Disclaimer : Tout appartient à JKR

Cette histoire se déroule durant la cinquième année de Harry à Poudlard

Bonne lecture !


Parce qu'il aurait mieux fait de rester couché !

Lundi, 6h30, salle commune des Gryffondor,

Ce matin-là, Harry quitta ses couvertures moelleuses bien avant que les premiers rayons de l'aube ne fassent filtrer par les fenêtres leur lumière froide, prémisse d'un hiver imminent. A contrecœur, il attrapa ses affaires de cours et descendit l'escalier en colimaçon aussi silencieusement qu'une ombre jusqu'à la salle commune des Gryffondor. Il ne fut pas surpris d'y trouver Ron déjà affairé devant un morceau de parchemin toujours vierge malgré la plume froissée qu'il tenait en l'air et la bouteille d'encre en équilibre sur sa cuisse droite. C'était le bruit du gros orteil de son ami heurtant une surface dure qui l'avait tiré de son sommeil, ou plutôt le « Aie ! Et merde… » qui s'en était suivi.

- Foutu devoir, n'est-ce pas ? broncha Harry en prenant place dans un vieux fauteuil défoncé. Il n'y a qu'Ombrage pour nous imposer un truc pareil !

- Hum…

Ron avait cependant toujours le regard dans le vide. Il fixait l'âtre de la cheminée comme s'il espérait y déchiffrer un message caché que nul n'avait encore découvert.

- Aucune chance pour qu'il apparaisse cette nuit, remarqua Harry sombrement. L'Ordre ne lui permettra jamais de prendre un tel risque.

- Hein ?

Perdu, Ron se tourna enfin vers lui. Visiblement, l'information selon laquelle un nain brin à lunettes lui parlait venait tout juste de rejoindre son cerveau.

- Sirius, je disais. Il ne viendra…

- Oh, ce n'est pas à Sirius que je pensais, l'interrompit son ami sans conviction, tentant maladroitement de dissimuler une petite enveloppe qu'il tenait dans la main gauche entre ses jambes.

- Et donc tu penses à quoi ? Au mot doux que t'essayes de me cacher ?

Rougissant ostensiblement malgré la faible lueur de la pièce, Ron baissa les yeux et renversa malencontreusement son l'encrier. Une tâche se forma sur son pyjama violet et le courrier qui y avait trouvé refuge.

- Oh non ! couina-t-il.

Horrifié, il se leva instantanément et mit en sécurité sa précieuse missive loin du liquide noirâtre qui souillait désormais son entrejambe.

- Alors c'est qui ? insista Harry, moqueur. Une jolie demoiselle tombée éperdument amoureuse de ton pyjama ? Remarque, il n'est pas si mal, même si vu d'ici on croirait que tu t'es…

- Tais-toi ! lui intima nerveusement son ami. Ça n'a rien de drôle, c'est Fred et George qui m'ont donné ce truc.

- Fred et George ?

Malgré tous les efforts les plus ingénieux de Ron – soit avoir soufflé dessus à plusieurs reprises – l'enveloppe restait tâchée à plusieurs endroits. Cependant, lorsqu'il en retira le morceau de parchemin qu'elle contenait, celui-ci restait immaculé.

- Étrange, il n'y a pas de traces d'encre, remarqua Harry, perplexe.

- C'est normal, ce parchemin est ensorcelé.

- Encore une de leurs blagues ?

- Pire que ça.

Dubitatif, Harry dévisagea Ron qui n'avait pas franchement l'air dans son assiette.

- C'est… un gage.

Harry laissa échapper un ricanement sonore, puis redevint sérieux devant la mine désespérée de son ami.

- Tu sais, l'autre fois, quand j'ai parié avec eux qu'Hermione finirait son devoir d'Arithmancie avant la fin de la journée…

- C'était vraiment un coup de malchance, acquiesça Harry qui sentait l'envie de rire de nouveau monter en lui. Qui aurait pu imaginer que pour la première fois de sa vie, Hermione décide d'aller se coucher sans avoir fini ses devoirs pour les trois semaines à venir ? Mais tu ne m'avais pas dit que le perdant aurait un gage.

- Bah non ! J'étais sûr de gagner. Je suis sûr que c'est Fred qui a ensorcelé son fauteuil pour qu'il se mette à trembler chaque fois qu'elle essayait d'écrire un mot. Sales tricheurs !

- Alors, qu'est-ce que tu dois faire ?

La question sembla raviver la gêne de Ron, qui se tortillait les mains nerveusement, le teint plus pivoine que jamais.

