Hello, hello !
Je reprends cette fic, malgré les quelques déceptions que j'ai eu il y a quelques mois. Et je la reprends en corrigeant les fautes des premiers chapitres, et en enlevant, ou rajoutant des passages, pour faciliter la compréhension. D'ailleurs, je vous conseille de relire le passage avec Mathias, c'est beaucoup plus plausible, et plus facile pour moi de poursuivre l'écriture.
Sinon, voilà, je crois que c'est tout. J'espère que vous laisserez des commentaires, parce que je ne la reprends pas pour des prunes.
Bonne lecture !
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Chapitre 1.
Vestiges.
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Comme chaque soir depuis presque quatre mois, la même silhouette se promenait au bord des falaises de Bretagne. Il faisait chaud. Une de ces magnifiques soirées de printemps. Une de ces soirées où tout va bien partout. Une de celles où les fleurs dégagent un parfum apaisant, où l'odeur du sel a un goût de renouveau. Une de celles où on se sent revivre. A plusieurs dizaines de mètres en dessous, on pouvait entendre l'eau fouetter les rochers. A l'horizon, la mer était d'un bleu profond et mystérieux, et juste au-dessus, un soleil qui envoyait des reflets roses et orangés. Un magnifique tableau. Aux extrémités du petit sentier qui longeait la falaise, on voyait de jeunes fleurs, multicolores, immunisées contre le sel, parfois butinées par un petit papillon.
Ce jour-là, Aline s'était arrêtée sur un rocher et fixait la mer sans réellement la regarder. Elle portait un haut uni noir. Il était vieux. Mais elle aimait bien ce tee-shirt. Un sentiment de connu, comme si elle savait ce qu'il aller se passer, où elle ne subissait pas. Elle portait son pantalon en tissu et était pieds nus.
Et comme ça, elle était bien. Les cheveux lâches, virevoltant, la faisaient se sentir libre. Face à la mer, les jambes dans le vide, le regard perdu, elle était bien.
Aline était différente de son entourage. Elle était plutôt pâle et le contraste était encore plus flagrant avec ses cheveux. Elle les portait en bas du dos, ils étaient noirs, soyeux et totalement lisses. Certaines la jalousaient simplement pour ses cheveux. Alors doucement, elle souriait. Elle était plus qu'habituée à la jalousie de certaines filles. La jalousie qu'elle ait une beauté si particulière et envoûtante, une si belle vie… Instantanément, ce petit sourire amusé disparaissait et laissait place à une mine sombre. Sans joie. Juste de la tristesse. Une tristesse qu'elle ne partageait avec personne. Ses yeux avaient la même couleur. Enigmatiques. Ses proches la qualifiaient d'insondable et d'une beauté peu commune. Elle était grande, fine, et élancée. Chaque mouvement qu'elle faisait n'avait pour synonymes que la grâce et la rapidité.
Aline se sentait usée. Elle se sentait fade. La vie semblait ne plus rien vouloir lui donner qui puisse la rendre joyeuse. La seule chose dont elle était fière, totalement attachée, aimante et aimée, la seule personne qui la faisait se sentir vivre quand il était à ses côtés, c'était Yoann. Sa joie de vivre. Son complice. Sa moitié. Son jumeau. Son rayon de soleil dans sa vie si nuageuse. Aline sourit à nouveau. Yoann était une autre source de jalousie. Il avait les mêmes cheveux ébène, mais courts et totalement indisciplinés. La seule différence qui frappait l'esprit quand on les regardait, c'était leurs yeux. Au lieu d'être noirs comme ceux de sa sœur, ils étaient verts. D'un magnifique vert émeraude. Epoustouflants. Ses traits étaient semblables à ceux d'Aline. Symétriques, très fins, et gracieux. Il avait la même peau pâle. Il était très beau. A eux deux, ils étaient le fruit défendu.
