Elle courait aussi vite qu'elle pouvait sous cette pluie battante. Sa cape rabattue sur son visage dégoulinait d'eau. Le temps avait tourné si vite à l'orage que la jeune femme n'avait rien vu venir. Et quand bien même, elle n'avait nul part où se mettre à l'abri. Aucune maison ne se serait ouverte sur son passage, aucun mot de réconfort, aucun bol de soupe. Même les portes de la petite église du village se seraient refermée sur elle. Elle était une paria. Elle vivait hors de la société, elle le savait, mais elle n'avait pas le choix. Son cœur souffrait plus que jamais après ce qu'elle venait de vivre, alors que la foudre vint à frapper un arbre non loin d'elle. La jeune femme savait que certains y verraient un signe du Diable. Elle, elle savait parfaitement que la nature n'obéissait qu'à elle- même et que personne ne pouvait venir à bout de cette force surhumaine qui se déchaînait parfois. C'est pourquoi elle attendait avec angoisse chaque fois qu'elle voyait un éclair fendre les airs. Encore une fois la lumière des nuages vint à zébrer le ciel et la jeune femme sursauta quand un arbre s'abattit derrière elle. Alors elle se mit à courir plus vite encore. Elle devait trouver un abri et rapidement. Mais où aller ? Avait-elle vraiment envie de survivre après cette nouvelle humiliation ? Elle savait que si elle rentrait chez elle, ce serait l'Enfer... Alors elle avançait, droit devant, priant pour trouver sinon un abri, du moins un échappatoire.
Aveuglée par le rideau d'eau tombant du tissu, la jeune femme ne vit pas arriver vers elle un cheval au galop. Elle ne l'entendit pas non plus hennir alors que son cavalier tirait de toutes ses forces sur les rênes, appuyant fortement sur les étriers. Ce fut donc sans rien comprendre de ce qu'il lui arrivait que la jeune femme fut envoyée à bas de la route. Le cheval s'arrêta mais trop tard ; le mal était fait. Le cavalier, un homme jeune et bien enroulé dans sa cape, était horrifié. Il n'avait pas pu stopper sa monture à temps. Il pensait qu'elle allait l'entendre et se pousser au dernier moment pour ne pas se salir dans la boue du fossé. Mais elle n'avait rien fait. Elle était restée là, à courir au-devant du cheval, comme si elle avait voulu être percutée. Et c'était ce qui était arrivé. L'homme en cape descendit rapidement de son coursier pour aller voir comment allait la jeune femme. Elle était allongée au milieu de la route. Quand il la prit doucement dans ses bras, il pu constater avec soulagement qu'elle n'était pas morte. Elle respirait toujours. Quelle ne fut pas sa délivrance lorsqu'elle se mit à gémir doucement. Il était libéré de la peur qui lui avait fait perdre toute ses couleurs. Il ne serait pas responsable de la mort d'une jeune femme. Cette pensée qui avait étreint son cœur ne l'avait pas lâché jusqu'à ce qu'il put enfin constater qu'il n'avait fait que la blesser... La blesser... Cette évidence le frappa de plein fouet alors qu'il était là, sans bouger. Alors, se reprenant, il souleva la frêle silhouette et la mit en selle. Il devait la ramener au domaine, qui qu'elle fusse. Montant derrière elle afin de la tenir, il se fit la promesse de veiller sur cette vie qu'il avait failli détruire. Alors qu'il adressait ses vœux pieux au Ciel, celui-ci lui répondit d'un éclatant coup de tonnerre qui fit hennir le cheval et le fit frissonner... Quelque chose semblait le mettre en garde qu'il n'aurait pas dû écouter son cœur, mais il était homme de caractère. Têtu même. Il voulait prendre soin de cette jeune femme, qu'il trouvait assez jolie, car il se pensait cause de tout cela. Et personne n'aurait pu se mettre en travers de son dessein. Il avait dans le cœur l'envie de l'aider. Et son nom serait sans doute sa meilleure arme.
Piquant des deux, le jeune homme remit sa monture au galop. Il était conscient, plus que jamais, qu'il devait rentrer et vite. Il y avait plus maintenant en jeu que de retrouver son frère et de lui donner des nouvelles qu'il aurait de loin préféré garder pour lui. Désormais il était responsable d'une vie. Et cela était presque aussi important que de sauver celle de son frère.
