L'amour n'est pas si loin
Résumé : Sebastian, se sentant plus seul que jamais, tombe lentement dans l'alcool et la dépression. Il n'a plus aucun espoir dans la vie. Pourtant, l'amour n'est pas si loin, il suffit de savoir où regarder. Mais le parcours pour l'atteindre est semé d'obstacles... Préquel de Souvenirs de lycée.
NA : Bonjour tout le monde, me revoilà enfin après un long moment d'absence, avec une deuxième fiction Glee. Cette fiction est le préquel de Souvenirs de lycée, un long OS que j'avais posté il y a longtemps. Je voudrais d'ailleurs remercier Sissi1789 pour m'avoir proposé l'idée d'écrire ce préquel, j'ai finalement été bien plus inspiré que je le pensais vu que cette fiction comptera une dizaine de chapitres certainement (pas tous aussi long que celui-là). Je pense poster une fois par semaine ou une fois sur deux, je vais voir, et je voudrais préciser que si il y a des erreurs par rapport à la série Glee, j'en suis désolée, n'hésitez pas me le faire remarquer.
Voilà, assez discuté, j'espère que cette histoire va vous plaire, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ;)
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Chapitre 1
Sebastian porta le verre à ses lèvres et avala les dernières gouttes de vodka. Avec l'habitude, il ne sentait même plus l'alcool lui brûler la gorge. Désormais, c'était comme s'il buvait de l'eau. La musique du bar tambourinait à ses oreilles. Il commençait à avoir un sérieux mal de crâne, mais après autant de verres de vodka et de whisky, c'était compréhensible. Il passerait encore le dimanche avec une sacrée gueule de bois, affalé sur le canapé. Tous les dimanches se ressemblaient. Il avait pour habitude de gâcher son jour de repos. Un des seuls soirs où il ne travaillait pas, il le passait assis au Scandal's, le bar gay le plus connu de Lima. Il aimait venir s'y soûler, y rencontrer parfois des mecs avec qui il passerait une nuit, parfois deux, mais jamais plus.
La vie de Sebastian ne se résumait plus à grand chose depuis quelques mois : boulot, alcool. Il avait été embauché comme serveur dans un petit restaurant tous les midis et tous les soirs qui s'appelait Le Cordon Bleu. A part le samedi soir, comme aujourd'hui, et toute la journée du dimanche.
Vous vous demandez certainement comment un gars comme Sebastian Smythe, étudiant à la Dalton Academy, chef des Warblers et emmerdeur de première a pu finir comme ça. Eh bien, il n'y a rien de compliqué. Simplement, le lycée s'est terminé. La belle vie, les copains, les mecs d'une nuit, tout a une fin. Cela faisait maintenant quatre ans que Sebastian avait obtenu son diplôme de la Dalton Academy. Il se rappelait encore ce jour où il s'était rendu compte que les Warblers, c'était fini. Ça leur avait tous mis le moral à zéro de se dire qu'ils ne faisaient plus partie de la chorale. Mais ils s'étaient promis de continuer à se voir, de ne pas se perdre de vue. Sebastian avait réussi à tenir cette promesse avec Jeff et Nick. Ils étaient restés amis et sortaient ensemble de temps en temps. Ses deux copains étaient même ensemble. Ils étaient tout mignons tout beaux avec leur histoire à l'eau de rose, mais Sebastian ne sortait quasiment plus avec eux. Il ne supportait plus leur bonheur, lui qui était si seul.
-Salut, l'interpella une voix.
Sebastian tourna la tête. Un gars s'était assis sur le tabouret d'à côté. Grand, musclé, les traits fins et les cheveux blonds.
-Je t'offre un verre ? proposa-t-il en faisant un signe au barman. T'as pas l'air bien.
La compagnie de ce gars le mit soudain mal à l'aise. L'image que Sebastian donnait de lui-même le dégoûtait : un pauvre type bourré et déprimé.
-Non merci, je m'en vais, répondit-il vivement.
Sebastian se leva, prêt à partir, mais le type lui attrapa le bras pour l'arrêter.
-Tu veux vraiment pas un verre ? On pourrait faire connaissance tous les deux.
-J'ai assez bu pour ce soir. Bonne soirée, dit Sebastian en se dégageant sèchement.
Il prit sa veste et commença à s'éloigner du bar, mais le gars le suivit et l'obligea de nouveau à s'arrêter.
-T'es pas très aimable, je suis sur qu'on pourrait bien s'entendre.
-Je crois pas.
Il haussa un sourcil.
-Ah non ? Écoute, ça se voit que tu déprimes, je pourrai te remonter le moral. Je m'appelle Ted.
Il poussa Sebastian contre le mur et approcha son visage du sien en murmurant :
-Viens chez moi.
Il posa ses lèvres sur celles de Sebastian avec force. Sebastian faillit se laisser faire. Après tout, il avait l'habitude. Souvent, il rencontrait un type complètement au hasard et finissait par coucher avec lui. Parfois, il lui arrivait de ne même pas connaître leur prénom. Mais alors que ce Brad essayait de faire passer sa langue entre les lèvres de Sebastian, ce dernier se raidit et se dégagea brusquement. Il n'en avait pas envie. Vraiment pas. En plus, ce mec puait l'alcool.
-Hé, qu'est-ce qui t'arrive ? Je te plais pas ? demanda Ted d'une voix grave.
-Lâche-moi, demanda Sebastian, mais Ted continuait à le maintenir contre le mur.
-Pars pas si vite !
-Lâche-moi je te dis !
Il poussa Ted qui alla se cogner contre le mur d'en face. Sebastian en profita pour s'écarter et sortir en vitesse du bar. Il monta dans sa voiture alors que le type le rejoignait dehors en gueulant. Sebastian mit sa ceinture et démarra en trombe. Il s'écarta au dernier moment pour ne pas se faire écraser.
Sebastian s'engagea sur la route en essayant de se calmer. Il n'était déjà pas sensé conduire avec autant d'alcool dans le sang, alors il devait faire profil bas. Il inspira profondément en se concentrant sur la route. C'était la première fois qu'un mec le dégoûtait autant. Il avait bien vu que ce gars n'avait qu'une seule envie : le mettre dans son lit pour la nuit. Il n'avait même pas cherché à le connaître, il s'en foutait complètement.
Sebastian se demandait encore comment il avait pu en arriver là. Il avait tout pour réussir. Un père procureur de l'Ohio, qui pouvait le pistonner pour entrer n'importe où, avec beaucoup de moyens. Il avait étudié à la Dalton Academy, lycée de prestige où tous les élèves étaient surs de réussir. Il faut croire qu'il y a des exceptions partout.
Sebastian avait fait l'inverse total de ce qui lui réservaient ses parents. Son père, Josh, voulait qu'il le suive pour faire de la politique. Et sa mère, Katherine, était bien entendu d'accord avec son mari, comme toujours. La mère de Sebastian n'avait pas de travail. Femme au foyer, elle n'avait jamais eu d'ambition et suivait son mari en toutes circonstances. Alors bien sûr, quand Sebastian avait annoncé qu'il voulait entrer dans une école de chant et de musique, ça avait été le scandale. Pourtant il leur avait répété un nombre de fois incalculables qu'il se fichait complètement de la politique et voulait faire un métier dans le domaine de la musique. Petit, il avait toujours demandé à prendre des cours de piano et de guitare. Ses parents, ayant les moyens, avaient accepté à condition qu'il fasse aussi du sport.
Il avait accepté cet accord et avait pu toute sa vie concilier ses rêves et les envies de son père. Son père avait également râlé en sachant son fils leader d'une chorale, mais ne s'y était pas opposé. Volontairement, Josh Smythe s'était mis à vanter discrètement les avantages des métiers de politiciens. Il avait essayé d'intéresser son fils à la politique. Mais une fois la Dalton Academy terminée, Sebastian les avait bien déçu. Il voulait intégrer une petite académie pour faire de la musique et du chant. Sebastian voulait devenir professeur de chant, de musique, ou n'importe quel autre métier en rapport avec la musique. Ses parents avaient encore essayé de le faire changer d'avis, sans résultat. Sebastian s'était à moitié fâché avec son père, donc avec sa mère vu qu'elle suivait toujours son mari. Et il était finalement entré dans cette école. Et quatre ans plus tard, une fois sa formation terminée, il se retrouvait sans un sou et étant obligé de travailler dans un restaurant. Ses parents devaient être contents. Il était sur qu'au fond, son père avait envie de lui dire : je te l'avais bien dit. Mais Sebastian n'avait aucune envie d'écouter leurs remontrances.
