SANG BLANC :


À la une de la gazette cette semaine :

"LA MYSTÉRIEUSE DISPARITION D'UNE HÉROÏNE DE GUERRE TROIS MOIS APRÈS LA GRANDE BATAILLE !"

On est toujours sans nouvelle d'Hermione Granger, disparue dans la nuit du 27 au 28 juillet.

Selon nos informations, la dernière fois qu'elle à été aperçue, elle rentrait à son domicile accompagnée d'une jeune femme inconnue. Au moment de sa disparition, elle portait un pull de couleur rouge et un pantalon beige.

De nombreuses hypothèses sont ouvertes : enlèvement, disparition volontaire, hospitalisation prolongée... Aucune piste n'est encore privilégiée et le département des Aurors a refusé notre demande d'interview et de regard sur l'enquête en cours.

Nous avons sollicité un entretient avec Monsieur Harry Potter ainsi qu'avec la famille Weasley, cependant aucune de nos demandes n'a abouti.

Pour tout renseignement, veuillez vous adresser au service enquête de notre journal (voir l'adresse en fin de numéro).


La première chose qu'Hermione remarqua en ouvrant les yeux ce matin-là, c'était qu'elle était en retard. Terriblement en retard. Il lui fallut trente secondes pour se lever et un peu plus du double pour enfiler sa tenue de la veille. Une simple chemise bleue marine assortie d'une jupe et d'une grosse écharpe noire.

Elle déboula dans la cuisine, les cheveux en pétard, sous l'œil amusé d'Alice, sa colocataire et compagne.

"Panne de réveil ?" Demanda la jeune femme, l'air narquois. Ces retards étaient devenus monnaie courante, d'autant plus qu'en plein hiver le soleil tardait à se lever, et qu'Hermione faisait de même.

La jeune femme se contenta d'un petit haussement de tête comme réponse.

Alice lui tendit un sac en papier dans un sourire. "Tiens, je t'ai fait des crêpes. Si tu pars maintenant tu peux encore avoir ton train. N'oublie pas tes clés. Je rentre tard ce soir, j'ai une réunion avec la direction et les autres professeurs alors je t'ai laissé du cake pour le goûter."

"Ma sauveuse... Passe une bonne journée ! J'irai faire les courses en rentrant." Elle laissa la blonde passer doucement sa main dans ses cheveux et lui embrassa tendrement la joue avant de partir. Elle ramassa rapidement son sac qui traînait dans l'entrée et se précipita vers la sortie.

Encore endormie, elle ouvrit la porte d'un geste trop brusque et manqua de se casser la figure. Une demi-heure plus tard, elle s'asseyait sur les bancs de son auditoire pour deux heures de cours de physique nucléaire.

Au fond, elle avait un peu choisi ses études par hasard. Elle était allé s'inscrire en dernière minute et la secrétaire de la faculté lui avec demandé avec cet agacement pressé propre aux secrétaires dans quelle branche elle voulait étudier.

Manquant d'inspiration, elle avait répondu la première chose qui lui était passée par la tête et elle s'était rapidement retrouvée en sciences appliquées. Après réflexion, ce n'était pas une mauvaise chose. Ses matières préférées à Poudlard avaient toujours été la métamorphose et les potions, et il fallait reconnaître que ça lui avait beaucoup servi.

Trois ans plus tard, elle ne le regrettait pas une seule seconde.

Son retour dans le monde moldu lui avait fait beaucoup de bien. Après la guerre, elle avait ressenti le besoin viscéral de retourner à ses racines et de s'apaiser. Elle s'était épanouie dans ses études, et, surtout, elle était amoureuse.

Alice était sa bouffée d'oxygène, sa rédemption après toutes ces morts.


Hermione et Alice s'étaient rencontrées dans un bus. C'est toujours délicat un homme qui aborde une femme sans la connaître, ça l'est encore plus quand c'est une femme qui en aborde une autre. L'incertitude d'être mal reçue est omniprésente, et les femmes à femmes sont d'une nature discrète. La plupart du temps.

Hermione avait l'habitude d'être abordée par des garçons. Elle mettait cet état de fait sur la personnalité des hommes plutôt que sur son physique dont elle ignorait consciencieusement la beauté. Elle répondait de façon automatique qu'elle était occupée, pas intéressée ou pressée, selon la situation.

