Le manga détective Conan appartient son créateur, Gosho Aoyama. Cette histoire est en grande partie inspirée du chef d'œuvre de Michael Didbin, L'ultime défi de Sherlock Holmes, et de celui de Bob Garcia, Le testament de Sherlock Holmes.

AVERTISSEMENT : cette histoire contiendra de nombreuses scènes de violence parfois très crues, en plus d'aborder des thèmes…que je qualifierais de dérangeants sans pouvoir en dire plus pour autant, hélas…elle est donc déconseillée au moins de 16 ans, je ne me répèterai pas et je serais intransigeant là-dessus .Si vous êtes trop jeune ou trop sensible, ne la lisez pas !

« Soudain, le passé prend d'assaut le présent en se servant de l'inexorable tourment de la mémoire.»

Seichi Kirima

Never forgive me, never forget me: Prologue

So who is the culprit, you ask?

Finding that out is part of the story, right?

So who is the culprit, you ask?

Do you even know what is the culprit in the first place?

So who is the culprit?

Who is the culprit that's gonna kill me?!

-Frederica Bernkastel

Au commencement régnait le silence, avant qu'il ne soit éraflé par le grincement d'une porte... Ta venue n'avait suscité ni les applaudissements, ni les huées, ou même seulement les bourdonnements des spéculations sur ce que tu dissimulais derrière le rideau que tu t'apprêtais à lever…pour mieux le tirer une fois pour toute…

Quoi de plus normal ? Tu n'avais convié qu'une seule personne, quand bien même les sept cartons d'invitations avaient eu le temps de passer de mains en mains, tandis que la police de Tokyo s'arrachait les cheveux sur leur signification…Une seule personne…et pourtant, elle t'avait posé un lapin... un lapin blanc… Quelle ironie…

C'est entre deux rangés de sièges vides que tu effectuas chacun des pas qui réduisit la distance te séparant de ce qui aurait pu être ton échafaud…

La scène d'un théâtre… Ce théâtre dont un magicien avait si souvent arpenté les planches, pour le bonheur des enfants comme des adultes, contemplant ses spectateurs avec un sourire espiègle digne du masque de bois qui ornait le fronton de la scène, en compagnie de son collègue au bord des larmes… Pouvais-tu trouver un cadre plus approprié pour le dénouement ?

Dans les premiers mois de la gestation de cette pièce, tu ignorais si ton imagination allait accoucher d'une comédie ou d'une tragédie… Et même maintenant… alors que tu t'apprêtes à monter sur les planches pour le tout dernier acte, cette question n'a toujours pas trouvé sa réponse… Aucun des deux masques ne conviendrait au premier rôle, puisqu'il aurait pu se dissimuler derrière l'un ou l'autre…

Mais tu ne t'en attriste pas plus que ça… Après tout, quelle importance ? Quelle importance puisque le rire sur lequel le rideau va se clore sera certainement imprégné de larmes, si elles ont seulement la patience d'attendre jusque-là...

Personne d'autre que toi n'aurait le cœur de rire de cette histoire…de ton histoire…et en dehors de l'auteur, qui irait pleurer sur le sort du personnage principal ?

Oui, la question est bien futile… Dans les détails, chaque vie ressemble à une comédie, pour se muer en tragédie quand le rideau tombe sur la scène pour de bon, dévoilant le sens de l'existence qui venait de s'achever, pourquoi la tienne devrait-elle faire exception ?

Toutes ces années, tous ces préparatifs, toutes ces nuits blanches, pour en arriver là… Une seule personne était venue à la représentation pour attendre ta venue, puisqu'une silhouette se découpa sous tes yeux quand tu trouvas la force de les relever, alors que tu arrivais au bout du tapis rouge…

En soi, le nombre ou plutôt le chiffre ne t'aurait pas offusqué plus que ça…Le problème ne se situait pas dans la quantité mais la qualité de ton auditoire… Tu n'avais eu qu'une seule personne en tête quand tu avais commencé cette histoire…celle qui avait brillé par son absence à la fin…

Il n'y avait que deux facettes sur cette pièce de monnaie que tu avais fait décoller de ta main, la solitude de l'artiste incompris, ou son face à face avec un spectateur qui valait tous les autres à tes yeux…mais tu avais oublié… qu'une fois de temps en temps, une pièce pouvait retomber sur la tranche…

Même si tu avais gardé ta déception pour toi, elle trouva néanmoins le moyen de se refléter sur le seul visage constituant ton public…

Etait-ce une excuse ou de la compassion qu'il fallait déchiffrer dans le sourire du commissaire de police qui t'attendait, les bras croisés ?

Là encore, qu'elle importance ? Tu n'aurais pas exigé la première, ce n'était pas la policière qui s'était retrouvé en faute mais un détective, et tu n'avais pas besoin de la seconde…ou si peu…

Si peu…mais suffisamment pour émousser le tranchant de ce regard qui aurait dû te clouer au pilori… Ce regard où se reflétaient tant de tragédies, d'atrocités commises et de vies gâchées de manière futile, celles des victimes comme celles des assassins… Si des illusions avaient pu se nicher à la surface de ses yeux, à une époque lointaine, la criminalité de Tokyo avait eu des décennies pour les envoyer ad patres, bien avant que tes petites peccadilles puissent les dissoudre dans le sang avec lequel tu avais maculé les rues de la capitale…

Tu étais peut-être le personnage principal de ta propre histoire, mais aux yeux du commissaire Sato, tu ne seras jamais qu'un second rôle…si elle ne te relègue pas chez les figurants…

Le trac qui te rongeait le sang avant que tu ne franchisse les portes du théâtre pour ta première performance, qui serait aussi la toute dernière, en tout cas dans le rôle du criminel venu ennuyer l'auditoire avec sa confession, puisqu'il fallait bien clore l'histoire de cette manière… Il s'est dissipé pour de bon maintenant…

Maintenant que tu sais qu'on t'épargnera cette humiliation publique que tu avais soigneusement orchestré… Les policières n'ont pas besoin de s'embarrasser plus que ça avec les motivations des criminels qu'elles traquent… Les détectives non plus quand on y pensait… et l'exception qui confirmait la règle n'était pas venu…

