Prélude - Bas-fonds de Coruscant — 32 (après la Bataille de Yavin)
Si les tavernes, casinos et boîtes de nuit étaient monnaie courante dans les Bas-fonds de Coruscant, les joutes organisées illégalement l'étaient moins. Par conséquent, lorsque celles-ci se mettaient en branle, elles étaient courues par tout ce que Coruscant avait de malfaiteurs, de truands, de contrebandiers, de chasseurs de primes et de criminels de tout acabit en plus des citoyens ordinaires qui venaient y chercher leur dose d'émotions fortes et y faire de l'argent dans des paris bien placés.
Quand Deryn Keloers s'était inscrite aux Jeux de l'Arène des Bas-fonds, elle savait qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible pour elle. C'était des combats de haut calibre, regroupant des participants de toutes espèces, sans peur et sans pitié, extrêmement doués dans cet art. Deux combats sur cinq se terminaient par la mort d'un des adversaires. Elle ne craignait ni la mort ni la douleur, mais elle avait conscience que l'un de ces combattants pouvait être plus doué, plus fort et plus rapide qu'elle. En réalité, elle était convaincue qu'il y en avait plus d'un, mais elle ne se permettait pas de douter d'elle. Elle devait gagner ces jeux. Pour cela, elle devait donc se fier à son savoir-faire, sa force, sa rapidité et son esprit stratège pour y parvenir. Elle ne pouvait compter que sur elle-même.
Elle refit en souvenir le chemin des six derniers mois : elle avait affronté 22 adversaires, dont 4 étaient désormais froids. Sur ces 22 combats, elle n'en avait perdu que trois. Consciente du rôle qu'elle devait jouer, elle avait stratégiquement perdu ces combats, choisissant des adversaires qu'elle considérait suffisamment crédibles pour que cela passe pour une faiblesse passagère de sa part, sans entacher la réputation qu'elle avait construite. Elle était devenue une coqueluche parmi les amateurs. Son apparence physique qui lui avait tant desservi au début du tournoi, la faisant passer pour une petite chose fragile, était devenue maintenant l'emblème de sa force et de son génie. Ses partisans parlaient de sa beauté, fiers que leur préférée ne soit pas un vilain pou comme certains autres combattants.
Deryn n'en avait que faire de leurs commentaires. Son apparence physique n'était qu'un outil comme son pistolet blaster ou ses poings. Elle s'en servait quand cela pouvait lui être utile. Elle n'avait qu'un seul objectif en tête et elle ne le perdait jamais de vue. Une fois celui-ci atteint, l'autre partie du plan se déploierait et elle aurait un autre rôle à jouer. Jusque à ce moment, elle concentrait ses énergies sur les combats et ne s'offrait aucune distraction.
Rakun, celui qui avait facilité le chemin pour elle jusqu'à l'Arène, avait maintes fois eu l'occasion de se demander si la jeune femme n'était pas un peu folle de combattre dans l'Arène. Elle y risquait sa peau à chaque fois. Pour lui, Deryn Keloers était une jeune femme courageuse, déterminée, astucieuse et dotée d'une capacité d'adaptation extraordinaire. Il croyait que ses talents seraient mieux exploités ailleurs que dans cette boucherie !
Huit mois plus tôt, quand elle était venue le voir pour lui demander de pousser son inscription pour les Jeux de l'Arène des Bas-fonds de Coruscant, il s'était étouffé dans son rhum corellien vieilli vingt ans, perdant ainsi une précieuse gorgée de cet alcool coûteux. Sa stupéfaction ne faisait que commencer ! Pour Deryn, les Jeux n'étaient qu'une façon de se faire remarquer et embaucher par Etuh Samwell, un seigneur du crime. Il avait protesté, disant que si c'était là son souhait, il y avait d'autres façons de se faire employer par Samwell : il pourrait la recommander à un ami d'un ami qui frayait dans les cercles de ce seigneur du crime. Elle avait refusé, prétendant qu'elle voulait y aller incognito, mais n'avait pas élaboré plus que cela. Samwell recrutait parmi les combattants des Jeux de l'Arène et elle savait que bientôt, il aurait besoin de gardes du corps et voulait être la personne responsable de sa sécurité. Rakun la questionna sur ses motivations, tentant encore de la faire changer d'idée, mais à la fin, Deryn lui asséna le coup de grâce en invoquant sa dette de sang envers elle. Un Cathar n'oublie jamais une dette, surtout une dette de sang. Résigné, il avait accepté et Deryn l'avait assuré que cela effacerait sa dette en entier, mais s'il soufflait mot de cela à quiconque, elle considérerait qu'il avait trahi leur entente, ce qui était pire que tout pour un Cathar. C'était l'ultime menace et Rakun soupçonnait, avec raison, que Deryn ne lui disait pas tout. Il scella sa promesse de son propre sang. Deryn lui exposa ensuite les termes du contrat.