Cette fois-là, elle dérogea à la règle. Peut-être parce celle qui l'abordait était une femme, peut-être parce que c'était Alice. Au fond, les deux se confondaient en une myriade de sentiments contradictoires qui la poussèrent à sourire à l'inconnue qui lui proposait aimablement d'aller boire un verre en sa compagnie.

Il y avait dans les yeux de la blonde une sorte de fragilité déterminée qui avait accroché l'ancienne Gryffondor. Fidèle à sa maison, elle lui avait emboîté le pas.

Elles avaient discuté devant un verre de vin blanc, puis un deuxième, et avaient fini la soirée passablement éméchées à discuter sur le parvis d'une église. Finalement, Alice et Hermione étaient rentrées chacune de leur côté, leurs répertoires respectifs contenant un numéro de plus.

Les deux femmes s'étaient revues plusieurs fois, et chaque rencontre avait été un enchantement de plus. Un jour, elles étaient allées dans une librairie et Hermione avait demandé à Alice quel était son auteur préféré.

Elle avait observé un instant son homologue réfléchir, semblant être plongée dans un dilemme sans fin.

"Si elle me répond Kundera, je l'épouse" Pensa Hermione, dont c'était indiscutablement l'auteur favori.

"J'adore Kundera" Avait répondu Alice.

Hermione l'avait fixée comme une effraction à la réalité.

Leur histoire était d'un ordinaire extraordinaire, tant et si bien qu'elles finirent par s'embrasser un soir de pluie, comme sorties de tout bon roman qui se respecte, à la plus grande surprise de la sorcière.

Elle ne s'était jamais intéressée aux autres pour ce qu'ils étaient vraiment. Pas le temps, pas l'envie, pas besoin et des tas d'autres "pas". La guerre y avait joué un rôle certain. Avant d'avoir rencontré Alice, elle était même persuadée que les personnes qui étaient en couple l'étaient plus pour se rendre intéressants et pour trouver un sens à une vie qui n'en avait pas.

Avec la blonde, la situation se voilait de couleurs différentes.

Elle n'était pas amoureuse, bien sur. Elle ne la trouvait ni particulièrement spéciale ni spécialement particulière, au début. Elle n'avait pas envie de se blottir dans ses bras comme les blondes dans les films le font avec leur prince charmant. Le monde ne s'éclairait pas quand elle la voyait.

Non, rien de tout ça.

Elle était juste bien avec elle, tranquillement heureuse quand elles parlaient. C'était tout, c'était beaucoup.

Sur le coup, l'idée que c'était peut-être ça, "être amoureuse", ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Ou si peu.

C'était venu lentement, comme le printemps succède à l'hiver.

Et elles avaient emménagé ensemble, en plein mois de Janvier, dans un petit appartement de la banlieue londonienne.


La routine qui s'était installée dans le couple n'avait en rien érodé l'affection qu'elles se portaient l'une à l'autre.

Les amis d'Alice étaient finalement devenus ceux d'Hermione. La vie universitaire avec le charme de la liberté des soirées au bar du coin. Quand elles étaient seules, elles discutaient littérature ou savouraient simplement leurs présences respectives.

Hermione détestait cuisiner, Alice adorait ça. Alice avait peur des araignées, et Hermione les écrasait courageusement sous sa semelle quand sa compagne hurlait. Avec une pointe d'amusement jamais dissimulée. Elle avait connu des araignées... Comment dire ? Plus imposantes.

Elles avaient visité l'Europe, en commençant par l'Italie. La Gryffondor n'avait jamais donné d'explications à sa compagne quant-à la raison pour laquelle elle refusait de se rendre en Australie malgré les supplications incessantes de la blonde.

Alice savait que la brune lui cachait beaucoup de choses, elle semblait parfois comme venir d'un autre monde. Mais puisque son amoureuse ne souhaitait visiblement pas en parler, elle ne posait pas de question. Elle gardait simplement en elle le secret espoir qu'un jour elle finirait par parler.

La blonde était professeur de français dans un lycée réputé de la capitale. Elle adorait son métier, le contact avec les élèves et celui avec ses collègues. La seule chose qu'elle ne supportait pas, c'était les corrections.

