Deux joueurs et un couffin 1

Hikaru sentit son sang ne faire qu'un tour, mais ce n'était pas possible de jouer avec un type aussi borné. Oui il n'avait pas vu que son keima n'était pas approprié mais vu le dango adverse c'était l'hôpital qui se moquait de la charité. Le ton monta nez à nez avec son rival, ils s'envoyèrent allégrement tous les coups sujets à caution de l'un et de l'autre. Finalement le faux blond se leva et quitta le salon de go.

Akira rangea rageusement les pierres avant de récupérer ses affaires et de partir à son tour sous les regards des autres joueurs.

Sur la route qui le ramenait à la gare Hikaru marmonnait, il donna un coup de pied dans un caillou avant de finalement s'asseoir sur un banc. Jouer avec Akira était différent d'avec les autres, il le savait parce que c'était lui. Il ne devrait pas s'emporter si facilement mais c'était Toya et pas un obscur joueur. Ils s'affrontaient dès qu'ils en avaient le temps mais ils finissaient généralement par se crier dessus. Peut-être par ce qu'ils avaient une relation unique, il y avait leur rivalité mais pas comme l'aurait entendu maître Morishita. Ils étaient rivaux, amis et quelque chose de plus. Sans doute était-il le seul à en saisir l'importance ils étaient interdépendants, ils avaient besoin d'être ensemble au meilleur de leur forme pour y arriver. Pour réaliser leur but ultime, le coup divin. Alors cela devenait inévitable que chaque coup un peu moins bon devienne la cause d'une dispute.

Hikaru soupira en contemplant ses chaussures, le coup divin ils n'y étaient pas encore. Son regard accrocha une forme familière que se rapprochait. La personne finit par lui faire face.

« Tu es calmé ? »

« Désolé Akira. »

Le brun resta un instant immobile avant de continuer.

« Tu viens demain ? »

Derrière sa frange qui cachait son regard il finit par répondre oui.

Les garçons reprirent leur chemin vers leur domicile comme si rien n'était plus naturel. Arrivé chez lui Shindo ouvrit la porte de sa chambre, lança un rapide regard comme à chaque fois qu'il rentrait depuis 2 ans. Il se jeta sur son lit pensa au dernier tournois Japon/Chine /Corée, ce deuxième que le Japon avait remporté. Si Sai avait été là…

Il se retourna sur le côté et ferma les yeux : à quoi bon. Il ne reviendrait plus. Hikaru fronça les sourcils il n'était pas couché l'instant d'avant et que faisait-il ses chaussures aux pieds. Ce pourrait-il que Sai soit là ? Il sourit et chercha des yeux les traits si familiers de sa silhouette. Il le vit un instant qui lui sembla trop bref et se réveilla en sursaut. Il faisait jour, le réveil affichait vaillamment un dix heures, la maison était silencieuse. A cette heure sa mère avait déjà dû partir faire ses courses. L'adolescent bailla et se traîna jusqu'à la salle de bain. Lavé, habillé et un brin plus réveillé il allait sortir faire un saut à la fédération mais quand il ouvrit la porte il avisa un paquet étrange et remuant. C'était donc quoi qui l'attendait, il s'agenouilla et découvrit sous des tissus blancs mal agencés une petite frimousse au teint de porcelaine avec de fins cheveux mauves. Il devait encore dormir ce n'était pas possible il articula péniblement « Sai ? C'est toi ? »

Le bébé fi un gazouillis ravi, l'adolescent dégluti il ne savait s'il devait hurler de joie ou s'inquiéter. Son téléphone portable le tira de ses interrogations, il prit l'appel répondit par habitude « oui » à Waya et raccrocha. Il prit le mini Sai dans ses bras et se demanda que faire, de quoi avait-il besoin. Il prit la direction d'un grand magasin, une vendeuse pourrait sans doute lui venir en aide.


Le jeune homme arriva un peu en avance à la fédération de go, il pensait être le premier arrivé mais en entrant dans la salle de jeu où il avait rendez-vous il tomba nez à nez avec Waya.

« Hikaru tu fais du baby-sitting maintenant ? »

Le décoloré rougi mal à l'aise et bredouilla quelque chose comme quoi il n'avait pas su comment faire. Sai contempla Waya et un point dans le vague avant de geindre puis de hurler. Hikaru tenta de le bercer mais rien n'y faisait.

