Groin/ Grain de Folie
Ceci est une réponse au défi
"Potter-jeu-de-mot n°22" de TWWO, avec les mots:
-
Trabée
- Horcrux
- Fumseck
- Chaleur
-
Grand-père
Une trabée (en latin
trabea) est une toge pourpre ou composée de bandes
de couleurs pour les cérémonies d'apparat de l'empire
romain. Elle était notamment portée par les prêtres
Saliens lors de leurs célébrations. (source:
Wikipédia)
Disclaimer: L'univers et les personnages sont de JK Rowling. Je ne gagne rien avec ce texte, sauf peut-être des reviews, et ça ça n'a pas de prix.
Spoilers: Toute la saga de JKR, mais principalement le tome 6 (pour les Horcruxes) et le tome 4, au milieu duquel se passe cette one-shot, quelques temps avant le Bal de Noël organisé à l'occasion du Tournoi des Trois Sorciers.
Petite précision par rapport au résumé: pas la peine de chercher, on ne sait pas comment était habillé Dumbledore le soir du Bal, j'ai bien vérifié attentivement! Et c'est aussi pour ça que je suis permis ce mini délire.
Merci à ma relectrice, Crookshank (/u/749919/).
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Andy Guignon ronchonnait comme à son habitude, s'activant mollement dans les rayons de son magasin de confection sorcière, Gaichiffon. Son emplacement sur la Grand'Rue de Pré-au-Lard était bien sûr un atout, et le côté friperie avait un succès fou, mais les affaires ne tournaient pas aussi bien pour les textiles plus luxueux, avec lesquels il avait espéré concurrencer les plus prestigieuses boutiques de prêt-à-porter sorcier.
Les clients se précipitaient sur les gadgets et les nippes au rabais. Pourquoi la haute-couture ne marchait-elle donc pas? Le village était plutôt rural, certes, mais ce n'était pas une raison: il y avait tellement de passage dans la seule bourgade entièrement magique du Royaume-Uni…
Il bougonna encore un coup en passant devant les cabines d'essayage, que la vieille Mrs Smith avait encore empestées de son parfum bas de gamme aux fragrances d'œufs pourris, et dont la moquette avait encore essuyé les assauts de foutus traînes-savates embourbés. Les gens n'avaient vraiment plus aucun respect, de nos jours…
Il grommela de plus belle en replaçant les capes en mohair, que Gytha avait encore collées dans le rayon "robes d'hiver". Après plus de vingt ans de vie commune, il ne pouvait plus la sentir, alors qu'il avait été complètement fou d'elle, dans leur jeunesse… Ils avaient bien vieilli, à présent. D'ailleurs, ces foutus rhumatismes prenaient un malin plaisir à le lui rappeler sans cesse.
Il se traîna vers le comptoir en maugréant contre une pile de catalogues oubliée dans laquelle il avait malencontreusement shooté, gratifiant ses vieilles douleurs d'une nouvelles compagne au niveau des orteils.
Une montagne de parchemins s'accumulaient devant le trou d'aération par lequel les hiboux lâchaient le courrier à toute heure de la journée. Andy soupira bruyamment et entreprit de se courber pour ramasser toutes ces nouvelles commandes de dernière minute. Depuis deux jours, ils passaient leurs journées à répondre aux commandes urgentes d'élèves surexcités. Un Bal de Noël à Poudlard, à ce qu'il paraîtrait.
Il transbahuta tout le courrier jusqu'à une étagère derrière le comptoir, et commença à traiter les demandes pressées en maudissant sa femme, qui avait eu cette stupide idée de faire paraître le catalogue automne/hiver dans la Gazette du Sorcier pendant toute la période des fêtes. Trois pages pendant trois semaines, autant dire que ça lui avait coûté bonbon. Sans parler de tout le travail que ça lui rajoutait, à lui qui avait adopté un rythme de croisière très provincial depuis au moins dix ans. Cette satanée bonne femme le ferait tourner bourrique…
¤§¤§¤§¤
Dans la Grande Salle de Poudlard, McGonagall déambulait nerveusement en déroulant mentalement une fois de plus la liste de tous les fastes déployés. Elle se tordait les mains sans s'en rendre compte, marmottant pour elle-même, l'œil hagard.
a) il fallait vraiment que Flitwick
s'arrange pour que les armures ensorcelées pour chanter des
cantiques dès qu'on leur passait devant n'oublient pas la
moitié des paroles en cours de route.
b) Peeves n'avait
jamais été autant une plaie. Toucher un mot au Baron
Sanglant pour avoir la paix au moins quelques heures, au
moment du Bal.
c) Pomona avait pris l'initiative de reprendre
l'idée de Lockhart en emplissant les sapins de Noël de
charmantes petites fées, mais il faudrait s'assurer qu'un
groupe d'elfes les aient à l'œil, on ne sait
jamais.
d) il faudrait penser à multiplier les
chandelles flottantes.
e) restait à espérer qu'aucun
élève ne danserait assez mal pour faire honte à
son école.
