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« Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ?

Dis, connais-tu l'irrémissible ?

Connais-tu le Remord, aux traits empoisonnés

A qui notre cœur sert de cible ?

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ? »

Charles Baudelaire

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La Vénus pourpre, prologue :

L'air était lourd et chargé de miasmes.

Le mur froid contre ses omoplates suintait d'une condensation visqueuse. Elle étouffa une plainte et tâcha d'étirer ses jambes engourdies. La circulation sanguine s'opéra à nouveau et lui arracha une grimace.

Ses yeux étaient presque aveugles. Une haute lucarne filtrait les rayons lunaires, à travers lesquels elle distinguait vaguement danser les particules de poussières.

Sa tête roula de côté et son esprit tâcha de suivre un raisonnement logique. L'ecchymose sur sa cuisse et d'autres douleurs disparates lui laissaient penser qu'elle s'était débattue, ou qu'on l'avait rouée de coups.

Elle sentait une moiteur au niveau de son ventre. Un liquide foncé remontait lentement les fibres du tissu.

Elle n'était pas libre de ses mouvements. Des anciens fers maintenaient solidement ses poignets contusionnés.

La faim grignotait son estomac et sa langue sèche semblait paralysée. Un grognement lui échappa, éraillé par les heures de mutisme. Le silence vrillait ses tympans. La pièce était comme insonorisée, aucun son ne perçaient de l'étroite fenêtre.

Elle regretta de ne pas avoir l'occasion d'écarter les mèches de cheveux en sueur qui tombaient mollement devant ses yeux. C'est entre les filaments de kératine qu'elle dû considérer son environnement une nouvelle fois. C'était une petite pièce, fort peu accueillante. Une porte discrète se dessinait dans la pierre sur sa droite. La rouille s'effritait en une poudre brune et crasseuse qui recouvrait le mécanisme de la serrure.

Ses souvenirs restaient flous et brouillés.

Elle avait très certainement été droguée, à son insu. Elle ne fréquentait pourtant plus que rarement les endroits à risque.

Elle se souvenait d'une sortie en solitaire, d'un inconnu qui était venu lui parler.

La peau plus luminescente que pâle, il avait redressé ses lunettes sur son nez sans la quitter de ses yeux d'une étrange teinte dorée, et avait prononcé des paroles perdues dans le brouhaha de l'établissement. Il s'était dégagé de lui une aura perturbante.

Que lui avait-il fait ? Que voulait-il lui faire ? Qui viendrait la sauver à présent ? Qui connaissait sa localisation ? Personne ne veillait plus sur elle depuis longtemps.

Une douleur transperça son ventre quand elle changea de position. Elle ne pouvait pas même créer de point de compression pour stopper le sang. Elle se sentit de nouveau sombrer dans l'inconscience et sa tête tomba mollement.

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Le grincement du métal sonna comme un hurlement strident à ses oreilles. Le bruit se répercuta le long du couloir et elle fut parfaitement éveillées la seconde suivante.

Un homme enroulé dans une longue pèlerine refermait la porte massive et avançait vers elle. Elle ne distinguait pas son visage sous le capuchon. Sa démarche rigide et assurée lui rappelait celle de certains aristocrates. Elle laissa la peur décupler ses réflexes et se prépara à fournir l'effort qu'il faudrait pour se sortir de sa situation.

L'homme jeta à ses pieds l'écuelle pleine qu'il apportait et posa une carafe d'eau hors de sa portée.

Il s'accroupit sans un mot et souleva son vêtement pour sonder la plaie. Elle le laissa la loucher sans protester et il sortit une bande délavée mais propre en réponse à sa question muette. Il enroula étroitement le tissu autour de sa taille et émit un grognement satisfait en la voyant protester.

Il entreprit de la nourrir lui-même. Elle ne se perdit pas en méfiance inutile et sentit bientôt le poids douloureux de son estomac s'alléger agréablement. L'homme n'était ni brusque ni attentionné. Mécanique, il la nourrissait comme un négociant soignait un cheval destiné à la vente. Elle tenta de croiser son regard, sans succès, et s'éclaircit prudemment la gorge.