« T'es pas doué passe le moi. »

Le jeune pro prit le bébé mais rien n'y fit, quelques personnes s'approchèrent alertées par le raffut. Nasé les rejoint une moue dubitative face à ces deux empotés.

« C'est pas l'heure du biberon ? »

Les deux garçons semblèrent perdus.

« Hikaru la mère a dû te donner de quoi le nourrir »

Le joueur de go réfléchi le plus vite possible un biberon, du lait. Un biberon il en avait acheté un, du lait il devait y en avoir dans le distributeur de boisson.

« Je vais acheter du lait se précipita-t-il »

La jeune fille le suivi du regard pendant qu'il s'approchait de la machine.

« Hikaru mais tu fais quoi ? Décidément heureusement que tu n'es pas encore papa. Regarde dans le sac du bébé. »

Stoppé dans sa course il chercha dans son sac à dos à la recherche de quelque chose avec une étiquette lait avant de sortir triomphant une boite métallique. Nase, Sai au bras désigna le biberon dans son emballage et indiqua la marche à suive, quelques minutes plus tard le silence revint partiellement. Le responsable de l'étage houspillant la petite bande bruyante en rappelant que les bébés n'avaient rien à faire dans ces lieux consacrés au travail.

Un peu contrit le papa amateur se vit indiquer la sortie, il salua ses amis et hésita sur où aller. En plus Akira devrait bientôt l'attendre. Avec résignation il regarda Sai qui somnolait son biberon à moitié vide. Il batailla avec le porte bébé pour caler son fardeau avant de s'engouffrer dans le métro.

A son arrivée au club de go Toya un silence de mort se fit, Mlle Ichikawa ouvrit de grands yeux quand Hikaru paya sont entrée. Le fils de l'ancien meijin s'approcha et détailla son rival.

« C'est quoi ça ? »

« Ça se voit non ! »

« Justement à quoi tu joues ! »

La réceptionniste soupira, un client à côté d'elle lui demanda « Hikaru est papa ? »

« Non il est trop jeune »

Un éclat de voix plus fort les interrompit.

« On dirait vraiment un vieux couple ces deux-là. »

Au fond de la salle à leur place habituelle Akira laissa tomber quelques mots.

« On joue. »

C'était plus un ordre qu'une question, Hikaru s'assit et fit le nigiri. Il était noir. Ils entamèrent leur partie quand le petit se mit à gigoter, ce qui ne perturba pas la concentration du joueur. Une odeur nauséabonde suivit de hurlements interrompirent la partie.

« Mais fais quelque chose. »

« Je voudrais bien t'y voir toi ! »

« C'est pas moi qui ai un bébé dans les bras ! Et puis il est à qui ! »

« Heu à moi ! »

« Pardon ? Tu te moques de moi Hikaru ! »

« Tout va bien Shindo ? » s'enquit la réceptionniste

« Pas vraiment, c'est la première fois que j'ai la charge d'un enfant. Il faut faire quoi ? »

La jeune dame fronça les narines.

« Changer sa couche je pense. »

« Sa couche ? » Une lumière s'éclaira dans le cerveau du blond, des couches il devait en avoir il se dirigea à la réception pour récupérer son sac et partit vers les toilettes.

Il en ressorti une éternité plus tard et tomba plus qu'il ne s'assit devant Toya. Pâle et nauséeux il posa un regard distrait sur la partie.

Akira retint les mots qu'il allait prononcer face à la tête décomposée de son adversaire. Une victoire dans ses conditions n'avait aucun intérêt pour lui. Il avait déjà la sensation d'avoir perdu ou quelque chose d'assez similaire. Hikaru, son rival était papa, d'autres personnes passaient avant le go, avant leur rivalité. Son monde semblait subir un séisme rien ne serait plus jamais pareil. Il sentait monter en lui la rage et la frustration de cette partie avortée par cette chose qu' Hikaru berçait.

Un petit couinement lui fit reporter son attention sur le garçon en face.

Tu comptes faire quoi Hikaru ?

« Quelle question reprendre la partie »

« La partie ? Tu ne peux pas être sérieux pour une fois ! »

« Je suis sérieux c'est toi qui l'es pas. »

Face à face ils allaient se remettre à se crier dessus quand le bébé les fit taire. Le blond tenta d'apaiser le petit Sai qui visiblement n'aimait pas leurs cris.

