La shinigami poussa doucement la porte coulissante pour pénétrer dans la chambre. Comme toujours, Renji ne s'était pas ménagé, et ce soir il gisait inconscient dans un lit.
Si seulement ils étaient arrivés plus tôt, elle, Ichigo, Ishida et tous les autres…peut-être ne serait-il pas maintenant dans cet état, et peut-être que l'enfant, que son ami avait tenté désespérément de protéger, ne serait pas en ce moment même entre la vie et la mort.
Elle le savait, si Renji se réveillait, l'annonce de cette issue très incertaine serait un nouveau coup porté au jeune vice-capitaine. Il avait toujours été comme ça, prenant à cœur tout ce qu'il entreprenait, dépensant sans compter son énergie quand il se fixait un objectif à atteindre. Malheureusement, hier soir Renji avait échoué, et Rukia savait que personne ne serait aussi dur envers lui que le jeune homme lui-même. Enfant déjà, alors qu'ils arpentaient les rues du Rukongai, son ami ne supportait pas de rester impuissant face aux injustices des plus forts envers les faibles, et il s'était fait un devoir de protéger et de subvenir aux besoins du petit groupe qu'ils formaient. Renji ne renonçait jamais, même si cela pouvait lui coûter la vie ; comme une sorte d'acharnement désespéré dans sa quête de reconnaissance…c'est toujours comme ça quand on vient d'en bas on veut montrer à tous ceux qui nous ont si longtemps méprisé que la valeur d'un être humain ne se mesure pas à sa naissance…
Rukia s'agenouilla auprès de son ami d'enfance il avait l'air si vulnérable étendu ainsi sur ce futon, le corps pratiquement entièrement couvert de bandages… La pâleur de ses traits le faisait sembler plus mort que vivant et cette pensée fit tressaillir la shinigami. Pour faire taire cet horrible doute, elle plaça le dos de sa main droite devant le visage du jeune homme dans l'espoir de sentir son souffle sur sa peau. Son angoisse s'accrut quand elle ne sentit rien et elle voulut alors chercher le son de sa respiration en se penchant au-dessus de lui…
Ce fût le moment que choisit Urahara pour faire irruption dans la pièce. De surprise, Rukia se rejeta en arrière, tombant sur son séant le visage empourpré.
La scène provoqua un petit rire moqueur au porteur de getas, qu'il fit mine de vouloir dissimuler derrière son éventail, puis, se raclant brièvement la gorge, il déclara sur un ton mi-ironique mi-pervers :
- oh ! J'interviens dans un moment extrêmement intime je crois. Mais surtout ne vous dérangez pas pour moi ça ne me gène absolument pas !
Rukia, sourcils froncés et reprenant ses esprits, lui jeta au visage un des coussins posé au sol :
- Au lieu de déblatérer des inepties, vérifiez donc si votre patient est toujours en vie, j'ai cru qu'il ne respirait plus !
- Inutile de vous justifier, gloussa l'homme au chapeau rayé en se dirigeant vers le blessé, mais avouez que la situation pouvait paraître ambiguë…
Un nouveau coussin vola à travers la pièce.
- Effectivement ses constances sont relativement faibles, déclara avec sérieux Kisuke, les cheveux légèrement plus en bataille qu'à l'accoutumée et le couvre-chef de travers, en même temps, poursuivit-il, vu les circonstances le contraire relèverai du pur miracle, le garçon ne s'est pas fait raté. Puis d'une voix théâtrale il ajouta : « alala ! Des semaines à le choyer en lui offrant le gîte et le couvert et voilà dans quel état il vous revient ! »
Croisant le regard inquiet de Rukia sur le vice-capitaine alité, il reprit son sérieux :
-Mademoiselle Kuchiki, j'aurais un service à vous demander…
Rukia leva les yeux vers lui dans une expression méfiante :
-Je vous écoute…
-Voilà, bien que je doute que les baunts reviennent cette nuit, j'ai envoyé les membres valides de notre petite organisation sillonner les rues de Karakura… Personnellement, j'ai encore quelques recherches à faire concernant l'origine de nos ennemis et je vous avoue que cela m'ennuie de laisser Abaraï sans surveillance, aussi je me demandais si vous accepteriez de rester auprès de lui en mon absence ?