Sebastian était presque arrivé. Il reconnaissait le quartier. Le jeune homme de 22 ans avait un appartement dans Lima maintenant. Un petit appartement miteux qu'il payait grâce à son salaire de serveur. Ses parents ne lui envoyaient plus d'argent depuis longtemps. Cela faisait maintenant quatre ans qu'il se débrouillait tout seul. Il ne voulait pas de leur argent de toute façon. Sebastian mit son clignotant avant de se garer sur sa place de parking. Il coupa le contact et décrocha sa ceinture. Il resta quelques minutes dans la voiture en lâchant un grand soupir. Comment avait-il pu en arriver là ? Il avait fait quatre ans d'études pour au final ne pas trouver de boulot, et il était en train de devenir un alcoolique dépressif. Il sentait encore le souffle alcoolisé de ce type et ça lui donnait des frissons.
Sebastian sortit de la voiture et la verrouilla. Il monta l'escalier menant au quatrième étage. Il commençait à voir de travers, le monde tanguait autour de lui. Il finit par atteindre son appartement et ouvrit la porte, la main tremblante. Il alluma la lumière, ce qui lui donna encore plus mal à la tête. Il balança son manteau sur la table de la cuisine et ses clés sur la table basse dans le salon. Le châtain jeta un coup d'œil autour de lui. Son appartement était en désordre, il y en avait partout. Il se rappelait encore son ancien appartement situé près de son académie. Il était toujours bien rangé et propre. En revenant à Lima à la fin de ses études, il avait du changer de logement. Il ne trouvait pas de boulot, il ne pouvait plus louer un si bel appartement dans un si beau quartier. Du coup, il se retrouvait ici, dans ce petit 35 mètres carré. Il avait un salon/cuisine, une salle de bains qui accueillait aussi les W-C, et une petite chambre. Mais il était surtout situé dans un quartier pourri de Lima, d'où son prix de location assez faible. Elles lui paraissaient loin, la belle maison de ses parents, les belles salles de classe de la Dalton Academy.
Parfois, il se maudissait de ce qu'il était devenu. Quand il s'imaginait sa vie, il ne voyait qu'un pauvre type arrogant et égocentrique. Avant, cette attitude ne le dérangeait pas. Il aimait bien être un salaud dragueur. Il sortait avec des mecs pendant quelques jours, et tout le monde savait que ce n'était que pour le sexe. Il n'y avait aucun amour. Il était incapable de s'attacher à un de ses petits amis. Ce n'était que des "coups d'un soir". Mais il avait commencé à changer une fois à la Dalton Academy. Quand il avait rencontré Blaine. Tout de suite, il s'était intéressé à ce garçon complètement fou de son petit ami, Kurt Hummel. Sebastian n'en était pas revenu que Blaine, chef des Warblers et élève brillant de la Dalton Academy, ait changé de lycée pour rejoindre son petit ami. Comment pouvait-on autant aimer quelqu'un ? Il avait déjà vu des couples unis, mais le Klaine battait les records. C'est là que Sebastian avait commencé à voir le monde différemment. Il commençait à penser aux sentiments des autres, voulait aider. Le chemin avait été long. D'abord, il avait essayé de draguer Blaine. Très vite il s'était rendu compte que Kurt était un vrai obstacle entre eux. Il avait essayé de le virer, en devenant méchant, arrogant, en faisant des coups montés contre les New Direction. Leur petite guerre entre chorale avait duré un long moment. Puis Sebastian avait commencé à comprendre que ce n'était pas de cette façon qu'il évoluerait dans la vie. Il avait essayé de changer. Mais ce n'était pas si facile.
Pendant longtemps, il avait essayé de faire des efforts, par-ci par là. Et ça avait fonctionné. Durant sa dernière année à la Dalton Academy, il avait été irréprochable. Il devenait différent, il commençait à être mature. Sa première année dans sa nouvelle école s'était tout d'abord très bien passée. Il avait des amis, était devenu plus sympa. Mais ça n'avait pas duré longtemps. Très vite, sa réputation l'avait rattrapé. Un type arrogant changeant de partenaire tous les soirs. Et surtout, un homosexuel. Sebastian n'aurait jamais imaginé être victime de cette discrimination que subissent en général les gays dans les écoles. A la Dalton Academy, il n'avait pas connu ça. Il y avait beaucoup de gays avec beaucoup de tolérance. Il n'avait pas retrouvé cette tolérance dans son académie. Là-bas, les gays étaient mal vus. Il y en avait d'autres dans l'école, mais ils étaient constamment insultés, parfois même frappé. Cette école qui paraissait si belle s'était vite transformée en enfer.
Il se rappelait les problèmes qu'avait eu Kurt à cause de son homosexualité. Eh bien, il avait connu exactement la même chose. Pendant quatre ans. De quoi devenir dingue, non ? Cet acharnement contre lui l'avait de nouveau rendu arrogant et méchant. Il n'avait plus de goût pour rien et avait consacré tout son temps à ses études. S'il devait se louper complètement niveau social, il voulait au moins avoir son diplôme. Il avait espéré que se consacrer à ses études l'aiderait à oublier sa haine contre tout le monde. Ça avait assez marché. Il avait obtenu son diplôme qui lui permettait de donner des cours de musique ou de chant, espérant ainsi rendre ses parents fiers de lui. Il aurait aimé que pour une fois Josh Smythe soit satisfait de son fils. Il l'avait tellement déçu pendant toutes ces années, d'abord en étant homosexuel, puis en s'intéressant à la musique au lieu de la politique. Sebastian n'était pas du tout le fils tant espéré. Qu'il ait obtenu son diplôme n'avait rien changé pour ses parents. Pour eux, il les avait encore déçu.
C'est là que Sebastian avait sombré. Quand ses parents n'étaient pas venu à la remise des diplômes. Quand il était passé chez eux pour leur annoncer la bonne nouvelle et que son père l'avait regardé d'un air indifférent, ses yeux dépassant tout juste le journal qu'il était en train de lire, assis sur le canapé. Quand sa mère lui avait dit :
-Tu aurais mieux fait de suivre les traces de ton père. Au moins, lui, il est ambitieux. Pas comme toi.
Et surtout quand il s'était rendu le soir-même à la fête de l'école, espérant s'amuser un peu. Au début il ne voulait pas y aller, mais il s'était dit que ça l'occuperait. Il aurait mieux fait de rester chez lui. Le début de soirée s'était bien passé, jusqu'à ce qu'un groupe de cinq jeunes diplômés qui avaient pour habitude de lui tourner autour le remarque et se ramène. Ils avaient commencé à l'insulter. Sebastian n'était pas du genre à se laisser faire. Il leur avait répondu, leur avait tenu tête. Et ça n'avait pas plu à ces types. Ils l'avaient attrapé et l'avaient obligé à sortir de la salle. Une fois sur le parking de l'école, Sebastian, hors de lui, avait essayé de se défendre. Mais deux des types l'avaient attrapé par les bras pour l'immobiliser. Sebastian s'était débattu comme une furie, mais ils étaient trop nombreux pour lui. Il s'était fait tabassé, insulté et humilié sur le parking de son école, sous les rires de la bande. Quand ils en ont eu fini avec lui, ils l'avaient laissé sur le parking, recroquevillé par terre. Quelques minutes plus tard, il s'était mis à pleuvoir. Sebastian, tellement honteux, avait réussi tant bien que mal à se relever. Sous la pluie, il avait essayé de rentrer chez lui. Mais il n'avait pas réussi à marcher longtemps. Il avait fini par s'écrouler sur le trottoir. Il s'était retrouvé à l'hôpital avec de sales blessures. La police l'avait interrogé, mais Sebastian n'avait pas voulu porter plainte. Il devait l'avouer, il avait peur des représailles. Et quand sa mère était venu à l'hôpital, elle lui avait gentiment dit que son père avait trop de travail pour venir le voir.
Depuis ce moment-là, Sebastian avait décidé qu'il détestait tout le monde. C'était il y a sept mois. Il ne s'était plus jamais approché de son ancienne école, ne voyait quasiment plus ses parents et avait commencé à boire. Il n'était pas alcoolique, mais s'il continuait à boire comme ça, il risquait de le devenir. Il s'était installé dans ce petit appartement, et passait ses journées devant la télé, somnolent sur le canapé. Le soir, il était obligé de se lever pour aller travailler. Et le week-end, quand il n'était pas de service, il passait son temps à boire, soit chez lui soit dans un bar. En général, il allait dans les bars quand il avait envie de se trouver un mec pour la nuit. Mais maintenant, il n'en avait même plus envie. Il allait dans des bars gays mais finissait toujours ses nuits seul. Il avait essayé de croire à l'amour pendant un temps. Mais c'était fini. Il n'était bon qu'à avoir des mecs seulement pour une nuit. Il était incapable d'avoir une vraie relation, et ça le déprimait encore plus. Il avait aussi cherché un vrai travail, dans le domaine de la musique, en vain. Il avait supporté les insultes et les moqueries des gens pendant quatre ans pour obtenir un diplôme qui ne lui servait à rien. En ce moment, sa vie n'était qu'un enfer. Il était devenu l'épave de Sebastian Smythe. Il n'y avait plus que les restes. Sebastian enleva ses chaussures et se laissa tomber sur le canapé sans même prendre la peine de se déshabiller.
