Bam-Bam-Bam. Le rythme est régulier, violent, et le son est puissant. Ce n'est pas un lieu ou on parle. C'est un lieu où l'on réapprend à communiquer. Par le corps, par le regard. C'est un lieu où l'on danse collé-serré, un lieu où, malheureusement, tout est éphémère. C'est un souvenir d'un soir, une rencontre bienheureuse, un moment de détente qui disparaîtra à l'aube. Les rencontres y sont toujours différentes. On n'y connaît jamais personne, mais c'est bon, c'est si bon que l'on finit souvent à deux. Et le souvenir finit toujours par s'évanouir. Son nom, son prénom, son âge ? Quelle utilité ? Ce n'est qu'une lueur de plus sur le tableau des souvenirs, une lueur plutôt faible même si elle persiste. C'est "nous" pour une nuit et au matin c'est déjà fini.
Ils le savent. Ils viennent souvent ici, tous les deux. Mais c'est la première fois qu'ils se voient. L'un est tout ouvert, prêt à rencontrer. L'autre est plus craintif, mais curieux. Alors ils veulent communiquer. Ils s'attirent, s'observent, se rapprochent ou s'éloignent au gré des autres danseurs qui ne les voient pas. Ils communiquent déjà, se sourient, se rapprochent finalement. C'est bref, à peine un contact, et puis un autre, et un autre, et un autre... Chaque contact est un peu plus long, un peu plus intense que le précédent. Ils se sont choisis, ce soir, c'est ensemble qu'ils rentreront. Sans savoir quoi que ce soit l'un de l'autre. C'est une histoire sans lendemain qui débute, mais c'est ce qui leur plaît. Ils sont là pour ça, pour ça et puis pour se sentir moins seuls, au milieu de tous ces inconnus sans visages. Leurs corps désormais semblent avoir fusionné, ils sont l'un de ces êtres à deux têtes comme il y a en a tant d'autres sur la piste de danse.
Ils ont quitté l'ambiance chaude et festive, les autres corps contre les leurs, et pour une enième fois, un corps est plaqué contre un mur pour échanger un baiser intense. Ils rient entre deux baisers. Ils rient de leur ivresse, ils rient de leur bêtise, ils rient de leur bonheur, aussi éphémère soit-il. Et c'est bien plus tard qu'un lit des plus sommaires accueille leurs corps en fusion, leurs baisers brûlants, leurs caresses fébriles. Ils se découvrent, se cambrent, apprennent à se connaître à leur manière. Des marques sont laissées sur les corps, sans aucun doute les souvenirs les plus durables de la soirée. Ils rient encore, s'épuisent, s'enlacent. Se regardent une dernière fois, puis s'endorment.
A l'aube le lit n'abrite déjà plus qu'un seul corps. Mais cela lui paraît normal, il le savait d'avance et n'espérait pas autre chose. Alors il se lève, enfile quelques vêtements, se prépare un petit déjeuner. Il veut descendre à la boulangerie, attrape une veste, et tend la main vers le crochet où sont toujours les clefs - mais il est nu. Il se souvient, pourtant. Il se souvient les avoir posées là, entre deux baisers, entre deux rires. Il reste un moment, là, à se demander. Et un déclic se fait entendre, la porte s'ouvre. Il est dans l'encadrement de la porte, un sachet de croissants à la main, les clefs entre deux doigts. Et il sourit. Comme s'il posait une question.
Alors il approche, tend légèrement la main, et saisit le sachet de croissants.
Et puis après tout, pourquoi ne pas donner un lendemain à cette histoire ?
