Tous les personnages appartiennent à SM

La courtisane

Chapitre 1 – pov Edward

Les réunions de conseil d'administration m'avaient toujours profondément ennuyé.

Je retrouvai alors avec soulagement le vacarme des rues londoniennes, le martellement des sabots, les cris des vendeurs de journaux, le rire d'un passant…

Cela faisait déjà trois semaines que j'étais de retour dans cette ville qui m'avais vu grandir et je ne me lassais toujours pas du bonheur que me procurait cette sensation d'être enfin chez moi. Même si ce n'était que pour un temps.

Je sortis ma montre de la poche de mon gilet. Il était à peine midi, il n'était pas trop tard pour un brunch. J'étais affamé, j'avais trop appréhendé mon rendez-vous du matin pour avaler quoi que ce soit. Au grand désespoir de Mary, ma très chère et totalement indispensable gouvernante Mary. Mais, l'angoisse avait maintenant passé et je sentais mon appétit s'accentuer rien qu'en pensant aux délices qui m'attendaient à la maison Macye's où j'avais mes habitudes et qui n'était qu'à deux pas.

Au coin de la rue, j'achetai le Times à un jeune garçon à casquette qui fut enchanté des quelques penny de trop que je lui laissai. Je parcourus la une… 28 Avril 1876… déjà ! Non, je ne devais pas gâcher mon plaisir en pensant à mon prochain départ.

Le bruit d'une cavalcade m'arracha à mes pensées et je me glaçai d'horreur en voyant un fiacre lancé à toute allure dans la rue et, sur sa trajectoire, la frêle silhouette d'une jeune femme visiblement paralysée par la terreur. Mon sang ne fit qu'un tour et je me jetai sans réfléchir sur la chaussée, attrapant la malheureuse par la taille pour la tirer prestement avec moi vers l'arrière.

Elle ne me parut pas plus lourde qu'une enfant.

Ne me souciant pas un instant de la bienséance qui aurait exigé que je m'écarte, je resté accroché à elle le temps de reprendre mon souffle, d'attendre que mon sang cesse de battre frénétiquement à mes tempes et que mon cœur reprenne un rythme plus calme. Jusqu'à ce que je me rende compte que ce n'était pas de mon cœur qu'il s'agissait. Le martellement affolé que je sentais dans mon torse ne provenait pas du mien mais du sien.

Ses jambes fléchirent soudain et, si je n'avais eu le réflexe de la soutenir, elle se serait écroulée, victime d'un évanouissement, contrecoup d'une émotion trop forte.

- Mademoiselle ! ..Mademoiselle !...

Je la retournai lentement et continuait à la soutenir tout en découvrant pour la première fois son visage.

Je dois avouer qu'il ne m'avait pas souvent été donné de voir une aussi jolie jeune femme.

Sa peau était très pâle du fait de son malaise mais on la devinait diaphane et parfaite. Ses lèvres pleines semblaient faites du plus doux des velours. Ses cheveux d'un brun profond relevés en un savant chignon dévoilaient une nuque fragile, délicate.

J'avais connu nombres de jeunes personnes, bien plus éveillées, mais j'avais rarement été aussi troublé.

Ne pas voir ses yeux me semblait un supplice insoutenable. Tiendraient-ils les promesses d'un si joli visage ?

-Mademoiselle, je vous en prie, ressaisissez-vous, vous êtes en sécurité. Vous ne risquez plus rien. Tout va bien.

J'osais poser une main sur sa joue, dessinant de mon pouce la courbe de sa pommette. J'étais suspendu à sa respiration qui, de quasiment imperceptible devenait maintenant plus forte, signe de son prochain réveil.

Elle contracta les paupières et un faible gémissement s'échappa de ses lèvres.

A ce son, mon corps réagit comme sous une douce décharge d'électricité.

Elle revenait à elle.

Elle ouvrit lentement les yeux, apparemment égarée. L'espace d'une fraction de seconde, je me noyai dans deux abysses d'un brun presque noir, hypnotisant, puis son corps se raidit brusquement dans mes bras. Je ne la lâchais toujours pas et l'incongruité de la situation m'apparut soudain.

-Monsieur, je… je vous prie de m'excuser ! Je suis confuse !

Elle semblait mortifiée. Je l'aidais à se relever complètement. Mais, ne parvenant pas à rompre le contact, je gardais ma main sous son bras, comme pour donner l'impression que je voulais m'assurer qu'elle ne retomberait pas.

Pieu mensonge.

- Comment vous sentez vous ?

- Bien… Je crois… Je ne sais comment vous remercier. Sans vous, je n'ose imaginer ce qui serait arrivé.

- Vous êtes encore effroyablement pâle. Je vous en prie, laissez-moi vous offrir de quoi vous remettre.

- Oh ! Non ! Merci mais… j'ai déjà suffisamment abusé de votre temps.

- Vous devez manger quelque chose sinon vous allez vous écrouler à nouveau et je ne serai peut-être plus là pour vous attraper au vol.

- Je tentai de mettre dans mon sourire toute la persuasion dont j'étais capable.

Elle battit des paupières puis baissa rapidement les yeux, ses joues se colorant d'une adorable teinte rosée.

- Je vous en prie. Maycie's est juste là. Prenez une tasse de thé et vous pourrez ensuite disparaître à votre guise.

