La nuit venait à peine de tomber sur Bordeciel ; on ne pouvait manquer cependant les deux lunes Masser et Secunda, toutes deux entières. Les deux astres transformaient la nuit habituellement sombre et morne en un spectacle qui mêlait les lueurs chaudes et pourpres de Masser au blanc laiteux et luisant de Secunda en une atmosphère irréelle que l'on ne voit que rarement dans l'année. Angi accordait beaucoup d'importance au cycle lunaire de Nirn depuis qu'elle avait fui le monde civilisé pour vivre recluse dans un mont au nord de la chaîne des Jerrall. Vénérant Hircine, le prince daédrique de la chasse, elle comprenait le lien intime qui reliait la présence des lunes et les différents comportements que pouvaient adopter son gibier. Son expédition dans la forêt juste en bas du versant fut d'ailleurs suffisamment correcte pour que la chasseresse puisse se permettre de consommer de la venaison, viande qu'elle conservait habituellement pour ses contacts qui pouvait lui fournir des services précieux contre cette viande rare et succulente.
Angi pensait qu'elle pourrait passer cette nuit rare à s'entraîner à tirer à l'arc sous les étoiles, les aurores boréales et les deux pleines lunes. Cependant, cette chasseresse recluse reçut la visite inattendue d'une aventurière de passage. C'était une jolie femme aux cheveux dorés, au visage doux mais marqué d'une importante balafre frontale une tiare sertie d'émeraude, qui mettait davantage en avant ses yeux verts sombre, cachait habilement cette marque. Elle portait une robe de mage blanche très particulière, ce qui permit à Angi de la distinguer d'une parjure sous couverture tant elle avait en commun de traits de visages – et un tatouage tribal – avec les Brétons natifs de la Faille. Celle-ci s'approcha d'Angi, qui garda la main sur le fourreau de sa dague – elle se savait recherchée –, et demanda :
« Salutations. J'arrive de Cyrodiil et je dois rejoindre Épervine, pouvez-vous m'indiquer le chemin à suivre pour m'y rendre. Je vous en serais reconnaissante… »
« Pour rejoindre Épervine, il vous suffit de suivre ce chemin jusqu'à l'énorme roc et de prendre à gauche. La suite de la route est bien balisée, cependant je vous déconseille de continuer, la ville est au moins à quatre heures de marche d'ici. La route est dangereuse depuis qu'un groupe de nécromants s'amusent à vous prendre par surprise grâce à des invocations terrifiantes. A ce qu'on raconte, ils feraient des expériences sur des sujets humains vivants… », expliqua Angi.
« C'est bien ma veine», répondit la jeune femme, « Vous avez une idée où je pourrais trouver une auberge ou faute de mieux, un lit de camp et un peu de compagnie moyennant or ? »
Angi lui montra du doigt le camp de fortune qu'elle s'était organisée ces dernières années sur le flanc de cette montagne, et répondit :
« Je peux toujours vous offrir à manger et une paillasse sous une tente si vous le souhaitez. Comment vous appelle-t-on au juste ? »
« Carmilla. Et vous ? », demanda la Brétonne, qui connaissait sa réponse.
« Moi c'est Angi. Enchantée ! »
Carmilla croqua dans la tranche de venaison que la chasseresse Nordique lui avait servie. Elle était fatiguée cependant, et le sommeil l'emportait sur la faim. Elle s'allongea sur la paillasse pour récupérer, ferma les yeux et s'endormit.
Les deux lunes brillaient de plus en plus faiblement dans le ciel Tamriellien l'aube s'annonçait imminente. Carmilla émergea vite de sa torpeur nocturne. La mage avait déjà repris ces esprits fit un état rapide de la situation : elle avait gagné une certaine confiance de la part d'Angi, cependant cette Nordique recluse avait développé une méfiance extrême, étant une fugitive aux yeux de la châtellerie et le l'empire. Carmilla ressentait rarement des sentiments pour ses victimes, encore moins de la pitié. En tant que l'Oreille Noire de la confrérie, elle recevait et devait mettre à exécution ses contrats afin de continuer à restaurer la terrible réputation de confrérie noire.
Carmilla jeta discrètement un coup d'œil hors de sa tente, et scruta les environs. Angi était déjà en train de se préparer pour une virée de chasse dans les hauteurs, il ne serait pas aisé de la prendre par surprise. L'écoutante se rappela alors qu'il lui restait un peu de poison paralysant. Elle trempa alors une de ses flèches dans ce puissant poison qu'elle avait confectionnée. N'étant pas spécialement entraînée au maniement de l'arc long, Carmilla pensa qu'il serait plus judicieux de projeter la flèche avec une puissante force télékinésique, d'autant plus que cela lui permettrait d'agir avec une plus grande discrétion.
La jeune Brétonne sortit de la tente, se décala vers la gauche, et projeta la flèche, qui s'enfonça dans le flanc droit d'Angi, qui trembla fortement et tomba sur une souche d'arbre. Carmilla marcha calmement vers sa cible désormais immobilisée et déclara :
« Cela doit être spécialement détestable d'avoir le destin d'une proie après tant d'années passer à chasser et à vénérer Hircine, n'est-ce-pas, Angi ? La confrérie retrouve toujours ceux désignés par la mère de la nuit, y compris ceux dont même le Penitus Oculatus a oublié l'existence. Adieu, Angi. »
Carmilla planta son tanto, d'un coup fort et sec, dans la poitrine d'Angi, dont le sang rouge commençait déjà à marquer ses frêles et pales mains. La Brétonne laissa Angi, gisante sur cette souche de pin, se vider de son sang.
Tandis qu'un soleil rouge, radiant, se levait et perçait les nuages, Carmilla était déjà en marche pour Epervine où une de ses amies, Saphir, l'attendait. Elle avait rencontré ce membre de la guilde des voleurs de Faillaise lors de ses menus travaux qu'elle avait dû effectuer pour le compte de Brynjolf ou de Maven Roncenoir elle avait lié des liens forts avec cette voleuse hors-pair. L'oreille noire présageait un contrat intéressant financièrement et difficile à l'exécution la mère de la Nuit ne donnant pas de détails quant au contrat même, seulement le commanditaire. Saphir ne se serait pas déplacé jusqu'à Épervine pour une simple besogne, pensa-t-elle.
Carmilla continua sa marche une bonne heure, puis s'arrêta étudier un nouveau sort d'illusion sur le bord de la route pavée. Installée sous un sapin, Carmilla fut bercée par le doux son que produisait l'eau qui s'écoulait du torrent. Cela faisant un sacré temps qu'elle n'avait pas mis un pied à Bordeciel, cette terre ancienne dont la beauté frapperait Carmilla jusqu'à la fin de son existence terrestre. Après un court temps de lecture, Carmilla s'assoupit, l'atmosphère paisible, le chant des oiseaux et le manque de sommeil lui empêchant de garder sa conscience entière.