Il trouvait que l'échange n'était pas équitable, mais il avait promis. Alors qu'elle combattait et remportait pratiquement tous ses combats, Rakun avait judicieusement placé ses pions afin de mettre le plan de Deryn en place. Aujourd'hui, après tous ces mois de manigances et de manipulations, il était parvenu au but.
Il alla retrouver Deryn qui était assise seule dans un coin du vestiaire nauséabond, la veille du combat final des Jeux de l'Arène. Il ne lui restait plus qu'à vaincre ce soir pour être dans le championnat.
Elle leva la tête à son arrivée, son visage inexpressif, mais Rakun la connaissait maintenant assez bien pour savoir que ce n'était qu'une façade. Au fil des mois, ils avaient développé ce qu'il convenait d'appeler une étrange amitié.
« Tu es dedans, » dit-il simplement.
Elle resta sans rien dire pendant de longues secondes.
« Merci Rakun. »
Ce dernier sortit sans rien ajouter, en se demandant ce qu'il venait de faire.
Sous le nom acclamé de Miri Goya, Deryn remporta son combat ce soir-là et passa dans la finale du championnat des Jeux de l'Arène des Bas-Fonds de Coruscant.
En arrivant à l'arène le lendemain, Deryn se sentait fébrile, nerveuse et légèrement mélancolique. Elle n'avait pas son droïde avec elle depuis plusieurs mois et il lui manquait. Son unité BB avait le don de la faire rire et de la distraire, mais c'était justement ce dont elle n'avait pas besoin en ce moment. BB2 devrait attendre.
Le vestiaire était désert, car il n'y aurait qu'un seul combat ce soir, le sien, l'opposant à Par Qofa, un Weequay terrifiant dont le seul nom faisait trembler ses adversaires défaits. « Ceux vivants, bien entendu », ajouta-t-elle pour elle-même. L'écho de son rire alla s'écraser sur les murs, lui faisant sentir combien elle était seule. Une fois assise sur le banc qui longeait un mur gris, incrusté de saletés, elle retira de sa poche son communicateur qu'elle tint dans sa main un long moment. Personne ne l'attendait nulle part. Elle avait dit au revoir à la seule personne qui savait exactement dans quelle aventure elle s'embarquait.
Elle rangea son comm dans son sac.
Une demi-heure avant le début du combat, Rakun entra dans le vestiaire, arborant un veston doré tellement brillant qu'elle dut se cacher les yeux pour le regarder.
« Tu fais concours au soleil maintenant? » qu'elle lui demanda en souriant faiblement.
Elle avait un peu mal au cœur à vrai dire et avait perdu de son habituel mordant.
Rakun le remarqua et prit place à côté d'elle, l'air soucieux.
« Ça va aller? »
« Bien sûr! » mentit-elle, un grand sourire aux lèvres.
Rakun n'était pas dupe, mais évita d'approfondir le sujet.
« Il ne me reste plus qu'à survivre à ce combat! » s'exclama-t-elle joyeusement.
Rakun lui jeta un regard perplexe. Il ne s'était jamais habitué à son humour. Décidément, Deryn était la belle femme la plus singulière qu'il eut connut. Elle se sentait tellement incomprise ! Rakun se leva et elle se leva avec lui. Il la serra dans ses bras et lui souhaita bonne chance. Deryn trouva que cela ressemblait drôlement à un adieu. Ou à un arrêt de mort. Elle ne savait pas lequel des deux elle trouvait le plus sinistre.
« Tu es seule à partir de maintenant, » lui dit-il.
« Merci encore Rakun. Et… Rakun ? Que la Force soit avec toi ! »
Rakun secoua la tête et sortit du vestiaire sans plus rien ajouter. La porte se referma sur lui sans bruit et Deryn se retrouva définitivement seule.
Quand elle arriva aux abords de l'arène, celle-ci était plongée dans la pénombre la plus totale. Elle entendait les murmures de la foule, mais celle-ci demeurait invisible à ses yeux. Elle se rappela l'arène, les spots de lumière qui se braquaient sur les combattants, les visages anonymes, excités, assoiffés de sang qui s'écrasaient contre les murs grillagés qui se perdaient dans les hauteurs de l'arène. Aucune issue de secours outre la mort de son opposant cette fois-ci. Ou la sienne.
Dans les gradins, Rakun devait l'observer, priant la Source de toutes vies de la laisser gagner. Ailleurs, au loin, sur une base qu'elle ne pensait pas revoir se trouvait la personne à la tête de la cause à laquelle elle avait prêté allégeance : le général de la Résistance, Léïa Organa. Elle demanda à la Force de la guider en toutes choses et pénétra dans l'arène.
Dans la pénombre de l'Arène, au milieu des partisans surexcités, des effluves d'alcool et de l'odeur particulière propre aux Bas-fonds – un mélange de vieille huile et d'air recyclé -, l'agent Kris Pivun de la Résistance, sous le déguisement d'un chasseur de primes, attendait le début du combat. La foule se pressait autour de lui sans jamais l'effleurer comme si quelque chose dans sa façon d'être lui envoyait le signal d'alarme de se tenir loin.