Il ne fallait ni s'en étonner, ni s'en réjouir… Peu importe son opinion personnel et celle de l'auteur du script de sa toute dernière affaire, le rôle d'Hakuba Saguru n'était pas celui du détective, cette fois… Sa place était parmi les suspects… Peut-être celle des victimes… Voir même des coupables… puisqu'il y en avait eu plusieurs dans ton histoire…quand bien même il ne resterait qu'un seul nom sur le rapport de police qui lui servirait d'épilogue… Le tien…

Et pourtant… Pourtant… Ces paroles dont tu avais fait ton deuil, ces paroles qui devaient inaugurer le dernier acte, elles résonnèrent dans la pièce…

« Il y a une dernière chose que j'aimerais savoir… Pourquoi as-tu fait ça ? »

Une question que tu avais appelée de tous tes vœux… même si tu aurais préféré que le sourire d'un détective britannique lui serve de seuil plutôt que celui d'un commissaire de police…

Tu hésites… Même si les autres lignes du script que tu as patiemment rédigé se bousculent sur le bord de tes lèvres, jusqu'à les faire remuer ou plutôt trembler, l'acteur ou l'actrice que tu as choisie n'est pas encore à la hauteur du personnage qu'il a créé, alors même que c'était ton autobiographie que tu avais offert à la voracité du public…

Certes, il te reste l'excuse que ce n'était pas une policière qui devait te donner la réplique, mais au final, cela ne devrait pas changer grand-chose, non ? Après tout, le moment des révélations est passé, ce n'est plus le détective qui est au centre des projecteurs et des regards, mais la criminelle ou l'assassin dont il a agrippé la main, avec plus ou de gentillesse, pour la faire sortir de l'ombre où elle s'était réfugié, et l'encourager à laisser son trac sur le plancher avec le masque qu'il vient de lui arracher…

Mais le détective…ton détective n'est pas venue, justement… Il ne pouvait pas venir… Et cette histoire, ton histoire, c'était aussi la sienne

Alors à quoi bon ?

Sato n'avait pas toute la journée devant elle, et ta vie était derrière toi à présent, alors fallait-il s'étonner du fait qu'elle lève le bras dans ta direction pour te sortir de ton silence, et probablement t'escorter jusqu'à une salle d'interrogatoire ?

Non, bien sûr… En revanche, que ses doigts se posent sur ta joue plutôt que sur ton poignet, que le contact qui unisse son corps au tien soit celui d'une caresse parcourant le chemin des larmes que tu n'avais pas versé mais qui n'était pas moins présente aux yeux d'une policière, et qu'à défaut de refermer le cercle d'acier de sa paire de menottes, elle préfère refermer ses bras sur ton dos dans une étreinte qu'on aurait pu qualifier de maternelle… Ça, ce n'était prévu au script…

Enfin, cela faisait partie des éventualités que tu avais envisagé au cours de sa rédaction, mais tu n'avais pas réussi à suspendre ta propre incrédulité pour ce dénouement alors tu avais choisi de l'épargner à tes spectateurs… Qui plus est, ce n'était pas le visage d'une policière que tu avais imaginé se frotter contre le tien au cours de cette rêverie…

Tes mains avaient bien fait mine de se poser sur le ventre d'une policière pour la ramener fermement à sa place, au moins quelques centimètres plus loin, mais tes bras avaient fini par retomber pour se balancer comme les lanières d'une poupées de chiffons…et le reste de ton corps en aurait sans doute fait autant, s'il n'y avait pas eu quelqu'un pour le soutenir, en maintenant une main contre ton dos, tout en glissant les doigts de l'autre dans les cheveux de la personne qu'il étreignait…

« Chuuuuttt… »

Ce n'était pas l'écho de l'autorité rappelant au criminel son droit de conserver le silence, cela ressemblait plutôt au son qu'un parent aurait glissé à l'oreille d'un enfant en larme alors qu'il se blottissait dans ses bras…

Un parent… Le parent que tu aurais aimé avoir… En lieu et place de ceux qui t'avaient abandonné, il y a si longtemps…Trop longtemps…te laissant le poids de leurs péchés sur les épaules en guise d'héritage et de cadeau d'adieu…

Des parents irresponsables qui auraient pu être ceux d'un détective, britannique ou nippon…ceux d'une scientifique…ceux d'un magicien…ceux d'une championne de karaté…ou ceux d'une fillette qui avait grandi trop vite ou trop lentement selon le point de vue… et au final, ils auraient pu être tous cela à la fois…

« Pour…quoi ? »

L'oreille qui avait accueilli ses mots, ou plutôt ce mot unique qu'un hoquet avait tranché en plein milieu, ce n'étaient pas celle qui avait été souillée par les supplications et les gémissements d'agonie de tes victimes… Les cordes vocales qui avaient fait résonner cette question n'était ni ceux d'un détective, ni ceux d'une policière…

« Je le lui aie demandé bien souvent à ce détective, au cours de cette enquête… Pourquoi est-ce qu'il s'obstinait à poser cette question à ses criminels à la fin ? Oh, je suppose que dans un roman, elle serait à sa place… La criminelle ou l'assassin a eu la courtoisie d'écouter les déductions du détective jusqu'à la fin, sans trouver quoi que ce soit à lui redire…alors la moindre des choses seraient de rendre la politesse à son adversaire, en lui révélant ce qu'il ne pouvait pas trouver en arpentant les lieux du crimes, le mobile…et tout ce qu'il y a derrière… la vie de celui ou de celle qui n'a pas toujours été un meurtrier… le chemin qu'il ou elle a parcouru pour en arriver là… Oui, il faut bien clore l'histoire, j'imagine, et ne pas laisser la question d'un seul lecteur en suspens à la dernière page… »

Est-ce un sanglot ou un gloussement que tu t'efforces de garder emprisonné dans tes poumons, faisant trembler ce corps frêle qu'une policière s'efforce de conserver à sa hauteur ? L'un ou l'autre… L'un et l'autre… Quelle importance une fois encore ?

