Cette histoire est la traduction de Under the Oaken Bower de geekinlikeaboss, à retrouver sur Ao3. Depuis Nothing Ventured d'iswyn, je n'hésite plus à jeter un œil aux univers alternatifs et j'avoue que j'y prends de plus en plus de plaisir. Après Tony en professeur sexy et Loki en étudiant bien décidé à le séduire, voici donc Anthony en moine, toujours sexy, évidemment, et Loki en... bah, vous verrez bien. Bonne lecture !

geekinlikeaboss, si tu passes par là, merci de m'avoir permis de traduire ton histoire et surtout merci de l'avoir écrite, comme je te l'ai dit, j'ignorais à quel point j'avais besoin de ça avant de commencer à lire ta fiction. ;)

NOTE : La chanson Do Virgins Taste Better (Les vierges ont-elles meilleur goût) est des Brobdignagian Bards. À voir sur YouTube !

Disclaimer : les personnages ne m'appartiennent pas, de même que l'histoire.

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I

Un autre mois, un autre funeste pacte passé au clair de lune.

Anthony se demandait s'il avait ou non fait le bon choix.

Il rabattit sa capuche, scrutant l'étroit sentier menant au chêne. Les étoiles brillaient comme autant de petits flambeaux dans le ciel d'un noir d'encre. La lune était pleine et donnait à la scène un éclat argenté. Tout autre soir, les grillons auraient chanté et les créatures des bois auraient fait entendre leurs jacassements. Peut-être même un loup aurait-il hurlé au loin, à bonne distance des humains. Ce soir, les bois étaient tranquilles et silencieux et cela le rendait nerveux.

Il y eut un léger sifflement dans les arbres au-dessus de lui et Anthony frissonna. Il connaissait cet air. C'était l'une de ces chansons paillardes que les femmes chantaient au marché. Une voix douce et mélodieuse fredonnait.

Les vierges ont-elles meilleur goût que celles qui ne le sont pas ?
Sont-elles plus salées, plus douces, plus juteuses ou quoi ?
Les savoures-tu lentement ? Les avales-tu toutes crues sur place ?
Les vierges ont-elles meilleur goût que celles qui ne le sont pas ?[1]

C'était positivement lubrique et Anthony se signa pour se défendre de pensées impures.

« Ah, mon gentil mortel vient me rendre visite, fit la voix tandis que des iris verts ciguë le fixaient. Même avec le clair de lune, Anthony ne pouvait distinguer clairement le bosquet. Peut-être as-tu un autre cadeau pour moi ? Une mèche de tes cheveux fins ? Une goutte de ton sang rouge comme le rubis ? »

Anthony saisit le crucifix de son chapelet comme pour se défendre, mais le relâcha bien vite en voyant les yeux verts se plisser. Sa détermination se raffermit. « Cette fois, c'est différent. Et beaucoup plus inquiétant.

— Que pourrait-il y avoir de plus inquiétant que des maris coureurs de jupons ou des propriétaires rapiats ? Sa voix exprimait tout le dédain dont peut faire preuve celui qui estime que les péchés du monde sont un sujet peu digne de lui. Ou peut-être souhaites-tu ébranler les usuriers et les nobles trop orgueilleux ? »

Le prêtre fronça les sourcils et secoua la tête. À quoi s'était-il attendu ? Les entités telles que celle-ci n'avaient aucun respect pour la vie humaine ou pour leur foi. Il serait plus profitable de tenter d'instiller un semblant de moralité à un loup qu'à une créature si capricieuse. « Non. Je viens vers vous pour un problème beaucoup plus important et plus terrible. Je ne peux même pas envisager de sonder les profondeurs d'une telle dépravation. Et pourtant je suis certain que vous estimerez qu'il ne s'agit là que d'une bagatelle.

— J'excelle en dépravation. Un petit rire ironique répondit à sa détresse. Mais allons, petit prêtre, la lune décline. Dis-moi ce que tu attends de moi et je te dirai ce que je réclame pour te rassurer. »

Anthony passa une main dans ses cheveux et se mit à expliquer. Le monastère du Clou Sanglant n'avait pas pour vocation de venir en aide aux habitants du village installé sur la côte. Il était censé isoler et cloîtrer les moines afin qu'ils puissent mieux réfléchir au sens du sacrifice de Christ et ainsi consacrer leur vie à prier pour les nombreux péchés des hommes. Mais, au cours des années vécues par Anthony parmi ses frères, le monastère était parvenu à une certaine notoriété pour une raison d'ordre plus pratique.