« Où sommes-nous ? »

La cuiller que l'homme lui fourra dans la bouche mit court à sa deuxième tentative. Elle avala difficilement.

« Vous me faîtes visiter ? »

Il secoua la tête, impassible. Le reste du repas passa sans qu'elle ne parvienne à formuler la moindre phrase dans sa tête.

« Je dois aller aux toilettes »

L'homme se relevait et se dirigeait à nouveau vers la porte, sa tâche accomplie.

« Répondez bon sang »

Il lui tourna le dos pour récupérer ce qu'il avait posé plus tôt. Elle renifla bruyamment, sentant l'air froid et humide commencer à prendre son nez.

Il glissa la main à l'intérieur de son manteau et elle cessa de respirer inconsciemment. Il approcha et elle entendit les longues clefs en fer forgé cliqueter autour de l'anneau.

Elle ne sentit pas ses mains lorsqu'il la détacha. Le sang ré-affluât douloureusement dans ses membres et elle retint un grondement. Elle crut d'abord que ses jambes ne trouveraient plus la force de la porter un jour. Le geôlier l'attrapa par un bras pour la redresser avec impatience.

Il la traîna sur les premiers mètres, jusqu'à ce qu'elle soit à même d'avancer à une allure convenable. Elle passa le seuil de la pièce sombre et sonda un couloir désert. Elle devait trouver le moyen de ne pas se faire reconduire dans la cellule, et elle devait le trouver vite.

Il les mit en marche et elle le suivit, le transperçant du regard à chaque fois qu'il se tournait pour contrôler sa présence. Les pièces qu'ils dépassaient étaient toujours closes et ils ne croisèrent personne.

Il s'arrêta devant une petite ouverture entre deux fondations et il lui fit signe d'entrer. Elle enclencha le verrou et investit l'étroite pièce. L'homme se posta sur le seuil en l'autorisant visiblement à refermer le battant.

Elle colla son dos contre le bois rugueux et inspira longuement. Cette histoire était une immense farce.

Constatant que rien ne changeait ou qu'elle ne se réveillait pas en sueur dans son lit, elle rouvrit lentement les yeux. C'était une sorte d'échauguette. Dépouillée et exiguë, la pièce se résumait à un trou dans la pierre supposé servir de latrines. Le siège se composait d'une plaque de pierre taillée calée par deux autres pavés incrustés dans le mur. Elle s'approcha de la cavité qui servait de cuvette avec circonspection.

Loin, très loin en bas, des épines de pins jonchaient le sol entre des roches saillantes. Elle contint un haut le cœur et sentit ses mains trembler à l'idée de se trouver si haut. Ces toilettes n'avait de civilisé que le nom.

Où diable était-elle ?

La fine bande de ciel qui se frayait un passage à travers la fente au-dessus d'elle scintillait face à l'obscurité de la pièce. Elle se hissa jusqu'à l'ouverture et accueillit la brise fraîche sur ses joues avec soulagement. Il y avait une odeur de pins, de fraîcheur nocturne et de brûlé, comme si une cheminée en service était à proximité. Elle fit un effort pour se rehausser davantage et aperçu la forêt noire et dense dont les vagues ténébreuses assiégeaient le bâtiment.

Il n'y avait pas la moindre lumière pour trahir la présence d'un hameau ou village proche. Le château semblait isolé de tout. Elle ne savait pas même où était le nord.

Elle savait une unique chose : il n'y avait aucune bâtisse de ce genre à proximité de Londres.

Pourquoi et comment avait-elle été amenée ici ? Elle qui avait toujours été prudente, ne faisant confiance à personne, cachant son identité, se retirant de la société pour évoluer sous un autre visage. Qui avait bien pu la retrouver ?

Elle passa rapidement en revue les explications qui s'offraient à elle. Sa présence ici n'était pas dû au hasard.

Les fantômes de son passé revenaient-ils la hanter ?

Elle préférait résumer brièvement le début de sa vie, sans trop raconter de détails pénibles. Le temps lissait les bosses, sans combler les crevasses.

Cette nuit-là, à Londres, dans une salle privée du Ledbury, des inconnus armés et cagoulés avaient fait irruption alors qu'ils dînaient en famille, et elle avait cessé d'exister.