« Hehehe… Vous venez de décrire quatre romans de Conan Doyle là, commissaire… Je n'aie pas besoin de vous dire quel en était le personnage principal, hein ? Quand il se donnait un espace plus large que celui d'une nouvelle, son docteur Watson se sentait toujours obligé d'offrir la moitié de son livre au criminel, quitte à faire trainer les choses en longueur après la résolution du mystère… Pas la portion la plus intéressante ni la plus populaire aux yeux de beaucoup de lecteurs… On leur avait promis Sherlock Holmes au sommet de son art, pas un criminel au fond du caniveau auquel a fini par ressembler sa petite vie… Enfin, il y avait des exceptions pour s'intéresser à la deuxième partie autant qu'à la première… Ne serait-ce que ce gamin qui poussait le vice jusqu'à arpenter les scènes de crime un macfarlane sur les épaules et une antique casquette à double visière sur la tête… »

Un soupir caressa la chevelure de l'ombre chétive qui se blottissait contre une policière faute d'avoir pu le faire contre un père ou une mère…

« Ah… je ne les ait jamais lu, pour être honnête… Avec la vocation que je m'étais choisi, les romans policier étaient bien la dernière chose auquel j'aurais pu consacrer mon temps libre… Et dans ce métier, le mobile du criminel ne présente d'intérêt qu'au moment où il y a plus d'un seul nom dans la liste des suspects… Bon, il y a les dépositions à prendre, bien sûr... Les aveux à noter pour les transmettre au tribunal, et étoffer le rapport à déposer sur le bureau du supérieur, mais…je peux aussi te l'avouer, je ne les écoutais que d'une oreille distraite, ces aveux qu'on me demandait de retranscrire… »

« Alors pourquoi faire une exception avec moi ? Parce que je n'aie pas eu la politesse de vous laisser de preuve suffisante pour vous dispenser d'aveux ? Hmm, d'ailleurs… Je ne peux pas prétendre que vous êtes très heureux de me voir, commissaire…même si vous l'étiez, ce qui serait flatteur, croyez-le bien, vous étiez un garçon manqué, pas un garçon tout court. Cela vous offre le luxe de cacher votre tendre émoi, au lieu que ce soit autre chose qu'un doigt qui le pointe aux yeux des autres… Votre arme de service, je peux la sentir sous votre veste… je pense donc que c'est un enregistreur que je sens au fond de votre poche… »

Le soupçon d'amusement qui se glissa sur les lèvres de Sato n'en congédia pas la tristesse pour autant.

« Il n'est pas sous tension…et si tu ne me fais pas confiance sur ce point, tu peux bien le sortir de sa cachette pour en retirer la batterie, et me la confisquer jusqu'à la fin de l'entretien… »

Ces épaules autour desquelles une policière maintenait son bras, elle les sentit se soulever.

« Faites-ce tout ce qui vous plaira… Ça n'a aucune importance pour moi… Enfin si, ça ne fait que nous ramener à la question que je vous aie renvoyée… Pourquoi ? Jusqu'à présent, je n'aie eu le droit qu'à des faux-fuyants, ou des confirmations de sa pertinence… »

« Un certain détective… Je n'aie pas besoin de te dire lequel… Il s'est efforcé de me persuader qu'il y avait bien un être humain derrière tous ces meurtres qui me révulsaient…que cet être humain n'était pas dépourvu d'un cœur, quoique je puisse en penser… et il a réussi à me convaincre… Tu as réussi à me convaincre… »

Des mots qui te poussèrent à écarquiller les yeux…et à rendre la monnaie de sa pièce à celle qui te les avait gentiment murmuré, pour l'enlacer à ton tour…mais les doigts que le commissaire pouvait sentir sur son dos, ils s'étaient douloureusement recroquevillés sur sa veste, étirant les rides d'un visage las dans un léger rictus de souffrance.

« N'allez pas vous imaginer qu'il faisait preuve de compassion envers les criminels qui avaient l'infortune de le rencontrer… Même s'il était assez benêt pour être persuadé du contraire… Qu'est-ce que ça peut bien me faire que vous reconnaissiez l'existence d'un cœur sous ma poitrine, hein ? Si c'est pour me tendre gentiment un scalpel et me demander de l'exciser sous vos yeux, sans anesthésie, avant de le remettre, encore tout palpitant entre vos mains, pour que vous puissiez achever la dissection alors même qu'il continue de battre… Est-ce que vous étiez aussi sûre de vous quand il a fallu vous mettre à nu devant l'élu de votre cœur, commissaire ? Au sens propre comme au figuré…J'imagine bien que non… et pourtant vous me demandez d'en faire autant devant vous, comme si c'était une fleur que vous m'offriez plutôt qu'une humiliation digne d'une fouille corporelle… Non, bien pire que ça… Mais à quoi est-ce que je pouvais bien m'attendre de votre part ? Une oreille distraite ? Vous écoutiez leurs aveux d'une oreille distraite ? Comme si c'était une corvée et des heures supplémentaires non rémunérés qu'on retranchait de votre précieux temps libre ?Et c'est moi qu'on va accuser de dépecer mes semblables avec moins de remords que n'en aurait eu un boucher avec les animaux qu'on mène à l'abattoir…»

Des reproches qui ne tombèrent pas dans l'oreille d'une sourde, quand bien même Sato aurait froncé les sourcils et roulé des yeux dans une expression excédée si un criminel avait eu l'affront de dresser un parallèle de ce genre devant elle, il y a seulement quelques jours…

« Alors dans ce cas… et au risque de me répéter… Pourquoi ? Ce n'est pas moi qui te l'impose, cette confession… Tu l'avais déjà planifié avant même qu'un détective ne l'exige de toi…Avant même d'avoir un crime dont il faille soulager ta conscience… »

« Hehehe… Vous vous posez la question ? Après avoir contemplé les lieux de chacun de mes crimes ? Oh, commissaire, j'ai littéralement arraché le cœur de ma première victime… Alors, un de plus ou un de moins… »

Une gamine effrontée prenant un malin plaisir à ajouter une frasque de plus dans la longue liste établie par ses parents outragés n'aurait pas eu une expression différente de la tienne, tandis que tu t'écartais d'une policière pour la regarder les yeux dans les yeux, sans pour autant la relâcher…

Et malgré cela… Malgré cela…

« Mais la victime que tu vas ajouter aux autres… c'est toi, justement… »