Quand le bourgmestre était venu offrir la dîme au monastère, les frères l'avaient bien sûr reçu. Quand il avait voulu se confesser, ils avaient accepté de l'entendre, même si ce n'était pas leur rôle. C'était là une de ces pénibles corvées qui avaient accompagné la réputation grandissante de leur ordre. Et si Dieu les appelait à Son service, qui étaient-ils pour ignorer sa volonté ?

Et Anthony avait été celui qui l'avait entendu.

La confession lui avait tellement retourné l'estomac qu'il ne put rompre le pain ce soir-là. Elle lui avait pesé sur les épaules pendant que la lune croissait et que les rumeurs venaient hanter jusqu'aux têtes tournées vers les saintes écritures.

Meurtre.

« C'est un acte immonde et terrible. Au début, personne n'y prêta guère d'attention car les malheureuses victimes étaient toutes des ribaudes. Mais maintenant le scélérat commence à choisir ses victimes parmi les pauvres filles qu'il voit traîner dehors à la tombée de la nuit. Et les choses qu'il leur fait ! Que la miséricorde divine descende sur leurs âmes. Anthony frémit en y repensant. Ils l'ont traqué près de six mois sans récolter le moindre indice. Le bourgmestre ne sait plus que faire. Il prie pour que Dieu intervienne...

— Mais ton Dieu n'intervient pas souvent, déclara la créature. J'ai le sentiment d'avoir accompli une bonne partie de son travail ces dernières années. Peut-être suis-je un dieu ?

— Blasphème, murmura Anthony sans réelle conviction. Il était habitué à ces petites offenses. Cela ne peut continuer. Les gens ont peur de se risquer hors de chez eux. Quelqu'un doit arrêter ce dément !

— Et tu me demandes de le faire. » Une silhouette élancée se déplaça de branche en branche, les feuilles frissonnant à peine sur son passage. Il prenait le temps, semblant réfléchir à cette nouvelle requête.

« Pouvez-vous faire quelque chose ? Sûrement, quelqu'un comme vous... avec votre pouvoir... Sa propre voix résonna si pleine d'espoir qu'Anthony s'obligea à se reprendre. Mieux valait mieux ne jamais laisser savoir à un démon ce que vous ressentez. Il le tournerait rapidement à son avantage.

— Mon influence est limitée dans ton monde. C'est seulement par la grâce de la lune et des cadeaux que tu m'offres que je gagne quelque pouvoir. Et même alors, seulement aussi longtemps que la lune est pleine. Mais ceci... La créature sembla réfléchir. Quand l'épouse affolée est venue à toi et s'est plainte de son mari infidèle, il n'a fallu qu'une nuit pour que son membre devienne flasque pour toute autre femme que la sienne. Lorsque le grassouillet échevin stockait des denrées pendant la famine, quelques jours suffirent pour faire tomber ses champs en jachère, tant qu'il ne redistribuait pas le blé aux miséreux. Ceci, mon gentil prêtre, ceci pourrait nécessiter quelques investigations, puisque tu ne sais même pas qui manie le couteau.

— Vous exigez un prix plus élevé ? » Anthony sentit ses entrailles se nouer. Il aurait dû le voir venir. Le démon avait semé les indices derrière lui. Toutes ces années de petits marchandages mensuels pour obtenir ses cheveux, son sang ou sa semence s'étaient traduits en résultats bien concrets pour les citoyens de la côte. C'était tout ce qu'Anthony avait toujours souhaité, apporter un peu de bien dans ce monde. Et il avait beau se voir comme quelqu'un de pieux, il savait que les prières et les contemplations de la confrérie ne changeaient en rien le sort du peuple qui trimait si dur pour assurer sa subsistance.

L'entité se rapprocha. « Mon peuple n'est plus aussi bienvenu ici qu'il l'était autrefois. Les cloches de vos églises et le travail du fer nous ont chassés de ce monde. Nous pouvons seulement rôder à travers les anciennes forêts où nous organisions autrefois de grandes fêtes. Je ne peux m'attarder. Je ne peux rester pour répondre à cette requête... à moins que. »

Anthony pouvait deviner le sourire méchant même s'il ne voyait pas les dents blanches étinceler. « Parle, au nom de Dieu !