- Tu veux dire, hésita-t-il en baissant les yeux, qu'est-ce que nous devons faire ?

- Qu'est-ce que nous…

Il fallut plusieurs secondes à Harry pour assimiler l'information. Au bout de quelques secondes, il sentit un poids dans sa poitrine. Nous plus gage plus les jumeaux Weasley était égal à je vais passer la pire journée de ma vie…

- Qu'est-ce que nous… QU'EST-CE QUE NOUS ?! COMMENT CA, QU'EST-CE QUE NOUS ? hurla-il en se levant brusquement.

- T'énerve pas vieux, c'était juste pour une question d'équité ! Fred et George étaient deux, alors il faillait que j'inscrive deux noms sur le parche…

- T'AS INSCRIT MON NOM SUR UN PARCHEMIN ENSORCELÉ ! s'étrangla Harry, pour qui le fait de réveiller tous ses camarades de dortoir à une heure si matinale ne semblait qu'un dommage collatéral face à la gravité de la situation. TU SAIS QUE T'ES PLUS IDIOT QU'EUX, ET POURTANT T'ES TOUT SEUL ! T'ES VRAIMENT QU'UNE ANDOUILLE SUR PATTES, UNE CAROTTE ENDIMANCHÉE…

Après quelques insultes culinaires bien senties supplémentaires, Harry fut bien obligé de s'arrêter de crier. Non pas qu'il sentait sa colère s'atténuer, ni même que les yeux de merlan frit que lui adressait Ron, mit désolé, mi paniqué, ne lui en donnaient l'envie. Non, il était simplement à bout de souffle. S'il continuait d'expirer, la prochaine chose qui sortirait de sa bouche serait un de ses poumons.

Dévisageant le rouquin désormais prostré contre la cheminée, comme essayant de se fondre dans la pierre, Harry se demanda si le fait qu'il soit son meilleur ami depuis plus de six ans constituerait ou non une circonstance aggravante en cas d'assassinat.

Un bruit léger retendit au sommet de l'escalier menant aux dortoirs des filles. Quelques instants plus tard, la silhouette d'Hermione emmitouflée dans une épaisse cape d'hiver fit son apparition.

- C'est quoi ce cirque ? demanda-t-elle d'une voix ensommeillée. Harry, si tu souhaites faire des vocalises, tu pourrais au moins attendre que nous soyons tous levés. Non pas que je n'ai pas envie de profiter de ton timbre mélodieux mais…

Son regard venait d'atteindre Ron, toujours debout près de la cheminée, et la tâche sombre sur son entre-jambe.

- Ron, fit-elle, incertaine, tu as eu un accident ?

Le concerné la fusilla d'un regard assassin, si bien qu'Hermione, dans un élan de sagesse, préféra battre en retraite.

- Je ne sais ce que vous faîtes, mais faîtes-le en silence ! Je retourne me coucher.

Harry ré attaqua. En silence cette fois :

- Je suppose que je suis obligé de participer.

Ron hocha positivement la tête, jetant un dernier regard haineux à la robe de chambre d'Hermione qui disparaissait.

- Je suppose que dans le cas contraire je risque un truc horrible ?

Nouvelle confirmation muette.

- Je risque quoi ?

Ron affichait désormais une tête de hiboux effaré.

- Non, laisse tomber, je veux rien savoir, renonça Harry, qui se voyait déjà en train de jouer des claquettes en tutu pendant son cours de potions de l'après-midi. Et donc ce gage, il consiste en quoi exactement ?

Il attrapa au vol le message que Ron lui envoya et le déplia fébrilement. Qu'avaient bien pu inventer les jumeaux cette fois ? Sur le papier, une demi-douzaine de mots ressemblant fortement à des sortilèges, inscrits d'une écriture en pattes de mouche. Ca ne sentait pas bon pour Harry. Pas bon du tout…

- Cinq sorts à jeter à cinq personnes différentes, expliqua Ron, retrouvant sa voix. Fred et George m'ont affirmé qu'aucun n'était dangereux et que tous les effets auraient disparu au bout de quelques heures.

- De quelques heures ? Pourquoi ai-je l'impression que le « quelques » remplace un nombre à trois chiffres ?

Ron ne répondit pas. Surement parce que lui aussi avait ce pressentiment. La minute qui suivit s'écoula lentement.

- Ron pourquoi t'as fait ça ?

- Quoi, le pari ?

- Non, avoir été prendre le thé avec le calamar géant. Bah oui, le pari !