Mais ce qui était le plus épatant chez eux, c'était qu'ils se complétaient. Il était réfléchi, elle était spontanée. Il était patient, elle jouait avec le temps. Il était expressif, elle était énigmatique. Il était chaleureux, elle était renfermée. Il était enjoué, elle était sarcastique. Elle savait qu'elle avait de la chance d'avoir une telle complicité avec lui. Elle savait qu'il serait toujours là. Il savait qu'elle serait toujours là. Et à seulement dix-sept ans, c'était leur plus grande richesse.
Aline sortit de sa poche sa dague. Ce qu'elle pensait être le vestige d'un amour mensonger. Mais maintenant qu'elle savait que ce n'était pas ses parents qui lui avaient offert, Aline n'avait pas la moindre idée de la personne qui la lui avait donnée. Elle n'était même pas sûre que ce fût un cadeau. Peut-être l'avait-elle simplement trouvée. Ces questions, elle se les était posées des centaines de fois sans jamais se rappeler ou trouver une réponse possible. C'était le vide, le trou noir. Avant ses dix-sept ans, elle n'avait aucun souvenir. Ou plutôt des images, accompagnées du sentiment qu'elle ne les avait jamais vécus. Spectateur de sa propre vie.
Elle en avait déjà parlé à Yoann. Mais ce dernier l'avait juste écouté. Il ne lui avait pas dit s'il ressentait la même chose ou seulement s'il avait des souvenirs. Il avait éludé ses questions et Aline avait senti qu'il lui cachait des choses mais elle n'avait pas insisté. Un soir, elle allait s'endormir dans ses bras quand Yoann avait parlé d'une voix triste. Juste un murmure. « Tu sauras bientôt, Aly. Je te le promets. J'espère juste que tu me pardonneras… » Finalement, elle s'était endormie, avec une question de plus sans réponse.
Tenant la dague dans sa paume, elle la regarda attentivement. D'un équilibre parfait, elle était ni plus ni moins le prolongement de sa main. Le pommeau était entouré de cuir qui ne s'était jamais usé alors que le bout était serti d'une pierre noir aux reflets verts. Sa lame était, quant à elle, inqualifiable. Longue d'une vingtaine de centimètres, elle était plus effilée qu'un rasoir. Mais Aline ne l'aimait pas pour ça. Sur l'extrémité de la lame, d'étranges signes étaient gravés. Elle avait bien sûr cherché dans les livres, auprès de spécialistes, mais personne n'avait été capable de lui en donner la signification. De loin, on aurait pu penser à une écriture fine et penchée comme dans les anciens manuscrits, mais des petits points étaient au-dessus et au-dessous des signes ; un peu comme dans l'écriture arabe.
Elle avait reçu plusieurs propositions d'achats, mais elle les avait toutes refusées. La réaction de Yoann l'avait étonnée quand elle lui en avait fait part. Quand elle lui avait parlé de ces propositions, il l'avait submergée par ses recommandations de la garder, qu'elle en aurait besoin. « Ne t'en sépare jamais, parce que je sais que tu le regreteras. »
Oh oui, cette dague était l'objet auquel elle tenait le plus.
Doucement, comme si elle avait peur de la briser, elle enserra le pommeau et la pressa dans sa main. Une larme tomba, silencieuse. Elle se sentait vulnérable et elle se détestait pour ça. Elle ne contrôlait plus. C'est pour ça qu'elle n'aimait pas pleurer. Pleurer n'est pas l'arme des faibles, c'est seulement le moyen d'extérioriser ta peine, et à moi de te consoler. Parce qu'elle le savait. Une personne l'avait prise dans ses bras et l'avait rassurée. Elle en était sûre. Mais elle ne se souvenait pas de son visage. Juste du timbre de sa voix. Une voix mélodieuse, douce, envoûtante. Et de ces quelques mots qu'elle connaissait par cœur. Elle savait qu'elle avait été apaisée. Et c'était quelque chose qu'elle n'avait pas ressenti depuis bien longtemps. Cette phrase tournait en rond dans la tête d'Aline à chaque fois que ses yeux se brouillaient. Elle s'était juré de ne plus pleurer tant qu'elle n'aurait pas retrouvé la personne qui l'avait rassurée. Seulement, c'était une promesse bien sur trop compliquée à tenir. La petite larme trace le contour de sa pommette avant de venir mourir à la commissure de ses lèvres.