Dans son esprit se battaient deux sentiments horribles. Il ne savait pas à qui donner la priorité. Il savait que dès qu'il aurait délivré son message à son frère, plus rien ne compterait pour ce dernier que de savoir la vérité, mettant de ce fait nombre de personne en danger. Le jeune homme avait cependant fait la promesse d'aider et de veiller sur la forme souple contre lui. Comment faire ? Il ne le savait pas et ne cessait de demander de l'aide au Ciel qui ne lui répondait que par des grondements sourds. Il était perdu. Cependant, dans son esprit, la solution venait lentement.
Jamais son frère n'accepterait la vérité ainsi, sans témoin, sans autre parole que la sienne. Peut- être que finalement la rencontre avec cette jeune femme était un signe du Ciel. Celui-ci gronda plus fort encore mais le cavalier n'y prit pas garde, résolu à aider la jeune femme dans ses bras.
Jamais le chemin qui séparait Pinon de la demeure familiale ne fut si long aux yeux du jeune homme. Quand il arriva enfin devant la maison, il sauta à bas de son cheval alors qu'un domestique approchait. Déjà il avait la jeune femme dans les bras et prenait la direction de la maison. Il n'avait pas de temps à perdre. Ce fut alors avec horreur que la plus vieille des domestiques, Jeanne, découvrit son plus jeune maître couvert de boue et d'eau, tenant une forme dans les bras. Mais en femme d'expérience, elle comprit ce qu'il se passait et déjà elle faisait signe au jeune homme.
« Monsieur Thomas, venez... »
Elle ouvrait la marche tel l'éclaireur d'une armée en marche, avec autorité, faisant se pousser les personnes qu'elle pouvait croiser. Thomas la suivait, reconnaissant. Il n'y avait meilleure personne pour gérer cela que Jeanne. Cette dernière, croisant Anna, la plus jeune des domestiques de la maison et dernière rentrée, lui adressa des mots durs lui demandant d'apporter de quoi laver et réveiller la personne que tenait le jeune maître. Ce dernier eut le cœur serré en constatant avec douleur que la jeune servante obéissait sans un mot et la tête basse. Il la savait douce et gentille. Il connaissait son secret le plus profond, et il aurait voulu pouvoir l'aider. À cette pensée, il se dit que le secret d'une autre, dont il était maintenant le gardien, pourrait peut-être la libérer. Mais il ne pouvait pas tout faire à la fois.
Arrivé devant une petite chambre, jadis la sienne quand il était enfant, Thomas attendit que Jeanne eût ouvert la porte pour y pénétrer et déposer la jeune femme sur le lit. Alors il vit la capuche tomber et révéler un visage blanc, presque transparent, entouré d'une cascade rousse tirant sur le orange, dégoulinante d'eau. Il vit également Jeanne faire un bond en arrière en se signant. Cela l'énervait au plus haut point, alors il se mit à la fixer froidement. Il savait qu'il ne devait pas agir comme son frère mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Se signer à la vue d'une femme, non, vraiment il ne comprenait pas. Alors, dans un soupir et d'un ton un peu froid, il posa la question qui devait l'éclairer face à un tel comportement.
« Qu'est-ce qu'il te prend Bon Sang ! Aide-moi plutôt à lui quitter sa cape, elle va attraper la mort ! - Monsieur Thomas, c'est une fille du Diable, dit Jeanne d'une voix grave sans pour autant approcher alors que son maître se battait avec la cape trempée. - Mais qu'est-ce que tu racontes enfin, Jeanne ! »
Cette voix qui venait de claquer dans l'air comme un fouet, n'était pas celle de Thomas. Non, c'était celle de son frère, le Maître des lieux. Olivier de la Fère. Ce dernier, plus grand, plus massif que son frère, était le Comte légitime. Cette autorité naturelle qui émanait de lui faisait de cet homme une personne que l'on craint et que l'on respecte. C'est pourquoi Jeanne s'approcha avec précaution pour aider Thomas avant de répondre. Elle savait très bien que sa réponse n'allait plaire à personne, et surtout pas à Olivier, homme à ne pas croire les superstitions. Mais sentant le regard lourd de son Maître, elle ne put que se résigner à répondre après avoir prit le soin de s'éloigner le plus possible de la jeune femme maintenant que sa cape était au sol.