- Si je gagnais, Fred et George devaient m'approvisionner en farces et attrapes à vie. A vie, Harry, tu te rends compte ?

- Que tu es un imbécile heureux ? Aucun problème, je suis au courant.

Il se laissa retomber mollement sur le fauteuil usé.

- Et tu as vraiment cru que les jumeaux te laisseraient gagner ?

- Non, mais j'étais sûr qu'Hermione ferait en sorte que j'ai raison. Elle était au courant en plus !

Harry leva les yeux au ciel. Le jour où Hermione accepterait d'aider Ron à gagner un pari, qui plus est qui la concernait directement, était prévu à peu près entre le jour ou Rogue danserait le french cancan sur son bureau et celui où Ombrage distribuerait des sucettes aux Gryffondor. Autrement dit, pas avant 2156 environ.

- Tous les soirs, elle me gonfle. Ron, va dire à tes frères d'arrêter leur vacarme immédiatement ! continua-t-il dans une imitation convaincante de son amie, je n'arrive pas à terminer mon mille six cent soixante-dix huitième centimètre de parchemin. Et quand je me décide à enfin faire ce qu'elle veut, elle monte se coucher sans terminer ses devoirs ! Dire que je me suis pris la tête pendant plus d'une heure pour empêcher son fauteuil de trembler !

Ron crachait son indignation avec véhémence.

- Et pour le bout de papier que tu as signé ? reprit vivement Harry qui n'était prêt à céder sa place de victime.

- C'est normal de signer un parchemin pour celer le pacte. Ils ne font pas ça, les Moldus ?

- Non, ils se contentent de se serrer la main.

- Et le perdant n'a pas de gage ?

- En général ils parient un peu d'argent, rétorqua Harry dont la voix reprenait un peu de puissance avec son exaspération.

- Ils n'ont vraiment aucun sens de l'hum… Oh, Harry, arrête de me regarder comme ça. Si j'avais gagné, je suis sûr que toi aussi tu aurais été content que Fred et George nous donnent accès à leurs petites inventions gratuitement !

- C'est vrai que je commence à regretter de ne pas pouvoir t'enfoncer une de leurs baguettes farceuses tu sais où, et ça gratuitement !

Résigné, Harry lut pour la seconde fois le morceau de parchemin, espérant inutilement y trouver d'autres informations – telles que l'effet des sortilèges par exemple.

Pouvait-il lutter contre une invention des jumeaux Weasley ? C'était comme s'imaginer connaitre mieux « l'histoire de Poudlard » qu'Hermione, ou comme avoir moins de pouvoirs magiques que Rusard. Totalement risible…

Il soupira. Ron l'avait toujours soutenu, permis d'empêcher Voldemort de récupérer la pierre philosophale, aidé à découvrir la Chambre des Secrets et lui avait offert une famille. Il pouvait bien jeter quelques sortilèges pour lui.

- Quand on en aura fini avec tout ça, rappelle-moi de te tuer, au cas où je ne sois plus en état de m'en souvenir.


8h00, même endroit,

Après avoir vu défiler dans la salle commune tous leurs camarades et avoir été soigneusement ignoré par Fred et George (qui leur avaient théâtralement déclaré qu'ils ne connaissaient plus jusqu'à la réalisation exhaustive du gage), Ron et Harry s'apprêtaient à mettre la première partie de leur plan à exécution. Malgré le risque que cela comportait, les deux garçons avaient décidé de lancer tous les sorts le plus vite possible. Ainsi, si plusieurs personnes étaient touchées simultanément d'affections étranges, il serait plus difficile pour les professeurs de remonter jusqu'au coupable. A condition que les victimes n'appartiennent pas toutes à la même maison.

- T'es prêt ?

Il leur avait été plus délicat cependant de désigner les cobayes. Ron avait sagement proposé qu'ils fassent tous deux partie de la liste, et, même si l'idée n'enchantait pas tellement Harry – même pas du tout, il dut admettre le bon côté de la chose. En principe, personne ne les soupçonnerait d'être assez idiots pour se lancer à eux-mêmes des sorts hasardeux.

C'est ainsi que Harry se retrouva debout au centre de la salle commune, de nouveau désertée, avec en face de lui un Ron fébrile qui brandissait maladroitement sa baguette dans sa direction.

- Alors tu veux lequel ?

- Le moins pire.

- Ouais, je vais voir ce que je peux faire. Tiens, celui-là, il n'a pas l'air trop méchant.