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Quand Sebastian se réveilla le lendemain, la lumière du soleil l'aveugla, et, quand il essaya de se relever, un mal de tête atroce lui fit pousser un hoquet de douleur. Il se rassit immédiatement et se prit la tête dans les mains, les coudes appuyés sur ses cuisses. La soirée d'hier lui paraissait encore floue tellement il avait bu. Il se demandait même comment il avait pu conduire dans cet état là. Il avait eu de la chance de ne pas se faire arrêter par les flics. Sebastian finit par se lever en grimaçant et se rendit dans la salle de bains pour se passer un coup d'eau sur le visage. Il poussa un petit soupir de soulagement en sentant l'eau fraîche lui couler le long de la nuque. Il jeta un coup d'œil à l'horloge. Il était déjà onze heures. Le téléphone fixe sonna soudain. Sebastian ne répondit pas et enclencha le répondeur pour écouter le message.
-Sebastian, c'est maman. Je suppose que tu es là mais que tu ne veux pas me répondre.
Le ton de sa voix semblait inquiet. La suite le fit pâlir :
-Ton père a besoin de toi Sebastian. Il a fait un malaise cardiaque hier soir ! On l'a tout de suite emmené à l'hôpital. J'espère que tu auras la décence de passer le voir. Il est malade et va devoir faire très attention maintenant. Il reste à l'hôpital jusqu'à demain matin.
Sa mère raccrocha et Sebastian serra les poings. Et voilà que son père était malade du cœur ! Sa mère était vraiment gonflée. Est-ce que son père était venu le voir, lui, quand il s'était fait tabassé ? Non, il avait eu trop de travail ! Sebastian supprima le message. Ils pouvaient tous aller se faire voir. Sebastian en avait ras-le-bol de ses parents, des gens, de sa vie pourrie, de tout ! Ses parents s'en foutaient totalement de lui, mais quand ils avaient besoin d'aide, là ils appelaient le gentil Sebastian à la rescousse. Il en avait marre d'être gentil. Il aurait mieux fait de rester arrogant et égocentrique. Il était d'ailleurs en train de le redevenir à force de se faire rabaisser par la société.
Sebastian se fit couler un bain bien chaud, et se glissa dans l'eau en soupirant. L'eau chaude lui faisait un bien fou. Il mit sa tête sous l'eau, la baignoire était tout juste assez grande pour qu'il s'immerge complètement. En sentant l'eau brûlante sur son visage, son mal de tête s'atténua. Comme chaque fois, il se demanda si il ne ferait pas mieux de rester sous l'eau, de ne jamais en ressortir. Ce serait tellement plus facile. Disparaître. Il n'aurait plus à boire pour oublier sa vie si pourrie, il n'aurait plus à supporter ses parents, et surtout, il n'aurait plus à vivre avec le souvenir de l'humiliation qu'il avait subi à la fête de son école, quelques mois plus tôt. Le pire, c'était que désormais, quand il croisait un groupe de jeunes, il avait soudain le cœur qui s'emballait et les mains moites. Il se sentait nauséeux et devait vite s'éloigner d'eux pour faire disparaître son malaise. Un psychologue lui aurait certainement dit que cet expérience l'avait traumatisé et qu'il avait maintenant peur que ça se reproduise. Mais il n'était pas allé en voir un. Ça ne lui était même pas venu à l'esprit. Pourtant, pour qu'il envisage le suicide, c'est qu'il en aurait eu bien besoin.
Sebastian était donc en train de se dire qu'il ferait mieux de ne pas remonter à la surface, jusqu'à ce qu'une pensée lui vienne soudain à l'esprit. Il ressortit de l'eau et inspira profondément pour reprendre son souffle. Si son père le demandait sur son lit d'hôpital, c'est qu'il avait quelque chose à lui demander. Il ne voulait pas le voir parce qu'il avait failli mourir, mais parce qu'il avait besoin de lui, pour une toute autre raison. Et il avait soudain envie de savoir ce que son père voulait lui dire. Il espérait au fond de lui que c'était quelque chose de positif. Il se surprit à penser que son père pensait enfin quelque chose de positif de lui. Et ça lui donna le sourire. Pour la première fois depuis des mois, il arrivait à esquisser un sourire.
Sebastian passa encore quelques minutes dans son bain avant de laisser l'eau s'échapper et de se sécher. C'était décidé, il se rendrait à l'hôpital voir son père. Il espérait juste ne pas être déçu. Il s'habilla et s'autorisa même à faire un peu de rangement. La perspective de quelques mots gentils et positifs de son père l'avait quelque peu rasséréné. Il se coiffa, se lava les dents et mit quelques gouttes de parfum sur sa nuque pour paraître un minimum frais. Pour une fois, il ne voyait pas un alcoolique dans le miroir de sa salle de bain. Juste un gars un peu fatigué. Il avait encore mal au crâne après sa cuite de la veille, mais il se sentait déjà mieux.
Une demi-heure après ses pensées suicidaires, Sebastian sortait de son appartement, l'air moins sombre que d'habitude. Il monta dans sa voiture et roula en direction de l'hôpital de Lima, le seul hôpital du coin. Il ne pouvait s'empêcher de ressentir une pointe d'inquiétude pour son père. Même si aujourd'hui ils ne communiquaient quasiment plus, il n'en avait pas été toujours ainsi. Quand Sebastian n'était encore qu'un petit garçon, son père et lui étaient assez proches. Sebastian se rappelait que chaque dimanche, Josh l'emmenait faire un pique-nique au bord de la rivière. Ensuite, ils pêchaient toute l'après midi et allaient se balader dans la forêt. Il faisait ça pour se pardonner de tout le travail qu'il avait à faire pendant la semaine. Josh n'était pas souvent présent à la maison, alors le petit Sebastian passait tout son temps avec sa mère. Les dimanches, c'étaient leur petit jour d'intimité, entre père et fils. Et Sebastian se sentait fier quand ses camarades de classe lui demandaient ce qu'il allait faire ce week-end. Il répondait, le menton levé :
-Mon papa m'emmène à la pêche.
Tous les enfants aimaient bien la pêche. A vrai dire, Sebastian, lui, n'aimait pas tant que ça. Il le faisait pour son père, pour avoir un moment de complicité avec lui. Seulement, en grandissant, tout avait changé. Il ne s'intéressait plus à la pêche, son père avait de plus en plus de travail et allait moins au bord de la rivière. Leurs moments de complicité se réduisaient petit à petit, et ils finirent par ne plus y aller. De plus, Sebastian avait fini par avouer son homosexualité, ce qui avait profondément dégoûté son père. Il n'osait plus regarder son fils en face. On aurait dit qu'il le prenait pour un monstre, ou pour une personne malade ayant besoin d'un traitement. Ensuite, Sebastian avait commencé à s'intéresser à la musique, au chant, et avait balayé tout espoir de carrière politique. C'est à partir de là que Sebastian était passé du fils prodige à la risée de toute la famille. C'était tellement bien, tellement plus simple d'être encore un enfant. Il aurait aimé le rester toute sa vie.
Environ un quart d'heure plus tard, Sebastian se garait sur le parking de l'hôpital. Il entra dans le bâtiment blanc et se rendit à la réception.
-Bonjour monsieur, je peux vous aider ? demanda la secrétaire, une femme brune d'une quarantaine d'années, qui avait la voix déformée par le tabac.
-Mon père a été admis dans cet hôpital.
-Son nom ?
-Smythe. Josh Smythe.
La secrétaire tapa le nom sur son ordinateur.
-Chambre 204 monsieur. Service cardiologie.
-Merci beaucoup ! dit Sebastian en s'éloignant.
Il prit l'ascenseur pour monter au deuxième étage et parcourut les allées du couloir à la recherche de la chambre.
-Vous cherchez une chambre ? demanda un médecin en blouse blanche.
-Bonjour, oui, la chambre 204, répondit Sebastian en s'arrêtant.
L'homme devait avoir la vingtaine.
-Oh, la chambre de monsieur Smythe ! Vous êtes de la famille ?
-Son fils.
-Enchanté, dit le médecin en tendant la main. Je suis le médecin de votre père, le docteur Moore.
-Oh, très bien, dit Sebastian en souriant et en lui serrant la main. Enchanté également. Comment va mon père ?
-Il est stable, ce n'était qu'un petit malaise cardiaque. Mais il nous a fait une belle peur. Il va devoir se ménager désormais.
-C'est la première fois qu'il fait ça docteur.