Elle rit doucement en signe d'acceptation et je lui tendis alors plus officiellement mon bras pour la conduire à l'intérieur de la maison de thé.

Nous nous asseyâmes non loin de la grande baie vitrée, profitant ainsi de la douce chaleur du soleil. Je commandais du thé et quelques pâtisseries. Elle tenta de m'en dissuader mais je lui signifiais que j'avais moi-même besoin de me remettre de mes émotions.

- Alors je ne dirai plus rien, dit-elle avec une mine espiègle, il ne me plairait pas que vous ayez à votre tour un étourdissement. Je crains d'être incapable de vous empêcher de vous écrouler au sol et je serais désolée de ne pouvoir vous secourir.

Je ris de bon cœur à cette boutade.

Cette femme me séduisait délicieusement. J'aimais cette lueur de malice et d'intelligence qui brillait dans ses yeux. Tout à coup plus sérieux, j'osais lui poser une question plus personnelle :

- Comment vous appelez-vous ?

Elle sembla se rembrunir imperceptiblement. Je décidais alors de changer de stratégie.

- Je vous prie de m'excuser, je suis le dernier des mufles! Laissez-moi me présenter.

Je me levais alors et lui tendais une main amicale en me penchant dans un salut un peu exagéré, comptant détendre l'atmosphère en restant dans un registre enjoué.

- Edward Antony Masen, tout nouvellement promus sauveur de jeunes femmes en détresse, pour vous servir. Mademoiselle ?

Je retrouvais avec bonheur l'amusement dans son regard et elle posa une main délicate sur la mienne. Mes yeux s'accrochèrent aux siens pour ne pas trop me concentrer sur les picotements de ma peau là où elle était en contact avec la sienne.

- Isabella Mary Swan, demoiselle en détresse à répétition. Enchantée de faire votre connaissance, Monsieur Masen.

Je me penchais et embrassais respectueusement sa main. Je fermais les yeux un instant, humant le plus discrètement possible le parfum de sa peau, en goutant la douceur du bout des lèvres.

Je l'entendis clairement cesser de respirer.

Je rouvris les yeux pour me plonger à nouveau dans son regard.

- C'est moi qui suis charmé Miss Swan… Isabella.

Elle ouvrit la bouche mais ne prononça aucun mot. Elle baissa alors les yeux et murmura.

- Bella… Je vous en prie, appelez-moi Bella.

- Avec plaisir, Bella…

Le serveur brisa la toute nouvelle intimité de cet instant en nous apportant notre commande.

Je tentais d'alléger l'atmosphère en amenant la conversation sur le journal. On y ventait la nouvelle collection acquise par le British Museum.

Son regard s'illumina alors et nous nous lançâmes dans une conversation passionnée sur l'art. Elle affectionnait tout particulièrement la peinture et la littérature, faisant preuve d'une culture peu commune en ces domaines. Elle avoua son incompétence en matière de musique et rougit encore adorablement quand j'évoquais le plaisir que j'aurais à l'initier à cet art, étant moi-même passionné et pianiste à mes heures perdues, qui étaient trop peu nombreuses malheureusement.

Le temps passa sans que je ne m'en rende compte.

Elle me fascinait. La timidité s'était envolée et nous discutions à présent librement. Je voulais en savoir plus sur elle, l'entendre encore me parler de ses passions, entendre sa voix, tout simplement…

Elle remarqua mon silence et afficha alors un sourire contrit et gêné.

- Oh… je dois vous ennuyer, excusez-moi. J'ai tendance à me laisser emporter si on ne me retient pas.

- Loin de moi l'envie de vous retenir. (nouveau rougissement) C'est un réel plaisir de vous écouter. D'où tenez-vous une telle culture artistique ?

Elle sembla hésiter un instant.

- Mes… mes parents considéraient que l'art de tenir une maison n'était pas le plus important dans l'éducation d'une jeune fille.

- Que voilà des esprits éclairés ! Il faudra que je les en remercie un jour.

- Ils nous ont hélas quittés.

Elle lâcha ces mots d'une voix blanche, signifiant ainsi qu'elle ne souhaitait pas que je poursuive sur le sujet.

- Vous m'en voyez navré… Bella, je vous prie de m'excuser.

- Ne vous excusez pas. C'était il y a longtemps. Comment l'auriez-vous su ?

Elle ne relevait pas les yeux. La magie de notre échange, notre inexplicable complicité semblait s'être subitement envolée.

Elle se leva et je fus soudain pris de panique. Non, je ne pouvais pas la laisser s'en aller. Pas comme ça. Sans savoir si je la reverrai.

- Je vous remercie pour tout monsieur Masen. Je vous dois la vie et vous suis redevable mais… je dois vous laisser.

Je me levais à mon tour, cherchant frénétiquement à faire le tri dans ma tête. Que m'arrivait-il ? Des femmes, j'en avais connu. A 29 ans, j'avais eu mon lot de rencontres sans pour autant ressentir le trouble que je ressentais en ce moment.

Il fallait que je la revoie.

J'attrapais la main qu'elle me tendait et la portais à nouveau à mes lèvres, ressentant cette chaleur une deuxième fois envahir mon corps à son simple contact.

- Bella… Vous reverrais-je ?

- Je ne sais pas monsieur. Mon… temps ne m'appartient pas.

Elle retira lentement sa main et, après un dernier regard, quitta l'établissement, me laissant face à des émotions que je ne comprenais pas moi-même.