Si seulement elle pouvait tout
superviser!
Tout devait être parfait pour le grand jour, qui
arrivait maintenant à grands pas. Poudlard ne devait
absolument pas faire la moindre gaffe devant les représentant
d'écoles étrangères et du Ministère!
e)bis
– et que toutes les tenues de soirées seraient correctes.
Ni scandaleuses, ni ridicules, ni minables.
f) à quoi
pouvait-elle s'attendre, de la part de ses propres collègues?
Une faute de goût était si facile à commettre…
Une erreur de jugement, un manquement à un code vestimentaire,
et ce serait la tache au milieu de tout le reste.
g) Et
Dumbledore! Ce vieux fou était bien capable de se présenter
dans une robe de tous les jours. Ou bien de donner dans le pompeux et
faire offense aux autres pontes présents. Ou carrément
de s'attifer d'un costume excentrique de son cru. C'était ça
le plus probable, en fait. Il fallait empêcher cela à
tout prix!
L'air préoccupé, l'enseignante de Métamorphose hâta le pas vers le bureau directorial.
¤§¤
La cible de ces réflexions stressées était en train de contempler les fumerolles s'échappant du perchoir de Fumseck. Albus Dumbledore réchauffait ses vieux os à la chaleur de son oiseau de feu, perdu dans ses pensées.
Il lui était venu une idée…troublante. Ce
journal intime de Tom, que Harry avait détruit deux ans
auparavant… Se pourrait-il que ce soit un Horcrux?
Impossible
de le vérifier, maintenant, Lucius Malefoy l'avait récupéré
quand Harry avait utilisé ce subterfuge afin qu'il libère
involontairement son elfe de maison. Et de toute façon,
comment une chose pareille pouvait-elle se vérifier? Et
surtout, comment Tom aurait-il pu en apprendre suffisamment sur ce
procédé tabou?
Dans tous les cas, si cette hypothèse était bonne, cela expliquait bien des choses… Et ça changeait considérablement la donne.
¤§¤
Le vieux professeur fut tiré de ses pensées par celle qui lui avait succédé à la noble chaire de Métamorphose: Minerva fit irruption dans la pièce avec un manque de dignité qui ne lui était pas coutumier. La directrice adjointe était dans ses états, et elle lança d'une voix hystérique:
"Dumbledore, je veux voir
la tenue que vous avez prévu de porter pour le bal!
–
Mais, Minerva…
– Je l'exige!
– Eh bien, je n'ai encore
rien prévu. Nous avons bien le temps, voyons!"
McGonagall frémit d'indignation et serra les poings à s'en faire blanchir les phalanges, et elle avait un mal fou à contenir son exaspération lorsqu'elle siffla:
"Vous n'êtes
pas sérieux, j'espère! Il faut vous en préoccuper
tout de suite! Le peu de temps qui nous reste ne sera vraiment pas de
trop!
– Bon, bon…
– Allons immédiatement chez
Madame Guipure, je lui expliquerai rapidement la situation, et je
suis sûre qu'elle saura y faire face.
– Oh, je ne suis
jamais à l'aise dans ces boutiques distinguées…
–
Tissard & Brodette, alors?!
– Mmh…
– Fildor?
–
Bof…
– Crinolin & Rossinant? Hétaïre-Odalisque?
Les Epingleurs Associés?"
Balayant d'un geste ce déluge de propositions empressées, il haussa les sourcils nonchalamment en répondant d'un air ennuyé:
"Pourquoi donc aller jusqu'à
Londres alors que nous avons, à deux pas de Poudlard, une
charmante petit échoppe de qualité, et beaucoup plus
conviviale?
– De qualité? A Pré-au-Lard? Désolée,
Albus, je ne vois pas" dit-elle d'un ton guindé, mais le
pli de ses lèvres soudain pincées à l'extrême
disait le contraire. Dumbledore ne parut pas s'en formaliser en
rétorquant gaiement:
"Mais Gaichiffon, bien sûr!
Tenez, j'y vais de ce pas."