Ron se racla la gorge tel un orateur sur le point de commencer son discours, tandis que Harry, gardant son sang froid avec héroïsme, croisa les doigts et attendit l'impact. Quinze secondes plus tard, rien ne s'était produit.

- Ron, qu'est-ce que tu fous ?

- J'arrive pas à déchiffrer la formule. Je savais que Fred écrivait mal, mais à ce point…

- T'as pas intérêt à te tromper !

- Bon, alors c'est a-ve-mum, non, avenum, rectifia-t-il en donnant un petit coup de baguette.

Un jet orange frappa Harry qui ne tressaillit pas. S'en suivit un silence de plomb durant lequel les deux garçons se fixèrent, cherchant un quelconque effet inattendu.

- Tu te sens comment ? finit par demander Ron, perplexe.

Après avoir passé ses mains sur diverses parties de son anatomie, afin d'être certain qu'aucun organe parasite ne s'y était greffé – il scruta avec une attention particulière sa paire de fesses, Harry se détendit.

- Très bien. J'ai l'air comment ?

- Petit, binoclard et mal coiffé. Comme avant quoi.

Trop soulagé qu'il ne lui soit rien arrivé, Harry ne releva pas.

- C'est étrange, remarqua Ron. Je serais toi je me méfierais Harry, ça va sûrement se déclencher au moment où tu t'y attends le moins. Genre te transformer en crapeau pendant le cours de McGonagall !

- Ou alors, c'est une feinte. Tes frères nous donnent une liste de sorts qui ne font rien de plus qu'un jet de lumière et s'amusent à nous voir paniquer comme des mauviettes pendant deux jours.

- Deux jours ? Ne parle pas de malheur ! De toute façon on va vite le savoir, répondit Ron en donnant à Harry le bout de parchemin. Je veux le premier de la liste, les autres ont vraiment trop l'air barbare.

Blanc comme un linge, Ron ferma les yeux.

- T'as vu le sortilège que tu viens de me lancer à disparu, s'exclama Harry en posant ses yeux sur la liste.

- Ils nous pensent trop bêtes pour se souvenir lesquels ont déjà été jetés.

- Ou ils ont peur qu'on s'en serve contre eux.

Harry lut le premier mot de la liste et leva sa baguette, selon les souhaits de son ami. Un jet aveuglant plus rose que le cardigan d'Ombrage s'en échappa. Cette fois, l'effet fut immédiat et plutôt… haut en couleur.

- Harry ?

Ron n'osait pas ouvrir les yeux, et Harry n'osait pas ouvrir la bouche. Comment expliquer à Ron que son pyjama et ses chaussettes étaient désormais… roses ?

- Harry ? s'impatienta Ron, nerveux. Je t'en supplie, dis-moi que ton silence est du à ma beauté époustouflante qui t'ôte les mots de la bouche.

- Heu, oui, Ron, tu y es presque. Même si c'est plus ton pyjama qui me…

Ron releva lentement une paupière et regarda ses pieds.

- Du rose, s'étrangla-t-il, mortifié. Harry, je suis tout rose !

- C'est bien ce qu'il me semblait. Mais ça me rassure que tu le dises car l'espace d'un instant, j'ai cru que j'étais devenu daltonien.

Mais son ami, choqué, ne l'écoutait pas vraiment. Il invoqua un miroir et passa en revue tout ce qui était devenu rose chez lui. La conclusion fut sans appel.

- Je ressemble à ma grande tante Muriel quand elle était jeune.

- Mais non, voyons. Tu ressembles juste à Ron…

Harry réprima un sourire.

- Dans les vêtements de ta grande tante Muriel…

- C'est ça, moque-toi ! Comme toujours c'est le génialissime Harry Potter qui s'en sort avec les honneurs et moi qui me fait humilier !

- Aurais-tu déjà oublié que tu es l'unique responsable de la situation ? Alors calme toi, Ron, il est trop tard pour te plaindre. Et puis ce n'est pas si grave. C'est ton pyjama qui est rose, tu n'as qu'à t'habiller et on en parle plus.

- Ouais t'as raison, excuse-moi vieux. En attendant, donne-moi ta cape, je n'ai pas envie que quelqu'un me voit comme ça.

Harry s'exécuta et Ron revêtit le vêtement. Le regard éloquent que se jetèrent les deux garçons prouva qu'ils venaient juste de saisir l'ampleur de la catastrophe. La cape avait viré du noir au rose sans passer par le violet dès que Ron l'avait posée sur ses épaules.