On avaient ouvert le feu sans prononcer le moindre mot, faisant s'affaler la table dressée et les convives.

Son père avait été la première cible de leur haine. Sa mère, son frère et elle n'avaient été que des témoins à faire disparaître. Ils avaient tâché de courir, se mettre à l'abri derrière les meubles renversés et elle avait vu sa mère s'affaisser brutalement après s'être faite transpercer par le plomb. Son frère était parvenu à se cacher, alors leurs bourreaux avaient contourné les obstacles, pour le cueillir à son tour, le projetant sur le carrelage, auréolé de striures sanglantes. Elle avait jeté assiettes, chandeliers et verres aux visages de cette barbarie. La bouteille de Saint-Émilion avait explosé sur la crâne de l'un d'entre eux, faisant concurrence avec les éclaboussures pourpre sur le carrelage blanc.

Prémédité, sans revendications. Cette tuerie suintait le professionnalisme morbide. Cette froide détermination, cette façon d'opérer, d'avancer minutieusement jusqu'à chaque victime pour en disloquer le corps sous le coup des balles l'avait hanté longtemps.

C'était resté le plus horrible anniversaire de sa vie.

Les hommes avaient dévié sur elle et une douleur sourde lui avait transpercé le crâne. On l'avait laissé pour morte cette nuit-là.

Elle avait compris que la vie ne tenait à rien, qu'à la position que l'on occupait, au nombre de corps qu'il y avait entre soi et les bourreaux. Force avait été de constater qu'elle ne pourrait plus habiter la maison familiale après cela, ni assister à l'enterrement.

Elle était à présent persuadée d'être plus en sécurité morte que vive, jusqu'à l'avènement de sa vengeance, point culminant de sa pénible existence.

Londres était un endroit où disparaître se révélait ridiculement facile. Mais c'était aussi la ville qui regroupait le plus de milliardaires au monde. Et bien des inconvénients allaient de pair avec la richesse et le pouvoir. Cette société de nantis dans laquelle avait évolué sa famille étaient cloisonnée et imperméable.

A force de voler trop haut, on finit par se brûler les ailes. Et elle ne connaissait rien des règles qui régissaient cette société. Elle était bloquée de l'autre côté de la barrière.

Un mouvement extérieur attira son attention. Une ombre se mouvait furtivement à l'entrée du mur formé par les troncs de pins, plus bas dans la nuit.

Elle resta fixer l'orée de la forêt bien longtemps après que le mouvement eut cessé.

Son cœur faillit lâcher à l'entente des rudes coups qui firent trembler la porte de l'échauguette.

Elle réfléchit furieusement, profitant du peu de temps qui lui restait. La meurtrière était trop étroite pour lui permettre de s'échapper, et elle ne gagnerait qu'une nuque brisée à sauter par les latrines, si le trou lui permettait de passer. Si encore il y avait eu des douves.

Elle se retourna à contre cœur et actionna le loquet.

Le couloir jadis éclairé à la lueur faiblarde de torches était plongé dans l'obscurité. Plus personne ne l'attendait. Un courant d'air fit se dresser les poils sur sa nuque.

Un choc résonna dans le couloir plusieurs secondes durant.

« Il y a quelqu'un … ? »

Elle ne reçut pas l'ombre d'une réponse et crispa encore ses ongles contre ses paumes.

Son geôlier s'était volatilisé.

D'autres échos de chocs succincts sur la pierre suivirent le premier. Elle hésita un instant à revenir sur ses pas mais refusa de s'enfermer une fois de plus. Pourquoi éprouvait-elle le besoin de quitter ce couloir ?

Sa respiration erratique la trahissait. Si quelqu'un venait, il ne lui resterait plus qu'à avancer en sens inverse et à être plus rapide. Avec ses jambes en coton.

Elle n'avait plus la sensation d'être seule à présent. Un son feutré dominait le vacarme des battements de son cœur. Quelqu'un bougeait, à quelques dizaines de mètres d'elle. Et il venait dans sa direction.

Elle avait l'impression que l'on faisait crisser du métal sur la pierre.

La respiration rêche et hachée qu'elle percevait n'était pas la sienne.

