints d'une couleur qui avait dû être dorée et quelques toiles y étaient suspendues. Des croutes pour la plupart, sauf une, trônant derrière le bureau. Elle représentait le combat de deux étalons stylisés, sur fond gris. La robe de l'une des bêtes était immaculée à l'exception de l'extrémité des membres, noirs jusqu'aux boulets. L'autre arborait une robe d'un noir d'encre, exception faite de petites balzanes et d'une étoile en tête.
Suivant son regard, Rosette commenta « Rien n'est jamais parfaitement pur, ni complètement vil… », elle resserra ses doigts autour des siens, « On y va ? ».
- Oui. » Une fois de plus, elle se montrait plus hardie que lui. Cependant, ce tableau était encourageant. Si le juge l'aimait, on pouvait espérer qu'il en appréciait aussi le message.
D'un même pas, ils franchirent le seuil.
...
Et voilà, premier chapitre d'une première fanfiction. Je me suis relue, relue et relue encore, mais je ne prétends pas vous offrir un sans-faute. N'hésitez pas à commenter pour me dire ce que vous en pensez ! Correction et conseils (et encouragement lol) sont toujours les bienvenus !
Chrno Crusade et ses personnages appartiennent à Daisuke Moriyama.
P.-S. : J'ai beaucoup de boulots, alors la parution des chapitres aura tendance à être irrégulière…