- Oh non ! Non, non, non…

Dix minutes plus tard, Ron avait enfilé la quasi-totalité de sa garde-robe, et un monticule de vêtements aux couleurs des Gryffondor s'étendait au pied de son lit. Les habits devenaient roses lorsqu'il les essayait, puis reprenaient d'eux-mêmes leur couleur d'origine une fois enlevés. Ron était au bord de la crise de nerf et Harry ne parvenait plus à garder son sérieux.

- Finalement, le rose te va plutôt bien au teint.

- Me va bien au teint ? On dirait un boursoufflet qui s'est fait une couleur !

- Vois le bon côté des choses Ron, Ombrage va sûrement t'autoriser à rejoindre sa collection de chatons, maintenant.

- Un mot de plus Harry et je te jure que c'est moi qui te réduis en miettes. J'ai plus qu'à trouver une excuse bidon pour sécher les cours.

- Je te le déconseille. Souviens-toi que c'est aujourd'hui que McGonagall nous fait son cours vraiment très très très très important sur la métamorphose animale. Tu ferais mieux de t'y rendre si tu ne veux pas que ce soit toi qu'elle métamorphose.

- Tu crois qu'elle a quoi comme espèce dans son stock ?

- Si t'es gentil elle pensera sûrement au flamant.

Ron fit mine d'y réfléchir.

- Du moment qu'il n'est pas rose, ça me va.

- T'as déjà vu un flamant rose pas rose toi ?

- Harry, sérieusement, ta gueule !

Les deux garçons finirent par quitter la salle commune. Il était grand temps s'ils voulaient grignoter quelques toasts grillés avant de se rendre en cours. A chaque intersection, Ron se cachait maladroitement derrière Harry, mais les corridors étaient vides. Les étudiants devaient déjà tous se trouver dans la Grande Salle.

Ils étaient à mi-chemin lorsque Harry s'arrêta, une idée en tête.

- Ron, continue sans moi je te rejoins, d'accord ?

- Non pas d'accord, s'indigna le rouquin. Tu pourrais quand même me soutenir !

- Je te soutiens par télépathie. Je te jure que ça marche aussi.

- Harry !

Mais Harry avait déjà tourné les talons au pas de course. Il voulait récupérer sa cape d'invisibilité restée dans sa valise. Primo pour pouvoir jeter les autres maléfices en prenant moins de risques de se faire repérer, secundo parce qu'avec la tenue de Ron... Enfin bref, ça pouvait toujours servir.

Il était arrivé à mi-chemin lorsque le premier phénomène étrange arriva.

« Par Merlin, tu vieillis, ma pauvre Minerva. »

Harry s'arrêta brusquement, et inspecta les alentours. Quelqu'un venait-il de lui parler ou avait-il rêvé ? Le couloir semblait pourtant désert. Après avoir collé son oreille contre les trois portes les plus proches afin de vérifier si la voix venait de l'intérieur de l'une d'entre elle, il reprit sa course.

« Mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle. »

Cette fois, impossible de se tromper, il avait bien entendu quelqu'un parler. Qui plus est, quelqu'un avec un timbre de voix qui ressemblait à s'y méprendre à celui de McGonagall. Mais il avait eu tort d'inspecter les environs. Cette voix, il l'entendait dans sa tête, et non par son conduit auditif. Evitant de céder à la panique, Harry considéra les événements avec philosophie. Nul doute que le sortilège que venait de lui lancer Ron avait un lien direct avec ce qui arrivait. Et sûrement entendrait-il des répliques idiotes dans son esprit toute la journée. C'était, en tout cas, beaucoup moins humiliant que de se retrouver affublé de vêtements roses. Après avoir tué Ron, il faudrait qu'il pense à le remercier d'avoir opté pour ce sort en particulier.

Il redescendait du dortoir des cinquième année avec sa cape d'invisibilité sous le bras, lorsqu'Hermione fit irruption dans la salle commune. Elle claqua derrière elle le portrait de la Grosse Dame qui poussa un cri strident en guise de protestation.

Impossible de l'ignorer, son amie était furieuse. Certes, il l'avait réveillée avant le lever du soleil, mais ce n'était pas la première fois, et Hermione était suffisamment matinale pour ne pas lui en tenir rigueur.

- Hermione, tu te sens bien ?

- Pfff, de toute façon, vous, les garçons, vous ne comprendrez jamais ce que c'est d'être une femme ! s'écria-t-elle d'une voix plus aiguë que d'ordinaire.