Rukia baissa les yeux sur le sol :
-Je pense qu'il vaudrait mieux confier cette tache à Orihime…si l'état de Renji venait à se dégrader je ne serais pas d'une grande utilité : mon kido est insuffisant pour soigner ce genre de blessures…
-Ne soyez pas si dure envers vous-même…Orihime ne sera pas plus efficace…c'est l'âme de Renji qui a été blessée, ce type de blessure ne se guérit qu'avec du temps… Qui plus est, je suis sûr qu'un visage ami lui fera le plus grand bien à son réveil et je pense que vous êtes une des personnes les plus indiquées pour cela…
La shinigami leva les yeux vers Kisuke en rougissant :
-Dans ce cas…
L'enfant sous le bras, Renji se débattait comme un beau diable, malheureusement, ses assaillants étaient de plus en plus nombreux… Zabimaru giflait les airs mais dès qu'il mordait mortellement un adversaire, un nouvel ennemi se précipitait pour se repaitre des restes encore chauds et gorgés d'énergie vitale… Ainsi, pour un ennemi abattu, un adversaire plus puissant apparaissait, et à cela s'ajoutaient les nouveaux arrivants accroissant leur surnombre.
Le vice-capitaine commençait à ployer sous la vague incessante des monstres ; bientôt il ne pourrait plus résister, il serait enseveli et avec lui le jeune garçon inconscient qu'il s'était pourtant juré de protéger…
Alors qu'il se faisait engloutir par la nuée sombre, le jeune homme se surprit à déceler une odeur familière, fraiche et fleurie. La fragrance d'abord légère se fit plus insistante avant de s'évanouir…
Au milieu des ténèbres il perçut le poids d'un corps dans ces bras il crut d'abord qu'il s'agissait de l'enfant mais, en baissant les yeux, il découvrit Rukia, dans la tunique blanche qu'elle portait le jour de son exécution… Cette vision fit tressaillir le shinigami et, lorsque le décor du Seireitei s'étala sous ses yeux, il se mit instinctivement à courir pour échapper aux poursuivants de la jeune femme.
Quelques secondes plus tard, il était genoux au sol, serrant contre lui une Rukia vidée de ses forces par un enferment prolongé dans la Tour des Regrets, face à un Aïzen sûr de lui et méprisant… Ainsi il allait vivre une fois de plus ce combat qu'il n'avait pas remporté…il resserra son étreinte sur son amie, il avait tant attendu de pouvoir à nouveau l'approcher que la tenir ainsi contre lui comme s'il s'agissait de la dernière fois lui comprimait violemment la poitrine… elle lui avait déjà été arrachée une fois, il ne pouvait pas supporter l'idée que cela se reproduise… Tout avait l'air si réel…Renji ferma les yeux. Il pouvait sentir le parfum de la jeune femme, la chaleur de son corps…cela faisait prés d'un demi-siècle qu'ils devaient se contenter de se côtoyer avec une apparente indifférence polie et ils avaient rarement été aussi proches physiquement qu'à ce cruel moment… A cette pensée, il se remémora tous les instants où il aurait voulu la serrer dans ses bras enfant déjà, alors qu'ils vivaient ensembles dans les rues du Rukongai, il avait ressenti l'irrépressible besoin de la protéger…non pas qu'elle en ait eu spécialement besoin, mais Renji aimait passer du temps avec elle, il se sentait apaisé à ses côtés…il avait toujours trouvé qu'émanait d'elle une aura de douceur et de paix.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il était allongé. En observant ce qui l'entourait il retrouva l'abri de fortune de son enfance et découvrit la jeune Rukia blottie contre lui…
Urahara partit, Rukia alla s'agenouiller aux cotés de Renji…le calme si inhabituel qui régnait sur le visage de son ami troublait la jeune femme et elle avait beau tenter de se raisonner, son état l'inquiétait…
Avec douceur, elle glissa les doigts de sa main droite entre ceux, inertes, du jeune homme mais rapidement elle se ravisa : étrangement, ce contact la mettait mal à l'aise…cela faisait si longtemps qu'elle n'avait pas été aussi familière avec lui que ce simple geste de tendresse alors qu'il dormait lui semblait déplacé…
