– Tout ira bien, Jane.
– Ô Lizzie ! Je n'arrive pas à réaliser. Je suis terrifiée. Et pourtant tellement heureuse !
– Je sais. Mais tout va bien se passer.
Elle adressa un sourire à sa sœur à travers la glace.
– Et vous êtes magnifique, ajouta-t-elle en ajustant le voile sur son visage.
C'était le grand jour. Miss Bennet allait devenir Mme Bingley. Le mariage avait lieu à Meryton, puis une fête serait ensuite donnée l'après-midi à Netherfield. Les festivistés se poursuivraient ensuite le soir, jusqu'au matin. Les nouveaux mariés partiraient alors en lune de miel. Mais pour le moment, il fallait déjà que la mariée se rende à l'Église. Ce qu'elle fit, accompagnée de toute sa famille. Tous avaient sortis leurs plus beaux habits pour ce grand jour, mais ils avaient bien peu d'allure, à côté de Jane. En dépit de son teint un peu clair, qu'elle devait à l'anxiété, la jeune femme resplendissait dans sa robe blanche. Et quand elle remonta l'allée au bras d'un M. Bennet, et croisa le regard de l'homme qu'elle allait épouser, les couleurs revinrent d'elle-même à son visage. Ses joues rosirent, un sourire fleurit sur ses lèvres, et ses yeux s'illuminèrent. Elle avança jusqu'à lui, et ne détourna les yeux que pour remercier son père d'un sourire, lorsque celui-ci donna sa main à son futur gendre. Le cœur battant, elle ne put plus, ensuite, détacher son regard de celui qu'elle aimait.
Si certains s'étaient montrés réservés quant à l'amour qui les unissait, pensant que Jane Bennet était plus attiré par la rente de M. Bingley, ils ne pouvaient à présent plus en douter. Jane resplendissait des sentiments qu'elle éprouvait, et son amour pour son fiancé se lisait sur son visage. Quant à M. Bingley, les sentiments qu'il éprouvait pour l'ainée des Bennet, n'avaient jamais été un secret pour personne.
Celui-ci était tombé sous le charme de l'aînée des Bennet, lors de son arrivée à Netherfield – domaine qu'il avait loué pour une période indéfinie. Il y séjournait avec ses deux sœurs : Mme Hurs et Miss Bingley.
Charles et Jane s'étaient vus pour la première fois au bal de Meryton, durant lequel ils avaient dansé deux fois ensemble. Ce n'était pas l'envie qui leur avait manqué pour une troisième danse, mais cela aurait été manquer aux convenances. Sans compter que deux avaient largement suffi à faire parler d'eux pour les jours à venir.
Indifférents aux rumeurs qui se répandirent sur eux après cette soirée, les deux jeunes gens se revirent par la suite plusieurs fois. Ils se tournèrent longtemps autour, timides mais inextricablement attirés l'un vers l'autre, faisant peu à peu connaissances, et tombant amoureux. Puis de fil en aiguille, Charles Bingley envisagea de la demander en mariage. Il savait bien qu'elle n'appartenait pas à la même classe que lui, mais s'en moquait éperdument. Il ne pensait qu'à elle, ne voyait qu'elle, et souffrait de son absence. Il souhaitait l'avoir à ses côtés en permanence, et chaque minute passée loin d'elle lui semblait vaine. Aussi se décida-t-il à lui demander sa main. Ses sœurs ne s'y opposèrent pas, appréciant la jeune femme. Leur seule réserve concernait la famille de Jane, qui était quelque peu… inconvenante. Cela ne suffit cependant pas à arrêter Charles. C'était la fille Bennet qu'il souhaitait épouser, pas sa famille. De plus, il ne partageait pas complètement l'avis de ses sœurs à leur sujet. M. Bennet était un gentleman et Mme Bennet avait toujours été très accueillante avec lui. Aussi laissa-t-il de côté ces réserves, pour n'écouter que son cœur.
C'est ainsi que trois mois plus tard, Jane Bennet remontait l'allée pour devenir Jane Bingley. Pour son plus grand bonheur, et celui de son mari. Quant à sa mère, elle était ravie et ses pauvres nerfs, qui avaient tant soufferts, avaient à présent du mal à se remettre de la joie que lui provoquait ce mariage : « Ô ma Jane ! Cinq mille livres de rentes ! Quelle chance que M. Bingley se soit installé à Netherfield ! »
Le prêtre commença son discours, les vœux furent prononcés et échangés, les alliances remises. Le couple s'embrassa chastement devant l'assemblée, et ils sortirent de l'Église sous les acclamations. Les festivités débutèrent alors.