Et sans autre préambule, elle se précipita vers les escaliers en essayant maladroitement de dissimuler ses yeux humides. Stupéfait, Harry la regarda s'éloigner sans réagir. Depuis quand Hermione tenait-elle des propos féministes ? Il espérait qu'elle n'allait pas créer la MOCHE – Mouvement contre l'Oppression Caractérisée et Habituelle envers les Épouses, auquel cas il refuserait catégoriquement de participer.

Il entendit son amie marmonner en haut des marches :

- En plus, il ne sait pas ce qu'il rate !

Perplexe, Harry hésita un instant. Visiblement, et aussi étrange que cela puisse paraître, Hermione venait de se prendre un râteau, comme qui dirait. Et vu son état, ça avait dû être un râteau en or trois cent cinquante carats. S'il avait été sentimentalement plus expérimenté, il aurait rattrapé son amie pour lui remonter le moral et en apprendre un peu plus. Mais voilà, il n'y connaissait rien à l'amour, vraiment rien, et il risquait d'aggraver les choses avec sa maladresse. De plus, Ron avait grand besoin de lui.

Satisfait de s'être trouvé une excuse convenable, il quitta la salle commune, sa cape d'invisibilité sous le bras.

Sa petite voix personnelle, qu'il décida d'appeler conscience, refit des siennes tandis qu'il descendait les étages.

« Dépêche-toi ma vieille, sinon tu vas être en retard… »

Cette fois, aucun doute permis, il s'agissait bel et bien de la voix de Minerva McGonagall.

« Ah, saleté de chignon ! »

Harry pouffa. Il s'imaginait son professeur en train de se battre devant son miroir contre des mèches rebelles, elle qui était toujours tirée à quatre épingles.


8h27, Hall d'entrée,

La scène qui se déroula sous ses yeux alors qu'il s'apprêtait à descendre l'escalier de marbre le cloua sur place. Un petit groupe de spectateurs de toutes maisons confondues s'était rassemblé dans le hall d'entrée et formait un cercle quasi parfait. Au centre, Drago Malefoy et Gregory Goyle se jetaient des regards vénéneux, en pleine dispute. Les joues rosies, Malefoy semblait réellement hors de lui, et lorsqu'il bougea enfin, se fut pour envoyer son poing droit heurter bruyamment la joue de Goyle qui recula d'un pas, sidéré par la violence du choc. Les quelques élèves présents applaudirent à l'unisson, et certains, comme Seamus et Dean près de la porte de la grande salle, sifflèrent joyeusement. Évidemment, les occasions où Drago Malefoy laissait tomber son masque de petit con prétentieux étaient trop bien rares pour passer inaperçues.

Malgré son magnifique crochet du droit, la fureur de Malefoy ne semblait pas encore apaisée :

- Comment as-tu pu être aussi bête !? hurla-t-il.

Le sourire de Harry fondit comme glace au soleil lorsqu'il repéra Ron, à genoux, posté en embuscade derrière la rambarde en bas de l'escalier. Sa baguette était pointée sur Malefoy. Harry comprit ce qui allait se passer une seconde trop tard, et le « non » qu'il s'apprêtait à crier pour empêcher Ron de faire une nouvelle bêtise mourut sur ses lèvres. Un jet brumeux de lumière blanche assez discret s'échappa de l'extrémité de la baguette, se faufila entre deux jeunes Serdaigle qui éclataient de rire, et, à la grande horreur de Harry, se dirigea tout droit vers Malefoy. Cependant, celui-ci inclina sa tête vers Goyle à ce moment précis pour donner un nouveau coup de poing – mais le gorille resta hors d'atteinte, et le sortilège le frôla avant de continuer sa course, ricocher contre la porte close de la Grande Salle, et frapper une victime au hasard.

Une victime nommée Seamus.

Par chance, celui-ci ne manifesta aucune réaction, et les autres élèves étaient bien trop concentrés sur l'altercation pour avoir aperçu qu'une fumée blanchâtre venait de traverser le cercle sans autorisation.

Harry descendit les quelques marches qui le séparaient de Ron quatre à quatre.

- Dis-moi que tu ne viens pas de faire ce que je crois que tu viens de faire !

Ron se releva innocemment tandis que Malefoy s'enfuyait vers les cachots au pas de course, rouge pivoine et au bord de la crise de nerfs.

- La malchance Harry c'est comme la joie, ça se partage !

- T'imagine si quelqu'un t'a vu ? Et je ne pense pas que ce soit une bonne idée qu'une troisième personne de Gryffondor présente des symptômes étranges, tu ne crois pas ?