Elle rangea la dague soigneusement dans le fourreau dans sa poche. Sur celui-ci, il n'y avait aucun signe. Juste des entremêlements de bois, décoré minutieusement, véritable harmonie entre l'homme et la nature. Bien que différents, la dague et son fourreau étaient indissociables.
Son regard dériva sur son poignet gauche. Sa marque, son tatouage. Quelques mois auparavant, elle s'était fait faire cette couronne de lierre qui serpentait autour de son poignet. D'un vert foncé, ce simple dessin donnait parfaitement l'illusion de la réalité. Elle ne savait plus exactement pour quelle raison elle avait voulu se démarquer de la sorte mais elle se souvenait du besoin qu'elle avait ressenti de se faire ce dessin. Comme si ces feuilles de lierre la rattachaient à quelque chose, quelque chose de plus beau. Peut-être même que quelque chose de meilleur l'attendait après cette vie qu'elle avait appris à détester.
Rageusement, elle essuya la traîtresse et se retourna vivement et tomba dans un lac émeraude. « Tu as le droit de pleurer Aly… Tu sais ? » Sa voix reflétait la tristesse qu'il avait de voir sa sœur comme ça.
Aline soupira. « Non Yoann, c'est un droit dont je veux me débarrasser. Pas tant que je ne l'aurais pas retrouvé. »
Yoann ne répondit pas. Il savait ce qu'elle voulait dire. Et à chaque fois qu'il lui disait qu'elle pouvait pleurer, comme tout le monde, elle lui donnait à chaque fois la même réponse. Elle le contourna alors qu'il soupirait également. Doucement, elle prit la main de son frère et l'emmena sur un tronc d'arbre, un peu plus loin.
Aline avait beaucoup changée.
Il s'était passé, environ quatre mois auparavant, un événement qui avait totalement bouleversé Aline. Lui, il était au courant. Il avait mal pour sa sœur. Avant, ils formaient une 'famille' heureuse. Pour Aline. Lui, elle, Gaëlle et Mathieu Kervadec. Seulement, un peu avant leur anniversaire, leurs parents étaient sortis. Ils n'en étaient jamais revenus. Un accident de voiture stupide. C'était un ami de Yoann qui les avait prévenus ; alors il avait accouru chez les Kervadec et avait annoncé la triste nouvelle. Yoann s'en doutait. Il sentait une horrible appréhension lui vriller le ventre. Cette appréhension qui allait avoir pour effet de faire accélérer les choses.
Aline, elle n'avait pas pleuré. Elle s'était simplement enfoncée dans un état second, déconnectée de la réalité. Yoann était sorti de la pièce, comptant appeler la police, pour vérifier les dires de son ami quand il avait entendu son nom et des cris. Sa sœur. Quand il était arrivé, Aline était plaquée contre un mur, Mathias sur elle, une main posée vicieusement sous son haut, une autre bien plus basse, s'étant déjà frayée un chemin par le biais des boutons défaits. Elle ne pleurait pas. Mais la peur et le dégoût se lisaient clairement sur son visage.
Une bouffée de haine l'avait envahit. Sans prendre le temps de comprendre le pourquoi du comment, il s'était jeté sur son 'ami' et l'avait jeté sans cérémonie dehors en prenant grand soin de lui casser au préalable le nez et de lui faire un œil au beurre noir. Il avait alors pris Aline dans ses bras et ils étaient restés comme ça plusieurs minutes. Ils n'en avaient jamais reparlé. Ce n'était pas un sujet tabou mais il ne voulait pas lui rappeler cette horrible journée. Mais il savait qu'un jour le sujet aller leur tomber dessus, qu'ils le veulent ou non, et ça n'allait pas être une partie de plaisir.
