Salut à tous,

Voici mon nouveau projet, j'espère que vous allez aimer. Le crossover Empire Romain/WinterIron que personne n'a demandé :D

Enjoy ;)


Doux comme le vin miellé

C'était une journée importante. Les brises tièdes venue des terres de Carthage pénétraient la villa, offrant à la chambre de maître une fraicheur bienvenue en cette saison de l'année, où la sécheresse s'abattait sur le pays. Le sol, mosaïque de céramique réalisée par l'artisan le plus adroit de la ville représentait une scène mythique, de celles dont on abreuve les enfants avant même qu'ils ne soient en âge de parler. Le pourpre et le cyan se mêlaient pour représenter Icare, ses ailes de plumes et de cires, s'élevant toujours plus haut vers le soleil d'Apollon. Cette scène avait été une exigence du maitre de maison, qui avait voulu voir chaque matin à son réveil, comment les hommes ont de tout temps le mortel désir de se comparer aux dieux.

Sur la couche aux draps vermeils, une ombre alanguie s'éveillait à peine, faisant glisser au sol les étoffes de coton d'Egypte parfumées d'épices et de fleurs. L'ombre se leva, ses gestes engourdis, l'esprit encore enténébré par le sommeil d'Hypnos, et ses jambes trainèrent son corps nu près de l'ouverture de la chambre, là où les rayons d'Apollon pénétraient, éblouissants. La silhouette du maître avait cette dureté mêlée de souplesse propre à tout homme s'étant distingué à la guerre. Une sorte d'aisance naturelle semblait accompagner tous ses gestes, et la noblesse se lisait sur chacun de ses traits. Il étira ses membres ankylosés et sa peau, toute olive et miel, se tendit sur ses muscles, le long de son ventre, de ses bras et sur ses cuisses.

« Flavia ! » L'écho de la voix rendue rauque par la nuit parvint à la jeune fille affairée dans la pièce mitoyenne. Flavia accouru, délaissant pour un moment l'entretient des statuettes à l'effigie des divinités protectrices de la famille. Sa toge tachée de sueur et d'huile se collait à sa peau nue, formant comme une seconde peau contre son ventre, ses cuisses et ses seins. Elle réprima l'envie de se jeter dans le bassin recueillant les eaux de pluie sur le champ et entra dans la chambre du maître en remettant quelques mèches échappées de sa tresse derrière ses oreilles.

« Bonjour Dominus, j'espère que les dieux t'ont donné des songes heureux cette nuit. » Le maître se tourna vers elle, les dernières brumes du sommeil se dissipant et un léger grognement s'échappa de sa bouche. Il était nu, et cela ne le préoccupait pas. La pudeur n'est pas une vertu d'homme après tout.

« Les dieux doivent avoir un bien étrange sens de l'humour, car figure-toi qu'ils m'ont montré en songe la soirée de ce soir. Je me trouvais-là, allongé auprès des nombreux convives, savourant les mets que le Prince aura pris soin de faire venir des quatre coins du monde, lorsque soudain pénétrait dans la salle de banquet un barbare aux cheveux longs, venant s'assoir auprès de ma couche pour réclamer mes faveurs. Le Prince lui-même cessait de festoyer et jetait sur moi un regard insondable. Moi, pris de court, ne sachant que dire ni que faire, repoussais l'étranger et me levais, fuyant le banquet, la villa du Prince, ses danseurs et ses spectacles. »

La voix du maître était un peu enrouée, et si Flavia ne le connaissait pas si bien, elle aurait pu dire hésitante.

« Dominus, apaise-toi, les paroles des dieux sont mystères pour les mortels qui ne possèdent pas le don de les transcrire. Réjouis-toi plutôt, car j'y vois moi un présage heureux, l'attention que le Prince te porte dans ce songe me semble de bonne augure. » Le maître ne répondit pas et se contenta de se tourner vers l'ouverture de la chambre, si bien que Flavia crut bon d'ajouter :

« Les autres hommes craignent les dieux et les prient pour s'en protéger. Mais toi maître, tu as depuis toujours des vertus naturelles qui te garantissent la réussite, avec ou sans le concours des dieux. Tu es ingénieux comme jadis le fut Ulysse, et brave face au danger. Apaise-toi, la fortune sourit aux audacieux. »

Les mots de Flavia semblèrent faire leur chemin dans l'esprit du maître, car bientôt son regard perdu dans le vague s'empli d'un éclat plus résolu.