— Pas au nom de ton dieu, mais en mon nom. Si un mortel se liait à moi, je partagerais avec lui mon vrai nom. »

C'était plus que le moine aurait pu espérer. Connaître le nom du démon le liait à la volonté de celui qui l'évoquait ! Il pourrait conjurer son ami occulte chaque fois que nécessaire, comme les saints d'autrefois. Tout ce qu'ils pourraient accomplir ! Ces vies qu'ils pourraient changer ! Mais pourtant, quelque chose dans la façon dont parlait le démon le troublait.

« Vous mentez à un homme d'église, fit Anthony en fronçant les sourcils.

— Mon peuple ne ment pas. Nous ne pouvons pas mentir. Encore une fois, ce sourire retenu. Mais nous pouvons déformer les propos tenus. Si tu te lies à moi, je resterais dans ce monde pendant sept ans, satisfaisant tes désirs. Mais en échange, à la fin de mes obligations, tu serais à ton tour asservi à ma volonté pour sept fois sept ans. »

Sa poitrine se serra. Près de cinquante ans au service d'un démon de l'enfer ! Quelles atrocités la créature lui ferait-elle commettre ? Ruinerait-il tout le bien pour lequel Anthony aurait risqué son âme ? « Était-ce votre plan tout ce temps ? Soumettre un homme d'église à votre volonté ? »

Un sifflement comme celui d'un serpent résonna dans le vallon. « Je me soucie aussi peu de ton temple qu'il se soucie de moi. Je me moque de la robe que tu portes comme du symbole que tu brandis comme s'il allait te protéger des maux de ce monde. Reste avec ta modeste et docile fraternité si c'est ce que tu désires. Et ne m'appelle plus. » Il y eut un mouvement et Anthony l'entendit s'éloigner.

« Non ! Attendez ! », lui cria-t-il, essayant de voir à travers les arbres épais. Une ombre bougea à six mètres de lui et il se lança désespérément derrière elle. La chose se déplaçait comme un lapin se cachant de taillis en taillis, mais Anthony était déterminé. Il ne pouvait perdre celui qui pouvait débarrasser les gens de cet odieux criminel ! « Attendez ! Je paierai votre prix ! Je le jure ! »

La silhouette ne s'arrêta pas, mais continua à scintiller sous le couvert des arbres. Il ne faisait aucun cas de lui, laissant le prêtre dans son sillage.

Anthony aurait souhaité porter quelque chose de plus commode pour courir. Sa robe s'entortillait autour de ses jambes et gênait ses mouvements. Il la souleva, essayant de ne pas perdre de vue la silhouette. « Attendez ! Je vous en prie ! »

Le sol se déroba sous lui et ses pieds furent aspirés dans une profondeur glacée. Anthony haleta et glissa, ses doigts essayant d'agripper la terre ferme. Un bruit de succion retentit à son oreille et il se sentit attiré sous la surface. L'odeur de poisson pourri le submergea. Il luttait pour respirer, et la dernière chose qu'il vit avant que la surface ne se referme autour de lui fut deux yeux verts brillants.

II

Peu de choses étaient censées vous apporter de la joie quand vous étiez membre de l'ordre. Votre vie se devait d'être contraignante afin que votre esprit se tourne vers un but plus élevé. Les repas étaient simples. Les corvées, sans intérêt. Le silence était la règle, exception faite des chants et des prières murmurées devant l'autel.

Mais si un événement pouvait apporter un peu de légèreté, c'était bien la fête de la Saint-Jean.

Elle constituait l'une des rares occasions où les moines pouvaient se rendre ensemble en ville. Ils ne participaient pas à la fête du village, avec ses stands aux couleurs vives, ses denrées en abondance et son vin qui coulait à flots. Ils ne dansaient ni ne caracolaient comme beaucoup le faisaient durant les jours précédant la cérémonie. Les moines n'étaient là que dans un seul but.