Quelques heures après, la sonnerie avait résonné à l'intérieur de la maison. Ensemble, ils étaient allés ouvrir la porte mais aucun mot n'avait été échangé. Juste cet air désolé et de pitié sur le visage des policiers. C'étaient ces deux sentiments qui avaient totalement retiré l'étincelle de joie au fond des pupilles d'Aline. Une étincelle qu'il n'avait jamais revue. Alors il était joyeux pour eux deux. Ça lui faisait du bien autant à elle qu'à lui.
Mais Yoann savait que le plus dur était devant eux.
L'accident avait fait le tour des médias. C'est par le journal qu'ils avaient appris les véritables causes de l'accident. Sur le pont qui reliait les deux côtés de la rivière, la voiture en avait percuté une autre mais beaucoup plus lourde. La collision avait propulsé la petite Audi sur les bords de la rivière, cassant les protections installées sur les bords du pont. La voiture s'était écrasée sur les rochers. Ils n'avaient pas voulu lire la suite de l'article. Plusieurs jours après, ils avaient reçu une convocation chez le notaire qui s'occupait des affaires des Kervadec.
Il les avait regardés tour à tour, aucune expression visible sur son visage. Il avait parlé d'une voix très professionnelle, neutre. « Votre adoption ne vous donne pas droit à l'héritage. Et la maison en fait partie. Vous devez donc la quitter avant la lecture du testament, dans trois semaines. » Yoann avait fermé les yeux. C'était fait. Aline savait. Elle l'avait appris. Et pas de la meilleure des manières.
C'était à partir de ce moment qu'elle avait commencé à aller sur la falaise. Aline était devenue distante, pas avec lui, mais avec les autres. Glaciale parfois. Totalement renfermée et associable. Mais Yoann savait que c'était une sorte de protection. Il savait également que c'était en partie sa faute. Alors il prenait sur lui et attendait le bon moment.
En attendant, ils vivaient chez le frère de leur père adoptif, Mallon, un homme de la cinquantaine, très gentil avec Aline. Il leur donnait tellement d'affection, d'attentions qu'on aurait pu le prendre pour leur véritable oncle. Mais il y avait bien une chose qui forçait à cette possibilité, ses yeux. D'un magnifique vert émeraude. Les jumelles de celles de Yoann. Aline reprenait confiance quand elle parlait avec lui. Elle aimait ses conversations où il lui faisait découvrir des pays oubliés, des trésors partagés, des paysages inoubliables, des personnes exceptionnelles. Une vie de rêve. Une vie à laquelle elle aspirait.
Son visage quand elle sortait de la bibliothèque avec Mallon donnait à Yoann un infime espoir. L'espoir que les choses changent. Cet espoir était accompagné d'une certitude. C'était bientôt. Il le sentait. Et quand il regardait Aline, il avait envie de lui dire enfin la vérité pour qu'elle soit préparée à son voyage, et d'enfin l'y emmener. Mais il restait du temps, peu, mais suffisamment pour ne rien dire.
Comme il s'y attendait, Aline était venue un soir et lui avait reparlé de ses souvenirs. D'une voix triste. « Je ne me rappelle même pas…de …de l'adoption… » Une confidence. Chose qu'elle en faisait plus depuis plusieurs semaines. Presque un murmure. Etouffé et chancelant. Une attitude qu'il voyait trop souvent au fond des yeux noirs d'Aline. Il avait senti que ces mots décelaient une profonde incompréhension et une grande douleur. Encore une fois, il avait voulu lui dire. Tout. Mais cette voix qui lui chuchotait que le moment n'était toujours pas arrivé. Une voix séduisante, profonde, pleine de sagesse. Alors il avait profondément inspiré et l'avait simplement prise dans ses bras. Il s'était contenté de la bercer. Et de ne rien dire. Encore.
Doucement, il la prit par la taille. « Allez viens, Aly. Sinon, Mallon va encore nous accueillir avec le ventre qui hurle. »
Aline acquiesça silencieusement. « Allons-y. » Aucune émotion dans sa voix n'était perceptible. Presque vide.