-Ce n'est pas rare pour les personnes de son âge d'avoir quelques problèmes de cœur. Il faut vivre avec, en évitant de se surmener, de boire de l'alcool ou de forcer trop sur les fast food.
-Pour l'alcool et la nourriture, il y aura pas de problèmes, mais niveau travail, il aura du mal à se reposer.
-Il va bien falloir pourtant. Il sera suivi à la lettre, et si ses artères se bouchent, on devra lui faire un pontage. Mais ce n'est pas pour tout de suite, rassurez-vous. Je vous emmène le voir?
Sebastian acquiesça et suivit le docteur Moore jusqu'à la porte de la chambre 204.
-Votre mère est déjà là.
Il ouvrit la porte et annonça :
-Monsieur et Madame Smythe. Votre fils est là. Entrez, dit-il à Sebastian.
Sebastian entra dans la chambre, nerveux. Son père était couché dans un lit entièrement blanc. Il portait une tunique bleue et paraissait fatigué, avec de grandes poches sous les yeux. Sa mère était assise sur une chaise près de son mari. Elle avait elle aussi des cernes sous les yeux, ne devant pas avoir beaucoup dormi cette nuit tant elle était inquiète.
-Sebastian, dit-elle en se levant. Tu es venu.
-Tu me l'as demandé, répondit Sebastian.
-Comment ça ? demanda soudain Josh en fronçant les sourcils.
Sebastian regarda sa mère, bouche bée.
-Tu... commença-t-il.
-Je lui ai demandé de venir te voir oui, dit Katherine à son mari.
-Je t'avais dit de ne rien lui dire !
Sebastian eut l'impression de se recevoir un coup de poing dans la figure. Quoi ? Son père ne voulait pas le voir ? Et lui qui s'attendait à enfin entendre des mots gentils de la bouche de son père ! Il s'était complètement trompé apparemment.
-Je crois que je vais vous laisser, dit soudain le docteur Moore avec un sourire gêné.
Sebastian avait totalement oublié sa présence, et soudain voulait le supplier de rester. S'il se retrouvait seul avec ses parents, il risquait de passer un sale moment. Le médecin les salua et sortit en vitesse de la chambre.
-Pourquoi tu lui as dit de venir ? gronda Josh.
-Parce que j'avais peur pour toi chéri ! Je me suis dit que ce serait une bonne occasion de parler un peu avec ton fils...
-Une bonne occasion ?! C'est à cause de lui que je ici !
-Qu'est-ce que tu racontes ? demanda Sebastian en fronçant les sourcils.
-A cause de toi, oui !
-De moi ?
-Oui ! Si tu avais fait de la politique au lieu d'aller dans cette foutue école, je me serais peut-être ménagé pour mon travail !
-N'importe quoi, arrête de trouver des excuses bidons.
Son père balança soudain des mots qui firent chanceler Sebastian :
-Si tu avais été le fils que j'attendais, ce ne serait pas arrivé ! Au lieu de ça, qu'est-ce que j'ai ? Une tapette alcoolique et dépressive qui fait du piano et qui se fait tabasser sur un parking !
Même Katherine poussa un hoquet de surprise en mettant sa main devant la bouche.
-Josh ! cria-t-elle, excédée.
-Quoi ? Je ne fais que dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas ! Il ne trouve pas de boulot, passe son temps à boire et à s'apitoyer sur son sort !
Sebastian eut l'impression que ses jambes se dérobaient sous lui. Alors, c'était ça que pensait son père ? Et sa mère aussi ? Ce que tout le monde pensait de lui ?
-Sebastian, il ne pense pas ce qu'il dit, s'empressa de dire sa mère en voyant son visage blanc comme un linge.
Elle essaya de s'approcher de lui mais il la repoussa de la main en déglutissant. Il n'osait même plus regarder ses parents dans les yeux. Il s'approcha de la porte en vacillant.
-Sebastian, il est simplement fatigué, ne l'écou...
Il n'entendit pas la suite. Il sortit de la chambre et se retrouva au milieu du couloir vide. Il marcha quelques mètres avant de s'appuyer contre le mur blanc, haletant. Il sentait les larmes lui monter aux yeux. Son père ne lui avait jamais parlé de cette façon. Il lui avait toujours fait comprendre qu'il n'était pas fier de lui, mais jamais aussi violemment. Josh savait toucher là où ça faisait le plus mal. Il savait que le souvenir de cette fin de soirée sur le parking de l'école le rendait toujours malade. Il eut un haut le cœur en se rappelant les paroles de ces cinq types sur ce parking. Les insultes, les rires, et les coups, qui ne s'étaient plus arrêté de pleuvoir sur lui. Ses agresseurs lui avaient même craché dessus. Ils lui avaient parlé comme son père tout à l'heure. Soudain une main se posa sur son bras. Sebastian sursauta et repoussa la personne, s'imaginant qu'un de ses agresseurs était de retour.
-Wow ! s'exclama le Docteur Moore en levant les mains pour le calmer. Ce n'est que moi, qu'est-ce qui se passe ?
Sebastian releva les yeux vers lui et vit la stupeur dans les yeux du docteur quand il vit les yeux pleins de larmes et le teint blafard du jeune homme.
-Excusez-moi, balbutia Sebastian avant de s'éloigner.
-Hé, attendez ! lança le docteur en le suivant. Vous êtes Sebastian, c'est ça ? Vous êtes tout pale.
-Je vais bien merci.
Sebastian ne le laissa pas ajouter quelque chose. Il s'éloigna en vitesse, sortit de l'hôpital et monta dans sa voiture. Il démarra en trombe et une fois sur la route, laissa échapper ses sanglots.
Raphaël, ahuri, courut après le jeune homme mais finit par renoncer en voyant qu'il était déjà parti. Inquiet, il se rendit dans la chambre de Josh Smythe.
-Monsieur, votre fils... commença-t-il.
-Ne vous occupez pas de mon fils, le coupa-t-il en le foudroyant du regard.
Raphaël chercha de l'aide auprès de madame Smythe, mais elle secoua la tête en murmurant :
-Merci, docteur Moore, mais ne vous inquiétez pas pour lui.
Décontenancé, Raphaël hocha la tête et sortit de la chambre. Une fois dans le couloir, il resta quelques instants perdu. Il n'avait pas du tout compris ce qui venait de se passer. Le fils de Smythe, qui s'appelait apparemment Sebastian, était dans un tel état... Il paraissait paniqué, triste et en colère en même temps.
Dans son métier il avait déjà vu beaucoup de malades, mais là, c'était différent. Il n'avait jamais vu autant de panique et de frustration dans un regard. Il se demandait bien pourquoi il avait sursauté comme ça quand il avait posé une main sur son épaule. Raphaël était tranquillement en train de rejoindre la chambre d'un autre patient quand il avait découvert le jeune homme appuyé contre le mur du couloir, tremblant de tous ses membres.
Il aurait bien aimé savoir ce qui s'était passé dans cette chambre. Apparemment, ça n'avait pas du tout plu à Sebastian. Il était pale comme un linge. Son père, lui, était en colère. Et sa mère, elle, ne bronchait pas. A croire qu'elle se fichait que son fils soit dans cet état.
-Hé, Moore qu'est-ce que tu fous ?
Raphaël releva la tête et son regard s'assombrit encore plus quand il reconnut le docteur Paul Windgings, emmerdeur de première.
-Je...
-T'as pas du boulot plutôt que de rester planté au milieu du couloir ? le coupa-t-il, ce qui agaça Raphaël au plus haut point. Je sais pas comment ça se passait à New York, mais ici, on est pas des fainéants.
-Je réfléchissais.
-Oh, pardon, monsieur réfléchissait ! Il faut croire que ça t'arrive de temps en temps.
Windgings lui fit un sourire cynique avant de s'éloigner. Raphaël serra les poings en marmonnant. Ce type l'énervait tellement ! C'était le plus agaçant, le plus chiant et le plus débile chirurgien de cet hôpital. Et comme par hasard, il le croisait dans les couloirs. Paul l'avait pris en grippe dès son arrivée à l'hôpital il y a de ça 1 an et demi. Il avait commencé son boulot à l'hôpital de Lima à ses 28 ans. Raphaël avait fait ses études de médecines et son internat en chirurgie à New York. Depuis ses 18 ans, il avait vécu dans la si populaire ville américaine. Huit ans plus tard, il avait enfin pu revenir à Lima pour devenir chirurgien dans l'hôpital local. New York ne lui avait jamais vraiment plu. Il avait toujours voulu revenir dans l'Ohio.
Raphaël était né dans la ville de Cleveland, en Ohio. À quasiment 30 ans, cela lui avait fait bizarre de revenir dans sa région d'origine. Certains médecins étaient jaloux de ses études faites à New York, et tout particulièrement ce Paul, qui se faisait un plaisir de le lui rappeler à tort et à travers.