« Flavia, apporte moi des dates et des feuilles de vignes farcie, je meurs de faim. »

La jeune esclave ne prit pas la peine de répondre et se dépêcha de se rendre en cuisine, où Porcia, l'esclave chargée de la cuisine, avait mis de coté le déjeuner habituel du maître.

A nouveau seul dans sa chambre, le maître se rendit près de sa chaise où un miroir de cuivre était suspendu. Son reflet semblait moqueur aujourd'hui. Il passa ses mains dans ses mèches ondulées et désordonnées. Leur éclat rappelant les noisettes et les amandes venues de l'Est. Aujourd'hui le Prince le conviait à son banquet, il y aurait des acteurs, des chanteurs et les proches d'Auguste, qui l'avait lui-même personnellement invité lors d'une réunion au sénat romain. Lorsque la séance fut terminée, le Prince était venu le trouver alors qu'il s'apprêtait à se rendre chez un négociateurs de cuivre :

« Antonius ! », la voix forte d'Auguste avait retenti jusqu'à ses oreilles et il s'était figé puis retourné très respectueusement.

« Mon Prince, avait-il commencé, en quoi puis-je t'aider ? »

Auguste, ses cheveux blonds flamboyants de jeunesse et d'orgueil, sa toge bordée d'ornements pourpres, couleur du triomphe, avait sourit largement, posé son bras sur les épaules d'Antonius avant d'exposer sa requête.

« Citoyen Antonius, dans dix jours nous fêterons le solstice, à cette occasion, en plus des fêtes religieuses dont la ville résonnera, j'organise un banquet. Je compte sur ta présent Antonius. »

Antonius avait accepté, on ne décline pas l'invitation du Prince après tout, et il était secrètement excité à l'idée de participer à de telles réjouissances. Dans tout Rome, la rumeur du faste des fêtes du Prince était connue, et Antonius rêvait secrètement d'en vérifier la véracité. Ils s'étaient séparés et Antonius s'était préparé pour cet évènement dont la ville ne cessait plus de parler. En cette période Rome grouillait toujours de vie, les fêtes en l'honneur de Vesta emplissaient les rues de musiques et de senteurs. Durant tout le mois, la ville ne dormirait presque plus. Heureusement Antonius Starkus étaient un citoyen aisé, et il avait la chance de posséder une villa sur les hauteurs de la ville. Elle était certes difficile d'accès, mais la quiétude qui y régnait valait l'effort. La villa dominait Rome sur un de ses cotés, et se trouvaient dissimulée par les pins et les oliviers de l'autre.

Une chaleur humide s'abattait sur la région et rendait les corps mous et les esprits un peu plus lents. Les citoyens qui en avaient les moyens profitaient de cette période pour se rendre dans les montagnes environnantes, près des lacs et des rivières. Les plus pauvres trouvaient refuge pour quelques heures dans les temples de la villes qui conservaient une certaines fraîcheur.

Antonius avait fait construire sa villa au-dessus d'une rivière souterraine, si bien qu'un ingénieux système d'irrigation (de son invention) amenait l'eau fraiche dans un bassin intérieur d'une part, et dans le jardin extérieur d'autre part. Ses esclaves chargés de l'entretient y puisaient pour arroser les cultures, tandis qu'Antonius disposait d'un bain frais à toute heure. Il se félicita à nouveau d'avoir pensé ce système d'irrigation tout en se dirigeant vers le bain en question. Flavia, comme tous les matins, devait avoir nettoyé le bassin et l'avoir parfumé. Les effluves de citronnelle qu'il avait achetée à un marchant venu d'Asie, et celles de Glaïeuls embaumaient toute une partie de la maison. Avec un soupir de contentement il descendit les marches carrelées qui s'enfonçaient dans l'eau. Il frotta sa peau avec un tissu de chanvre. Les plus riches des romains ordonnaient en général à leurs esclaves d'accomplir cette tâche ingrate, mais Antonius, bien qu'il fut très riche préférait s'occuper lui-même de sa toilette. Il ne refusait cependant pas de se faire masser et huiler par Atius, le frère de Flavia, après le bain. Et certaines fois, lorsqu'il se sentait d'humeur heureuse, la séance de massage se terminait sensuellement sur sa couche. Après tout, le corps d'Atius était un véritable cadeau pour les yeux.

« Dominus, je t'apporte ton déjeuner » Flavia pénétra dans la salle de therme où Antonius reposait, la tête adossée contre un des rebords du bassin carrelé. La jeune femme accueillit la fraicheur de la pièce avec un soupir de soulagement et déposa la nourriture sur un plateau de bois léger capable de flotter. Elle s'agenouilla ensuite près du bassin et d'une poussée controlée, envoya le plateau chargé près de son maître.