« Monsieur... Regardez-là ! Elle est mauvaise... enfin... je veux dire... »
La domestique se sentait perdre pied sous le regard inquisiteur des deux hommes de la maison. Mais elle ne voulait pas se laisser impressionner. Elle devait leur raconter et leur dire qui était sous leur toit. Alors elle prit une profonde inspiration et se mit à parler d'un trait. Plus vite elle aurait fini, plus vite elle pourrait repartir en cuisine, loin de cette fille-démon.
« Elle est la fille du démon, Maître. Voyez la couleur de ses cheveux ! Mieux vaut rester loin d'elle. Regardez ! Elle est blanche comme la mort. »
Devant le regard glacial du cadet des La Fère, Jeanne se tut. Elle savait que les colères de Thomas étaient rares mais toujours justifiées et rudes. Alors elle ne tenait pas à tenter le Diable, d'autant plus que sa fille était à ses côtés. Aussi battit-elle en retraite et s'en fut aussi vite que ses jambes âgées pouvaient la porter. Thomas, lui, serrait le poing, enclin à une colère sourde qu'il essayait de maîtriser. Cependant ses paroles étaient dures comme la pierre. Plus dures encore que celles de son frère. Énerver le petit frère n'était pas la même chose qu'énerver l'aîné. Thomas gardait en lui ses sentiments mais lorsqu'il les laissait sortir, cela était souvent dévastateur. Olivier ne le savait que trop bien, et tandis que son frère parlait, il vint poser une main sur son épaule.
« Ils ne la jugent que parce qu'elle est rousse et qu'ils ne la connaissent pas ! C'est injuste !»
Olivier se retint de lui dire qu'il agissait de même avec une autre femme, celle que le comte avait choisi d'épouser, mais il se tut. Il savait que son frère n'était pas en état de l'écouter. Ce n'était pas le moment de l'énerver encore plus. Alors prenant un ton calme et rassurant, il prit la parole pour rasséréner son petit frère.
« Nous ne sommes de ceux qui jugent ainsi. Tu as bien fait de la ramener ici, Thomas. On va s'occuper d'elle tu le sais. Ça va aller. - C'est surtout de ma faute si elle est ici... »
La voix de Thomas n'était plus du tout froide. Elle était brisée, tout comme lui. Il se sentait plus que jamais coupable de l'état de la jeune femme toujours inconsciente.
« Thomas ? »
Olivier était intrigué. Il voulait en savoir plus et s'apprêtait à questionner son frère plus avant quand Anna entra dans la pièce, chargée d'une bassine d'eau et de linge. Olivier sourit un instant, se retenant de dire que personne n'allait accoucher, avant de regarder de nouveau son frère.
« Viens Thomas, laissons Anna faire... Anna, si tu as besoin de vêtements, va voir Anne, elle te donnera sans doute quelque chose pour notre invitée. »
Thomas soupirait alors qu'Anna hochait la tête, encore une fois sans vraiment parler. Il vit également le regard lancé à la dérobée qui se posait sur son frère.
Elle l'aime plus que tout, pensait-il, j'aimerai tant pouvoir l'aider...
Mais il savait qu'il ne pouvait rien pour elle. La vie était cruelle, il le savait, mais peut-être pourrait-il faire quelque chose... Mais pour l'instant sa priorité était cette jeune femme allongée dans le lit qu'il occupait enfant. Il devait réparer le mal qu'il avait fait.
Sans un mot les deux hommes avait gagné le bureau d'Olivier.
Après avoir raconté son aventure, sa mauvaise aventure, à son frère, Thomas, assis dans un fauteuil, un verre de vin à moitié vide dans la main, avait la mine triste. Il se sentait plus que coupable et n'avait pas encore dit à Olivier ce qui changerait sa vie à jamais. Leurs vies. Mais il ne pouvait pas parler pour l'instant. Non. C'était trop tôt. Et puis il y avait un peu réfléchi quand il galopait. Il devait encore trouver un homme. Alors il pouvait se concentrer sur la jeune femme. Il écoutait à peine son frère lui dire des paroles rassurantes quand quelques coups légers se firent entendre à la porte. Anna. Oui, Thomas savait qu'il s'agissait d'Anna. Personne n'avait autant de douceur et de bonté d'âme que cette jeune femme. Olivier la fit entrer et elle inclina doucement la tête avant de prendre rapidement la parole. Les deux hommes comprirent sur l'instant que quelque chose n'allait pas.