Elizabeth était ravie pour sa sœur. Elle n'aurait pu espérer mieux pour Jane qu'un mariage d'amour. Elle voyait bien à quel point elle était comblée depuis la demande en mariage de M. Bingley, et savait que cet homme rendrait sa sœur heureuse. En ce qui la concernait, elle tentait d'aller de l'avant. Depuis que sa sœur était fiancée, et qu'elle allait devenir la nouvelle Miss Bennet, nombre de regards se tournaient vers elle. Pourtant, elle n'avait pas la tête à cela. Après la demande en mariage de M. Collins, elle espérait bien ne plus jamais revivre un instant aussi gênant, de toute sa vie. Sa mère lui en portait encore rigueur, mais bien moins depuis que Jane avait épousé M. Bingley. Elle ne perdait cependant pas une occasion pour lui rappeler que sa sœur avait eu beaucoup de chance, et qu'elle la devait en partie à sa beauté. Bien que l'adjectif « joli » soit communément attribué à Elizabeth, sa beauté n'égalait certes pas celle de Jane. Sans compter que son caractère n'était pas aussi doux que le sien. Elle préférait cependant ignorer les paroles de sa mère sur le fait qu'elle finirait sans doute vieille fille.
Elizabeth n'était pourtant pas totalement contre le mariage. En dépit de son cynisme, elle rêvait tout comme sa sœur ainée, d'un mariage d'amour. N'ayant cependant qu'une faible dot, et les M. Bingley ne courant pas les rues, elle se refusait à espérer que cela lui arrive. Oh, elle avait bien rencontré un homme qui lui plaisait. Son absence de fortune, cependant, avait anéanti tout espoir avant qu'il ne puisse naître, que leur relation évolue un jour vers le mariage. Elle ne pouvait pas lui en vouloir et ce n'était d'ailleurs pas sa faute. Il lui avait raconté sa mésaventure avec un certain M. Darcy et elle en avait été désolée pour lui, détestant ce M. Darcy d'avoir été la ruine de M. Wickham, et de ce fait, d'un possible mariage entre eux. Tous les deux sans argent, cela n'aurait pas été une union raisonnable. Son père, M. Bennet, s'y serait d'ailleurs sans doute opposé pour cette même raison. Cet homme, qui se prénommait M. Wickham, continuait cependant d'occuper ses pensées. Cela faisait pourtant un mois qu'il était parti à Brighton, avec son régiment. Elle pensait pourtant encore beaucoup à lui, se rappelant leurs discussions passionnées, et l'amabilité de cet homme. Il l'avait fait danser au bal de Netherfield, et elle n'en était que davantage tombé sous son charme. Lors de ce même bal, il l'avait également « sauvée », lui évitant d'être trop accaparée par M. Collins, qui avait décidé de passer toute sa soirée avec elle. Ce souvenir la faisait encore sourire et elle se perdit dans ses souvenirs jusqu'à son arrivée à Netherfield. Elle prit garde en descendant de ne pas salir sa robe, et pénétra dans la demeure avec les autres. Quand tout le monde fut arrivé, les festivités commencèrent alors. Elizabeth vit alors sa sœur venir vers elle, un grand sourire sur les lèvres.
– Ô Lizzie ! Je suis tellement heureuse !
Elles s'étreignirent avec joie. Le regard brillant de voir sa sœur aussi heureuse, Elizabeth chassa ses sombres pensées et se décida à profiter de cette fête. Sa sœur partirait le lendemain en lune de miel, et elle voulait profiter au maximum de sa présence – quand bien même devrait-elle la partager avec les invités, et son nouveau mari. Elle ne savait quand elle pourrait de nouveau la revoir.
– Je le suis aussi. Alors, qu'est-ce que cela vous fait d'être devenue Madame Bingley ?
– Je n'arrive pas à réaliser ! Madame Bingley ! C'est tellement merveilleux.
Son mari apparut alors derrière elle.
– À peine ai-je le dos tourné que ma femme en profite pour s'échapper !, fit-il remarquer, non sans un sourire tendre et amoureux.
Jane rougit à cette remarque, et prit la main qu'il lui tendait pour la serrer avec affection.
– Pardonnez-moi.
– Vous êtes déjà toute pardonnée, Madame Bingley.
Elizabeth sourit de les voir si amoureux.
– Jane, Miss Elizabeth, je voudrais vous présenter mon ami le plus cher. Je n'en ai pas eu l'occasion encore.