Et Yoann comptait bien changer ça.
Il sourit.
La voix lui parlait.
« Ce soir… »
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La maison de l'Oncle Mallon était immense. Une ancienne demeure où avaient vécus de grands seigneurs au temps de Moyen-Age. Elle était toute faite de pierres, naturelle et chaleureuse. Le jardin et le verger comptaient plusieurs hectares. Avant l'accident, ils étaient souvent venus rendre visite à leur oncle. Ils avaient pris pour habitude de marcher dans l'immense jardin, de s'asseoir sous un pommier, ou encore à rester dans la bibliothèque, à parler d'aventures et de récits fantastiques sur des histoires oubliées depuis longtemps.
Quand Yoann poussa la porte, Mallon les embrassa. « Mes chers petits… » Sa voix était comme à l'ordinaire, joviale. Mais pour ceux qui y prêtaient toute leur attention, elle était empreinte de tristesse et de mélancolie. « Allons manger, mon ventre crie famine de vous avoir trop attendu. »
« Pardonne-nous, mais Aly s'est plantée une épine dans le pied en revenant. » La voix de Yoann était clairement amusée. Sa sœur lui tira la langue. « Très mature » commenta-t-il toujours le sourire aux lèvres.
Un gargouillement très impressionnant retentit dans le grand hall. « Qu'est-ce que c'est ? » Aline l'observait, semblant désintéressée.
« C'est la manifestation de votre retard. Allez, vite, j'ai préparé le repas dans la bibliothèque. J'ai une longue histoire à vous conter ce soir. »
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« Tiens, Aline, c'est pour toi. Un cadeau qui… J'ai voulu te le donner il y a longtemps mais mon petit doigt m'a déconseillé de le faire. » Mallon avait prononcé ces mots tout en souriant mais les jumeaux comprirent que c'était un de ses nombreux secrets qu'il ne leur avouerait pour rien au monde. Yoann, lui, se sentait étrangement sceptique, leur oncle n'avait pas arrêté de le fixer en disant ces mots, comme s'il savait quelque chose qu'il ne devrait pas savoir.
L'Oncle Mallon avait toujours été un homme secret. Il vivait, à l'écart du monde, bien que tout le monde le connaissait en Bretagne. Il vivait à travers ses livres, ses récits épiques, ses aventures rocambolesques. Depuis son enfance, leur avait-il raconté un après-midi dans le verger, il chérissait les écrits, quels qu'ils soient. « Ma bibliothèque est l'œuvre de ma vie, mes enfants. Il ne manque qu'un livre, ici. La suite n'est pas écrite. Mais bientôt… je le sens… » Très peu de personnes avaient accès à cette pièce, et les jumeaux savaient qu'ils étaient privilégiés. Personne ne pouvait dire exactement ce que le vieil homme avait en tête à tel ou tel moment, il était un homme secret. Protecteur et très attaché à ses principes.
« Merci mon Oncle. Ton attention me touche profondément » Aline contemplait la robe qu'elle avait posée sur ses genoux. C'était un tissu indéfinissable, doux, fluide et brillant. Elle était d'un bleu sombre, à la limite du noir. La robe était sortie d'un ruban noir au niveau de la taille. Elle semblait très longue et fragile.
« Je te donne également les chaussures, mais je ne pense pas que tu les mettras, n'est-ce pas ? » Mallon arborait un grand sourire taquin auquel Aline répondit.
« En effet, il y a peu de chances. »
« Cette robe t'es destinée depuis longtemps. Non, cette fois, ne pose pas de questions. » Il se leva et rangea la robe et les chaussures dans le petit paquet. Il le plaça ensuite dans un sac qu'il posa à côté de sa chaise. « J'ai une histoire dont il faut que je vous parle, mais d'abord, mangeons. » Pour appuyer ses dires, il attrapa une tranche de pain et commença à la tartiner avec de la terrine.