« Merci Flavia », répondit Antonius d'une voix nettement plus enjouée qu'à son réveil-nota la jeune fille-avant d'ajouter, « Verse de l'essence de pin dans l'eau, je dois sentir bon ce soir, si je veux plaire à Auguste. »

Flavia sourit et rigola doucement, ce qui attira l'attention d'Antonius.

« Flavia, dis-moi, qu'y'a-t-il d'amusant ? » La jeune fille remarqua très vite le froncement de sourcils de son maitre, mais sa voix n'était pas dénuée d'amusement ni d'une certaine jovialité, elle ne s'inquiéta donc pas d'avoir été insolente. C'était une des raisons pour lesquelles elle (et les autres esclaves de la maison) se considérait chanceuse : Antonius Starkus était un bon maître. Il n'avait jamais levé la main sur aucun d'entre eux et il leur laissait un espace de parole et d'action bien supérieur comparé à ceux des autres esclaves. Et puis d'une certaine façon, Flavia se sentait responsable de son maître, car s'il était un négociateur remarquable, un citoyen ingénieux et un orateur admirable, Antonius Starkus, n'excellait pas dans l'art pourtant basique de prendre soin de lui-même.

La famille Starkus avait fait fortune rapidement, si l'on remontait à deux ou trois générations, on se rendait compte que les Starkus n'étaient que de modestes artisans et marchants. Huardus Starkus, le père d'Antonius, saisissant quelques opportunités et faisant de bons placements avait réussi à multiplier par dix les revenus de sa famille et s'était offert une éducation digne de ce nom. Il s'avéra qu'il possédait des qualités naturelles pour les sciences et notamment l'armement, ce qui le fit connaitre auprès de César avant les Guerres Civiles. Il fit le judicieux choix de se placer aux cotés d'Auguste lors de la guerre qui l'opposa à Marc-Antoine, ce qui sauva sans doute sa famille et lui garantit la protection du Prince lorsque celui-ci assit son pouvoir. Désormais riche et influent, il prit part aux affaires politiques de la cité et put offrir à son fils une excellente éducation auprès des meilleurs précepteurs venus de tout l'empire. C'est pourquoi dès l'âge de huit ans, le jeune Antonius savait couramment parler, lire et écrire le grec, connaissait l'astronomie, les lois de la médecine, la rhétorique et la philosophie. Il hérita des prédispositions naturelles de son père pour les sciences, ce qui lui permit de se distinguer parmi les intellectuels de la cité. Un tragique accident emporta Huardus lors d'une campagne militaire en Egypte tandis que Maria, son épouse, ne supportant pas la disparition de son mari, se jeta dans le Tibre lorsque la nouvelle lui parvint d'Afrique. Laissant orphelin le jeune Antonius à dix-sept ans.

Si Huardus avait été chanceux en affaires, il avait été un maître difficile à vivre et souvent brutal. Flavia et Otius ne l'avaient que peu connu mais ils avaient appris à le craindre, comme tous dans la villa, y compris sa femme et son fils. Si Huardus était sévère avec ses esclaves, il était avec Tonius implacable et cinglant. Son origine de basse extraction le complexait si bien qu'il voulait que son fils travailla dix fois, vingt fois plus dur que les autres enfants de la noblesse romaine. Cette austérité avait donné dans sa jeunesse un caractère morose au petit garçon et par la suite une verve cynique et tranchante comme son glaive.

Antonius, du haut de ses trente ans, était à Huardus ce que le Soleil était à la Lune deux astres de lumière mais dont les trajectoires ne se rencontraient jamais ou presque. Là où Huardus avait méprisé, Antonius chérissait, là où le père avait condamné, le fils pardonnait. C'est pourquoi dès la mort de ses parents, après le deuil que la pudeur exigeait, Antonius avait vendu la maison familiale située plus près de la ville et avait fait construire sa villa en hauteur, plus au calme. Il avait gardé tous ses esclaves mais avait affranchi celui d'entre eux qu'il chérissait au plus profond de son coeur, plus sans doute que son propre père. Jarvius, qui l'avait accompagné sur les chemins de l'école, l'avait lavé, nourrit, bordé avait donc vécu une vie d'affranchis durant cinq ans avant de s'éteindre paisiblement dans son sommeil. Le jeune Antonius en avait été bouleversé et lui avait offert des honneurs funèbres dignes d'un consul. Il avait même déposé le masque rituel à son effigie auprès de ceux de ses ancêtres. Si la maisonnée en avait été choquée, personne n'en avait soufflé mots au jeune maître.