Ron balaya la question d'un geste.

- S'il n'y a que les Gryffondor qui sont touchés, McGonagall accusera forcément les Serpentard !

- Je croyais que nous étions d'accord pour que personne ne se trouve accusé ?

- Si Malefoy se retrouve suspecté, ce n'est pas moi qui vais aller le défendre !

Harry n'avait, pour sa part, aucunement envie que qui que ce soit se retrouve puni à cause de lui. A part Ron peut être. Malefoy semblait avoir suffisamment de problèmes personnels pour se retrouver accusé de créer des sortilèges qui transformaient ses camarades en fillettes qui entendent des voix. Non pas qu'il s'inquiétait de voir Malefoy récurer les toilettes du troisième étage à mains nues (la dernière lubie de Rusard en matière de punition), bien au contraire. Mais le Serpentard n'aurait de cesse de traquer les responsables à cause desquels il se serait retrouvé injustement accusé, quitte à demander à son père de mener l'enquête lui-même. Les coupables seraient démasqués. Et Harry n'avait pas envie de faire ami-ami avec des lunettes de toilettes.

- Pour l'instant les sortilèges n'ont pas l'air bien méchants, ajouta Ron dans son uniforme rose bonbon.

- Tu veux rire, t'as déjà oublié à quoi tu ressembles ?

- Eh bien figure-toi que personne ne s'est moqué de moi lorsque je suis descendu.

- C'est parce que tu t'es caché à chaque fois que quelqu'un risquait de te voir !

- Pas du tout… Enfin au début je me cachais, puis plusieurs filles m'ont aperçu, et tu sais quoi ? Elles m'ont sourient ! Elles m'ont sourient Harry ! Pas une seule n'a gloussé.

- Ça devait être des première année timides et tu leur as fait peur.

- Je suis même tombé nez à nez avec Hermione…

- Je l'ai croisée aussi, intervint Harry dont la rencontre avec son amie lui revint en mémoire instantanément, elle n'avait pas l'air…

L'image étrange de son amie en crise lui revint en mémoire… Puis il comprit :

- RON !

Malgré sa détermination affichée, le teint de son ami perdit plusieurs nuances.

- Tu as repoussé Hermione ?!

- J'étais encore furieux contre elle, tu comprends. Alors, comment elle avait l'air, quand tu l'as croisée ?

- Elle avait l'air d'une âme en peine.

Ron s'agita nerveusement. Il regarda tout autour de lui, mal à l'aise. Le petit cercle de spectateurs s'était disloqué et certains garçons commençaient à remarquer son accoutrement de princesse.

Harry ne savait pas ce qui était le pire. Qu'Hermione ait tenté de draguer Ron, ou que Ron refuse simplement parce qu'il était en colère. Etait-il à côté de la plaque au point de n'avoir pas remarqué que ses deux meilleurs amis en pinçaient l'un pour l'autre ? Difficile à croire, il portait quand même des lunettes ! Et Hermione n'aurait certainement pas joué la scène de la pimbêche hystérique si elle avait été dans son état normal. Quelque chose clochait.

- Aller crache le morceau, le pria Harry, résigné. Tu lui as jeté l'un des cinq sortilèges du parchemin, n'est-ce pas ?

Ron balaya le hall du regard et fixa méchamment deux jeunes garçons de Serdaigle qui les contournaient pour monter le grand escalier de marbre en ricanant ostensiblement. Il s'assura que plus personne ne se trouvait à proximité pour répondre. Il n'était pas souhaitable que quelqu'un entende leur conversation. Si Hermione apprenait qu'ils avaient fait une chose pareille, jamais plus elle ne leur adresserait la parole. Et Harry pourrait toujours courir pour qu'elle l'aide sur le devoir d'Ombrage…

- Sur le coup je pensais que c'était une bonne idée. Aucun Gryffondor n'est assez suicidaire pour ensorceler Hermione Granger ! Ca nous place directement en dehors de la liste des suspects. Mais juste après, elle a essayé de…

Sa voix n'était plus qu'un murmure presque inaudible :

- De…

- De t'embrasser ?

- Encore pire que ça ! répondit-il en hochant fébrilement la tête de gauche à droite. De me toucher les… Je ne sais pas ce qui lui a pris !

- T'as transformé notre rat de bibliothèque en chaud lapin !

- Tu crois qu'elle va essayer de peloter tous les garçons qu'elle rencontre ? questionna Ron qui semblait soudain horrifié par cette idée.

- Si c'est le cas, j'espère que tes frères ont prévu un contre sort !