Le repas passa plutôt vite, et dans le silence. Il sembla à Aline que la bibliothèque n'avait jamais été aussi silencieuse. Un sentiment étrange l'envahit. Elle n'aurait su le définir. Mais elle ne n'aimait pas cette ambiance. En reposant sa part de tarte, Mallon s'appuya contre le dossier de son fauteuil et croisa ses mains sur son ventre légèrement rebondi.
« Mon Oncle, à quoi cela rime-t-il ? » Demanda Yoann au bout d'un moment.
« Gardez le silence, écoutez-moi et vous saurez. J'ai à vous parler de choses importantes, dont peu connaissent l'existence et le sens. Je vais tout vous expliquer ce soir, et je sais comme toi, Yoann, que maintenant, c'est le dernier moment pour le faire. » Sa voix était calme, déterminée mais triste.
Aline fronça les sourcils. « Bien, maintenant que tu as lancé l'intrigues, tu n'as plus qu'à raconter. »
Mallon l'examina. Elle était comme sa mère. Les mêmes traits. Les mêmes cheveux. Parents et enfants se ressemblaient beaucoup mais il était malheureux qu'elle ait oublié tous les moments que ces quatre-là avaient passé ensemble, ces moments familiaux qui créent les liens pour l'éternité. Aline était chancelante, mais elle se débrouillait sans béquille. Elle essayait de marcher quand même, quoi qu'il lui en coûte. Heureusement, Yoann était à ses côtés. Lui, il était fort, il la guiderait. Il serait l'épaule sur laquelle elle pourrait pleurer, la chaise sur laquelle elle pourrait se reposer.
Il glissa son regard jusqu'à Yoann. Il était le portrait de son père, mais ça il le savait. Les mêmes yeux. Les mêmes cheveux. La même élégance. La même envie de toujours faire mieux. La même envie d'aider ceux dans le besoin.
Mallon se sentit vieillir d'un coup. Il ferma les yeux un instant. Lorsqu'il les rouvrit, il fixa les prunelles si particulières d'Aline et commença à parler avec la voix qu'il utilisait pour raconter ses aventures. « Croyez-vous aux êtres magiques ? Yoann ? »
Ce dernier le regarda suspicieusement. Etait-ce un piège ? Bien sûr que non, Mallon ne pouvait être au courant. « Oui, j'y crois. Ils sont là pour faire rêver l'esprit des gens, qu'ils admettent leur existence ou pas. »
« Tu as raison. » Répondit-il simplement d'une voix posée. « Aline ? »
« Je ne sais pas. » Confia-t-elle au bout d'un moment de réflexion. « J'y croirais quand j'en verrai. »
L'Oncle Mallon sourit. « Peux-tu être plus précise ? »
« J'attends simplement la preuve de leur existence pour y croire. A ce moment-là, oui, je dirai que je crois aux êtres magiques. Maintenant, je ne peux ni te dire oui, ni te dire non. Je ne le sais pas. Alors je ne vais pas donner une réponse en espérant qu'elle te satisfera. » Ses yeux étaient fixés sur son Oncle, sa voix, neutre. « Je te promets que j'y croirais quand j'en verrai. » Ajouta-t-elle malicieusement.
« Toujours fidèle à toi-même ma chère Aline. Je n'en attendais pas moins de toi. » Avoua-t-il, réjoui. « Et bien, moi, je pensais comme vous deux. J'étais sceptique, et ces créatures me faisaient rêver, exactement comme tu l'as dit Yoann. Maintenant, j'y crois pleinement. Parce que je l'ai ai vues. »
« Et qu'est-ce que tu as vu ? » Demanda Aline, accrochées aux lèvres de Mallon.