M. Bingley s'écarta pour laisser apparaître ledit ami. Les deux sœurs levèrent alors le regard vers l'homme. Elles l'avaient toutes les deux déjà aperçu, puisqu'il avait été le témoin de M. Bingley au mariage. Elizabeth avait échangé un regard rapide avec lui. Cependant, ils n'avaient pas eu le temps d'être présentés jusqu'à présent. Elle l'avait pourtant trouvé beau mais quelque peu fier. Sa beauté était froide et il ne semblait pas savoir sourire. Etait-il malheureux, pour afficher un tel visage ? Ou bien simplement réservé ?
– Jane, Miss Bennet, Jane, je vous présente M. Darcy. Darcy, voici Madame Bingley et Miss Bennet.
A l'évocation de ce nom, Elizabeth se tendit. Pas un seul instant, elle n'avait imaginé que cet homme puisse être M. Darcy. Son regard changea aussitôt sur lui, et elle ne put éliminer toute froideur de sa voix en le saluant.
– M. Darcy.
Sa sœur se montra quant à elle beaucoup plus chaleureuse, visiblement ravie de rencontrer cet homme.
– Je suis enchanté de faire votre connaissance, M. Darcy. Charles m'a beaucoup parlé de vous. Il ne cesse de vanter vos mérites.
M. Darcy inclina légèrement la tête.
– Mme Bingley, Miss Bennet. Je suis enchanté de faire votre connaissance. Toutes mes félicitations pour votre mariage, Mme Bingley.
Il n'avait pourtant pas l'air d'être si enchanté que cela, mais aucune des deux sœurs ne s'en formalisa. Elizabeth parce qu'elle détestait cet homme sans même le connaître ; Jane parce qu'elle attribuait ce manque de chaleur à une personnalité réservée. M. Bingley était quant à lui aux anges.
– J'ai cru entendre que vous veniez du Derbyshire, M. Darcy ?, demanda innocemment alors Elizabeth.
– C'est correct, répondit celui-ci sans ciller. Il ne semblait pas surpris de voir que sa réputation l'avait précédée.
– Est-ce aussi beau qu'on le dit ?, demanda alors Jane. Notre tante, Mme Gardner, en vient également. Elle ne cesse d'en vanter les mérites.
– Je ne pense pas exagérer en disant que c'est pour moi l'un des plus beaux domaines. Pour quiconque apprécie la nature, le Derbyshire est un endroit plaisant. Il y recèle des merveilles.
– Je ne puis que le confirmer, ajouta M. Bingley. C'est magnifique. Notamment votre demeure, Darcy. Pemberley est de loin ce que j'ai vu de plus beau dans le Derbyshire.
Elizabeth aurait juré voir le maître de Pemberley esquisser un sourire, mais cela avait été si furtif que devant l'air toujours hautain de M. Darcy, elle en douta. Elle se demanda si elle aurait un jour l'occasion de voir cette demeure. Sans doute pas… Car si elle souhaitait la voir, elle ne souhaitait pas le moins du monde y rencontrer le maître, qui se trouvait pourtant devant elle à cet instant. Elle brûlait de révéler son visage et son comportement déshonorant envers M. Wickham. Elle ne voulait cependant pas gâcher le mariage de sa sœur. Aussi prit-elle sur elle-même.
Les invités commencèrent alors à s'agiter, et les instruments raisonnèrent bientôt de musiques de danse.
– Jane, il me semble que nous devrions ouvrir le bal. Si vous voulez bien m'accorder cette danse…
Il tendit sa main à la jeune mariée qui la prit, ravit.
– Miss Bennet, M. Darcy. Veuillez nous excuser.
Darcy acquiesça légèrement, et les regarda s'éloigner, sans les quitter du regard. À ses côtés, Elizabeth sentit un malaise poindre. Il l'ignorait presque et cela l'irrita grandement. N'était-il pas censé l'inviter à danser ? Non point qu'elle en ait réellement l'envie, bien au contraire. Mais son comportement n'avait rien de celui d'un gentleman. Et avant qu'elle ait pu dire quoi que ce soit, il s'exclama :
– Veuillez m'excuser.