« Je n'avais pas d'autre victime en tête depuis le début… Vous allez m'ennuyer avec les autres ? Toutes les autres ? Oh, ce n'était pas elles que je visais…Il fallait bien que je noircisse ma conscience à vos yeux pour que vous puissiez…puissiez… voir la même chose que moi…chaque fois que je…chaque fois que j'aie posé les yeux sur mon miroir… C'était ça le seul crime que j'avais en tête, juste ça… Je voulais qu'elle souffre ma victime… Vous n'avez pas idée à quel point… Non, vous n'avez vraiment pas idée à quel degré je voulais…payer… pour…le seul crime dont je me sente vraiment coupable… Pas celui-ci… ni ceux qui vous ont attiré jusqu'ici… mais… celui que personne, absolument personne, n'avait eu le cœur de me reprocher…vous-même, vous ne ferez pas exception, je le sais bien… et c'était bien ça le problème…»

Un soupir interrompit le début de confession…un soupir que tu avais partagé avec celle qui l'avait recueilli…

« Oui, je ne ferais pas exception…en tout cas pour le seul crime que tu te reproches vraiment… et même si j'avais le cœur…le cœur… Comment peut-on prétendre avoir un cœur et te reprocher… »

« …je croyais pourtant qu'il avait justement réussi à vous convaincre que j'avais un cœur, ce détective qui vous a laissé sa place et sa réplique… »

Ton petit sourire, il n'avait fait illusion devant personne… Que ce soit celle qui l'avait contemplé ou celle qui le lui avait adressé…

« Tu ne crois pas que tu l'as déjà expié, ce crime ? A l'instant même où tu l'as commis… Il n'y avait pas besoin de châtiment dans ce cas précis… »

« Non, je n'ai pas expié… Je n'aurais pas eu besoin d'en arriver là si on me l'avait fait payer comme il se doit… Enfin, en un sens, vous avez raison, même si votre perspective n'est pas la bonne… Ce n'était pas le crime lui-même qui constituait son propre châtiment… C'était l'absence de châtiment qui constituait la plus cruelle des sentences… Alors oui, je l'ai bien expié…pendant des années… Bien plus d'années que celles qui s'étaient écoulé entre ma naissance et ce qui m'a fait regretter qu'elle ait seulement eu lieu…Si quelqu'un m'avait… je n'aurais pas eu besoin… de le faire…à leur place…à votre place, puisque vous partagez leur cruauté… Cette cruauté qui se fait passer pour ce qu'elle n'est pas…et même le contraire de ce qu'elle est réellement… »

Tu les avais placé dans ton script, ces paroles que tu avais marmonné des dizaines de fois devant ton propre miroir avant de les adresser à une policière, mais elles ne devaient venir que plus tard…et devant une autre personne…même si ça n'aurait sans doute rien changé…ou si peu…

Ce maudit détective qui s'était présenté en retard au seul rendez-vous qui valait véritablement la peine d'être ponctuel… Il aurait pu comprendre… Il aurait pu te comprendre…Oui, c'est justement pour cela qu'il n'avait aucune excuse à tes yeux…

« Enfin, je suppose qu'il serait paradoxalement plus rapide de tout vous raconter que de vous faire un bref résumé… Alors installez-vous, commissaire… Il y a une chaise à votre disposition, là… Elle ne vous était pas destinée, mais puisque la seule personne à qui j'avais envoyé un carton d'invitation pour la grande première s'est lamentablement désistée, vous pouvez bien la prendre… »

Les quelques marches qui te séparaient encore de la scène, on aurait pu croire qu'une potence en avait orné le sommet, à te tendre un nœud coulant pour y glisser ton cou à l'issue de l'ascension, si on en jugeait à l'expression de celle qui te contemplait tapoter un micro pour s'assurer qu'il était bien sous tension.

Un soupir se réverbéra dans toute la pièce, s'échappant des haut-parleurs qui étaient disposés en hauteur aussi bien que de tes lèvres tandis que tu te décidais à les desserrer…

On aurait pu croire que le plus difficile était derrière toi, maintenant que tu avais coché chacun des sept noms qui avaient orné une liste noire… Une illusion que tu ne pouvais plus te payer le luxe de t'offrir…

« S'imaginait-il à la place du détective…ou celle du criminel quand il lisait ses romans policiers ? L'insaisissable Kid se dissimulait-il derrière son monocle, ou est-ce que ses cambriolages étaient, au contraire, le seul moment où il offrait son véritable visage au monde ? Les enfants sont-ils condamnés à porter les péchés de leurs parents sur leurs frêles épaules, à la place de celui ou de celle qui les as abandonnés ? Jusqu'à quel point un parent peut-il être tenu responsable des peccadilles de son enfant ? Est-ce que je me suis dissimulé derrière cet assassin sans visage qui a suscité tant de frustrations chez vous ? Ou bien…au contraire…est-ce que je n'ai jamais été aussi sincère qu'au moment où je prétendais porter un masque qui aurait pu être celui du baron de la nuit ? Un masque qui me paraissait tellement, oh tellement plus ressemblant que le visage qu'il recouvrait… »

Des gestes grandiloquents, digne d'une parodie, le plus mélodramatique des acteurs n'aurait pas pu déclamer ses tirades de cette manière en espérant qu'on le prenne au sérieux… L'auteur s'était effacé derrière son personnage et le faisait savoir à sa spectatrice… qui avait parfaitement compris… Compris qu'un déguisement, celui d'un voleur, celui d'un détective et a fortiori celui d'un meurtrier, en révélait autant sur celui qui le portait que ce qu'il dissimulait en contrepartie… Compris que c'était toujours sa propre personne que l'artiste mettait en scène quel que soit le sujet de ses toiles… Compris qu'elle ne t'avait véritablement contemplé qu'au moment où tu gardais le silence…