« Maître... La demoiselle est réveillée mais... venez... »
Il y avait quelque chose d'affolé dans son regard, et le fait même qu'elle ne prenne pas de gants pour leur dire quelque chose suffit à les décider. Olivier, resté debout devant la fenêtre, se mit à sa portée et Thomas se leva d'un bond. Ils n'avaient plus qu'à suivre la jeune fille pour se rendre dans la chambre devenue celle de l'inconnue.
Ce que virent les deux hommes les figea sur place. Loin de trouver une jeune femme allongée et fatiguée, ils avaient sous les yeux un animal traqué, plaqué contre le mur du lit, les yeux effrayés et la mine défaite.
La jeune femme était terrorisée et ne savait que penser. Elle ne savait pas où elle se trouvait. Elle s'était réveillée d'un bond et, voyant que quelqu'un s'occupait d'elle, elle avait paniqué. Elle se sentait prise au piège, certaine d'être de nouveau enfermée. Alors elle ne pouvait que prier le Ciel pour qu'on la laisse en paix. Mais au lieu de cela, alors que la jeune femme était partie, elle avait vu arriver deux hommes.
Son cœur battait à tout rompre et elle essayait de trouver comme fuir. La seul solution était la fenêtre. Alors ses yeux allaient des deux hommes à la fenêtre. Olivier fut le premier à réagir et comprendre ce qu'elle pensait, et alla se mettre devant la fenêtre. La jeune femme se sentit plus encore prise au piège, ne voyant plus aucun moyen de fuir, même radical, et, cédant au désespoir, se roula en boule.
La douleur qui se lisait dans les yeux de la jeune femme fit de la peine à Olivier qui, après l'avoir vu se rouler en boule, fit signe à son frère de s'avancer doucement. Il savait que Thomas, plus jeune, plus souriant malgré tout, serait le plus à même de lui parler. Ainsi il pouvait également la surveiller, se sachant plus apte physiquement à arrêter la petite bête traquée qu'il avait sous yeux, si jamais elle se sentait menacée.
Lorsque Thomas fut près du lit, il s'arrêta pour ne pas faire peur à la jeune femme, puis prit doucement la parole. Le ton fraternel et presque tendre que prit Thomas surprit Olivier tout autant que cela le touchait. S'il savait que son frère tenait de leur mère, il en avait la preuve sous les yeux.
« Calmez-vous, je vous en prie... Vous êtes en sécurité ici. Personne ne vous fera de mal, vous avez ma parole... S'il vous plaît... Regardez-moi... Je m'appelle Thomas. Et vous ? »
Il agissait avec une douceur extrême et fut récompensé par un regard surpris. La jeune femme ne savait pas ce qu'il se passait et les paroles de Thomas n'étaient pas pour l'aider. Jamais on ne lui avait parlé si doucement. Jamais on n'avait été si gentil avec elle. Elle avait tellement l'habitude des insultes, des cris, des coups... Mais rien de tout cela ne semblait vouloir arriver. Alors elle prit confiance, lentement, mais sûrement, en cet homme qui lui parlait. Elle voulait lui répondre mais avait peur, tellement peur. Peur qu'il ne la rejette et qu'il fasse comme « lui ». Pourtant, en le regardant, elle vit au fond de ses yeux qu'il était un homme bien. Comment, elle n'aurait su le dire. Sans doute parce qu'il ne l'avait pas encore frappé. Alors, dans un souffle, elle lui dit son prénom.
« Aurore. »
Ce n'était qu'un souffle mais Thomas comprit qu'il venait de gagner sa confiance. Oh, bien évidement, pas pleine et entière. Non, cela il le savait. Il faudrait du temps, beaucoup de temps. Il savait cependant que ce petit animal écouterait maintenant ce qu'il avait à dire. Alors après avoir jeté un œil à son frère, il prit de nouveau la parole. Il voulait qu'elle se calme et il savait qu'il n'y aurait sans doute que cela pour qu'elle le fasse. Il fallait qu'elle se calme et qu'elle comprenne que personne ne lui ferait de mal.
« Aurore... C'est un très joli prénom. Un prénom plein d'espoir. Vous vous souvenez de ce qu'il s'est passé ? »
Aurore se mit à secouer sa tignasse humide où quelques mèches sèches formaient des sortes de feux follets. Elle était jolie malgré ses yeux rougis par les larmes de peur et son teint transparent. Thomas essayait de s'accrocher à ce regard plein de questions et de peur tout en continuant à parler.