Raphaël se rappela soudain qu'il devait aller voir une de ses patientes. Il marcha jusqu'à la chambre 220 et toqua à la porte avant d'entrer.
-Bonjour Rosa, dit-il en souriant.
La vieille dame lui fit un sourire éclatant.
-Docteur Moore ! Je suis si contente de vous revoir !
-Pas moi, rétorqua Raphaël. Ça fait trois fois, Rosa. J'aimerais bien qu'il n'y en ai pas de quatrième.
Il jeta un œil sur le plâtre qui avait été mis à sa jambe.
-Qu'est-ce que vous avez fait pour vous casser la jambe ? ajouta-t-il.
-Je suis tombée dans les escaliers, répondit-elle en baissant les yeux comme le ferait un enfant après une bêtise.
Raphaël leva les mains en soupirant, excédé.
-Rosa, ce n'est plus possible. Un coup le bras, après le bassin, maintenant la jambe. Vous devez comprendre. Vous ne pouvez pas rester chez vous plus longtemps.
Raphaël avait déjà eu plusieurs fois Rosa comme patiente, et elle venait souvent avant qu'il n'arrive dans cet hôpital. Rosa avait 85 ans et vivait seule dans une grande maison à plusieurs étages. Son mari n'était plus là et elle n'avait pas d'enfants. Cette pauvre vieille femme n'avait pas de famille et ne pouvait plus s'occuper d'elle-même. Elle avait du mal à se déplacer et refusait d'engager une infirmière ou de faire quelques travaux dans sa maison pour lui faciliter la vie.
-Je ne partirai pas de chez moi ! s'exclama Rosa d'une voix chevrotante.
-Alors, engagez une infirmière qui pourra vous aider. Vous n'arrêtez pas de tomber et vous finissez à chaque fois à l'hôpital.
La seule chose qu'avait accepté Rose, c'était un biper qu'elle avait toujours sur elle et qui lui permettait d'appeler les secours en cas de problème. Mais ça ne rassurait pas Raphaël plus que ça.
-Personne ne viendra m'aider chez moi, déclara Rosa en croisant les bras. Je refuse.
-Alors, faites des travaux chez vous.
Il essayait de la convaincre de faire le strict minimum pour assurer sa sécurité.
-Personne ne changera quoi que ce soit dans ma maison.
-Alors, il faut aller dans une maison de retraite.
-Non ! Jamais, vous m'entendez ? Jamais !
Raphaël leva les mains en signe d'apaisement.
-D'accord, d'accord.
Il attendit que la vieille dame se calme. A cet âge, elle ne devait pas s'énerver comme ça. Il s'assit au bord du lit.
-Rosa, s'il vous plaît.
-Quoi ?
-Pourquoi vous refusez que quelqu'un d'autre s'occupe de vous ?
Rosa baissa les yeux. Elle semblait soudain triste. Raphaël prit la main de la vieille femme dans la sienne.
-Dites-moi Rosa. C'est dangereux ce que vous faites.
-C'est lui qui s'occupait de moi avant. Ce ne sera personne d'autre. Personne d'autre n'entrera dans ma maison, chuchota Rosa.
-De qui vous parlez ?
-De George.
-Votre mari ?
-Oui...
Raphaël comprit soudain. Elle ne voulait pas que quelqu'un d'autre que son défunt époux ne prenne soin d'elle. Elle ne voulait pas partir de chez elle pour ne pas quitter la maison où elle avait vécu avec lui.
-Je ne veux pas que la maison change. Si vous faites des travaux, elle ne sera plus comme avant, expliqua-t-elle.
Elle voulait garder la maison telle qu'elle était quand son mari vivait encore avec elle. D'après ce qu'il savait, son mari était décédé il y a trois ans. Elle ne voulait pas perdre son souvenir.
-Je comprends, dit-il en hochant la tête.
-Non, personne ne comprend.
-Si, je vous assure. Vous voulez avoir l'impression qu'il est toujours là, et qu'il retrouvera sa vie telle qu'elle était quand il reviendra.
-Il n'aimerait pas qu'une femme vienne chez nous ou que la maison ait changé.
-Et encore moins que vous ne soyez plus chez vous.
Rosa acquiesça.
-Rosa, il ne reviendra pas.
Elle leva les yeux vers lui.
-Je sais.
-Alors, il ne faut pas vivre dans le passé.
-Ce n'est pas facile à mon âge, dit-elle en souriant tristement.
-Oui, je m'en doute...
-Je veux conserver son souvenir. Vous ne pouvez pas comprendre, vous êtes trop jeune. Est-ce que vous avez trouvé l'amour ?
Raphaël secoua la tête.
-Eh bien, réfléchissez. Si vous l'aviez trouvé et que cette personne mourait. Si c'était la personne que vous aimez le plus au monde et que vous ne pouvez pas vivre sans elle. Comment feriez-vous pour survivre ?
Raphaël baissa les yeux. Il ne connaissait pas ça. Il n'avait personne dans sa vie, et ne risquait pas de trouver le grand amour de sitôt.
-Vous garderiez vos petites habitudes, vous feriez tout pour avoir l'impression que votre grand amour est toujours près de vous. George était mon grand amour. Mon âme sœur. Nous nous sommes mariés alors que nous avions vingt ans. Nous avons vécu plus de soixante ans ensemble. Alors je ne peux pas le laisser partir. Vous comprenez ?
Raphaël hocha la tête. Il était impressionné. Vivre plus d'un demi-siècle ensemble ? Lui qui n'avait toujours pas trouvé l'amour avait du mal à le croire.
-Oui, je vous comprends.
Il se releva.
-Écoutez, je vous demande d'y réfléchir. Je ne crois pas que votre mari aimerait vous voir dans cet état. Et un jour, ça pourrait être pire. Vous croyez que George voudrait vous voir souffrir comme ça ?
Rosa baissa les yeux.
-De toute façon, vous passez quelques temps ici. On ne peut pas vous laisser partir dans cet état. Bonne soirée.
Raphaël allait sortir mais se retourna :
-Rosa ?
-Oui ?
-Je sais que c'est dur, enfin... Je suppose que c'est vraiment dur, mais il faut parfois tirer un trait sur le passé, pour se tourner vers le présent. Et dans le présent, vous êtes en danger, seule chez vous.
Il sortit de la chambre et s'arrêta dans le couloir. Il espérait vraiment que ses dernières paroles allaient finir par la convaincre. Il aimait beaucoup Rosa et comprenait ses réactions, mais elle n'avait maintenant plus le choix. Elle finirait par se tuer, ou par se trouver dans une situation où elle ne pourrait plus appeler les secours. Raphaël jeta un coup d'œil à sa montre. 18h30. Il avait terminé pour aujourd'hui. Il pouvait enfin rentrer chez lui. Raphaël se rendit à la salle de garde des titulaires et déposa sa blouse dans son casier.
-C'est fini pour aujourd'hui, Moore ?
Raphaël se retourna et sourit à Mary Gordon, assise dans le canapé avec une tasse de café.
-Ouaip, pas pour toi ?
-Non, je suis de garde cette nuit, marmonna la jeune femme.
Mary devait avoir quasiment 30 ans, comme lui. Ils faisaient tous les deux partis des plus jeunes titulaires de l'hôpital.
-Oh, c'est pas de chance. J'espère pour toi que la nuit sera calme.
Il compatissait vraiment. Ce n'était pas facile de ne pas rentrer chez soi pour la nuit, mais ça arrivait à tout le monde. Il fallait toujours quelques titulaires sur place et ça changeait tous les jours. Raphaël serait de garde toute la nuit du lendemain.
-J'espère aussi. Dis-moi, ça te dit toujours pas, un dîner ?
Raphaël rigola intérieurement. La jeune femme n'arrêtait pas de lui tourner autour. Il devait avouer qu'elle était charmante, avec ses cheveux noirs et ses yeux verts qui ressortaient vraiment sur son visage. Quand les patients la voyaient, ils disaient tout le temps qu'elle avait un regard de braise qu'on ne pouvait plus quitter une fois qu'on avait posé ses yeux dessus. D'autant plus que Mary était si mince et si grande qu'on aurait pu la prendre pour un mannequin. Une fois, alors qu'il travaillait avec elle sur un patient, le vieil homme lui avait murmuré :
-Elle est vraiment médecin ?
-Chirurgie générale, plus précisément, avait rétorqué Mary en le foudroyant du regard.
Mais Mary avait beau être la titulaire la plus mignonne de cet hôpital, il n'était pas intéressé.
-Je ne suis pas très dîner, répondit-il.
-Ça peut être autre chose qu'un dîner, rétorqua-t-elle.
-Je ne suis pas très "autre chose", précisa-t-il en souriant.
-Je vois, dit-elle en souriant à son tour. J'aurais au moins essayé.