« C'est au moment où je dissimulais mon nom derrière deux initiales que je vous aie révélé qui j'étais vraiment… Je ne suis pas mon père, encore moins ma mère, honte à vous si avez pu penser le contraire, ne serait-ce qu'un instant… Je n'étais ni le Kid, ni le baron de la nuit, encore moins la baronne, ni Sherlock Holmes, ni Arsène Lupin et certainement pas… la personne que s'imaginaient les proches avec qui je prenais mes distances…On pourrait croire que j'ai tout fait pour qu'on me confonde avec eux, mais pourtant…je voulais justement…me distinguer de ceux qui m'avaient donné le jour… J'ai choisi un Comte, pas un baron… Un français, pas un britannique… Quelqu'un qui m'a appris que le plagiat n'était pas forcément une pâle copie carbone de l'original qu'il pillait sans vergogne… Non, parfois, celui qui s'empare de l'œuvre d'un autre en a mieux compris la signification que l'auteur lui-même… et j'avais compris…compris ce qui se cachait dans l'ombre d'Arsène Lupin, ou de Sherlock Holmes, qu'il soit britannique, nippon, ou entre les deux…et ce n'était pas des héros que je voyais… Ce n'est pas un héros que je voyais derrière les déductions du détective, la question de son collègue, les énigmes du voleur ou les illusions du magicien… J'ai envoyé des notices, comme le faisait le Kid, mais je ne vous aie jamais torturé avec l'espoir que vous pourriez m'arrêter… j'ai convoqué un détective sur la scène de mes crimes, mais c'était pour qu'il y fasse sa confession au lieu de l'arracher à un meurtrier… pour que ce soit à lui de répondre à une question au lieu de la poser… »

Deux projecteurs s'étaient enclenchés au cours du monologue… Révélant deux des personnages évoqués au cours d'une confession… Une chorégraphie imaginé par le dramaturge…mais tu n'avais pas envisagé… que les acteurs de ton drame viennent à ta rencontre sur la scène du dernier acte, en personne, en lieux et place des figurines de cire à leur effigie que tu avais soigneusement préparé…

Trois spectateurs au lieu d'un seul ? Non, ce coup de théâtre là, il n'était pas de ton cru… Fallait-il changer le script pour autant ?

Certainement pas ! Après tout, les choses n'en seraient que plus faciles puisque…

« Cette histoire…Mon histoire… Notre histoire… Elle s'achève avec moi, mais elle a commencé bien avant mon entrée sur scène…avant même ma naissance…et peut-être même la vôtre, commissaire… Alors peut-être que je devrais laisser la parole à ceux qui me dispenseront de jouer les ventriloques… Même sans avoir jeté un seul coup d'œil sur le script, ils connaissent leurs répliques sur le bout des doigts…sans doute mieux que je ne les connais moi-même… Oui, cette confession, ce n'est pas seulement la mienne… Et il y a eu d'autres crimes avant les miens…avant le mien… des crimes qui l'ont rendu possible… Des crimes que certains devront expier avec les miens, pour avoir commis le plus cruel de tous… Plus cruel même que celui qui est à l'origine des sept meurtres dont vous avez remonté la piste jusqu'ici… Vous voulez savoir lequel, commissaire ? Ils m'ont…pardonné… Pire, ils ont essayé de l'endosser à ma place… A ma place. Juste pour ça, ils méritaient de porter leur responsabilité dans la mort de sept personnes…»

Pendant un court instant, celui au cours duquel le mot pardon avait été prononcé comme la pire des injures, le masque s'était éraflé et la haine avait percé sous l'ironie et un sourire moqueur qui aurait pu être celui du Kid ou d'Irène Adler…

« Parce qu'il faut bien vous le dire, je ne serais jamais allé jusque-là…jusqu'ici…si je n'avez pas voulu confesser une faute pour lequel aucune absolution n'était possible… quitte à enfiler sept autres crimes sur le fil de ma vie pour qu'on cesse enfin de faire l'impasse sur le tout premier… Quelque chose que vous ne pourriez jamais oublier…quelque chose que vous n'essaierez jamais d'oublier… Never forgive me, never forget me… »

Une dernière phrase destinée à ceux qui partageaient la scène avec toi, et sans doute certaines personnes en dehors… Ne serait-ce que celle qui s'attardait sur le seuil du théâtre dont tu avais laissé les portes entrouvertes…

Ce n'était pas seulement en direction d'un commissaire de police que tu avais adressé une légère courbette…

Il y avait une autre personne que tu aurais pu inviter sur la scène pour qu'elle y prenne ta place… Non pas pour qu'elle partage tes crimes, quand bien même tu lui avais dérobé la liste de tes victimes, encore moins pour s'abriter derrière son dos, et certainement pas pour la joindre aux destinataires de tes reproches, c'était bien le seul membre de l'auditoire qui aurait pu voir une ombre d'affection sur le pli moqueur de tes lèvres…

Alors pourquoi le sourire qui se reflétait sur son visage était-il empreint d'une telle tristesse ? Au point qu'on aurait pu la confondre avec des remords…

« Oh, tu ne vas quand même pas te blâmer pour tous ces crimes que tu n'as jamais eu le cœur de me réclamer ? Il ne faut pas… Ce n'est pas pour toi que je les aie commis… Non…Uniquement pour moi… Le monde ne manquait pas de victimes pour agrémenter une confession qui aurait été inaudible autrement… Si je ne t'avais pas rencontré, j'aurais déniché une autre muse… Néanmoins…puisque je suis au chapitre des confessions…et tant pis si je vais donner l'impression de me contredire… Je n'aurais voulu personne d'autre que toi pour ce rôle, si on m'avait donné le choix… »

Quel dommage que tu ne puisses pas l'inviter sur cette scène pour qu'elle soit à tes côtés… Après tout… Ton histoire aurait pu commencer par un détour vers la sienne…

-:-

La silhouette se rapprocha doucement du lit où l'enfant était endormie. Si la distance qui l'en séparait n'était que de quelques mètres, elle lui parût aussi interminable que si sa future victime était située à l'autre bout du système solaire.

Elle prenait tant de précaution pour la parcourir la plus silencieusement possible, les yeux fixés sur le sol de la chambre pour éviter que son pied ne percute un des jouets qui y étaient éparpillés, qu'elle mit de longues minutes avant d'atteindre son but.

Lorsqu'elle y fût enfin parvenue, son regard se posa sur le visage innocent de celle qui était endormie devant elle, inconsciente du fait qu'elle ne sortirait jamais plus de son sommeil. Quand bien même elle aurait été réveillée, elle n'aurait éprouvée aucune méfiance envers son assassin, ne s'attendant certainement pas à ce que la mort se soit dissimulée sous un visage si familier pour lui rendre sa première et dernière visite.