- Les contre-sorts ne font pas partie de leur sens de l'humour…

- Alors oui, il est possible que notre chère Hermione découvre les plaisirs charnels avant que les effets du sortilège que tu lui as lancé ne disparaissent…

- J'aurai du choisir ce sortilège-là pour moi ! Au moins…

- Eh Ron ! héla une voix familière.

Dean avançait dans leur direction, suivi de près par un Seamus à l'air hagard.

- Tu crois pas que t'es un peu en avance pour le carnaval ?

Ron ajusta sa robe pour se donner une contenance.

- J'avais envie de changement aujourd'hui.

- Tu devrais peut être embaucher un conseiller en image alors.

- Je suis en avance sur la mode, voilà tout. Tu verras, l'année prochaine, le rose sera hyper tendance !

Dean regardait à présent Ron comme s'il avait affaire à un illuminé échappé de Ste Mangouste. Il fixa Harry en haussant les épaules en signe de perplexité et articula silencieusement « complètement taré ». Puis il se tourna vers Seamus, toujours en retrait. Harry se mit à redouter les effets du quatrième sortilège lorsqu'il détailla Seamus à son tour. Les yeux immobiles et inexpressifs fixés sur Ron, la bouche entre-ouverte, il ressemblait à un pantin. Même sa posture était trop raide pour paraitre naturelle. Puis, subitement, il s'anima et se mit à chanter :

- I'm a Barbie girl, in a Barbie world…

- Excusez-le, fit Dean en l'attrapant par le bras, depuis qu'il a vu Malefoy devenir violent il déraille lui aussi !

- Life in plastic…

- Il doit y avoir un virus dans l'air !

- Dans ce cas Harry, tu ferais mieux de t'éloigner de ton pote, il est pas clean, lui non plus.

- It's fantastic…

Dean entraina Seamus de force jusqu'au sommet de l'escalier de marbre. La voix de Seamus leur parvenait toujours une fois disparu le long du couloir qui menait à la salle de Métamorphose :

- You can brush my hair…

- Ferme la, Seamus!

- And dress me everywhere…

Harry entendit Ron marmonner :

- Et il ose dire que c'est moi qui ne suis pas clean…

- Bien, résuma ironiquement Harry, une fois remis du comportement de son camarade de Gryffondor – qui n'avait jamais eu l'âme d'un chanteur. Ainsi on se retrouve avec deux victimes appartenant à Gryffondor – nous, une troisième venant de Gryffondor – Hermione, et une quatrième venant… ah bah de Gryffondor aussi. Quelle mixité !

« Pas lui… Pas Severus dès le matin. Par pitié ! »

- Il en reste toujours un, répondit Ron. On a qu'à choisir Harper, de Serpentard, ou Smith, de Poufsouffle. Ça brouillera un peu les pistes.

« Fais comme si tu ne l'avais pas vu, Minerva. »

Harry mit ses mains en étau autour de son crâne. Décidément, sa « conscience » s'imposait à des moments inattendus. Cette fois, il en ressenti un léger malaise. Il n'y avait rien d'agréable à ce qu'une voix étrangère s'insinue dans son esprit sans qu'il en ait donné l'autorisation.

- Ça va Harry ? s'inquiéta Ron devant son visage devenu blême.

- Hein ? Tu disais ?

- Que je vais jeter le dernier sort de la liste au premier blaireau que je croise.

- Oui, bonne idée, acquiesça Harry distraitement.

McGonagall venait de sortir de la grande salle en trombe. L'air hargneux, Rogue marchait dans ses pas. Ils se dirigèrent rapidement vers les cachots et disparurent dans un tournoiement de capes noires.

La coïncidence était frappante. McGonagall, en compagnie de Rogue, alors que la petite voix de Harry venait justement de mentionner le prénom de Severus quelques minutes plus tôt. Était-ce vraiment des répliques idiotes qu'il entendait, ou s'agissait-il des pensées de quelqu'un d'autre ? Celles de McGonagall par exemple ? Il commença à se questionner sérieusement sur la nature du sortilège des jumeaux. Certes, ils excellaient dans l'art d'inventer des farces et attrapes, mais auraient-ils pu mettre au point une magie plus puissante, plus dangereuse ?

« Un voleur ? Qu'est-ce encore que cette histoire ? »

- Ron, je crois que je vais me passer de petit déjeuner aujourd'hui. On se rejoint pour le cours de Défense, d'accord ?

Démangé par la curiosité, Harry prit à son tour la direction des cachots.