Raphaël acquiesça.
-Bon, allez, bonne chance pour cette nuit. Tu me raconteras.
-A demain !
-A demain.
Raphaël mit son manteau, la salua et sortit de la salle de garde. Il rejoignit la sortie et salua les infirmières au guichet avant d'aller sur le parking. Quelques minutes plus tard, il disparaissait avec sa voiture, loin de l'hôpital. Il dut rouler environ vingt minutes pour atteindre son appartement, situé dans un quartier plutôt chic du centre de Lima. Il se gara sur sa place privé et ferma la voiture. Raphaël monta les escaliers jusqu'au troisième étage avant de chercher ses clés dans son manteau.
-Merde, murmura-t-il quand il comprit qu'il les avait oublié.
Il toqua à la porte de son appartement. Il entendit des pas et quelques secondes plus tard la porte s'ouvrit sur Lucy.
-Tu as encore oublié tes clés ! lui dit-elle avec un ton de reproche.
-C'est parce qu'on est partis ensemble ce matin, et c'est toi qui a fermé la porte.
-Ouais, marmonna-t-elle.
-Bon, tu me laisses rentrer ?
Elle s'écarta et Raphaël entra dans l'appartement. Il vivait en colocation avec Lucy depuis son arrivée il y a un an et demi. La jeune femme cherchait un colocataire parce que le loyer de l'appartement venait d'augmenter, et Raphaël n'avait pas encore les moyens de se payer un chez soi, alors il avait répondu à son annonce. Lucy avait 24 ans et était interne dans le service pédiatrie de l'hôpital. C'était plus facile pour eux de travailler au même endroit. Lucy n'avait pas de voiture et devait prendre les transports en commun, sauf quand ils commençaient leurs gardes en même temps : ces fois-ci, il pouvait l'emmener avec lui en voiture. Dès le début de leur colocation, Lucy et Raphaël étaient devenus bons amis. Bien sur, il n'avait jamais été question d'autre chose entre eux. Il adorait délirer, sortir et s'amuser avec elle, mais ce n'était jamais allé plus loin.
-J'ai déjà pris ma douche, alors si tu veux y aller.
-Tu es rentrée il y a longtemps ?
-Une heure environ.
-T'as pris le bus ?
-Taxi. J'étais crevée pour marcher jusqu'à l'arrêt de bus.
-Journée difficile ?
-Assez oui.
Raphaël enleva le manteau et se tourna vers son amie. Il vit bien à son regard fuyant qu'elle n'était pas bien. En plus, elle avait mis un pull très ample comme pyjama et marchait le dos un peu voûté. Tous les signes montrant qu'elle n'était pas en forme.
-Qu'est-ce qui s'est passé ?
Lucy fuit son regard et s'en alla dans le salon. Il la retrouva assise sur le canapé, les genoux ramenés contre sa poitrine et le regard dans le vide. Il s'assit à côté d'elle et l'attira vers lui. Il attendit alors qu'elle se livre à lui. Quelques minutes plus tard, elle brisa enfin le silence :
-Un bébé est mort aujourd'hui. Il avait une malformation cardiaque. Ça faisait des mois qu'on était sur son cas, la mère commençait à espérer qu'on arriverait à le sauver.
-Mais vous n'avez pas réussi.
Lucy secoua la tête.
-Ce n'est pas ta faute.
-Je sais, dit-elle en soupirant avant de poser sa tête sur l'épaule de Raphaël. Mais c'est dur. Surtout quand on s'investit autant pour un patient et qu'on n'arrive finalement pas à le sauver.
Raphaël comprenait ce sentiment. Lucy était depuis peu interne et c'était vraiment dur au début de séparer vie privée et vie professionnelle. On avait toujours tendance à s'investir personnellement dans un cas, et on en ressortait en général blessé. Même lui qui avait fini son internat et était titulaire avait toujours du mal à rester professionnel. On voulait toujours sauver tout le monde. Et le pire, c'est quand on pensait avoir enfin sauvé un patient, et qu'au final on le perdait soudainement.
C'était dur pour Lucy, surtout en travaillant près des plus jeunes enfants, alors, il faisait tout son possible pour être là quand elle avait besoin de parler. C'était leur petit rituel. Quand ils passaient une dure journée, ils s'asseyaient sur le canapé, se serraient l'un contre l'autre et se racontaient leurs malheurs.
-J'ai parfois du mal à comprendre le corps humain, dit Lucy. Comment peut-on mourir si jeunes, alors qu'on a toute la vie devant nous qui nous attend ? Est-ce qu'on est donc obligé de vivre avec cette épée de Damoclès au-dessus de notre tête qui menace de nous tuer à chaque instant ?
Raphaël se tendit soudain, et Lucy enleva la tête de son épaule.
-Je suis vraiment désolée, je n'aurais pas du dire ça, s'empressa de dire Lucy d'un air triste.
Raphaël sourit.
-Ne t'inquiète pas, ce n'est rien.
Il évitait simplement d'y penser la plupart du temps, mais son cœur se serrait quand quelqu'un lui rappelait justement cette épée de Damoclès juste au-dessus de sa tête.
-Tu ne m'en veux pas ?
-Non, non, dit Raphaël en posant un baiser sur les cheveux blonds et lisses de Lucy qui descendaient jusqu'à ses épaules. Parlons simplement d'autre chose.
-D'accord. Alors, et toi, ta journée ? Tu sembles préoccupé. Raconte-moi.
-Oh, rien d'exceptionnel, des petits trucs... Toujours ce docteur Windgings qui m'insupporte, cette bonne vieille Rosa qui refuse toujours d'être aidé par une infirmière à domicile, et encore Mary qui essaie de me filer un rencard.
Bizarrement, Raphaël ne parla de la famille Smythe à Lucy. Il se dit qu'il n'avait pas le droit d'afficher les problèmes de Sebastian devant quelqu'un d'autre. Il ne le connaissait même pas, alors pourquoi s'inquiéter pour ce garçon ?
-Pour ce Docteur Windgings, tu n'as qu'à lui foutre ton poing dans la figure. Pour Rosa, je suis sure que tu arriveras à la convaincre. Et pour cette Mary, quand est-ce qu'elle aura compris que c'est impossible pour une fille de sortir avec un gay ?
Raphaël rigola. Toujours aussi franche cette Lucy.
-Je ne peux pas le frapper, je risque de gros ennuis. Il a plus d'ancienneté que moi.
-Mouais... N'empêche que c'est pas ta faute si c'est un con.
-On est d'accord.
Ils éclatèrent de rire.
-Et pour Mary, je te signale que personne à l'hôpital ne sait que je suis gay.
Il avait préféré taire ce léger détail. Il avait découvert son homosexualité à l'adolescence, et cela n'avait posé de problèmes à personne. Sa famille l'avait bien accepté, ses amis aussi. Il avait juste fait profil bas au lycée pour ne pas avoir de problèmes avec d'autres gens moins tolérants. Mais dans l'ensemble, que ce soit dans son lycée ou en fac de médecine, il n'avait pas eu de problèmes particuliers.
-Tu parles. Je suis sure que tout l'hôpital s'en est déjà rendu compte.
Il haussa un sourcil.
-Tu crois ?
Lucy le regarda de ses yeux bleus azur.
-J'en suis certaine.
-Si tu le dis, dit Raphaël en haussant les épaules.
Pourtant, il ne faisait pas vraiment gay aux premiers abords. Il s'habillait normalement, et n'était pas vraiment efféminé. Il préférait seulement les bras solides des hommes que les corps frêles des femmes. L'homosexualité ne s'expliquait pas. Il avait déjà eu des relations avec des femmes, mais il se considérait quand même comme un gay, vu qu'il préférait vraiment la compagnie des hommes.
-Bon, je vais prendre une douche.
-Je vais préparer à manger. Des pâtes, ça te dit ? Je suis trop crevée pour cuisiner quoi que ce soit.
-Va pour des pâtes !
Raphaël s'enferma dans la salle de bains. L'appartement convenait parfaitement pour deux personnes, avec un salon, une cuisine, un W-C, une salle de bains et deux chambres.
Le jet d'eau chaude lui fit un bien fou. Il sentait tous ses muscles se détendre les uns après les autres. La fatigue, après de l'eau si chaude, lui tombait dessus. Il ressortit de la douche une serviette autour de la taille et s'habilla dans sa chambre. Il n'avait maintenant qu'une envie : aller se coucher. Alors que Lucy était en train de mettre table tout en surveillant les pâtes, le téléphone fixe sonna.
-Tu peux répondre ? demanda Lucy.
Raphaël reconnut immédiatement le numéro.
-C'est pour moi, dit-il avant de décrocher.
-Allô ?
-Bonsoir mon chéri, c'est maman !
-Coucou maman, sourit Raphaël.