Les villageois faisaient silence quand les moines traversaient la ville, leurs capuches relevées pour couvrir leur visage et les fondre dans la masse. Anthony avait vu mieux, mais était toujours incapable de résister à l'envie de jeter un coup d'œil aux femmes qui dansaient, vêtues de leurs jupes scandaleusement courtes et de leurs bliauts trop légers. S'il avait connu un vice dans son ancienne vie, c'était les femmes. S'il devait en nommer un autre, ce serait le vin. Alors, voir les deux, exposés de manière si provocante, suscitait en lui des émois pour lesquels il devrait se repentir.

Quand ils passaient dans les rues, il entendait les prières murmurées et voyait les gens incliner la tête en signe de respect et de déférence. Parfois, quelqu'un sortait de la foule pour glisser rapidement une feuille de parchemin dans la manche d'un moine. La procession ne s'arrêtait pas, mais chaque feuille était cachée dans les plis de la robe.

Anthony dut faire appel à toute sa détermination pour ne pas pour ralentir quand une jeune fille, onze ans tout au plus, aux yeux baissés, s'éloigna de ses parents et glissa furtivement une note griffonnée dans sa manche. Ses yeux avaient la couleur de l'ambre poli et étaient aussi tristes qu'un matin sans soleil. Il la suivit du regard quand elle regagna sa place dans la foule.

Alors que leur ordre continuait sa marche, des gens commencèrent à se détacher des festivités pour les suivre. Il en viendrait davantage au crépuscule, mais pour l'instant, seuls les plus pieux suivaient la procession.

Quand ils atteignirent les limites de la cité, des hommes amenèrent d'énormes bûches dans la clairière. Chaque rondin devait recevoir bénédiction et consécration avant de pouvoir être soigneusement placé dans la pile destinée au feu de joie. Les moines s'alignèrent, sortirent les prières de leurs robes et posèrent les mains sur le bois, chacun à son tour. Espoirs, rêves et vœux coulèrent de leurs lèvres alors qu'ils taillaient une encoche dans chaque rondin pour y glisser les morceaux de parchemin. Le feu enverrait les prières au ciel, où Dieu choisirait peut-être de les exaucer.

C'était la troisième fois qu'Anthony participait à cette cérémonie, et aucune prière ne le surprenait.

— Seigneur, s'il vous plaît, faites que mon commerce prospère dans l'année à venir-

— Dieu tout-puissant, s'il vous plaît, faites que la maladie de mon père-

— Mon Dieu, veillez à ce que ma femme n'aille pas clabauder sur les voisins-

Et là, Anthony reconnut la note toute froissée que la jeune fille lui avait remise. Il la déplia et suffoqua presque en découvrant son contenu.

— Je vous en prie, Seigneur, faites que mon père arrête de venir me voir durant la nuit-

C'était bouleversant. Il lit encore et encore jusqu'à ce qu'un des frères le regarde curieusement. Il ne put penser à rien d'autre pendant le reste du rituel. Aucune des autres prières ne semblait aussi importante que celle-ci. Quand ce fut le crépuscule et que les villageois vinrent contempler le feu de joie, Anthony chercha la fille dans la foule. Elle n'était pas là, ou peut-être ne la vit-il pas. Il essaya de se rappeler à quoi ses parents ressemblaient, mais n'y parvint pas dans cet océan de visages.

La nuit tomba et les moines prièrent jusqu'à l'aube. Jamais Anthony n'avait fait preuve de piété si fervente. La longue marche de retour vers le monastère ne fit rien pour apaiser sa conscience, et cela dut se voir, puisque l'abbé vint lui parler alors qu'ils s'acquittaient de leurs tâches.

« Frère Antoninus. »

Anthony n'avait jamais pu s'identifier au saint qui lui avait donné son nom. On pouvait difficilement qualifier de sainte sa vie avant qu'il rejoigne le monastère. Et alors que sa vie ici était solennelle, il n'avait rien fait pour mériter ce nom. Pourtant, il se releva et s'inclina. « Père abbé ». Il baissa la tête, attendant de voir s'il s'agissait juste d'un salut en passant ou si le prieur de leur ordre attendait quelque chose de lui.

« J'ai remarqué votre trouble depuis que nous sommes rentrés du village. »

Anthony se mit sur la défensive. « Pardonnez-moi, Père abbé. Je ne voulais pas me montrer distrait.