Flavia n'était donc pas inquiète et pouvait se permettre une familiarité qui lui aurait valu des coups de fouets ou pire, pour elle qui était née femme.

« Ce qu'il y a d'amusant, Dominus, répondit-elle d'un ton léger, c'est que tu penses avoir besoin de parfums et d'ornements pour plaire à Auguste, alors que je sais, moi, que dès lors que ses yeux se poseront sur ton visage, dès lors qu'il t'entendra parler et rire, il sera conquis, comme toutes les âmes que la Fortune place sur ton chemin. »

La jeune femme versa tout de même l'essence de pin dans l'eau claire du bassin avant de se retourner vers son maître. Antonius lui sourit et commença à manger.

« Si tu disais vrai Flavia, je serais Prince à l'heure qu'il est. » répondit-il.

« Oh mais si tu en avais eu l'ambition Maître, je ne doute pas que c'est toi que l'on appellerait Auguste. Seulement tes aspirations t'ont toujours conduit vers des directions différentes. C'est l'étude que tu aimes, les lois de la nature, celles de la vie et non les stratégies du pouvoir et de l'état. » exposa tranquillement la jeune esclave tout en apportant près du bassin des vêtements propres et de quoi se sécher.

« Maintenant Maître, presse-toi car une longue journée t'attend. »

« Flavia ne sois pas si dure avec moi, souffla Antonius d'une voix enfantine, tu sais combien j'aime le premier bain de la journée »

« Je le sais et c'est pour ça que je te hâte, si je m'absentais et revenait dans deux heures, tu serais sans doute toujours ici, la peau flétrie comme celle d'une date. Et il m'a semblé comprendre que ta peau devait être lisse et parfaite pour le banquet de ce soir. » plaisanta gentiment Flavia tout en tendant à son maître une serviette.

Antonius rigola, sa voix forte et claire résonnant dans la pièce, puis sortit du bassin et se sécha.

« J'ai peine à l'admettre mais tu as raison, je dois aller en ville récupérer des ouvrages que j'ai fait venir de Pergame et d'Athènes. »

Flavia lui tendit sa toge immaculée et l'aida à se draper avant de lui apporter ses sandales et des cordelettes de cuir pour orner ses mollets.

« Avec qui veux-tu partir ? Demanda-t-elle alors qu'il disciplinait ses cheveux noisettes. »

Antonius réfléchit quelques instant avant de faire son choix.

« J'irai seul. » décida-t-il.

Flavia fronça les sourcils mais ne dit rien. Son maître avait beau être indulgent, sa place ne lui permettait pas de remettre en question ses décisions.

« Bien Maître, mais n'oublis pas d'être de retour avant quatre heure, que mon frère et moi puissions t'habiller et te parer d'ornements afin que ni Auguste, ni aucun convive ne puissent ignorer ton arrivée et afin que dans tout Rome, demain, personne n'ignore qu'Antonius Starkus était invité au banquet d'Auguste. »

« Ne t'en fais pas, je serai là. »

Quelques instants plus tard Flavia observait la silhouette drapée de son maître le long du chemin.


Antonius marchait le long des rues, peu soucieux de la poussière qui voletait de part et d'autre de la ville en ces chaudes journées d'été. La perspective de mettre la main sur les derniers travaux de son ami Brucius Barnus l'excitait. Brucius l'avait bien entendu tenu au courant de ses avancées en terme de médecine, mais le savant voyageant beaucoup, il était difficile d'entretenir une correspondance régulière. Il se dirigeait vers le bibliothécaire sensé avoir reçu le traité lorsqu'une clameur sourde monta d'une rue adjacente. Tonius se considérait comme un savant, et une des premières qualités du savant est d'être curieux, c'est pourquoi il se dirigea naturellement vers l'origine de cette clameur et se retrouva sur la rue menant au Grand Cirque, l'arène des jeux publiques. Une foule se pressait, grouillante, au-devant d'une colonne d'hommes enchainés quatre à quatre, complètement nus. Guidés par un petit romain trapu, les hommes, (une vingtaine au moins) se dirigeaient vers le Cirque. Le petit romain trapu, Antonius le connaissait bien, à vrai dire tout Rome le connaissait. C'était Lucius Asinius, « le Rabatteur » comme le surnommait le peuple. Il était chargé d'acheter au marché aux esclaves situé au sud de la ville les hommes qui combattraient dans l'arène en tant que Gladiateurs. Le travail exacte du Rabateur était surtout de négocier les transactions avec les marchands d'esclaves et aussi d'être l'intendant du cirque. Il s'occupait de pourvoir les esclaves en nourriture, en vêtements et en armes, mais tout le monde savait qu'une partie des sommes dévolues à l'entretient des gladiateurs finissait dans sa poche. Ce qui expliquait en parti les conditions misérables dans lesquelles vivaient les combattants.