-Comment tu vas mon petit chou ?
-Très bien et toi ?
-Ça va. Tu n'es pas trop fatigué j'espère ? demanda-t-elle.
-Si, comme tous les soirs, mais ça va je t'assure, dit-il en levant les yeux au ciel.
Sa mère l'appelait le plus souvent possible pour prendre de ses nouvelles. Une vraie mère poule. D'un côté, il savait avoir de la chance, peu de gens avaient des parents aussi proches, mais d'un autre côté, c'était parfois pesant de devoir toujours répéter pareil : "je vais bien, arrêtez de vous inquiéter". Sa mère, Julia, avait toujours été comme ça. Ses parents étaient aujourd'hui à la retraite, sa mère était une ancienne coiffeuse, et Franck, son père, avait été professeur de littérature à la fac où sa sœur, Leah, 22 ans, étudiait le droit depuis quatre ans.
-Quand est-ce que tu viens nous voir ? demanda Julia.
-Dès que j'aurai un week-end de libre maman.
-Et tu ne sais pas du tout quand c'est ?
-Non, il y en a pas de prévu pour le moment, mais dès que je sais, je vous appelle, c'est promis.
-Et j'espère que tu vas voir souvent ton grand père. Lui au moins il n'habite pas très loin, tu pourrais aller prendre de ses nouvelles.
-J'y vais demain en début d'après-midi pendant ma pause, maman, comme tous les lundis.
-Très bien. Et tu travailles même aujourd'hui ? Un dimanche ?
-Eh oui. Je n'ai pas mon dimanche de libre cette semaine.
-Oh...
-Au fait, ne m'appelle pas demain soir, je suis de garde toute la nuit.
-Oh, mais tu vas être vraiment fatigué. J'espère que tu te reposes souvent mon chéri.
-Mais oui, maman, ne t'inquiète pas. Je ne suis pas en sucre tu sais.
-Oui, je le sais, mais c'est normal que je m'inquiète. Tu as vu ton médecin ce mois-ci ?
-Oui, il y a une semaine.
-Et alors ?
-Tout va bien maman. Mes analyses sont tout à fait normales. Tu te doutes bien que je te le dirai si il y avait un problème.
-Oui, mais...
-Maman, ça fait des années que je vais bien, quasiment 10 ans, alors arrête de t'inquiéter tous les mois, dès que je vais faire mes analyses.
-Ça peut revenir à tout moment...
-Maman arrête. On a la même conversation tous les mois.
Un silence au bout du fil.
-Bon, très bien.. Ton père et ta sœur t'embrassent.
-Embrasse-les de ma part. Bonne soirée à vous.
-Et embrasse Lucy de notre part.
-J'y manquerai pas. A bientôt.
-Bisous, lui dit sa mère avant de raccrocher.
Raphaël reposa le téléphone.
-Décidément ta mère est toujours la même.
-Oui, rigola-t-il. Ça changera jamais. Mais elle s'inquiète trop.
-Je sais que c'est pesant pour toi, mais tu ne peux pas lui en vouloir.
-Oui je sais. Ils t'embrassent tous.
-Tu iras les voir ?
-Dès que j'ai un week-end de libre.
Lucy acquiesça.
-Bon allez viens, les pâtes sont prêtes. J'ai fait de la sauce tomate avec.
-Super, sourit Raphaël.
OoOoOoOoO
Quand Raphaël arriva le lendemain matin à 8h à l'hôpital, accompagné par Lucy, Mary vint à sa rencontre.
-Salut vous deux. Moore, j'ai une bonne nouvelle pour toi. On m'a chargé de te dire que finalement tu es libre ce soir.
-C'est vrai ?
-Ouais. Changement de programme. Tu as bien de la chance. Par contre tu es de garde mercredi soir et toute la nuit.
-Pas de problème. Merci de m'en avoir informé.
-À ton service, sourit Mary. Bonjour Lucy. Vous allez bien ?
-Très bien et vous ? Mary c'est ça ?
-C'est ça. Raphaël parle souvent de vous. Vous êtes sa colocataire c'est bien ça ?
-Tout à fait. Et vous une autre titulaire ?
-Je vois qu'il vous a parlé de moi, rigola Mary.
-Oh, vite fait, rétorqua Raphaël. Bon, à ce soir Lucy.
-Non, pas ce soir. Toi tu as un changement de programme, mais pas moi, sourit Lucy.
-Ah oui, c'est vrai, tu es de garde cette nuit. On se voit demain alors ?
-Ouaip.
Lucy lui fit un signe de la main et sourit à Mary avant de s'éloigner.
-Très mignonne ta petite amie, commenta Mary.
-Ce n'est pas ma petite amie. Nous sommes juste amis.
Mary leva les mains.
-Ok, ok, t'énerves pas. Je dois y aller.
Mary s'éloigna à son tour. Raphaël soupira avant de se rendre dans la salle de repos pour se changer. Décidément, Mary n'allait pas le lâcher si facilement. Pour l'instant, il arrivait à la tenir à distance, mais pour combien de temps ? Il secoua la tête pour chasser ses pensées et se mit au boulot. Il avait une opération de prévue à 10h et il devait tenir les urgences en attendant.
OoOoOoOoO
Raphaël toqua à la porte de la chambre 220 avant d'entrer. Il venait juste de sortir de son opération et voulait rendre visite à sa patiente de la veille. Rosa était en train de regarder un magazine, des lunettes sur le nez. Elle leva les yeux en l'entendant arriver et lui fit un grand sourire.
-Docteur Moore !
-Bonjour Rosa ! Comment vous vous sentez ?
-Mieux. Je n'ai plus vraiment mal, ça me gratte juste ce gros plâtre.
-Il va falloir le garder plusieurs semaines malheureusement. Vous avez réfléchi ?
-Vous savez, à mon âge, on fait semblant de lire les magazines, sourit Rosa. On regarde surtout les images.
Raphaël s'assit de nouveau au bord du lit et Rosa soupira.
-Oui, j'y ai réfléchi. Et j'en suis arrivé à une décision qui me convient.
-Ah oui ?
-Je ne vais jamais pouvoir me débrouiller seule avec ce plâtre, alors je vais engager une infirmière à domicile tant que je me coltinerai ce truc. George n'aurait pas pu de toute façon s'occuper de moi avec un plâtre. Il n'était pas non plus très jeune.
-Et quand vous n'aurez plus le plâtre ?
-Je verrai. Si je vois que cette infirmière me simplifie vraiment la vie et assure bien ma sécurité, je la garderai peut-être.
-Sage décision, sourit Raphaël.
-J'ai dit peut-être !
Raphaël hocha la tête. Il sentait qu'il avait gagné la partie. Quelque chose lui disait que cette infirmière à domicile allait rester.
-Je vais me charger moi-même de vous trouver une bonne aide à domicile. Vous voulez bien ?
-Avec plaisir. Choisissez-la bien.
-Ne vous inquiétez pas. Votre mari serait fier de vous Rosa.
-Je l'espère, sourit-elle.
OoOoOoOoO
Raphaël reposa sa blouse dans son casier à midi. Il avait une heure et demie de libre pour manger. Il allait en profiter, comme tous les lundis et vendredi, pour aller voir son grand père à la clinique pour personnes âgés de Lima. En chemin, il se sentit soulagé pour Rosa. Il s'inquiéterait déjà moins pour elle après lui avoir trouvé une bonne infirmière.
Dix minutes plus tard, Raphaël se garait devant la clinique. Il acheta deux sandwichs au snack à côté avant d'entrer dans le bâtiment. Il salua la secrétaire qui lui sourit et rejoignit la chambre au fond du couloir. Il toqua à la porte.
-Entrez, répondit une voix.
Il ouvrit la porte et entra dans la chambre. Son grand père, Charles Lings, père de Julia, était assis dans son fauteuil. À 87 ans, Charles était encore très indépendant. Il avait décidé lui-même d'aller dans cette clinique à la mort de sa femme. Pour lui, cet endroit était le paradis. Il pouvait regarder la télé, jouer aux cartes avec ses voisins de chambre, la nourriture était plutôt bonne et chaque chambre était très bien équipée pour les personnes âgés.
-Salut grand-père !
-Coucou mon grand.
Il embrassa Charles sur le front avant de s'asseoir sur le rebord du lit. Il lui tendit le sandwich.
-Tiens, je t'en ai pris un.
-Je ne sais pas si mes vieilles dents vont réussir à mâcher ça.
Raphaël haussa les épaules.
-C'est bien pour ça que le tien est au pain de mie. C'est facile à mâcher.
-Ah ! Super, merci beaucoup Raphy.
Son grand-père adorait l'appeler comme ça, même si Raphaël n'aimait pas du tout. Ils mangèrent leur repas en silence. Le jeune homme essayait de manger au même rythme que Charles pour ne pas le vexer.