— Y a-t-il quelque chose dont vous souhaiteriez discuter ? Quelque chose qui vous empoisonne l'esprit au point de vous déstabiliser ? Son ton était sévère, mais ses yeux, curieux.

— Je réfléchissais juste à toutes les prières formulées pendant le feu de joie, Père abbé. Beaucoup d'entre elles semblent moins rejoindre le grand dessein de Dieu que les souhaits du commun. »

L'abbé acquiesça sereinement, comme s'il comprenait. « Telle est la nature de l'homme, dont l'esprit est distrait par le flux et le reflux de sa vie. La plupart serait, je crois, plus heureux de recevoir une pièce d'or supplémentaire que la grâce divine. »

Anthony hocha la tête, mais son esprit ne pouvait se détacher de l'image de l'enfant aux yeux d'ambre. « Certains aspirent à mieux. Souhaitent que les malheurs qu'ils subissent soient adoucis. Que les troubles qu'ils endurent, sans nécessairement disparaître, soient moins durs à affronter.

— Nous avons tous notre croix à porter, frère Antoninus, lui rappela l'abbé. Les gens du commun feraient bien d'accepter le dessein divin. Une leçon que nous devrions tous garder en mémoire. Il adressa un regard acéré à Anthony.

— La volonté divine prime sur tout, dit-il consciencieusement, récitant le manifeste de l'ordre. Je n'oserais jamais questionner le plan divin. Je regrette juste que beaucoup vivront leur vie sans voir leurs aspirations satisfaites.

— Ils gagneraient à trouver leur accomplissement à travers Dieu et à accepter le sort qu'Il leur a réservé, dit l'abbé comme s'il récitait les répliques d'une antique pièce de théâtre. Il soupira pourtant. Vous n'êtes pas avec nous depuis longtemps, mon frère. Je comprends qu'il soit difficile de vous détacher de votre ancienne vie pour vous conformer à vos vœux. Peut-être que passer quelque temps dans la solitude et le recueillement vous serait-il profitable. »

Son cœur manqua un battement. Penser à la cellule qui l'attendait le fit tressaillir.

Mais le sort lui était apparemment plus favorable. « Au nord, dans les montagne, se trouve une petite cabane. Les membres de notre ordre y font souvent retraite pour s'isoler avant de prononcer leurs vœux ou pour s'impliquer davantage dans la contemplation du divin. L'abbé inclina la tête. Je vous suggère d'aller y passer le reste de l'été. Donnez-vous le temps dont vous avez besoin pour comprendre où votre esprit doit se diriger. »

Anthony soupira intérieurement de soulagement pour lui-même, mais ne put s'ôter de l'esprit l'image d'une enfant qui s'apprêtait à passer une autre nuit avec l'espoir que Dieu répondrait à ses prières.

III

Anthony émergea lentement. Il remua, essayant de se débarrasser de ce qui le recouvrait avant de réaliser que c'était beaucoup plus lourd qu'une couverture n'est censée l'être. Il se démena, surpris de sentir des matières organiques sous ses mains. La couverture était faite d'une mousse épaisse et agréablement fraîche dans la chaleur de cette fin d'été. La lune était haute, et il regarda autour de lui pour comprendre ce qui s'était passé.

Un feu avait été allumé. Dans un bol en bois, avaient été disposés des oignons sauvages, des baies et des épinards. Une tasse sentait le miel et le thé, le faisant saliver. Il n'avait pas vu de telles douceurs depuis des années, et il hésita avant d'y toucher. La dernière chose dont il se souvenait était la tourbière se refermant sur lui.

Il ne savait pas nager.

Comment avait-il survécu ?

« Enfin réveillé. La voix était familière et douce, presque prévenante. Tu as de la chance. Les hommes comme toi sont aveugles dans ces bois. J'aurais dû laisser les sorcières te prendre.

— Des so-sorcières ? demanda Anthony en regardant autour de lui et en repérant presque instantanément les yeux verts.

— Les sorcières de tourbière. Elles aiment à noyer les intrus et à détacher peu à peu la chair de leurs os. Mauvaises femmes. Et elles sentent le poisson pourri. La silhouette se rapprocha.

— Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? »

La grande silhouette inclina la tête. « Tu as dit que tu accepterais mon offre. »

Anthony se redressa complètement, pour voir ses vêtements mouillés séchant dans un arbre. Il rougit avant de se morigéner intérieurement. Qu'est-ce que cela pouvait bien faire que cette créature le voie nu ? Elle n'était pas humaine. Elle ne pensait pas comme un être humain. « Je- oui. Je vais le faire.

— Mais tu as hésité sous les chênes. Pourquoi ? N'ai-je pas fait la preuve de mes capacités ? T'ai-je jamais déçu ? »

La voix était arrogante et hautaine. Anthony réalisa alors qu'il avait involontairement insulté l'entité. « Pardonnez-moi. Vous avez toujours rempli votre part du marché. Vous n'avez jamais manqué de ruse pour obtenir ce que je vous demandais. »

Ceci sembla satisfaire la créature. Il fit un geste de ses doigts bien trop longs. « Mange. Les sorcières de tourbière vident les hommes de leur force et de leur endurance, pour en faire des proies faciles. Manger te fera du bien. »

Anthony dut prendre sur lui pour ne pas se jeter sur la nourriture. La première bouchée fut exquise. Les vœux de pauvreté prononcés dans son ordre s'étendaient à la nourriture. Les mets simples avaient constitué son ordinaire ces dernières années, et ces douceurs lui avaient manqué. Les baies étaient si douces et acidulées qu'il aurait voulu lécher le jus noir sur ses doigts. Les oignons sauvages avaient été rôtis et étaient tellement forts et savoureux qu'il aurait pu rester indéfiniment là à les savourer. Il aurait souhaité une coupe de vin, mais le thé aux herbes lui réchauffait les sangs. Cela venait peut-être d'avoir vu la mort de près, mais il finit son repas avec enthousiasme et réalisa à quel point il se sentait beaucoup mieux.

La créature le regarda en silence, mais avec un air amusé. Quand Anthony termina son repas, il se rapprocha. « Maintenant, nous devons nous occuper de notre marché. La lune décline. Ce sera bientôt l'aube et nos frères viendront à notre recherche. »

Anthony n'avait jamais pensé que cette créature puisse avoir de famille. Mais là n'était pas le sujet. Il but la dernière goutte de thé et se prépara mentalement. « Très bien.

— Tu es toujours d'accord ? Tu me procureras ce dont j'ai besoin pour rester dans ce monde ? »

Le moine hésita juste un instant. Depuis des années, il parlait à une ombre aux brillants yeux verts. Ils n'avaient jamais échangé ni noms ni plaisanteries, juste négocié comme le feraient un marchand et son client. Le père d'Anthony l'avait toujours accusé d'être trop curieux pour son bien. Peut-être ne parvient-on jamais à se débarrasser de nos habitudes. « Je tiens à vous voir. »

La créature écarquilla les yeux.

« Si nous devons dépendre l'un de l'autre, je veux savoir à qui je me lie. Laissez-moi vous voir à la lumière. Je voudrais savoir quelle sorte de démon j'ai pris au piège. Faites-le et je jure de vous de fournir ce dont vous avez besoin, tant que vous respecterez les termes de notre marché. »

« Pris au piège. La créature sourit, révélant de petites canines pointues. Quelle expression délicieuse. » Et en disant cela, il fit un pas en avant.

Anthony ne savait à quoi s'attendre. Cela lui avait paru si évident. La bible était pleine de descriptions et de représentations de créatures rouges et cornues, arborant barbe et langue fourchue, dotées d'immenses ailes de chauve-souris et de sabots.

Les seuls éléments qui semblaient correspondre étaient les sabots et les cornes. Mais même là, son assistant de longue date avait peu en commun avec les démons de la bible. Ses sabots évoquaient ceux d'un cheval et ses cornes courbées en arrière, un bouquetin. Sa peau n'était pas d'un affreux rouge sang mais pâle et magnifique comme une perle, des tatouages d'un bleu profond venant allonger sa silhouette. Ses traits n'étaient pas ceux d'un monstre, ils étaient raffinés et aquilins, avec de longues boucles noires encadrant son visage.

La créature semblait tout à fait consciente du tableau qu'elle offrait et sourit, ouvrant les bras comme si elle se présentait. Ses oreilles pointues semblaient tressauter de joie. « Terrifié ? », demanda-t-il comme si une réponse affirmative le ravirait.