Les futurs gladiateurs étaient en piteux état, leur pied nus enduits de craie comme c'était l'usage, laissaient des traces sanglantes sur les pavés de la rue et certains d'entre eux étaient couverts de cicatrices à peine refermées. Ce qui intriguait la foule cependant, n'était ni les corps balafrés, ni les chaines sur leur membre. C'était leur cheveux. Tous les esclaves avaient les cheveux longs au moins jusqu'aux épaules, et certains d'entre eux les avaient même tressés. Dans le brouhaha de la foule, Antonius entendit quelques mots jetés pèle-mêle : « Barbari ! » barbares. Des étrangers, venus d'une contrée lointaine que les légions romaines avaient soumise par les armes et le sang. Ils avaient la peau plus claire que les romains et un faciès différent, plus proche de l'anatomie des grecs du nord. Peut-être ces hommes venaient-ils des régions reculées du Nord-Est ? Au dessus de la Macédoine, là où s'étendent des plaines de glaces en hivers.

La colonne d'esclaves dépassa Antonius qui les suivit du regard jusqu'à une intersection avant de reprendre sa route. Antonius n'était pas un adepte des jeux de gladiateurs, surtout lorsque ceux-ci finissaient en exécution publique. Souvent il était d'usage de faire combattre les condamnés à mort dans l'arène, ou bien, à l'occasion de victoires de l'armée romaine, de sacrifier des esclaves dans le cirque dans des combats féroces. Le sang répandu rougissait alors pendant des jours le sable de l'arène. Jadis son père fréquentait assidument le Grand Cirque, en partie car c'était un lieu de rencontre où les marchands et négociants se réunissaient, en partie parce que Huardus aimait parier. Tout romain est amenait à côtoyé ce lieu à l'occasion des fêtes religieuses, mais aucun n'est forcé de l'apprécier. Telles étaient les pensées de Tonius alors qu'il se dirigeait vers le bibliothécaire. Lorsqu'il quitta l'échoppe, sa tête était emplie des rouleaux qu'il venait de récupérer, presser de les lire et d'en faire le compte rendu à son ami.


« Maître, nous vous attendions il y'a plus d'une heure ! » se précipita Atius lorsqu'Antonius pénétra dans le vestibule, la toge pleine de poussière, et la peau luisante de transpiration.

« Je sais, je sais Atius, soupira Tonius en déposant sa besace sur le sol frais. » Il n'avait pas eu l'intention d'être en retard, vraiment ! Mais sur le chemin du retour, il avait rencontré près du forum son vieil ami Rhodus. Ils avaient jadis suivi les cours des mêmes précepteurs. Ils avaient discuté quelques temps, oubliant tout auteur d'eux.

Il quitta ses sandales de cuirs et se laissa entrainer par un Atius agité vers la salle de bain, où il fut déshabillé sans cérémonie et presque jeté dans le bassin d'eau claire. Atius qui maitrisait l'art exquis des jouissances charnelles, qui savait tout l'effet de la lenteur dans les caresses lascives, s'affairait maintenant comme une abeille tout autour du bassin, débitant un flot de parole à une vitesse impressionnante.

« … Et bien sûr Dominus, tu décides de partir seul ! Toute la maison connait ta stratégie, si tu nous laisses ici, tu n'as personne pour te rappeler d'être à l'heure. »

« Atius, t'agiter ainsi ne fera pas ralentir la course du temps » Souffla Tonius, celui fit taire le jeune homme immédiatement, mais son air pincé demeura.

Antonius fut lavé, habillé et parfumé en moins d'une heure, ce dont Atius se satisfit intérieurement. Leur Maître portait une longue tenue, très légère, aux bordures d'or. Il était recouvert entièrement, comme c'était la convenance, le tissu légèrement transparent laissant entrevoir par intermittence la peau brune au niveau de ses poignets et de son coup. Ainsi drapé et orné, il se fit transporter jusque chez le Prince, où il fut accueilli par une foule d'esclaves, eux-mêmes vêtus richement si l'on prenait leur rang en compte.