"Je-" McGonagall se retint à temps, partie pour affirmer autoritairement qu'elle venait avec lui. Il était tout simplement hors de question qu'elle mette les pied dans un pareil boui-boui, quelles que soient les circonstances. Elle se rattrapa héroïquement en ajoutant plutôt:
"Je suis sûre que vous y
trouverez, euh…babouche à votre pied, comme on dit, mais
j'aimerais vous faire quelques recommandations importantes…
–
Je vous écoute!
– Eh bien, il vaudrait mieux éviter
de prendre quelque chose de trop voyant, ou au contraire de trop
passe-partout. Prenez soin de ne rien choisir de désuet, ou
d'austère, et encore moins de trop, euh…original, hum,
ou…débridé, ahem. Ce genre d'événement
est généralement bien assez échevelé
comme ça.
– Vraiment? J'avais justement pensé à…
Mais peu importe, vous avez raison, comme d'habitude, ma chère
Minerva! Je garderai tous vos conseils à l'esprit, soyez-en
sûre.
– Une dernière chose, Albus…
– Oui?
–
J'aimerais voir ce que vous aurez choisi dès votre retour.
–
Oh, est-ce vraiment nécessaire, Minerva? Je sais que vous êtes
occupée, tellement occupée, ces temps-ci… Ce n'est
qu'une tenue de soirée, après tout; je m'en voudrais de
vous faire perdre bêtement du temps qui vous est si précieux.
–
J'insiste, Albus.
– Bon, bon, qu'il en soit ainsi…"
¤§¤§¤§¤
Andy Guignon surveillait l'entrée de Gaichiffon d'un œil mauvais. Ce maudit elfe timbré était encore revenu! Il batifolait en ce moment-même dans les bacs de chaussettes spéciales – celles qui se mettaient à hurler quand elles devenaient trop odorantes, celles qui arboraient des étoiles clignotantes, celles qui fumaient quand on les portait depuis trop longtemps, celles qui faisaient un bruit de camembert en état de maturité très avancée quand on marchait dedans les pieds mouillés…
Il n'aimait guère cette petite bestiole rabougrie, qui se prenait pas pour du bousin. Toujours à claironner fièrement que oui, il avait de quoi acheter ses articles, grâce à son propre salaire personnel qu'il gagnait dignement à Poudlard.
Heureusement, il n'était qu'un cas isolé, mais tout de même, où allait le monde, si les elfes de maison se mettaient à se gargariser d'être salariés? Peuh!
Dinguedingdinguedingdongue (1) carillonna
la porte quand un nouveau client entra. Andy leva les yeux au
plafond, agacé par cette autre fourberie de sa femme qui
prenait un malin plaisir à jouer avec ses nerfs.
Le nouvel
arrivant traînait nonchalamment du côté des robes
de travail au rabais, l'air désoeuvré. Sa cape
dégoulinait de neige fondue, parsemant la vieille moquette de
petites flaques boueuses avec une régularité de
métronome.
Andy grogna encore dans son coin, mais prit
toutefois bien soin de ne pas le faire trop fort.
On se méfiait
du vieil Abelforth, quand on tenait à sa santé et à
sa dignité.
C'était bien sa veine, ces averses de neige. Une vacherie qui attirait à l'intérieur des badauds qui n'achetaient jamais rien et importunaient tout le monde, qui mettaient le bazar dans les rayons et finissaient par ressortir sans un regard en arrière dès que ça ne tombait plus.
Cette fois, Andy ne put retenir un soupir de phoque tout en s'extirpant de derrière le comptoir pour aller préparer une des sempiternelles commandes arrivées par hibou express.
Il venait d'expédier une des chouettes chevêches qui leur servait pour les livraisons, quand la porte fit encore entendre sa ritournelle crispante.
Le temps qu'il se retourne laborieusement, l'elfe bizarre avait déjà déblatéré de son couinement aigu:
"Directeur
Dumbledore, Monsieur! Dobby est très content de vous croiser à
nouveau, Monsieur Dumbledore! Dobby fait ses courses, Monsieur
Dumbledore, avec les économies qu'il a fait sur son salaire,
Monsieur! Dobby remercie encore le Professeur Dumbledore,
Monsieur!"
L'objet de cette litanie l'interrompit bien vite
par quelques paroles bienveillantes, et l'irritante créature
gambada du côté mercerie, où il entreprit de
tâter la majorité des pelotes de laine, marmottant
longuement tout en s'efforçant de ne pas faire tomber les
nombreuses chaussettes qu'il s'était choisies.
Andy salua d'un vague signe de tête, mais visiblement le directeur de Poudlard ne souhaitait pas déambuler dans les rayons, et attendait plutôt qu'il lui offre ses services. Ce qu'il fit de mauvaise grâce, pestant intérieurement contre Gytha qui n'était jamais là quand il l'aurait fallu.