Anthony déglutit. Terrifié ? Oh oui. Si désespérément ! Pourtant, la créature était d'une beauté étrange, surnaturelle. Anthony se sentait attiré comme un artiste devant un tableau, comme s'il devait la toucher pour s'assurer de sa réalité. Une impulsion le poussait à passer les doigts sur chaque centimètre de peau, juste pour pouvoir se dire qu'il l'avait fait. Ses yeux s'attardèrent sans pudeur aucune sur ce corps et il réalisa que la créature et lui avaient quelque chose en commun.

Apparemment, l'anatomie d'un démon n'était pas très différente de celle d'un humain.

La créature sourit en constatant où le regard de l'homme s'était arrêté. « Vilain prêtre », fit-il en agitant le doigt dans sa direction.

Anthony rougit. « Je respecterai ma part du marché, dit-il en détournant le regard. Que dois-je faire pour nous lier ? Y a-t-il une quête à entreprendre ou un artefact à trouver ? » Dans les vieilles histoires, les saints trouvaient quelque chose de précieux aux yeux des démons. Leur véritable nom, une pierre qui était en fait leur cœur, ou encore coupaient-ils la barbe de démons. Tout ce qui pourrait plier la créature à la volonté humaine et lui interdire de faire le moindre mal.

La créature s'approcha et caressa la joue d'Anthony. « D'abord, retire ta croix. Je déteste son contact. »

Anthony n'avait pas réalisé qu'il la portait encore. Il pensait qu'elle aurait été retirée, comme le reste de ses vêtements. Mais non, le poids de celle-ci pesait toujours à son cou. C'est alors qu'il vit une brûlure en forme de croix sur la peau autrement impeccable. La créature devait avoir touché la croix quand elle l'avait sauvé.

Se dire qu'il l'avait sauvé aurait dû lui inspirer confiance. Au lieu de cela, Anthony se sentit comme s'il jetait sa dernière arme. Il la toucha une dernière fois, le métal froid lui offrant peu de réconfort quand il la déposa loin de lui.

La couverture de mousse lui fut arrachée et Anthony se retrouva nu.

« A-attendez ! haleta-t-il quand la créature s'empara gracieusement de ses hanches, ses doigts fins les caressant. Je... Je ne comprends pas. »

Les yeux d'absinthe plongèrent dans les siens. « Vraiment ? Je savais que ton ordre faisait vœu de chasteté, mais je ne t'imaginais pas vierge. Il semblait trouver l'idée amusante. N'aie pas peur. Je me montrerai doux.

— Doux ! Anthony voulut se cramponner à la couverture mais elle avait disparu. Il chercha sa croix, mais elle avait disparu dans les hautes herbes. Je... ceci... Seigneur Dieu !

— C'est ce dont j'ai besoin pour rester. Mon nom sur tes lèvres et ma semence sur ton ventre me lieront à ce monde. Mais pour accroître mon pouvoir, j'aurai encore besoin de ces adorables cadeaux que tu m'offres. Le sang et le sperme sont les bases antiques de la magie, prêtre. L'entité pressa une main sur la poitrine d'Anthony et le poussa au sol, son autre main sur la joue du prêtre. Il passa le pouce le long de la lèvre inférieure charnue et gémit, excité par le regard empli de confusion et de vulnérabilité du mortel. Chaque mois, tu viendras me retrouver sous le bosquet de chêne où nous nous sommes rencontrés. Tu t'allongeras et tu m'offriras ces cadeaux de bonne grâce. Cela me donnera la puissance dont j'ai besoin pour te servir. »

Son esprit se débattit avec cette information. Au-delà même de l'hédonisme et de la lubricité, ce dont la créature parlait était, au mieux, païen ! Pourtant, son corps se moquait déjà de ces dilemmes moraux. Cela faisait des années qu'il n'avait pas touché une femme, et des mois après cela avant qu'il mettre sa culpabilité de côté et prenne son besoin en main. Le sexe de la créature se dressa, fier et plus dur que le sien, incitant celui d'Anthony à l'imiter.