Elle se força à une immobilité parfaite.

Des râles rauques transpercèrent la nuit et un cri l'ébranla. Elle tâchait d'écarquiller les yeux encore davantage mais l'obscurité ne lui permettrait pas de discerner ce qu'il se passait à l'autre bout du couloir. Une masse lourde sembla entre en contact avec le sol.

Elle se propulsa contre le mur et se mit à courir, effectuant avec zèle le mouvement de balancier de ses bras pour accélérer. Elle ne savait pas ce qu'elle fuyait. Son instinct lui intimait simplement de survivre.

Ses foulées la firent repérer et des chuchotements résonnèrent derrière elle. Elle perdit son rythme et manqua de trébucher, désorientée. Le son était guttural, sans que des mots ne soient formés à proprement parler.

Le couloir tournait en angle droit et elle percuta durement le mur. Elle tituba et repris sa course, complètement sonnée. Elle courait à l'aveugle.

Elle se plaqua contre le mur et sentit une grande porte de chêne lui résister. Sa respiration se fit tremblante et elle chercha une autre cachette. Ses doigts rencontrèrent un loquet qu'elle actionna et referma sur elle avec une douceur infinie, tremblant de tout son corps pour contrôler son geste.

Un sourire triomphant se dessina lentement sur ses lèvres tandis qu'elle reculait silencieusement dans son repaire. Elle étouffait du manque d'air de ses muscles sollicités.

Une main l'attrapa et l'autre tua son cri la seconde suivante. Elle se débattit furieusement, en vain. L'homme derrière elle n'avait aucun mal à la maintenir immobile.

Elle sentait son torse derrière et se sentit défaillir.

« Taisez-vous »

Le chuchotement bloqua la moindre intonation de l'homme. Leurs respirations étaient les seuls sons brisant le silence.

Elle s'exécuta et un profond sentiment de malaise l'étreignit lorsque le frottement sur la pierre fut tout proche, juste de l'autre côté de la porte. Ce qui la poursuivait avait ralenti l'allure pour une raison inconnue.

Les respirations lourdes et rauques avaient cessé et des chuchotements lui intimaient d'approcher.

La prise de l'homme se fit plus ferme les pas reprirent pour s'éloigner. Un grincement lui indiqua qu'une porte avait été ouverte. Un murmure la menaça et se dissipa au loin quand la porte claqua. Qui que cette chose ait été, elle était maintenant loin.

Elle s'autorisa à respirer de nouveau normalement.

Ses pensées dérivèrent vers l'homme qui la maintenait fermement. Il enleva la main de sa bouche après ce qui lui parut une éternité. Elle finit par le repousser de force, irritée qu'il semble lui accorder aussi peu de ressources cérébrales.

« Lâchez-moi vous croyez que je vais crier ou quoi ? »

L'homme s'exécuta sans répondre.

Les rideaux n'étaient pas tirés et sa vision s'était habituée à l'obscurité. Elle l'observa la contourner pour rejoindre la porte.

« Qu'est-ce que c'était ? »

Bien qu'elle chuchotât, son timbre montait de plusieurs octaves. L'homme s'exprima d'une voix calme et clair.

« Une créature qui n'appartient pas à ce monde »

Il collait son oreille sur la porte et elle le trouva détendu pour quelqu'un qui venait de manquer de peu une fin tragique.

Il s'aventura dans le couloir, suivis de près. Il inspecta une à une les chambres les plus proches et elle eut le sentiment que ses péripéties avaient stoppé des recherches.

Elle put le détailler à la lumière des torches pendant qu'il s'affairait. Il devait avoir un peu plus de la vingtaine physiquement. Son attitude et son regard le vieillissait étrangement. Elle discerna des cheveux sombres dans la lumière faiblarde. Il marchait avec une assurance et une confiance intimidantes. Son long caban souple laissait entrevoir un veston tout aussi sombre, qui ressortait sur le col immaculé de sa chemise. Sa cravate ajustée et son costume dépourvu du moindre pli finissait de consacrer son apparence irréprochable.

L'homme lui fit soudain face et elle remarqua ce qui lui masquait l'œil droit.