La nuit était tombée maintenant, plongeant la domus d'Auguste dans une obscurité relative là où aucune bougie n'était allumée. Antonius fut guidée jusqu'à la salle de banquet, où on le déchaussa et lui lava les pieds et les mains, avant de l'installer sur l'un des lits. Autour de lui une quinzaine de convives était déjà là, discutant par petit groupe tandis que de jeunes esclaves allaient et venaient pour le servir dans des magnifiques coupes du vin sucré. La salle en elle-même était une splendeur pour les yeux, des draperies aux motifs fins décoraient les murs, et les tables sur lesquelles on avait disposé la nourriture étaient en bois précieux.

Antonius était un des plus jeunes convives mais il repéra un des favoris d'Auguste allongé près de lui, un certain Virgilius, poète sous la protection du Prince. Ses boucles blondes tombaient, éparses sur son front, et ses yeux clairs semblaient las. Lorsqu'il eu repéré Antonius cependant, ses prunelles prirent un éclat nouveau.

« Antonius Starkus ! Saluat-il, Quelle joie de te voir ici, en la demeure de notre Prince. » Sa voix avait l'intonation trainante que quelques coupes de vin donnaient habituellement.

« Publius Virgilius, répondit Antonius, la joie est partagée. Je tenais à te dire que la lecture des Bucoliques m'a transporté, moi qui ne suis pourtant pas poète. » C'était un mensonge, Antonius n'aimait pas la poésie amoureuse, il préférait les vers épiques.

Le visage du jeune homme s'éclaira soudain, et se fendit d'un sourire aux dents blanches.

« N'y-a-t-il pas de meilleur moyen pour célébrer l'amour que la poésie cher Antonius ? » Demanda Virgilius et Antonius se rappela l'oeuvre en question, dans laquelle des bergers clamaient et déclamaient leur amour pour de jeunes gens dans des vers compliqués.

Tonius sourit malicieusement, et se saisit d'une des coupes qu'une jeune esclave apportait.

« Je crois bien qu'il n'y ait que les plaisirs du corps qui puissent rivaliser avec des vers comme les tiens Virgilius. » Le voix du poète résonna dans un rire cristallin avant de descendre d'un timbre.

« Je te reconnais bien là mon ami, et j'ai cru entendre dire que ta présence ici ce soir était l'oeuvre d'Auguste en personne. Et, si je ne me trompe pas, cette robe est en soie d'Asie, et lorsque tu t'es allongé, c'est la jonquille et le glaïeul que j'ai senti jusqu'à moi. » Les yeux mutins du poète parcoururent le corps allongé d'Antonius, de ses épaules noueuses à sa taille compacte.

Antonius rit à son tour mais ne répondit pas, à la place il vida sa coupe de vin qui rougit quelques instant plus tard ses joues brunes.

Enfin, le Prince arriva et comme toujours Antonius fut saisi par l'opulence de sa personne. Ses cheveux blonds luisaient légèrement d'un éclat d'or pur, tout comme sa peau, et sa tenue lui donnait l'allure d'un dieu. Il était vêtu d'une draperie de pourpre que les lueurs des bougies assombrissaient. Mais le tissu était piqueté de pierres précieuses, rubis, émeraude, nacre qui reflétaient la lumière et attiraient tous les regards sur la personne du Prince. Une solennité et une autorité naturelle se dégageait de sa personne et lorsqu'il entra, tous se turent.

Antonius se redressa légèrement sur sa couche alors qu'Auguste, un sourire mesuré sur les lèvres, s'avançait dans la salle de banquet. Les esclaves baissaient leur tête docilement. Enfin August prit la parole et sa voix, que pourtant tous ici connaissaient, fit naitre des frissons su les bras de Tonius.

« Mes amis, je suis heureux de vous voir tous réunis. Soyez mes convives, et festoyons, Dionysos sera notre hôte. »

Son regard balaya la salle et il vint se poser sur le lit le plus confortable, aux draperies de pourpre et vermeille. Son arrivée marqua le début du banquet et tous les convives commencèrent à manger les plats entreposés au milieu de la pièce et que les esclaves apportaient près des lits. Il y avait là des saveurs que même Antonius ne connaissait pas : Des douceurs venues d'orient, toutes miel et épices, des feuilles de vignes macérées dans l'huile d'olive, des poissons des mers de Grèce et le meilleur gibier qu'il ait jamais mangé. Ajoutez à cela le vin que les esclaves réservaient dès qu'ils voyaient une coupe vide, et bientôt l'esprit d'Antonius s'emplit du brouillard agréable de l'ivresse. Ses gestes semblaient plus las, sa voix plus légère et les mots quittaient sa bouche sans qu'il n'y pense.