« Hikaru tes parents sont au courant ? »

« Non. »

« Tu devrais le rendre à sa mère. »

« C'est impossible. »

« Alors confie-le à l'orphelinat. »

« Toya t'es immonde ! Comment oses-tu dire ça ! »

« Hikaru tu es trop jeune pour t'occuper d'un enfant. Et ton avenir ? Et tes parties que vas-tu faire sinon. »

Le blond la tête baissée semblait ne plus rien vouloir dire.

« Je ne peux pas Toya, je ne peux pas le trahir encore, je ne peux pas l'abandonner. Tout est de ma faute, j'aurais dû comprendre avant. »

« Comprendre », « trahir encore » Hikaru comme son discours est étrange, il serait donc toujours un mystère pour lui. Il pensait qu'ils étaient proches mais il aurait aimé pouvoir le comprendre. Silencieusement son regard parcourait son rival, ce mouvement imperceptible.

« Hikaru ! »

Il ne pouvait pas pleurer et pourtant, pourtant cette goutte d'eau sur son sweat-shirt il n'avait pas rêvé. Elle n'était pas là avant.

« Que vas-tu faire alors ? »

Son interlocuteur passa sa manche sur le haut de son visage, il n'avait donc pas rêvé.

« Tu vas en parler à tes parents ? »

« Je ne sais pas, je ne crois pas, comment leur dire que ce matin il était là… Pour qu'ils disent comme toi que sa place est dans un orphelinat. »

L'aura autour du blond avait changé comme le ton qu'il avait employé, c'était le Shindo qu'il connaissait celui avec qui il se battait de toutes ses forces, celui avec qui il se disputait. Il y avait cette chaleur, cette colère, cette rage et ce courage, c'était celui qui le défiait d'ordinaire. Akira s'empêcha de sourire avant de provoquer une nouvelle série de cris.

« Je vais aller à l'hôtel en attendant de trouver un appartement. »

Le regard du blond descendit sur l'enfant dans ses bras qui s'agitait un peu.

« Tu as faim Sai ? »

Sai ? Il avait dit Sai, c'était impossible Sai était un joueur, un grand joueur plus fort que son père. Et pourtant Sai et Hikaru, il avait toujours senti un lien entre les deux entités. Il était celui qui connaissait les deux jeux d'Hikaru. Le prodige qui ne savait pas poser une pierre aux joseki démodés mais d'une force sans pareille et le débutant qui l'avait déçu. Le rival où se reflétaient les coups de ce joueur fantôme, l'ombre qui planait sur le goban dont il redoutait les apparitions. L'ombre d'Hikaru, c'était Sai il l'avait compris depuis longtemps.

« A l'hôtel ? »

« Oui »

Le blond sortit le biberon qu'il alla préparer en demandant un peu d'eau chaude à la réception avant de revenir s'asseoir et de nourrir l'enfant.

« Je ne pourrais pas te faire changer d'avis. Tu n'as pas les papiers de Sai n'est-ce pas ? »

« Non »

« Mais c'est ton fils »

« Oui »

« Si tu restais chez moi ? Mes parents sont partis pour deux mois. »

Le jeune papa de ne répondit rien, rester chez Akira. Pourquoi lui proposait-il de venir vivre chez lui. Pourquoi était-il si surpris et troublé. Si Waya ou Isumi lui avaient proposé, cela lui aurait semblé naturel alors pourquoi lui ? Parce que, parce que c'était Akira Toya, parce que normalement rien ne l'intéressait à part le go.

« On y va ? »

« Où ? »

« Ne me fait pas répéter tu le sais parfaitement ! »

Leurs regards s'accrochèrent à la limite de la colère pour l'un, noyé de surprise pour l'autre avant que le blond ne se mette à rire pour la première fois de journée.

« Merci Akira. »

Le brun se dirigea vers l'accueil pour récupérer ses affaires.

« Je pourrais avoir celles Shindo aussi s'il vous plait ? »

Mlle Ichikawa les lui tendit, mais fut surprise de voir Akira porter le sac de Shindo. C'était bien la première fois depuis qu'ils venaient. Un des clients se leva et s'approcha,

« Ils n'étaient à se disputer il y a deux minutes ? Ils n'ont même pas fini leur partie »

La jeune femme pencha la tête.