« Mon cheval vous a percuté. Vous n'avez pas semblé me voir alors que vous courriez vous mettre à l'abri sans doute. Vous étiez inconsciente et je vous ai ramenée ici, à La Fère. On va s'occuper de vous. Vous avez mal quelque part ? »
Plus que doux, presque tendre, il voulait qu'elle se calme et cela semblait marcher. Lentement, très lentement, Aurore se dépliait sur le lit. Presque misérable désormais, les deux hommes pouvaient voir sa robe trempée et usée cachant un corps donnant l'impression d'être lui aussi usé. Cependant elle ne parlait toujours pas. Désormais les yeux posés sur le lit, Aurore semblait d'une soumission terrible. Olivier commençait à s'imaginer le pire. Ses réactions, son attitude... Il avait vu cela quelques fois chez des domestiques ayant été battus. Alors il serra le poing aussi discrètement que possible et prit la parole. Son ton était moins doux que celui de son frère mais cependant il n'avait rien de menaçant. Il n'avait nullement l'intention de lui faire du mal. Au contraire.
« Vous pouvez nous parler. Nous ne vous ferons aucun mal, soyez-en certaine. Ici, vous êtes notre invitée. Ici, personne ne vous jugera ni ne portera la main sur vous. »
La réaction d'Aurore lui fit mal. Elle tremblait. La peur se voyait malgré les paroles douces. On aurait pu croire qu'elle se souvenait de quelque chose d'horrible. Et de fait c'était le cas. La jeune femme ne pouvait ignorer, après de telles paroles, ce qu'elle essayait de fuir. Les gens, sa condition, mais également son père. Ce père qui... Refusant de penser plus en avant, Aurore prit la résolution de parler. Peut-être, pensait-elle, qu'elle pourrait être libre après. Elle avait confiance, sans comprendre vraiment pourquoi, en ces hommes. Bien qu'elle sache pertinemment qu'elle avait toujours confiance dans les mauvaises personnes, elle ne pouvait pas renier ce qu'elle était au fond d'elle. Une personne douce et naïve prête à tout pour aider, malgré cette société qui la mettait au ban parce qu'elle était rousse.
« Je n'ai pas mal... C'est de ma faute, je ne vous ai pas entendu arrivée... Je suis désolée...»
Sa voix brisée, ses yeux toujours baissés, ses paroles faisaient du mal aux deux hommes. Thomas, plus sensible, avait mal au cœur de la voir si soumise. Olivier lui, luttait contre son envie de frapper dans quelque chose tant il pouvait lire la détresse de la jeune femme. Ce fut le cadet qui prit encore une fois la parole. Il essayait d'être doux, attentif, tout en essayant de lutter contre son envie de poser doucement sa main sur elle.
« Ce n'est pas de votre faute... Tout va bien... Nous sommes entier tout les deux. Vous allez vous reposer et nous parlerons d'accord ? »
Pas de réponse. Trop soumise, elle n'avait aucune idée de ce qu'elle devait faire. Alors elle l'écoutait tout en commençant à se dire que personne ne lui ferait du mal. Pourtant elle n'arrivait pas à parler. Elle était perdue.
« Thomas à raison, dit doucement Olivier. Nous allons vous laisser avec Anna, et quand vous serez prête à sortir de votre chambre, vous pourrez venir nous trouver. Vous êtes ici chez vous, ne vous en faites pas. Anna fera tout ce qu'il faudra. »
Jetant un œil à la jeune domestique, il s'assura qu'elle avait comprit le message. Personne ne devait faire de mal à leur invitée. Elle était cela maintenant. Olivier agissait ainsi afin de forcer ses gens à respecter celle que l'on verrait comme la fille du Diable. Anna sourit doucement à son maître un instant avant de baisser les yeux et de s'avancer en lieu et place de Thomas. Elle savait ce qu'elle devait faire. Après tout, elle aussi savait ce que c'était que de vivre soumise bien qu'elle l'ait choisi tout comme elle savait soigner les coups... Car si la jeune femme disait ne pas avoir mal, Anna savait qu'elle aurait de belles marques bleues sur le corps. Mais elle voulait l'aider. Aurore était en sécurité avec elle et, alors que les deux hommes quittaient la pièce, elle se détendit un peu. Une femme ne pouvait lui faire de mal. Alors elle se laissait faire. Soumise, silencieuse, alors qu'on la lavait et l'aidait à se rhabiller.