Les rires résonnaient dans la pièce, au milieu des musiques. Il discutait joyeusement avec Virgilius lorsqu'il sentit son matelas s'affaissait légèrement. A ses cotés apparut la figure reposée d'Auguste qui lui souriait.

« Antonius, Virgilius, je suis heureux de vous voir en bons termes, commença-t-il, j'aime que mes amis deviennent amis à leur tour. »

Antonius sourit en levant sa coupe devant leurs yeux, ses mèches brunes se collaient légèrement à ses tempes à cause de la sueur, et une chaleur agréable s'était logée dans son ventre.

« Mon Prince, quiconque apprécie la poésie saura reconnaitre le talent de Virgilius, répondit-il, je lui rend donc honneur ce soir. »

Le rire cristallin de Virgilius résonna encore et ses joues rougies par l'ivresse prirent une nouvelle teinte cramoisie.

« Tu n'as rien à m'envier Tonius ! S'exclama le jeune poète, j'ai ouï dire que ton traité de physique est incomparable ! Malheureusement je n'ai jamais été gratifié du don de comprendre les sciences. »

Antonius rit à son tour et vida sa coupe pour faire honneur à son hôte. Les yeux bleus d'Auguste avaient un éclat insondable que son sourire en coin rendait encore plus mystérieux.

« Virgilius dit vrai, Tonius, jamais encore je n'avais lu de recherches si entreprenantes. Tes travaux en physique m'ont donné une nouvelle idée pour l'architecture du temple que je veux construire.» souffla le Prince en plongeant ses yeux dans les siens. Antonius manqua s'étouffer dans sa coupe pour deux raisons. La première venait du surnom. Tonius. Peu se permettaient ce niveau de familiarité avec lui. Sa mère le surnommait ainsi lorsqu'il avait l'âge de rester auprès d'elle. Jarvius l'avait appelait ainsi lorsqu'ils étaient seuls, à l'abris des oreilles de son père et des autres esclaves. Ses amis proches et les jeunes gens de son âge l'utilisaient. Virgilius, que l'ivresse rendait hardi se l'était permis. Mais jamais le Prince ne l'avait employé avant.

La deuxième raison venait du propos même d'Auguste. Il avait lu ses travaux. Antonius savait le Prince érudit, féru d'art et de poésie, mais il ignorait tout de ses prédispositions pour les sciences de la nature. Il fut donc infiniment flatté d'apprendre que le Prince se tenait informé de ses recherches.

Antonius sourit en levant sa coupe et répondit au compliment du Prince par une autre flatterie, désireux de ne pas lui déplaire.

Il ne lui déplut pas.

A mesure que la nuit s'avançait, que le vin s'écoulait dans les coupes et que les langues se déliaient, il devint évident à Tonius la façon allait s'achever cette soirée.

Auguste n'avait cessé de le couver du regard, ses yeux plein d'un feu ardent qui échauffait sa peau chaque fois qu'il croisait son regard. Antonius se savait séduisant, s'il n'avait pas la peau blanche ni les cheveux clairs comme ceux d'Apollon, il avait cependant un charme bien à lui avec ses grands yeux sombres et ses muscles solides.

Lorsqu'en milieu de soirée le Prince avait annoncé le début d'une représentation théâtrale et que deux jeunes gens avaient commencé à mimer les ébats de l'amour, Tonius, échauffé par l'alcool s'était laissé enivrer par le spectacle. Ce fut ce moment que choisit Auguste pour s'approcher subrepticement de Tonius. Et alors que tous les yeux étaient braqués sur le couple en plein embrassade, il s'était penché à son oreille et lui avait murmuré mille promesses sensuelles dans le creux de l'oreille. Dans la pénombre des bougies, sous l'air frais des nuits d'été, face au couple qui semblait lui-même avoir cessé de jouer pour réellement s'adonner à l'amour, Tonius sentit son corps s'échauffer de la plus agréable des façons. Se laissant aller contre le corps solide du Prince, il s'était laissé bercer par ses mots tantôt obscènes, tantôt allusifs. Auguste, tandis que ses lèvres humides frôlaient de temps à autre son oreille, avait levé sa main et repoussé quelques boucles noisettes désordonnées de son front. Tonius avait frissonné. Soudain, la pression des doigts d'Auguste inclina son visage pour le forcer doucement à croiser son regard. Ses yeux sombres où se reflétaient les flammes des bougies croisèrent ceux clairs du Prince dans un instant qui sembla s'étirer éternellement.