« Vous savez avec un enfant c'est pas vraiment le lieu adapté. »

Le brun revint sur ses pas piqué au vif.

« Et alors mon père jouait quand j'étais sur ses genoux ! Ça ne gêne pas plus Shindo que mon père. »

Le client battit prudemment en retraite laissant la réceptionniste songeuse à ce parallèle troublant. Akira avait comparé Shindo au meijin Toya. Il le tenait en si haute estime. La clochette retentit pour signaler la sortie des deux jeunes joueurs. Mlle Ichikawa sourit, le salon allait devenir encore plus animé si cela continuait.

Les deux garçons prirent la direction de la gare en silence le brun finit par faire constater à son ami qu'il devrait passer prendre quelques affaires. Après un moment d'hésitation ils se dirigèrent vers la maison de Shindo. Avec un peu de chance sa mère ne serait pas là. Il était plus tôt qu'à l'accoutumée.

Le blond arriva devant la porte qui n'était pas verrouillée, il avala sa salive, son regard passa de Sai qui dormait à la porte indécis. Finalement il posa sa main sur la poignée mais une autre main se posa sur la sienne.

« Passe le moi. »

Lui passer Sai ? Akira voulait porter Sai à sa place ? L'interrogation muette dans ses yeux sembla agacer son rival qui s'était déchargé de leurs sacs et tendait les bras. Il lui remit gratifié d'un hochement de tête souligné par ses mèches sombres.

Hikaru poussa la porte et se dirigea vers sa chambre en disant « je suis rentré » par habitude. Il grimpa les marches quatre à quatre suivit de Toya. Il entra dans la pièce et sembla soulagé. Il sortit un sac de sport tandis qu'Akira découvrait les lieux. Il y venait pour la première fois. C'était donc ici que Shindo vivait. Il détailla les couvertures des livres dans la bibliothèque, le goban dans un coin et le lit. C'était si différent de sa propre chambre, il y avait même une console de jeu vidéo. C'était donc cela la vie d'Hikaru ? Quelle place y occupait-il lui ? Comme ce goban qui semblait attendre, une partie entamée dessus comme si les joueurs faisaient une pause. Une très longue pose au vu de la poussière sur les pierres.

On toqua à la porte « Hikaru tu as un ami ? » L'interpellé fit la grimace mais dû répondre oui. La porte s'ouvrit pour révéler sa mère avec un plateau de jus de fruit et des biscuits. Instantanément Akira la salua en tenant le bébé contre lui. La dame le regarda surprise. Il n'était pas le même style de garçon que son fils, il était mignon poli. Le fils idéal.

« Maman Akira mon rival »

Rival le mot fit un double effet le sourire de la mère se figea un brin pendant que celui du garçon n'avait plus rien d'une simple façade polie.

« Je vous laisse jouer mais avec un si petit enfant avec vous ? »

« Maman, je ne reste pas je vais passer quelques temps chez Akira pour m'entraîner en vue de la ligue meijin. »

« La ligue meijin ? Encore un tournois comme la coupe hoku machin…Je suis désolée le monde du go m'est un peu trop compliqué, si tu veux Hikaru. Je vous laisse. »

« Hikaru c'est pas un très gros mensonge ? »

« Pas vraiment non ? On a bien des parties à jouer. »

Le blond boucla son sac avant de revenir sur son idée, il passa sa main contre le bord de l'étagère contenant ses mangas et prit un cahier qu'il fourra dans son bagage.

« C'est bon j'ai tout, je te reprends Sai. »

« Vu comme tu es chargé je peux le porter en plus tu vas le réveiller. »

« Akira. On y va. »


Hikaru rangeait ses affaires et sortait celles du bébé dans la chambre d'ami des Toya. Ça lui faisait bizarre d'être ici, c'était si calme, Sai jouait avec un hochet sur le futon, son hôte devait prendre un bain. Il avait l'impression de flotter hors du temps. Dire que c'était dans cette maison qu'Akira avait grandi. C'était sans doute ce qui le différenciait des autres joueurs de son âge. Il jeta un œil à la pendule. Il se dirigea vers la cuisine avec le futur repas de son fantôme. Il fit au plus vite mais il ne pouvait quand même pas laisser les coulures d'eau et les traces de poudre blanche sur la table. Décidément c'était moins simple qu'il l'aurait pensé c'était le quatrième biberon depuis le matin. Il se redirigea vers la chambre et se figea sur le seuil. Assis sur la literie Akira tenait Sai qui babillait, il avait visiblement beaucoup à lui raconter. Quand le blond décida de s'approcher deux menottes se tendirent avec convoitise, presque avec autant d'ardeur que vers un goban. Le brun prit le biberon et présenta la tétine devant la bouche grande ouverte. Hikaru ne put s'empêcher de rire.