Des lèvres chaudes caressèrent son cou et les cornes glissèrent le long de sa joue. Il distingua les motifs en spirale comme si un ancien artiste avait voulu graver son œuvre sur l'ivoire. Anthony respira profondément et sentit le parfum d'érable, de miel et de sauvagerie. L'arôme agissait comme une drogue et il sentait ses muscles se détendre. Un voile brouilla son esprit et il s'allongea, se cambrant quand la langue commença à s'activer sur sa gorge.

Il gisait là, le cou exposé comme un loup prêtant allégeance au chef de la meute. La créature se pencha et le goûta, ses mains s'activant sur son corps avec virtuosité. Les doigts habiles pincèrent son mamelon, le taquinant jusqu'à ce que de petits gémissements s'échappent de la gorge du mortel. Un ronronnement retentit à l'oreille d'Anthony qui entrouvrit les yeux pour voir un léger sourire flotter sur les lèvres de la créature.

« J'ai tant attendu ce moment, murmura l'étrange créature, frottant son nez contre la poitrine d'Anthony. Je t'ai voulu depuis ce premier été où nous nous sommes rencontrés et n'ai pensé à pratiquement rien d'autre, déclara-t-il avant de baisser la main pour caresser le sexe d'Anthony. Ses mains étaient chaudes et fermes, et le prêtre ne put s'empêcher de se cambrer sous le contact. T'es-tu langui de moi, mon ami mortel ? Non. Ne parle pas. Laisse-moi savourer l'idée que tu pourrais l'avoir fait. »

Il restait à peine assez de lucidité à Anthony pour se rappeler ce dont il avait besoin. « Votre nom ! », demanda-t-il pendant que la créature glissait un doigt dans son intimité encore inviolée, se frayant un passage. Sa tête devint floue quand le doigt prit possession de lui et qu'une humidité commençait à faciliter son passage.

« J'en ai beaucoup, le taquina son compagnon clandestin. J'ai reçu beaucoup de noms au fil des âges. Des noms qui se sont perdus dans le temps et lors de la venue du Christ-Dieu qui s'accroche à sa croix, comme s'il était Odin pendu à Yggdrasil. Il en parla comme si tout cela n'avait que peu d'importance pour lui, et pourtant il y avait de l'amertume dans sa voix. Des noms, encore des noms et tous, fugaces », dit-il alors qu'Anthony gémissait sous le deuxième doigt qui l'ouvrait. La douleur était là, mais derrière, on devinait déjà une promesse de plaisir. La créature avait un réel talent dans ce domaine, puisque jamais elle ne s'aventura au-delà d'un niveau de douleur supportable. Il écarta ses deux doigts et soupira avec délice pendant qu'il ouvrait l'humain, apaisant ses craintes avec des baisers déposées le long de son ventre.

Le mortel retrouva ses esprits alors que ses doigts s'entortillaient dans l'herbe. Sa bite gouttait tristement, cherchant sa libération. Il secoua la tête et commença à haleter. « Vous m'avez promis, réussit à dire Anthony quand un troisième doigt s'inséra dans l'anneau serré. Vous m'avez promis de me dire votre nom ! »

Un léger froncement de sourcils plissa le visage de la créature. Il retira ses doigts et agrippa les hanches de son prix, se positionnant. D'une poussée ferme et résolue, il pénétra le mortel et Anthony s'arqua sous lui. Il s'enfonça encore et regarda son humain s'effondrer, ses yeux noisette plaidant pour quelque chose qu'il n'avait pas encore expérimenté. Cette vision le radoucit et ses cornes effleurèrent le front d'Anthony quand il se pencha. « Loki, murmura-t-il avec un drôle d'accent.

— Loki, souffla Anthony alors que des étoiles explosaient devant ses yeux. Loki ».

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[1] La chanson Do Virgins Taste Better évoque un dragon qui, pour ne pas ravager un village, exige qu'on lui livre une vierge, deux fois par an. Les villageois obéissent mais, curieux, finissent par lui demander si les vierges ont meilleur goût que les autres. Il y a évidemment un double sens des paroles, salty, par exemple, signifiant salé mais aussi salace, déluré. Et juicy signifie juteux mais, en rapport avec une partie précise de l'anatomie féminine, ce mot prend vite une connotation scabreuse.

Les villageois de la chanson finiront par trouver la parade en faisant en sorte que plus aucune habitante du village ne soit pucelle lors du passage semestriel du dragon. ;)