"C'est
pour quoi, M'sieur l'directeur?
Mon brave, vous seriez bien
aimable de me conseiller pour une tenue de soirée que je dois
porter pour un Bal. Quelque chose d'assez stylé, mais pas trop
raide, si vous voyez ce que je veux dire…
Hin hin, mon frérot
veut jouer au tombeur de ces dames?
Abel! Je ne t'avais pas vu,
où te cachais-tu donc? Pas derrière les cabines
d'essayage, j'espère."
Les deux sorciers échangèrent un clin d'œil malicieux, mais Abelforth n'en resterait pas là.
"Le tartan-queue-de-pie
conviendrait à merveille, pour emballer Minerva! N'attend
plus, frérot, c'est la chance de ta vie!
Abel, voyons! Je
pourrais être son grand-père!"
Il lui avait malgré tout accordé un bref gloussement, et le patron de la Tête de Sanglier se retira, à court de taquineries. Qu'est-ce que je disais, encore un qui était entré pour rien, se dit hargneusement Andy, avant de revenir à ses préoccupations actuelles.
"Peut-être
qu'une toge pourrait faire votre affaire?
Hum, ça peut
être une idée, en effet… Montrez-moi donc cela.
Voilà, on a toute cette tringle. C'est une gamme grecque,
M'sieur, de première qualité.
Intéressant…
J'étais persuadé que l'artisanat avait disparu, dans la
Grèce moderne!
Oh non, m'sieur, au contraire! Y'a plein
de sorciers qui continuent à perpétuer les traditions.
Nos produits viennent de chez Rouaistapopulos, un label sûr.
Celle-ci est très originale, dites-moi!
Une trabea,
m'sieur. On a plus de pourpre en stock, désolé, mais en
peut en re-commander si vous voulez.
Oh, je crois que je préfère
ces modèles bariolés…
Ouais, ça se vend
bien. Mieux que la trabée vraiment traditionnelle, en
tous cas. Les rayures ça amaigrit, pour sûr. Pas que
vous en ayez besoin, c'est pas ce que j'veux dire, comprenez bien,
mais disons que ça apporte un peu de gaieté.
Tout
juste! Et une toge, ça devrait être conventionnel pour
satisfaire Min-euh, tout le monde…
Oh vouais, ça fait
assez classe, si c'est ce que vous cherchez.
C'est parfait, je
la prends. Combien vous dois-je?
Ben vous l'essayez même
pas?
Inutile, il y a ma taille et c'est une coupe standard, je
ne risque rien!
Ah bon, comme vous voulez. Dix gallions et
quatorze mornilles, siouplaît m'sieu.
Voilà!
neuf… dix… quatorze. C'est bon, m'sieur! Je vous met un
pochon?
Oui, merci.
Vouha-là. Au plaisir, m'sieur!
Bonne journée, mon brave!
Pareillement!"
¤§¤§¤§¤
Etrangement, Andy remarqua qu'il était de bonne humeur,
pendant que le vieux professeur rabattait la porte tintinnabulante.
Quel client agréable!
Il ne fit presque pas de difficultés,
quand l'elfe gonflant vint se présenter à la caisse,
ses grands bras maigres et tout fripés débordants d'une
véritable rafle qui aurait pu contenir un stand complet de la
Grande Braderie de Londres.
¤§¤
Minerva avait bien grimacé un peu, mais il était
désormais trop tard pour changer d'avis, comme elle l'avait
reconnu elle-même.
Cela dit, il avait peut-être été
un peu trop sûr de lui quant à l'étape de
l'essayage en magasin qu'il n'avait pas eu le courage d'affronter.
Oui, il avait vraiment été trop confiant, et pressé
d'être débarrassé…
Et c'est ainsi que,
le 25 décembre à huit heures du soir, Albus ouvrit le
véritable Bal (la première danse effectuée
par les couples de champions ne comptait pas vraiment) accoutré
d'une toge aux couleurs vives deux fois trop grande pour lui, dont
l'effet bouffant rendait curieusement sur la silhouette effilée
du directeur.
Heureusement, personne n'eut l'air de le remarquer –
ou plutôt, de s'en formaliser.
Seuls quelques officiels tiquèrent, mais Albus aurait pu les entendre penser aussi clairement que s'ils l'avaient dit tout haut: après tout, c'est bien connu: il a un grain.
(1) : Toute ressemblance fortuite à certains détails typiques du Disque-Monde est indépendante de ma volonté et découlent plutôt d'une trop forte influence de mes nombreuses lectures.