« Je ne t'aurais jamais imaginé ainsi. »

Il ne l'aurait jamais imaginé avec une expression si douce, à les voir tout semblait si naturel. Lui rien qu'avec le débit de la tétine il avait bataillé cinq minutes. Mais Akira lui réussissait visiblement tout, il était parfait. Une pique de jalousie frappa Shindo. Sai son lait englouti ne semblait pas très bien. Son rival le souleva un peu et tapa doucement dans son dos. Le bébé fit un rot sonore avant de régurgiter sur l'épaule du brun. La moue d'Akira, l'air de profonde satisfaction de Sai le fit éclater de rire. Non il n'était pas parfait son rival, il n'avait pas l'option nounou. Finalement le deuxième garçon se mit à rire aussi.

« Je crois que je suis bon pour retourner me laver »

« Vas-y je laverais Sai après »

« Bien, je vais commander le repas au passage. »

« Je m'en occupe »

« Toi ? Tu ne connais même pas l'adresse pour la livraison ! C'est idiot ce que tu dis. »

« C'est un problème non ? »

« Si soit logique. »

« Donne-moi l'adresse c'est moi qui invite. »

« Toi tu ferais mieux d'économiser pour ton appartement ! »

« Et moi je refuse de vivre à tes crochets. »

« Hikaru… si on faisait chacun notre tour ? »

« Oui mais ce soir c'est moi, d'accord ? »

« Oui »

Rester seul le faux blond alla chercher le téléphone pour commander des sushis il aurait préféré des ramen mais il était certain que Toya préférerait. Ce soir ils avaient le retour de Sai à fêter dignement. Sai, il n'avait aucun doute là-dessus, il était dans ses bras, il le reconnaîtrait entre mille individus. Quel dommage qu'il soit le seul à savoir.

Il leva les yeux de Sai qui jouait avec un hochet qu'il avait acheté le matin quand son ami rentra dans la pièce. Tout à coup une odeur reconnaissable fit pâlir Shindo qui gémit.

« Sai encore… »

Le brun allait demander encore quoi quand il plissa le nez.

« Je vais chercher une couche et une serviette » poursuivit le blond comme s'il devait renoncer au go.

« Je peux m'en charger si tu ne te sens pas bien. »

« Tu sais changer une couche ? »

« Non mais ce ne doit pas être compliqué, les jeunes mères le font »

« Si tu le crois. »

Le blond posa la serviette sur le futon, le brun y mit le bébé dont il dégrafa les vêtements, arrivé au body il hésita.

« Hikaru tu as un body de rechange ? »

Il lui montra le vêtement, les lingettes et la couche. Prenant sur lui il défit le body, les scratches et du bout des doigts ouvrit la couche, il blanchit, pressa son poignet contre ses lèvres et s'écarta un peu. A peu près dans le même état le nouveau papa enleva la couche et utilisa rapidement une lingette et presque la moitié du paquet suivit. Il lui mit la couche et le body avant de se laisser tomber près de Toya qui récupérait.

« Comment elles font ça ? »

« Comment elles font pour encore nous aimer ? »

Un regard de muette compréhension passa entre eux. Ils avaient passé l'épreuve.

« Ca va Akira ? »

« Et toi alors ? »

« Je peux te le laisser quelques minutes ? »

« Va prendre un bain, c'est ton tour. »

Un vagissement retentit dès que le blond s'éloigna.

« Sai soit gentil reste avec Akira »

Un reniflement lui répondit.

« Sai tu changes pas, et si vous jouiez au go tous les deux ? Pardon je dis n'importe quoi. »


Ça faisait trois jours qu'ils étaient chez les Toya. Hikaru traîna les pieds jusqu'à la cuisine derrière son rival. La cafetière se mit en route, il mit des toasts à griller et des œufs dans une poêle. Dans son dos il entendait le bruit du biberon de Sai. Au moins il y en avait un qui était en forme.