S'il avait été conscient, il lui aurait probablement demandé, sur un ton gêné, ce qu'il lui prenait…s'il avait été conscient elle ne se serait probablement pas permis ce geste si familier… Ce constat l'attrista : ils étaient si proches avant…il lui arrivait souvent de regretter cette époque, mouvementée certes, mais heureuse, durant laquelle ils avaient vécu ensemble, entourés de leurs amis, au Rukongai… Ensuite, ils étaient partis tous deux à la conquête du Seireitei pour se faire une place au soleil…ils croyaient alors que rien ne pourrait les séparer…
Et puis, elle était devenue une Kuchiki…
Ce jour là, elle n'avait pas compris d'où venait ce brusque intérêt pour elle de la famille noble ; dans un sens il s'agissait d'un honneur, et dans l'autre elle savait très bien ce qu'une telle décision impliquait pour elle…et même si elle avait voulu refuser, comment pouvait-elle parvenir à décliner une telle offre sans provoquer la colère de si prestigieux représentants ? Renji aussi savait tout cela, d'ailleurs il n'avait pas hésité une seule seconde pour l'encourager à accepter…c'était peut-être ce manque d'hésitation, au fond, qui avait alors blessée l'apprentie shinigami qui s'était sentie abandonnée…
Rukia reprit ses esprits et posa à nouveau son regard sur le visage du vice-capitaine. Finalement, malgré la distance qui s'était instaurée entre eux, il avait réussit à garder une place dans sa vie, notamment depuis qu'il avait été promu, et elle pouvait toujours compter sur lui… A cette pensée elle se mit instinctivement à caresser les cheveux attachés du jeune homme, et, prenant conscience de ce quelle était en train de faire, après une légère hésitation, entrepris alors de soulever doucement la tête de son ami pour ôter l'attache qui retenait ses longs cheveux carmins. En contemplant la crinière sanguine qui s'étalait, éparse, encadrant le visage du shinigami, Rukia ne put s'empêcher de sourire : Renji détestait avoir les cheveux ainsi lâchés, pourtant, sans pouvoir expliquer pourquoi, elle, appréciait l'allure « animale » qui se dégageait de lui lorsqu'il était ainsi. Oubliant la gêne qu'elle avait ressentie précédemment, elle commença à jouer avec les mèches pourpres les faisant glisser entre ses doigts, puis coinçant les pointes entre son index et son majeur pour se chatouiller le bout du nez avec, comme le ferait un enfant…
Elle ferma les yeux. L'odeur de Renji…boisée, légèrement épicée…comme elle avait pu lui manquer… Lentement Rukia reposa la mèche soyeuse qu'elle tenait entre ses doigts.
Rouvrant les yeux, ceux-ci allèrent se poser sur le torse meurtri du jeune homme. Une fois de plus la jeune femme guetta la respiration quasi-imperceptible qui animait le corps gisant à ses côtés.
En douceur, la shinigami s'allongea aux côtés du vice-capitaine, allant finalement se lover contre son flanc. Ce soir, elle allait mettre de côté la distance que lui imposaient son rang et le grade de son ami. Ce soir, un demi-siècle de séparation s'effaçait. Ce soir, elle était seulement quelqu'un d'ordinaire s'inquiétant pour un être cher…
Avec délicatesse elle plaça sa main à l'emplacement de cœur de Renji, percevant ainsi les pulsations rassurantes. Rukia ferma les yeux, se laissant bercer par l'odeur familière, si longtemps oubliée, et par le rythme tranquille murmurant sous ses doigts. Cela faisait une éternité que la jeune femme ne s'était pas sentie aussi apaisée et, en même temps, elle avait rarement été aussi inquiète…vraiment, une étrange sensation…et qui la ramenait à présent quelques décennies en arrière…
Le jeune Renji, gêné, se redressa dans son lit :
- Qu'est-ce que tu fiches ici Rukia ? Qu'est-ce qu'il te prend ?