Et il s'éloigna, sans un regard pour Elizabeth, qui n'en fut plus qu'irritée, d'être ignoré par cet homme à qui, elle en était sûre, elle devait son malheur. Dans d'autres circonstances, peut-être aurait-elle eu la chance de pouvoir épouser M. Wickham. Refusant cependant de se laisser abattre, elle rejoignit sa famille et discuta avec son père. Elle dansa ensuite avec les gentleman qui l'invitèrent à danser, et fit quelques rencontres. Déterminée à s'amuser et à profiter de cette fête, elle refusa de songer à M. Darcy. Elle le regardait pourtant discrètement, de temps en temps. Elle ne l'avait vu danser que deux fois, avec les sœurs de M. Bingley, et avait trouvé cela plutôt inconvenant étant donné le nombre de cavalières seules. Il semblait pourtant vouloir éviter tout amusement, et elle s'étonna qu'un tel personnage puisse être ami avec M. Bingley. Leurs personnalités semblaient trop contradictoires pour pouvoir s'accorder. Sans compter ce qu'elle avait appris sur lui. Finalement, cela ne l'étonnait pas de le voir être si désagréable. Et qu'il continue de l'ignorer, elle ne demandait pas mieux.
Le soir, après un repas copieux, les festivités reprirent. Elizabeth dansa à nouveau et parvint enfin à oublier M. Darcy. Entre les discussions animées avec sa sœur, et les nouvelles rencontres, son esprit était bien occupé. Elle terminait d'ailleurs une danse. Ayant besoin d'air frais, elle sortit un moment sur l'un des balcons. Elle apprécia à sa juste valeur la caresse du vent et s'avança avant de s'arrêter net en voyant qu'un individu inopportun s'y trouvait. Elle s'apprêtait à faire demi-tour, mais l'homme se retourna et elle dut affronter le regard de M. Darcy. Sa façon de la regarder la mettait mal à l'aise. Elle se sentait jugée, et l'intensité de son regard, qui contrastait avec la froideur du reste de sa personne, la troublait.
– Miss Bennet.
– M. Darcy.
Ils restèrent tous les deux silencieux. Ne supportant plus ce silence, Elizabeth songea à s'éclipser, mais ne put s'y résoudre. Il finit cependant par rompre le silence.
– Votre sœur semble… heureuse.
Sa remarque la surprit. Bien sûr que Jane était heureuse !
– Votre ami l'est aussi, répondit-elle.
– Oui. J'en suis rassuré. Charles semblait très attaché à votre sœur dans ses lettres, et je craignais que…
Il se tut, ne sachant apparemment pas comment terminer sa phrase. Elizabeth se sentit presque insultée de cette confession.
– Qu'elle ne soit qu'une opportuniste ?
– Que les sentiments de mon ami à son égard, ne soient pas réciproques.
Comment osait-il ?
– Vous voilà donc rassuré, répondit-elle. Est-ce pourquoi vous avez si peu dansé ce soir, M. Darcy ? Vous vous assuriez des intentions de ma sœur ?
Cela était de toute façon trop tard. Ils étaient mariés, à présent. Et c'était tant mieux. Elle n'imaginait pas quelle influence cet homme pouvait avoir sur M. Bingley. Très peu, elle l'espérait.
– Non, dit-il bien que c'était en partie le cas. Il ne pouvait bien entendu pas l'avouer.
– Je n'aime pas ce genre de réjouissances, reprit-il.
– Et qu'aimez-vous ?
Darcy la détailla un instant du regard, puis détourna les yeux, comme brûlé.
– Les livres, répondit-il après un instant.
Sa réponse l'étonna. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit si sincère et ne sut quoi répondre. Elle fut cependant sauvée par le gong, car M. Bingley sortit à ce moment-ci sur le balcon.
– Darcy ! Venez donc danser. Ne restez pas ca… Oh, Miss Bennet ! Vous êtes là aussi. Ma femme vous cherchait, tout à l'heure.
Elizabeth sauta sur l'occasion.
– Vraiment ? Dans ce cas, je devrais peut-être aller la rejoindre.
Elle adressa un sourire éblouissant à M. Bingley, qui ne se doutait pas un instant qu'il l'avait « sauvée ». Elle salua rapidement M. Darcy, qui lui rendit son salut avec la même brièveté, puis elle s'éclipsa pour aller retrouver sa sœur. Elle ne parla plus à M. Darcy du reste de la soirée, et s'attacha à ne plus penser à lui. Le reste de la soirée se déroula dans la continuelle bonne humeur, et ne se termina pas avant six heures du matin. Les invités partis, ceux qui restaient dormir sur place allèrent également se reposer dans les chambres qui leur avaient été préparées. Une fois dans son lit, Elizabeth ne mit pas longtemps à s'endormir, épuisée. Pourtant, alors qu'elle fermait les yeux, la tête pleine des événements de la soirée, ce fut le visage de M. Darcy qui s'imposa à elle, et son regard intense qui la transperçait et la faisait se sentir mal à l'aise. Et elle ne put chasser ce regard avant de s'endormir, la fatigue l'emportant dans un sommeil heureusement sans rêves.