« Akira ta partie est ce matin. »

« Je sais je vais y aller, la tienne est cet après-midi. »

« Je garde Sai, je te retrouve à la fédération. »

« Pense à bien fermer la porte »

« Akira t'es sûr d'y aller comme ça ? »

Le brun se regarda, normalement il portait un costume ou une tenue un peu moins négligée.

« Je vais me changer tu as raison. »

Une demi-heure après ce fut le prodige du go qui entra à la fédération égale à lui-même, s'il excluait les cernes sous ses yeux. Il alla s'asseoir à sa place et attendit le début de la partie. Il poussa presque un soupir de joie en voyant que son adversaire n'était pas de taille à lui tenir tête. Malgré une erreur grossière de lecture il le poussa rapidement à l'abandon. Avant la coupure du déjeuner il s'installa sur une chaise dans la salle de repos croisa ses bras et s'endormi, même le signal de la pause ne le réveilla pas.

Une main sur son épaule le fit mettre un terme à sa sieste.

« Oui ? Bonjour Ashiwara. »

« Bonjour Akira et bien ce n'est pas la forme, c'est pas parce que tu es seul à la maison qu'il faut passer tes nuits sur des kifu. »

« Kifu ? Non j'ai juste peu dormi »

« Non, venant de toi c'est impossible mais je penserais presque que tu as fait la fête tous les soirs avec des amis. »

« Qu'allez-vous imaginer. »

« C'est ce que je disais, c'est presque dommage tu devrais apprendre à t'amuser. Si c'est pas triste à ton âge d'avoir des cernes, j'ai même cru un instant que tu allais t'endormir sur le goban.»

« Pas à ce point quand même. Il est si tard, je dois vous laisser Ashiwara. Merci de vous inquiéter pour moi. »

Le brun fila vers l'entrée du bâtiment, il ne devait pas être en avance pourquoi avait-il fallu qu'il s'endorme sur cette chaise. Il avisa Hikaru sur un banc vers le parc et vint s'installer près de lui, il prit la boite repas qu'il lui tendait.

« Tu n'as pas eu le temps de manger ce matin non ? »

« Merci Hikaru. »

Le blond jouait avec Sai pendant qu'il avalait son repas. Il rangea la boite vide et les regarda tous les deux.

« Tu vas être en retard toi aussi. »

« J'y vais, je te retrouve au salon après. Sai tu es sage avec papa Akira. »

« Papa Akira ? »

« Tu aurais préféré maman ? »

« Non »

Il regarda son ami courir à sa partie, ils étaient fatigués au point de plus avoir la force de se disputer. Il passa la main dans la chevelure mauve. S'il avait dit « maman shindo » il n'aurait sans doute même pas réagi. Il prit le sac et Sai puis se dirigea vers le club. Il faudrait qu'ils trouvent une nounou. Avoir un enfant c'était un travail à plein temps. Cet après-midi il avait une partie pédagogique à jouer.


Première semaine de parents responsables songea Akira en regardant Hikaru allongé à coté et le petit Sai. Quelle étrange semaine. Ils ne se disputaient plus, se croisaient, partageaient tout. Il en venait à se demander comment ses parents avaient fait. Sa mère ne travaillait pas mais avec son père elle devait avoir autant de travail que lui ou Shindo.

« Hikaru tu dors ? »

« Non ? »

« Si on prenait un appartement ensemble ? »

« Hein ? »

« A deux on a déjà du mal. »

« Tu es sérieux ? »

« Le temps que Sai grandisse un peu. »

« Tu voudrais t'embarquer dans cette galère avec moi ? »

« Oui »

« Tu ne connais pas Sai… Enfin pas comme moi, tu ne devrais pas te sentir obligé. »

« Idiot »

Le silence retomba dans la chambre pendant de longues minutes.

« Elle ressemblait à quoi la mère de Sai ? »

« J'en sais rien, à une dame de l'époque Heian. Il ne m'en a jamais parlé. »

« Hikaru ? »

« En plus on est qu'au début des problèmes. »

La dernière réponse à moitié marmonnée fit sourire le brun avant qu'il ne s'endorme à son tour. La dernière chose à laquelle il songeant fut que demain ils jouaient à la même heure.


Le réveil, le réveil, LE REVEIL !