Mais malgré cela, il ne fallait pas qu'elle se réveille, le meurtrier savait que sa résolution fondrait comme neige au soleil si jamais ses yeux candides se posaient sur lui au moment où il s'apprêterait à frapper. La main qui tenait fermement le couteau s'était mise à trembler, témoignant amplement du fait que la résolution était déjà loin d'être ferme. Pourrait-il arriver à la tuer même dans son sommeil ?

Il devait se calmer à tout prix, s'il continuait de trembler ainsi au moment où il passerait à l'acte, sa victime souffrirait inutilement et ça, il ne le voulait absolument pas. Sa mort ne devait être qu'un simple prolongement de ce sommeil et pas une longue agonie.

La pensée qu'il devrait peut-être s'y reprendre à plusieurs fois si jamais il ratait son coup, l'image de ses yeux terrifiés qui le regarderaient avec un air de reproche tandis qu'il s'acharnerait sur elle, le contact visqueux du sang qui lui aspergerait les mains, tout cela le fit frissonner mais l'aida paradoxalement à regagner un semblant de sang-froid.

Comment devait-il s'y prendre ? Devait-il plonger la lame dans ce corps si fragile à travers les draps ou plutôt les soulever avant de frapper ?

Est-ce qu'elle s'éveillerait avant d'expirer, lui lançant un denier regard dans lequel se refléterait le visage de la personne qui lui aurait infligé la pire des trahisons que l'on puisse faire à quelqu'un ? Un regard qui hanterait cette même personne jusqu'à la fin de ses jours…

Un regard qui était déjà posé sur elle, bien qu'il n'exprimait pour l'instant que de la curiosité et de la fatigue. Elle venait de se réveiller et fixait d'un air interrogateur la silhouette qui était dressée au dessus d'elle.

Avait-elle pu apercevoir la lame de son couteau briller à la pâle lumière de la lune avant qu'elle ne dissimule derrière son dos la main qui le tenait ?

Apparemment non, sinon elle ne serait pas resté aussi calme. Ce n'était qu'un simple contretemps, il suffirait de la rassurer et elle se rendormirait tout naturellement sans se poser de question.

« Ce n'est rien, Ai… Je venais juste contempler ton visage une dernière fois avant d'aller me coucher. Rendors-toi, mon ange, il ne t'arrivera rien… »

La douceur de la voix qui avait résonnée et le sourire bienveillant de la personne qui était penchée sur elle semblèrent produire l'effet escompté sur la fillette puisque l'instant d'après elle semblait s'être assoupie de nouveau.

Elle semblait si fragile, si innocente, pourquoi est ce qu'elle devait subir cela ? Elle était la chose la plus chère qui pouvait exister à ses yeux, plus précieuse à son cœur que n'importe qui d'autre au monde, alors pourquoi est-ce que de tous les habitants de cette planète, c'était à lui que la destinée avait confié cette macabre besogne ?

Le futur criminel trembla de plus en plus. Si ses pensées continuaient de suivre ce cours, ce couteau finirait par tomber de sa main tandis qu'il se mettrait à genoux devant elle pour la supplier de le pardonner d'avoir eu seulement la pensée de vouloir commettre cet acte.

Il devait s'efforcer de se convaincre que c'était la meilleure chose qu'il pouvait faire pour elle, qu'il n'y avait rien qu'elle ne désirait plus que cette mort qu'il allait lui offrir. Aussi douloureux que cela puisse être pour celui qui exaucerait son souhait, il se devait de tenir la promesse qu'il lui avait faite sans qu'elle le sache.

C'était l'amour qu'il éprouvait pour elle qui guidait sa main, un amour qui ne reculerait devant aucune limite, pas même celle d'avoir à tuer de ses mains l'être qui l'inspirait.

De longues minutes s'écoulèrent, laissant l'assassin seul face à ses pensées et à sa future victime.

Parvenant finalement à acquérir la résolution suffisante pour passer à l'acte, il leva au dessus de sa tête le couteau qu'il tenait à présent de ses deux mains.

Dans un instant, tout serait fini, un seul instant…Mais à ce moment là, la porte de la chambre s'entrouvrît laissant échapper un mince filet de lumière.

Le meurtrier tressaillit quand il fit face à la dernière personne au monde avec laquelle il aurait voulu être confronté dans cette situation…

Et sa peur s'accrût lorsqu'il constata que le témoin du crime qu'il s'apprêtait à commettre avait vu ce qu'il tenait dans sa main et qu'il avait parfaitement compris ce qu'il s'apprêtait à faire avec…

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S'éveillant en sursaut, Shinichi mit plusieurs minutes à reprendre sa respiration. Venait-il de faire un cauchemar ? Il espérait de tout cœur que cela soit le cas malgré la désagréable sensation de réalité attachée aux images qui étaient encore imprimées au fer rouge dans son esprit. La douleur qui le déchira tandis qu'il essaya de se lever du lit où il était étendu lui confirma malheureusement que ce n'était pas le cas.

Il baissa les yeux vers la blessure qu'il portait à son flanc, cette blessure qui correspondait exactement à celle qu'il aurait dû recevoir si son rêve n'en était pas un…

Bien que quelqu'un ait entreprît de le soigner entre temps, elle continuait de lui infliger des élancements douloureux chaque fois qu'il respirait. Mais sa souffrance fût le cadet de ses soucis quand il aperçût la personne qui avait assisté à son réveil et qui était sûrement celle qu'il devait remercier pour les soins qu'il avait reçus.

« Tu es enfin réveillé ? »

Le détective se rapprocha de la jeune femme qui s'était adressé à lui, avant de poser les mains sur les barreaux qui le séparaient d'elle. Bien que l'espace entre eux fût suffisant pour qu'il puisse y passer la tête, la distance à laquelle était placée la chaise sur laquelle son interlocutrice était installée était trop grande pour qu'il ait seulement une chance de l'effleurer.

« Est-ce que tu te souviens de ce qui s'est passé ? Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici ? »

Devant le silence de celui qui la regardait, la jeune femme repoussa une mèche de ses cheveux auburn en soupirant.

« Est-ce qu'au moins tu me reconnais ? Est-ce que tu te rappelles au moins de mon nom ? »

« Shiho… »

Les lèvres de la jeune femme se plissèrent en un sourire sarcastique tandis que le prisonnier s'adressait à elle.