Son œil visible, aussi foncé que ses cheveux, était à la fois sérieux et détaché.

« Cette chose en avait après vous ? »

Elle remarqua qu'il la dévisageait lui aussi, impassible. Elle était dans un état lamentable et se sentie gênée. Elle se fit violence pour ne pas se trahir ou détourner les yeux et c'est finalement lui qui se concentra à nouveau sur son inspection.

« Pas après moi, non. Vous semblez avoir le chic pour vous attirer des ennuis »

Son accent témoignait d'une personne au statut social élevé.

« Je ne comprends rien à ce qu'il se passe. Je me suis réveillée ici enfermée. Ils vous ont enlevé vous aussi ? »

« Pas vraiment»

Il ne semblait pas loquace et elle abandonna toute tentative de tenir une conversation. Il se tourna finalement à nouveau vers elle.

« Je n'avais encore jamais vu ce genre de créature ici. Qu'est-ce que vous avez fait ? »

« Rien je vous jure. Vous voulez donc dire que ce n'était pas humain ? C'est un peu exagéré, n'importe quel détraqué peut agir comme ça »

Il n'acquiesça ni ne réfuta cette remarque. Il semblait ailleurs.

« Répondez-moi bon sang. Que faisons-nous ? Nous n'allons pas errer ici jusqu'au petit matin ! »

« Vous êtes bruyante. Taisez-vous un peu »

« Pardon ? »

Elle contracta sa mâchoire involontairement. Décidément, cet homme était irritant.

Il se dirigeait à présent vers la même porte que la chose avait franchie quelques minutes plus tôt.

« Où allez-vous ? Vous êtes fou ? »

« J'ai à faire. Je préfère rester loin de vous »

« Quitte à foncer entre les griffes de cette chose ?! »

« Oui »

Elle cligna des yeux, hébétée.

« Attendez-vous ne m'avez même pas dit votre nom ! »

« Vous ne l'avez pas fait non plus »

Elle répondit avant qu'il ne puisse plus l'entendre.

« Je m'appelle Élise Debussy. Et vous ? »

Il se raidit et se retourna, la main immobilisée sur la poignée. Il l'observa et elle eut la désagréable impression qu'il cherchait à sonder son esprit.

Ses lèvres s'étirèrent finalement en un sourire convenu.

« Un nom français pour un accent français »

Elle le scruta sans ciller.

« Faîtes attention. Cet endroit n'est pas pour vous »

« Qui êtes-vous ? »

« Ciel »

Il acquiesça et disparut sans lui laisser la moindre possibilité de réagir.

Il n'avait pas cherché à l'agresser, pourtant les seules personnes qui étaient susceptibles de réagir de cette façon en apprenant son nom lui voulaient forcément du mal.

Elle avait hérité du prénom de sa grand-mère française, mais restait incapable de comprendre comment l'homme avait fait un parallèle entre sa nationalité et son accent.

Depuis le temps qu'elle vivait en Angleterre, son anglais avait acquis l'intonation standard. L'inflexion française de son élocution était quasiment imperceptible, surtout pour une personne croisée si brièvement. Les gens ne devinaient ordinairement jamais son origine par son accent.

L'inconnu la laissait perplexe. Il dégageait quelque chose de mystérieuse, d'envoûtant.

Elle réalisa qu'elle était parfaitement seule dans le grand couloir et frissonna de malaise. Était-elle folle ? N'avait-elle pas seulement rêvé la présence de ce Ciel ?

Il fallait qu'elle le retrouve. Et qu'elle comprenne pourquoi il semblait connaître autant de choses et ce qui l'avait poussé à venir dans un endroit pareil. Elle s'éloigna de la porte instinctivement. Il devait être complètement fou pour aller dans la même direction que cette créature.

Elle retourna sur ses pas pour chercher des escaliers. Un courant d'air la fit se hérisser d'appréhension. Son corps pivota d'un bloc, prêt à courir.

L'instant d'après, un cri perça l'air et ses genoux cédèrent. Elle porta ses mains à ses oreilles et hurla de concert. La voix s'insinuait en elle et tranchait tout sur son passage.

Elle s'écroula sur la pierre froide.