« Maintenant…, avait-il susurrer, son souffle chaud faisant frissonner Antonius, Maintenant je vais te prendre et t'emmener dans mes appartements.

Antonius avait soupiré son approbation, ses paupières entrouvertes légèrement.

« Après ça je t'allongerai sur mon lit, et tu te mettras à genoux pour moi, n'est-ce pas Tonius ? »

Un fredonnement, proche du ronronnement s'échappa de la gorge de Tonius qui ferma définitivement ses yeux pour s'immerger complètement dans la fantaisie du Prince. Son sexe flasque entre ses cuisses commença à durcir, mais trop conscient des autres convives autour de lui, il ne fit aucun mouvement. Il entendait vaguement, derrière les paroles d'Auguste, les soupirs d'amour des deux acteurs un peu plus loin, mais les sons lui parvenaient étouffés. Il se pencha un peu plus vers le Prince et respira son odeur musquée.

« Je m'occuperai de toi toute la nuit, et quand l'aurore se lèvera, mes draps se souviendront de ta venue de nombreux jours. Mes esclaves pourront sentir ton odeur et quand je m'endormirai, elle rappellera à mes souvenir tout ce que je m'apprête à te faire. »

Un soupir profond s'échappa d'entre les lèvres à demi-closes d'Antonius. Soudain il rouvrit les yeux en sentant contre sa cuite une pression fiévreuse. Ses prunelles virent alors la main du Prince, innocemment posée dans l'intérieure de sa cuise, écartant furtivement les pans de sa toge pour rencontrer sa peau nue. Son pouce à quelques centimètre de son sexe dressé, caressa sa peau doucement et provoqua en lui des frissons. Il retint son souffle, soucieux de ne pas faire de bruit, mais ne put détacher son regard de cette main aventureuse.

« Quels dommage que les autres convives soient concentrés sur la représentation, s'ils pouvaient te voir, il est certain qu'ils trouveraient le spectacle beaucoup plus attrayant… » La voix d'Auguste continuait de le maintenir entre ivresse et vertiges tandis que sa main remontait encore de quelques centimètres.

« S'ils te voyaient tel que je te vois, tout près d'imploser, les lèvres humides et la peau luisante de désir, sois sûr que j'aurais du mal à me garantir tes faveurs, car tous te réclameraient. »

Ses doigts frôlèrent enfin son sexe dans une caresse presque imperceptible, un mouvement délibérément lent et léger. Il eut à peine le temps de sentir le contact de sa mains contre la peau tendre et sensible de son sexe que la main s'état retirée. Il mordit sa lèvre inférieure pour réprimer un soupir frustré, mais le mouvement n'échappa pas au Prince qui sourit malicieusement.

« Heureusement ce soir, continua-t-il de sa voix suave et délibérément basse, je suis le seul à pouvoir te donner ce dont tu as besoin. » Il ponctua sa phrase en appuyant la paume de sa main contre son entrejambe, la pression exercée à la fois délicieuse et insuffisante.

La représentation continuait, les deux gens sur scène s'embrassant, la jeune fille, seins nus désormais, allongée sur le sol tandis que le jeune homme la surplombait. Et tandis que le spectacle avançait Auguste continuait de prodiguer ses caresses dans la pénombre de la salle, frôlant, pressant, frottant délicieusement ses doigts agiles contre le sexe d'Antonius.

Lorsque la représentation prit fin, les convives étaient secoués par le spectacle érotique et Antonius, forcé de sortir de sa douce torture s'aperçut que tous se hâtaient de rentrer chez eux retrouver leur femme.

Auguste choisit ce moment pour saisir le bras de Tonius et le dérober à l'abris des regards dans un dédale de couloirs et de recoins. Bientôt la rumeur des convives s'assourdit et il se retrouva dans la plus luxueuse des chambres qu'il ait jamais vue. Des draps pourpre et une mosaïque de marbre et pierres précieuses, un immense miroir et des tentures sur les murs Il n'eut cependant pas le temps de s'attarder sur la richesse de la pièce car le prince l'entraina sur le lit, et il ne le quitta que tard le matin, après que l'Aurore se soit levée.


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