« Tu te souviens encore de ton épouse…Donc la situation n'est pas aussi désespérée que je l'avais craint…. »

« Shiho… Où sommes-nous ? »

« Nous ne sommes pas en prison si c'est cela qui te fait peur… Je ne suis quand même pas sans cœur au point d'envoyer mon cher et tendre époux derrière les barreaux…Enfin pas derrière des barreaux dont je ne possède pas la clé en tout cas… »

« Pourquoi est ce que.. ? »

« Contrairement à l'idiot de détective avec qui je partage ma vie, je ne me sens pas obligée de dénoncer à la police un criminel quand je l'aie découvert… Tu restes celui que j'aime malgré ce que tu as essayé de faire à notre enfant… »

Shinichi écarquilla les yeux au fur et à mesure que la signification des paroles qu'il venait d'entendre pénétrait dans son esprit.

« Ce que j'ai fait…a notre fille ? »

« Tu ne te souviens vraiment pas de ce qui s'est passé ? »

Oh que si, il s'en souvenait fort bien, à son plus grand malheur…Comment aurait-il pu oublier ce qui s'était passé cette nuit là ?

Lisant la réponse à sa question dans le regard de son époux, Shiho garda le silence en le fixant avec une expression mélancolique.

« Est-ce qu'elle va bien ? »

La jeune femme acquiesça sans dire un mot.

« Est-ce que tu peux me laisser sortir ? Je dois la voir pour en être sûr… »

« C'est hors de question…Tu ne quitteras pas cette pièce tant que je ne me serais pas assurée que tu n'essaieras pas de lui faire du mal de nouveau. »

Le détective demeura muet plusieurs minutes, se demandant de quelle façon il allait devoir s'y prendre pour convaincre son épouse qu'il ne s'en prendrait jamais à leur fille. Mais avant cela, il devait s'assurer qu'elle était encore de ce monde, craignant par-dessus tout que celle qui venait de l'enfermer cherche à lui dissimuler la terrible vérité auquel il allait devoir faire face si ses craintes s'avéraient justifiées…Et elles avaient malheureusement toutes les raisons de l'être…

« Est-ce que tu pourrais au moins l'amener ici ? Je voudrais juste…la regarder…»

« J'aurais bien voulu accéder à ta requête mais malheureusement cela m'est impossible…Elle s'est enfuie de la maison…cette nuit là…pendant que tu te vidais de ton sang…Et cela fait maintenant deux jours que je suis à sa recherche…Sans succès… »

Est-ce qu'elle lui disait la vérité ? Elle semblait sincère mais il savait pertinemment qu'elle était parfaitement capable de lui dissimuler ses émotions aussi bien que ses pensées… Et quand bien même elle serait elle-même persuadée que ce qu'elle venait de lui dire était la vérité, cela ne serait guère plus rassurant…

Si leur fille était vraiment morte cette nuit là, elle aurait été la dernière personne au monde à pouvoir l'accepter. Et il était bien possible qu'inconsciemment elle soit parvenue à se convaincre que leur enfant s'était vraiment enfuie hors de portée de son assassin…Oh oui, c'était parfaitement possible, il le savait…

Allait-elle le laisser enfermé là toute sa vie pour ne pas qu'il découvre son mensonge ? Allait-il devoir rester là, impuissant, à attendre la mort sans savoir si sa fille était encore de ce monde ou non? S'il voulait éviter cela, il devait absolument convaincre la chimiste de le libérer mais comment allait-il bien pouvoir y arriver?

« Ecoute, tu sais bien que si tu me laisse sortir, il ne me faudra que quelques heures pour la retrouver… »

« Et c'est bien pour cela que je ne te laisserais pas sortir…Oh que non, mon cher époux…Tu resteras ici jusqu'à ce que je me soit assurée que notre fille soit enfin délivrée de ses souffrances, et pour y arriver, je dois être certaine que tu m'empêcheras pas de faire ce qui est nécessaire pour cela… »

Elle voulait s'assurer qu'Ai soit délivrée de ses souffrances…Il n'en doutait pas un instant, et c'est bien ce qui lui faisait peur, car il savait fort bien de quel manière elle comptait s'y prendre pour atteindre ce but si louable…Et il était en effet hors de question qu'il la laisse faire si leur fille était vraiment en vie…

« Laisse moi t'aider à le faire…Je désire autant que toi aider Ai… »

Son épouse le dévisagea avec une expression narquoise.

« Oh mais je n'en doute pas…Mais je ne pense pas que tu partages les même idées que moi sur la meilleure façon de s'y prendre pour cela… »

En toute sincérité, il aurait pu difficilement le nier…Mais il n'avait pas à être sincère s'il voulait sauver son épouse et sa fille…

« Peut-être pas autant que tu le crois… »

La jeune femme le scruta quelques instants avant d'éclater de rire.

« Voyons Shinichi…Est-ce que tu me prend vraiment pour une idiote ? Après presque vingt années de mariage, j'espérais quand même que tu ais compris que c'était loin d'être le cas… »

Presque vingt ans de vie commune…Tant de temps s'était écoulé sans qu'il s'en soit rendu compte. Mais comment aurait-il pu le faire quand n'importe qui d'autre que lui n'aurait justement pas donné vingt ans à son épouse ?

Tant d'années qu'ils avaient traversés ensemble sans qu'elles laissent la moindre trace de leur passage sur eux…Du moins, la moindre trace visible…

« Tu te souviens du jour où tu m'avais enfermé dans le laboratoire du professeur avant d'aller affronter Vermouth à ma place ? Qui aurait cru que, vingt ans plus tard, les rôles seraient inversés… »

Le détective se mit à avoir un sourire triste.

« Je m'en souviens…Mais je me souviens aussi que tu avais réussi à t'enfuir malgré toutes mes précautions, alors si les rôles sont vraiment inversés… »

« Et le résultat c'est que j'ai failli provoquer ma mort et la tienne…Navré, mais je tâcherais d'éviter que tu commettes la même erreur que moi… »

Se levant de sa chaise, l'épouse du détective s'avança en direction de la sortie de la pièce après avoir jeté un dernier regard à son époux derrière les barreaux.