Akira sauta de son lit, secoua Shindo en s'habillant et courut faire le biberon de Sai. Ils étaient en retard, ils n'avaient pas entendu le réveil. Ils sortirent de la maison en courant, ils allaient être justes. Akira espéra que la personne qui devait garder le petit serait bien à la fédération comme le lui avait assuré son ami. Ils arrivèrent ensemble au pas de course une fille qu'il avait déjà croisée semblait les attendre. Il lui remit Sai, Hikaru lui donna le sac avec les affaires et ils sautèrent dans l'ascenseur. Ils arrivèrent devant leur adversaire avec un quart d'heure de retard sous le regard surpris du surveillant de salle.

Le blond respira et reprit son éventail : son adversaire venait enfin de capituler. Plus loin Toya finissait l'analyse de la partie. Ils avaient eu chaud ce matin. Il vit le brun se lever et il le devança au distributeur. Il acheta deux boissons énergétiques et lui en tendit une.

« Tu as gagné ? »

« Oui et toi aussi. »

« On y va ? Tu peux regarder les plannings des jours à venir. »

Le blond se leva Akira resta assis un moment de plus près de la machine. Un petit bruit qu'il aurait reconnu à 10 mètres le fit sourire. Il se dirigea vers la salle de repos. Sai gigota puis tendit ses petites mains, par mécanisme il le prit dans ses bras.

« Coucou toi ! »

« Pa-Pa »

Le prodige fit un grand sourire malgré sa fatigue et posa un baisé sur la tête mauve.

« Comment ça papa ! Ce sale type ! »

Akira dévisagea celui qui hurlait, il l'avait déjà croisé, un ami d'Hikaru sauf qu'il ne se souvenait plus de son nom.

« T'as pas à le tenir d'ailleurs monsieur je suis mieux que la terre entière. Dit tonton Waya ! »

« C'est quoi ce raffut ? Waya ! »

« C'est lui ! C'est sa faute, c'est juste parce qu'il porte ton tee-shirt » finit Waya qui venait de réaliser.

Les deux rivaux se détaillèrent le brun et le blond se firent face.

« Hikaru c'est ta faute ! Tu as fait la lessive »

« C'est toi qui l'a rangée d'abord ! »

« C'est ma faute » finirent ils ensemble avant de se laisser tomber épuisés sur les sièges devant des inseis sidérés et les amis d'Hikaru.

« Hikaru il parle. Il a dit Papa. »

« Papa ? »

« Notre bébé parle ! »

« Notre petit Sai »

Un ange passa suivant le double séisme qui avait agité la salle.

« Et vous voulez me pousser à la retraite mon cher Ogata, décidément le monde du go est passionnant en ce moment. Mon petit faites plus attention vous allez vous couper. » Le vieil honibo partit dans un grand rire vers l'ascenseur pendant qu'Ogata contemplait ses lunettes cassées et Akira alternativement.

Akira depuis quand était-il si proche de Shindo ? Il avait rêvé ou il avait dit notre bébé. Comment ça « notre » enfin « leur ».

« Vous me gonflez tous les deux ! » La porte claqua derrière Waya.

« Qu'est-ce qu'il a ? » s'enquit Toya

« C'est rien, c'est Waya. Viens me voir toi, tu as dit papa comme ça ? »

« Je te remercie pour nous avoir dépanné, J'espère qu'il a été sage. »

Nase regarda les deux garçons perplexe, c'était lui le terrible Toya, l'imbuvable arrogant. Waya avait un problème avec lui parce qu'il avait l'air plutôt gentil et rieur. Très doux aussi. C'était peut-être ça le problème.

Hikaru remercia aussi Nase avant de prendre le sac et de suivre le brun.

Ils rentrèrent à la maison en achetant leur repas sur la route. Le blond posa les plats sur la table et le sac sur le sol.

« On mange vite et on fait une partie ? » demanda Hikaru.

Le brun hocha la tête, Il n'avait pas vraiment réalisé sur le coup il avait dit notre et Hikaru aussi. Notre, comment ce simple mot avait pu le transporter de joie et lui paraître si naturel.

Ils finirent leur repas pour s'installer autour du goban. Ils firent nigiri pendant que Sai se déplaçait à quatre pattes au tour d'eux. Ils jouèrent le début de parti jusqu'à ce que le bébé arrive devant Akira qui le posa sur ses genoux. Le coup d'Hikaru le mettait en difficulté il pouvait jouer en attaque mais se faisait couper ou en défense mais perdait de l'influence. Un toc net sur le goban le tira de son analyse. Toc Le hochet avait tapé un point du quadrillage aussi nettement qu'une pierre.