Ce dernier sourit. « J'ai vu des choses, Aline, beaucoup de choses que vous verrez également. Mais laissez-moi vous expliquer. » Il inspira profondément. « Comme je vous l'ai déjà dit, il existe des endroits inconnus de tous, sauf de ceux qui les connaissent déjà. Et dans un de ces endroits, dans lequel je suis allé, vivent ces créatures magiques. Les monstres, et les bienfaiteurs. Seulement, ce pays est semblable aux nôtres. L'appât du pouvoir, mes enfants. Les conflits. Une grande guerre est en cours. Et seuls quelques êtres exceptionnels pourront y mettre fin. Voilà ce que je sais de ce beau pays. Ils attendent le retour de leurs amis. La suite de l'histoire n'est pas écrite. Ils attendent. Ce soir, ils vont revenir et l'écrivain pourra reprendre sa plume après un long moment d'absence. Il a tous les chemins qui s'offrent à lui. Il a demandé aux personnages. Ce sont eux qui vont faire la suite de l'histoire. »
Les jumeaux le regardaient étrangement. Yoann n'avait plus de doutes possibles. Il savait. Comment ? Ça, il l'ignorait. Mais il se sentait réconforté, il n'était plus seul à partager son secret. Avant, il se sentait horriblement mal à l'aise, maintenant, il se sentait épaulé.
Aline parla d'une petite voix. « Est-ce ce livre avec lequel tu va compléter ta bibliothèque ? »
Mallon sourit. « Oui, Aline, c'est celui-là. C'est pour cela que je prends le temps de vous l'expliquer. »
« Où veux-tu réellement nous emmener, Mallon ? » Demanda enfin Yoann.
« Je veux vous emmener dans votre histoire. Là où les personnages s'appellent Aline et Yoann. Là où ces deux personnages affrontent, esquivent, ou provoquent certains événements. »
« Que veux-tu dire ? » Aline était toujours calme mais Yoann sentait qu'elle était inquiète.
« Aline… » Soupira Mallon. « Le moment est venu pour deux êtres exceptionnels de rentrer chez eux. Leur vrai chez eux. Plus de mensonges. Plus de masques. Juste la vérité. » Il se leva et attrapa le sac. « Ce soir commence votre voyage mes enfants. Un très long voyage. Pendant votre traversée à travers les méandres de la vie, vous rencontrerez sûrement autant d'obstacles qu'Ulysse a eut à affronter…Aline ? »
« Oui ? » Elle le fixa simplement.
« Te souviens-tu de ce Kavafis a écrit ? » Demanda-t-il d'une voix très douce.
« Bien sûr. Je m'en souviendrai toujours. » Un simple murmure.
« Ne l'oublie pas. Jamais. C'est très important. J'ai vécu avec cette maxime et elle m'a beaucoup apportée. J'espère qu'elle fera de même avec vous. Suivez votre cœur. Profitez avant tout des paysages et des gens que vous rencontrerez. Certaines personnes sont à garder précieusement. Près du cœur. Méditez mes enfants sur ce qu'il a voulu dire. Pensez-y. Puis, vous me direz si vous avez compris le sens de ces quelques mots quand le moment de nous revoir sera arrivé. »
Il donna le sac à Yoann. « Tiens mon grand. Tu sais ce qu'il te reste à faire. Prends soin d'elle. Un long périple vous attend. »
« Je sais » Arriva-t-il simplement à répondre.
Mallon enlaça Yoann et se tourna lentement vers sa jumelle. « Aline… Ton passé n'est pas rose, je le sais. Ouvre-toi aux autres. Même si c'est dur. Ça t'aidera. » Il la fixa un instant et lui chuchota ces quelques mots. « Profite de ton voyage, ma chérie. Il t'apportera tout ce que tu cherches. »
Il se recula et les regarda avec amour et sagesse.
Aline, les yeux légèrement plus embués qu'à l'ordinaire lui parla d'une voix étouffée. « Qu'est-ce que ça signifie ? »
« Ça signifie que votre voyage commence ici. » Mallon ferma les yeux.
Quand il les rouvrit, il était seul dans la bibliothèque. « Bonne chance mes enfants… »
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Voilà, premier chapitre corrigé. Les autres devraient arriver dans la journée.
TBC.