Autour de lui, les murmures excités des spectateurs se répandaient, montant en crescendo avec l'arrivée imminente des adversaires. L'atmosphère y était fébrile, nerveuse. Il laissa son regard se promener sur les visages tendus d'anticipation près de lui et se surprit à ressentir cette même tension, ce même plaisir contagieux.
Une lumière s'alluma subitement au centre de l'arène, faisant rugir la foule. Deryn s'avança dans la lumière et salua les gens assis dans les gradins. Des acclamations exaltées fusèrent de toutes parts. Kris ressentit plus qu'il ne vit la convoitise, l'adulation, l'envie.
Elle n'était pas la favorite, mais elle avait su gagner la sympathie de plusieurs partisans. Lorsque Par Qofa arriva dans l'enceinte quelques instants après elle, les cris et hurlements des spectateurs emplirent la place, dans une cacophonie assourdissante.
Qofa lui jeta un regard indifférent, comme si elle ne méritait pas vraiment d'être son adversaire malgré ses nombreuses victoires. Tout dans son attitude disait combien il était confiant de ne faire qu'une bouchée de cette humaine, mais cela faisait partie du personnage et Kris n'était pas trop inquiet. Il savait ce dont Deryn était capable et avait confiance en elle.
Quant à Deryn, elle était nerveuse, un peu effrayée et en même temps absurdement confiante. C'était ridicule bien sûr. Elle devait affronter et combattre le Weequay, champion de cinq titres des jeux clandestins des Bas-fonds de Coruscant. Elle se mit à la place de Par Qofa et se visualisa, elle, une humaine au début de la trentaine, athlétique certes, mais fragile, si fragile avec son beau visage dans lequel brillaient deux yeux couleur topaze et d'où semblait émaner une certaine vulnérabilité. Deryn comptait sur l'image qu'elle projetait et elle pouvait voir son adversaire l'écarter comme on écarte un moustique embêtant.
À elle de bien jouer son jeu.
L'arbitre signala le début du combat et se retira dans un coin à l'abri de l'arène. Il ne fallait pas compter sur son intervention si le match devenait plus corsé. Il n'arrêterait le combat que lorsque l'un des deux adversaires se rendrait ou serait mort ou pour chaque ronde.
Le Weequay s'avança vers elle d'un pas confiant, ses yeux noirs l'évaluant paisiblement, sans crainte, car il n'avait rien à craindre non ?
Ils firent le tour de l'arène en s'observant. Le Weequay avait une peau coriace, difficile à percer et qui était capable d'encaisser les coups sur une longue période. Il portait une veste de cuir qui, racontait-on, avait taillée dans la peau d'un ancien vaincu.
Elle pivota et lui balança son pied droit à la hauteur de l'estomac. Qofa empoigna son pied et l'envoya valser dans le grillage. En s'écroulant par terre, Deryn grinça des dents sous le choc, mais se releva rapidement. Elle se décida pour une contre-attaque de type coups de poing torse-mâchoire. Malgré le grognement étouffé qu'il échappa, il ne semblait pas perturbé par ses coups. Il s'avança vers elle, tranquille, et la frappa à la mâchoire. Un craquement sourd se fit entendre malgré le chahut de la place. Le coup la fit reculer et le goût ferreux du sang emplit sa bouche. Elle cracha par terre et fixa des yeux qui se voulaient terrifiés sur son adversaire, mais le regard attentif pouvait y lire un froid calcul. Les minutes suivantes, Deryn reçut une pluie de coups, tant au ventre qu'au visage. Ses yeux étaient tuméfiés, sa bouche était ensanglantée. Sa vision devenait floue rapidement. La foule s'était tue en voyant son visage apparaître sur le seul écran de la place.
Dans sa tête, ni peur ni crainte ni frayeur. Son esprit était calme et elle perçut les faiblesses de son adversaire. Inutile de tenter de l'attaquer sur ses organes vitaux qui étaient bien protégés par son épaisse peau. Elle se décida à le laisser s'approcher.
Qofa l'empoigna et la poussa au sol et la frappa au visage à de multiples reprises. Deryn, les bras sur le plancher, souleva son bassin et enroula ses jambes autour de Qofa. Ses mains, agrippèrent son chandail et le releva jusqu'à son cou. D'un mouvement secz, elle tordit les extrémités du chandail qu'elle ramena vers l'avant et serra. Qofa tenta de se libérer mais il était pris en étau dans ses jambes et l'air commençait à lui manquer. Ses yeux exorbités la fixaient, terrifiés. Il tenta de porter les mains à son cou, mais il n'avait pas assez de manœuvre. Elle accentua la torsion et le visage de Par Qofa vira au bleu. Sa langue sortit de sa bouche et un gargouillis en sortit, puis plus rien.
Kris Pivun porta son comm à sa bouche et y déclara :
Elle y est.