La jeune fille, lovée contre lui, lui enserrait la taille :
- Baka !
La gêne du garçon laissa alors place à une surprise agacée :
- Qu'est-ce que tu racontes ? C'est toi l'idiote ! Ne me dis pas que tu as fait un cauchemar ? Railla-t-il.
Gardant toujours la même position elle répliqua doucement :
- Tu es vraiment un crétin…
L'attitude de son amie surpris Renji : Rukia n'était pas une personne très démonstrative, surtout pour ce qui était des gestes tendres…indéniablement cette étreinte le troublait mais il n'avait ni la réelle envie de l'interrompre, ni la volonté de repousser la jeune fille. Cherchant ce qui avait bien pu amener Rukia à un tel élan d'affection, il se remémora les évènements de la journée puis, s'écria étonné :
- Je suis tombé à l'eau !
Rukia releva la tête vers son ami :
- Bien sûr que tu es tombé, baka ! Je t'avais dit de ne pas t'avancer autant dans la rivière : le courant t'a emporté ! Heureusement qu'un vieil homme a réussit à te sortir de l'eau un peu plus bas !
Renji écarquilla les yeux de surprise.
- Et que s'est-il passé ensuite ?
- Nous t'avons ramené évidemment ! Pourtant tu aurais mérité qu'on te laisse sur place ! ajouta-t-elle les sourcils froncés et la mine boudeuse avant de détourner à nouveau la tête pour la reposer contre le torse du garçon.
Renji esquissa un sourire : si Rukia le serrait si avidement contre elle et ce, malgré son apparente colère, c'était parce qu'elle s'était inquiété pour lui…cette simple pensée suffit à affoler le cœur du jeune garçon qui sentit immédiatement la chaleur lui monter aux joues.
- Et où sont passés les autres ? Tenta-t-il pour changer de sujet.
- Partis chercher de quoi manger…le vieil homme nous a dit que tu aurais besoin de forces à ton réveil.
Elle ajouta timidement, une couleur rosée venant lui teinter les pommettes :
- Il a dit aussi qu'il fallait te réchauffer… c'est pour ça que je me suis mise là : comme on n'avait rien pour réchauffer le lit, je me suis dit que je te tiendrais chaud…
Pour le coup, l'effet fût garanti ! Renji était à présent de la même couleur que ses cheveux, le visage en ébullition !
- O ok… balbutia-t-il.
Un court silence s'installa entre eux.
- Dis Renji…
- Humm ?
- Tu me promets de ne pas recommencer ?
Après un court étonnement celui-ci lui répliqua sur un ton railleur :
- Pour qui tu me prends ? Je suis pas débile je vais pas me faire avoir deux fois de la même façon !
- Baka…
Renji esquissa un nouveau sourire. Doucement, il vint poser une main sur la tête de son amie et lui souffla :
- Désolé Rukia… j'essaierai de ne plus recommencer…
La jeune fille tressaillie puis poussa un léger soupir. Renji sentit son amie se détendre contre lui et sa respiration se fit plus lente ; quelques instants après elle dormait profondément…toutes ces émotions l'ayant visiblement exténuée. Le jeune garçon entreprit alors de caresser doucement les cheveux d'ébène de Rukia, puis, appuyant délicatement sa joue sur la tête de cette dernière, il sombra à son tour dans les bras de Morphée…
Lorsque Kisuke rentra, il découvrit, en ouvrant la porte de la chambre, les deux shinigamis profondément endormis et blottis l'un contre l'autre. Esquissant un sourire, il les couva du regard et leur souffla :
- Profitez-en, demain la vie reprend son cours…