Raphaël devait tout à son grand-père. Il avait toujours été là pour lui, même si sa grand-mère était morte dix ans plus tôt d'une pneumonie. C'était grâce à eux qu'il avait pu faire ses études de médecine à New York, dans une prestigieuse fac. Grâce à la vente de la maison de ses grands-parents. À la mort de Nina, la femme de Charles, il avait été décidé par toute la famille de Julia de vendre la maison familiale pour payer ses études, et le reste de l'argent servait aujourd'hui à aider Leah, sa petite sœur.
-Alors, quoi de neuf grand-père ? demanda-t-il quand ils eurent fini leur sandwich.
-Boh, tu sais, à mon âge, plus grand chose de neuf.
-Allez papi, tu as toujours des nouvelles pour moi d'habitude.
Charles sourit.
-En effet, il y en a une.
-Raconte !
-Il y a une jeune dame, à l'autre bout du couloir. Sylvia. Je crois que lui plais.
-Quand tu dis une jeune dame, ça veut dire quoi ?
-Oh non ! Ça veut dire une femme de mon âge environ. Tu sais, j'ai encore mes vieilles habitudes pour faire la cour à une femme.
-Oh, très bien ! C'est super. Elle est gentille ?
-C'est la crème de la crème. Une vraie perle. Tous les vieux de la clinique lui tournent autour, mais c'est moi qu'elle regarde à chaque fois.
-Tant mieux pour toi, sourit Raphaël. Tu me tiendras au courant ?
-Bien entendu !
Charles lui demanda ensuite des nouvelles de sa colocataire, de son boulot, de ses parents et de sa sœur.
-Ils ne viennent jamais me voir tes parents et Leah.
-Ils sont assez loin d'ici tu sais, et Leah a beaucoup de travail à la fac de droit. Mais je suis sure que dès qu'ils auront tous des vacances, ils viendront te rendre visite.
-Toi tu viens tout le temps.
-Parce que j'habite juste à côté.
-Dis-moi, ça ne te dérange pas de venir voir ton vieux grand-père, Raphy ?
-Bien sur que non, pourquoi tu dis ça ?
-J'ai remarqué que tu venais tous les lundis et vendredi, toujours à la même heure. C'est devenu un truc monotone de me rendre visite...
-Mais pas du tout papi ! C'est juste que j'ai tellement de travail qu'au moins je suis sur de venir en choisissant des jours précis. Sinon, tu me connais, je n'arriverai jamais à venir si je ne le prévois pas à l'avance.
-C'est vrai ?
-Ben oui, j'adore venir te voir.
Et c'était tout à fait vrai. Il aimait bien discuter avec son grand père. Le vieil homme avait encore toute sa tête et était toujours très intéressant.
OoOoOoOoO
À la fin de la journée, Raphaël fut bien content de pouvoir partir. Il n'avait pas du tout envie de passer la nuit à l'hôpital. À 17h00, il fut libéré exceptionnellement et décida de se rendre à la salle de musculation de Lima. Il aimait bien, de temps en temps, aller faire du sport en salle. Ça lui permettait de se maintenir en forme et de se changer les idées, après toutes les horreurs qu'il voyait aux urgences. Il décida d'abord de passer voir Lucy au service pédiatrie.
La jeune femme était assise près des couveuses et regardait d'un air attendri un bébé tellement petit que Raphaël fut surpris qu'il soit vivant. Quand Lucy le vit arriver, elle lui fit signe de l'autre côté de la vitre de la rejoindre. Il passa la porte du sas où se trouvaient les couveuses et s'approcha d'elle.
-Je te présente Mathis, lui dit-elle en souriant.
-Il est si petit !
-Il est né à 5 mois de grossesse. C'est un miracle qu'il soit encore vivant.
-Il va s'en sortir ?
-Le temps nous le dira. Je dois le surveiller toute la nuit.
-Quelqu'un va te relayer ?
-Une infirmière viendra à ma place un moment pour que je puisse me reposer et me bipera en cas de problème.
Raphaël acquiesça.
-J'espère que celui-ci, on le sauvera.
Lucy pensait sûrement au bébé décédé la veille.
-J'espère aussi.
-Alors tu vas faire quoi ce soir sans moi ?
-Je vais aller à la muscu. Ça me fera du bien.
-T'as raison. Au moins ça te fera peut-être des tablettes de chocolat.
-J'ai déjà des tablettes de chocolat ! lança-t-il en la tapant sur l'épaule.
-N'importe quoi ! Allez, va t'entraîner !
Raphaël allait assez souvent à la salle de muscu, il n'était plus aussi maigrichon qu'il l'était dans sa jeunesse. Il avait quand même pas mal de muscles.
Il embrassa la jeune femme sur le haut de la tête en lui souhaitant bon courage avant de s'éclipser. Il prit sa voiture et roula jusqu'au gymnase de la ville, situé juste à côté de la grande salle de musculation. Il montra sa carte d'abonnement au surveillant pour pouvoir entrer. Il alla se changer dans les vestiaires. Il gardait toujours des affaires de sport dans son casier de l'hôpital au cas où il pourrait s'éclipser avant faire de la musculation sans avoir à rentrer chez lui. Une fois prêt, il entra dans la salle et décida d'aller courir sur le tapis. Il régla le temps à trente minutes et la vitesse du tapis à "normale".
Alors qu'il courait, Raphaël observa les autres machines et remarqua un jeune homme en train de frapper dans un sac de sable. La salle avait ce qu'il fallait en matière de musculation mais aussi pour la boxe. Raphaël se dit soudain que cet homme lui disait quelque chose. Il avait des cheveux châtains et des yeux apparemment verts, même s'il ne voyait pas très bien d'ici. Il était mince et grand. Raphaël mit plusieurs minutes avant de vraiment le reconnaître. Sebastian Smythe. Celui qui était venu voir son père Josh à l'hôpital et qui était reparti tremblant et blanc comme un linge.
Cette fois-ci, Sebastian semblait en colère. Il frappait comme un fou le sac de ses mains gantés. De l'endroit où il était, Sebastian ne pouvait pas le voir l'observer. Raphaël se demandait pourquoi il paraissait tant en colère. S'il avait pu déchirer le sac, il l'aurait fait avec plaisir. Il semblait vouloir se défouler sur ce pauvre sac. De la sueur coulait le long de son front et ses muscles étaient tendus, prêt à frapper de plus en plus fort.
Raphaël finit par décider d'intervenir quand il vit dans quel état d'épuisement le jeune homme était. Il arrêta le tapis et descendit. Il fit le tour des autres machines pour rejoindre l'espace où se trouvaient le sac et Sebastian. Raphaël se mit sur le côté et attendit que Sebastian le remarque. Celui-ci finit par le voir et arrêta de frapper. Raphaël attrapa le sac pour qu'il arrête de tanguer.
-Ce sac ne vous a rien fait de mal à ce que je sache.
Sebastian le regarda, bouche bée. Apparemment, il ne le reconnaissait pas.
-Vous ne vous rappelez pas qui je suis ?
Sebastian pâlit soudain.
-Docteur Moore.
-C'est bien moi. Raphaël. Vous vous appelez Sebastian, n'est-ce pas ?
-Oui, c'est bien ça. Qu'est-ce que vous faites ici ?
-Du sport, et vous ?
-Moi aussi.
-Ce n'est pas ce que j'appelle du sport. C'est plutôt de l'acharnement contre un pauvre sac, sourit Raphaël.
Sebastian haussa les épaules.
-Je me défoulais un peu.
-Je vois ça. Vous pourriez vous faire mal à frapper si fort et si vite.
Il haussa de nouveau les épaules.
-Tant que ça me fait du bien.
Raphaël avait l'impression de parler à un mur. Il décida de voir jusqu'où pourrait aller Sebastian.
-Vous ne me demandez pas de nouvelles de votre père ?
Sebastian pâlit encore plus et Raphaël eut l'impression que celui-ci allait s'écrouler devant lui. Il comprit qu'il était allé trop loin. Il n'aurait pas du lui parler de ses parents, ce sujet semblait sensible.
-Je suis désolé, je n'aurai pas du... commença-t-il mais Sebastian ne le laissa pas finir.
Il défit ses gants et commença à partir précipitamment.
-Attendez ! l'appela Raphaël en le suivant jusque dans les vestiaires.
-Qu'est-ce que vous me voulez ? demanda Sebastian en se retournant d'un air menaçant.
Raphaël haussa les sourcils, surpris par le ton colérique du jeune homme.
-Je suis désolé, soupira soudain Sebastian en remettant son tee-shirt. Je ne devrais pas vous parler de cette façon. Bonne soirée.
Sebastian disparut par la porte des vestiaires. Raphaël resta ahuri au milieu du vestiaire. Ce garçon était vraiment étrange.