« Si tu veux bien m'excuser, j'aurais bien voulu rester avec toi et profiter de l'occasion pour aborder tous les sujets qui sont restés en suspens entre nous, en étant sûre que, cette fois, tu ne te déroberais pas…mais malheureusement il y a de nombreuses choses auxquelles je dois me consacrer pour le bien de notre enfant…et le nôtre…A plus tard, Shinichi… »

Contemplant d'un air sombre la porte que venait de refermer sa femme, Shinichi frissonna en songeant que cette porte lui évoquait plus le couvercle d'une tombe que d'une cellule.

Mais cette peur ne fût rien par rapport à celle qu'il ressentit lorsqu'il se mit à réfléchir à ce que pouvait être en train de faire celle qui le séquestrait… Etait-elle partie faire disparaître le corps qui s'interposait entre eux ?

Si leur fille était bien morte, cela devait être on ne peut plus logique dans l'esprit de Shiho de procéder ainsi…En se débarrassant de la preuve la plus évidente du meurtre, elle éviterait à son mari de passer le reste de ses jours dans une prison, du moins dans une autre prison que celle où elle le faisait déjà croupir, et surtout, elle ferait disparaître la seule chose qui aurait pu lui prouver que sa fille ne reviendrait plus jamais à la maison…

Passer le restant de ses jours avec une épouse qui préférerait s'enfoncer dans la folie et attendre le retour de sa fille qui avait simplement fuguée plutôt que d'admettre qu'elle était morte de la main d'un de ses parents, la perspective était loin d'être réjouissante… D'autant que s'il n'y prenait pas garde, il risquait bien de partager la folie de son épouse…

S'il voulait avoir une chance d'éviter ça, et peut-être même une chance de délivrer son enfant de ses tourments, il devait absolument sortir d'ici…

Malheureusement il était incapable de réfléchir à un moyen de s'évader de cette cellule... Des scènes plus atroces les unes que les autres venaient le hanter sans qu'il puisse rien faire pour arrêter cela…

Shiho creusant un trou dans le jardin de leur maison pour y ensevelir le corps d'une fillette…

Son épouse jetant dans l'océan un sac lesté d'un bloc de ciment…

L'ex-scientifique en train d'immerger un cadavre dans un réservoir d'acide…

La mère de son enfant occupé à brûler dans un haut fourneau le corps de sa propre fille…

Comme il regrettait en cet instant sa longue expérience de détective tandis que la multitude de crimes qu'il avait résolus lui inspirait des pensées aussi morbides.

Il sentit des larmes couler le long de ses joues tandis qu'il s'allongeait sur le lit où il s'était éveillé. Allait-il être condamné à demeurer éternellement dans l'incertitude, sans savoir s'il avait ou non réussi à délivrer sa fille des souffrances qui menaçaient de s'abattre sur elle cette nuit là ?

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La jeune femme regardait d'un air rêveur sa propre main tenant son pinceau aller et venir sur la toile, donnant petit à petit vie à l'image qui n'existait auparavant qu'au fond de son âme… Depuis combien de temps rêvait-elle de peindre ce tableau ? Des semaines ? Des mois ? Des années ?

Elle ne savait plus mais elle se souvenait des centaines de tentatives qu'elle avait déjà faite pour donner corps à ce rêve évanescent qui lui apparaissait parfois tel un rayon de soleil au milieu de ses cauchemars…Elle se souvenait de ses appréhensions lorsqu'elle s'était installé devant cette toile vierge plusieurs minutes auparavant…

De sa peur que cette image si chère à son cœur disparaisse avec elle… Mais à présent, pour la première fois de sa vie, elle se sentait libre…Libre de peindre ce qu'elle voulait sans être condamné à reproduire indéfiniment les mêmes scènes terrifiantes qui peuplaient chacune de ses nuits depuis tant d'années…

Tant d'années avant de pouvoir être enfin capable de peindre la toile auquel elle voulait donner naissance depuis si longtemps… La toile qui exprimerait le dernier message qu'elle voulait lui transmettre avant de mourir…

« Est-ce que tu crois qu'elle comprendras quand elle la verras ? »murmura l'artiste en se tournant vers la personne qui était installée sur son lit en train de la regarder peindre.

Le silence fût la seule réponse qu'elle reçut à sa question. Est-ce que qu'elle n'avait pas parlé assez fort pour que celui à qui elle s'était adressée puisse lui répondre ? Celui à qui elle s'était adressée…ou bien celle à qui elle s'était adressée ? Elle n'arrivait pas à se souvenir, et de toutes façons dans son état, le monde qui s'étendait au-delà de quelques mètres lui apparaissait déjà comme un brouillard coloré peuplé d'êtres et de choses floues aux contours dépourvus de consistance… Quelle peinture magnifique elle aurait pu réaliser à partir de là…Mais il était trop tard maintenant…

Tant pis, elle n'avait plus aucun regret, si elle pouvait juste achever cette toile alors elle pourrait mourir en paix…

Auparavant, elle avait toujours eue l'impression, quand elle peignait, d'être possédée par un démon se servant d'elle pour coucher sur la toile ses pensées les plus atroce tandis que maintenant elle savait que c'était elle, et elle seule, qui peignait.

Posant délicatement son pinceau dans le récipient qui débordait d'un liquide écarlate, elle admira l'œuvre qu'elle venait de faire avec un sourire radieux.

Oui c'était exactement cela…Il n'y avait rien à y ajouter ou à y retrancher…Elle ne pourrait jamais se rapprocher plus de son rêve qu'elle ne venait déjà de le faire…

A présent, elle pouvait se reposer…Oui se reposer…Elle ferma les yeux, ne luttant plus contre l'engourdissement qui menaçait de la submerger mais le laissant au contraire l'engloutir avec volupté…

Quelques instants plus tard, la personne qui venait d'assister aux derniers instants de l'artiste se rapprocha d'elle avant de prendre son pouls.

Elle contempla en souriant le visage apaisé de celle qui venait de quitter ce monde, on aurait dit un ange.

« Oui, je suis sûr qu'elle comprendra…Ne t'inquiète pas, j'y veillerai… »murmura-t-elle à son oreille bien qu'elle ne pouvait déjà plus l'entendre…