Il regarda intrigué le point, il ne l'avait pas vu ce coup, ce coup il l'avait croisé dans une partie. Il posa une pierre sous le regard amusé d'Hikaru. Ce coup avait quelque chose de familier il l'avait vu chez Shindo et chez l'autre Shindo réalisa t-il.

« Toi aussi tu veux jouer Sai ? »

« Hikaru, je n'ai pas… »

« Non, c'est Sai, même après mille ans, il ne change pas. Il y a une limite d'âge pour l'examen pro ? »

« Trente ans tu le sais non. »

« Non une limite inférieure ?»

« Du moment que le niveau y est. »

« Alors je sais que le futur Shusaku honinbo est sur tes genoux. »

« Pardon ? Hikaru. »

« Dans 5 ans, c'est Ogata qui va en faire une crise cardiaque. »

« Hikaru… »

« Sai n'a jamais perdu à part contre toi lors de la première partie, mais jamais après même contre ton père. »

« Sai ? Le vrai enfin celui de ton jeu, c'est impossible. »

« Akira je ne suis pas Sai no Fujiwara, il est dans mon jeu c'est vrai, c'est les centaines de parties qu'on a joué ensemble qui ont façonné mon jeu. Le vrai, je pensais qu'il m'avait quitté parce que je ne voulais plus qu'il joue. Parce que je voulais jouer contre toi, je voulais être au même niveau que toi. Mais il est là, je ne peux pas te dire pourquoi, ni comment mais il est ici. »

« Hikaru je ne comprends pas, qui est Sai ? »

« Il est le joueur de l'ombre qui jouait à la place de Shusaku, comme il jouait à ma place au début. »

« Hikaru c'est impossible. »

« Akira dans mille ans aimeras-tu encore le go ? Y joueras-tu toujours ?»

« Et toi Hikaru ? »

« Tant que tu joueras. Sai je veux atteindre le coup divin autant que toi, mais avec Akira. »

L'atmosphère de la pièce semblait chargée de gravité, les yeux de Toya passèrent de Sai à Hikaru puis au goban.

« Il n'empêche que je connais ce coup et je vais le contrer, ce soir c'est moi qui gagnerais. »

La partie continua.

« Je perds d'un demi-point »

« Je t'avais dit que je gagnerais »

Plus tard dans son lit Akira repassa les événements de la journée. C'était beaucoup. Beaucoup trop pour tout assimiler. Il se retourna et soupira.

« Hikaru ? »

« Oui ? »

Sai bougea un peu et le blond choisit de se rapprocher pour discuter. Il savait bien que c'était incroyable. Que personne ne pourrait le croire à par lui, son rival, celui qui connaissait les deux jeux, celui qui voyait l'ombre de Sai à travers le déplacement de ses pierres. Il s'assit près d'Akira.

« Tout est vrai ? C'est impossible et portant tout devient logique. »

« Je suis désolé, je t'avais dit qu'un jour je te raconterais tout. »

« Et elle ? »

« Elle ? »

« La mère de Sai ? C'était une amie, ta petite amie… »

« Qu'est-ce que tu racontes, et puis où voudrais tu que je trouve le temps pour une fille, en cinq ans il a fallu que je courre comme un fou derrière toi je te signale. »

« Hikaru. Merci… »

« Et toi ? Tu as une copine ? »

« Non je joue tous le temps au go pour pas que tu me rattrapes. Il est si fort ? »

« Je n'ai jamais gagné contre lui, et ton père a abandonné avant de renverser la partie. Il aurait dû gagner. Mais tu n'as pas sommeil ? »

Le blond se leva et alla à l'armoire pour sortir un cahier avant de revenir sur lit.

« C'est toutes tes parties avec Sai ? »

« Non juste les dernières les autres sont chez moi, on en a jouer plus de deux milles tous les deux alors ça fait beaucoup de kifu. »

« Je peux ? »

« Je ne te les proposerais pas sinon. Et puis il va falloir que tu t'y habitues, dès qu'il le pourra il nous laminera tous les deux. Ne t'attends pas à ce qu'il te fasse de cadeau. »

« On se met avec un goban dans le couloir »

« J'arrive ».

A suivre