Le weekend, Hermione était souvent fatiguée. Le dimanche, elle aimait lire sur le canapé, avec une vue imprenable sur sa compagne qui travaillait sur un petit bureau rouge dans un coin du salon. À bien y réfléchir, lire était plus un prétexte qu'autre chose pour la regarder.

Quand Alice réfléchissait, ses sourcils s'arquaient dans des courbes surprenantes et la Gryffondor pouvait deviner aisément si la copie était bonne ou si elle ne l'était pas. Parfois, elle laissait même échapper quelques jurons originaux.

Quand elle sentait que sa compagne en avait marre, elle se levait et allait dans la cuisine pour faire un thé. La blonde la suivait toujours et elles faisaient une pause ensemble. Hermione adorait ces moments privilégiés qui faisaient l'essence de ce qu'elles étaient. Un couple. Dans la soirée, elles partaient se promener et regardaient le coucher du soleil. Peu importait quand il se couchait.

La vie était si paisible quand elles n'étaient qu'à deux que rien ne laissait présager que tout allait bientôt changer.


Alice s'était réveillée un matin avec des bleus étranges sur le bras. Depuis quelques temps, elle s'inquiétait.

Elle n'avait rien dit à Hermione pour ne pas l'alerter inutilement, mais elle se rendait bien compte que la brune se doutait de quelque chose. Un soir, tandis que sa compagne dormait, elle avait senti un goût étrange dans sa bouche et était allée dans la salle de bains où elle s'était rendue compte avec effarement qu'elle saignait de la gencive et du nez. C'était la quatrième fois de la journée.

Oui, Alice s'inquiétait. Elle était beaucoup trop fatiguée.

Quelque chose clochait.

Finalement, même son médecin en vînt à s'inquiéter. Le printemps était plus que clément cette année-là, et pourtant elle en était à sa troisième bronchite.

Il fallut deux semaines pour que les résultats des analyses de sang qu'il lui avait fait passer n'arrivent dans sa boite aux lettres. Heureusement où malheureusement, ce fut Hermione qui ouvrit le courrier ce jour-là. Quand elle lui passa la lettre estampillée du logo de l'hôpital du quartier, Alice crut défaillir.

Le regard de sa compagne reflétait toute la peur et la fragilité du monde.

Le sien se voila de larmes contenues.

Lorsqu'elle saisit l'enveloppe de papier blanc, ses mains tremblaient. Elle l'ouvrit avec une lenteur qui trahissait sa peur. Hermione se leva et posa ses mains sur les épaules de la blonde.

"Quoi qu'il y ait dans cette lettre, on fera face à ça à deux, ok ?"Murmura-t-elle.

Alice hocha la tête et déplia la lettre. Elle la parcourut rapidement, passant les formules de politesse et le charabia médical incompréhensible et passa à l'essentiel.

Elle du relire trois fois pour comprendre ce qui était écrit, priant pour que la sentence se modifie si elle le lisait une fois de plus.

La jeune femme se fit la réflexion que la vie tenait à peu de choses. Un simple mot pouvait changer la donne.

Leucémie, par exemple.


La suite de la soirée fut floue dans l'esprit des deux femmes. Hermione, n'y tenant plus, avait fini par ôter doucement la feuille des mains de la blonde pour la parcourir à son tour.

Tout ce dont Alice se souvint, c'était des bras de sa compagne qui lui encerclèrent la taille toute la nuit.

Et qu'elles ne dormirent pas.

Pour la première fois depuis plus de trois ans, la brune était partie s'acheter un paquet de cigarettes qu'elles avaient fumé sur le balcon. Ultime ironie face au cancer qui rongeait insidieusement la blonde.

Elles se regardaient simplement, ne sachant quoi dire. Les mots dépassaient étrangement le cadre de cette tragédie qui se jouait dans l'appartement.

Les semaines qui suivirent, Alice les passa à l'hôpital.

Elle n'aimait pas l'hôpital. Même avant de tomber malade elle détestait cette impression de sentir le malheur des précédents occupants suinter des chambres.

Le blanc des murs lui rappelait sans cesse sa maladie, le faux sourire compatissant des infirmières qu'elle était condamnée et la présence d'Hermione qu'elles passaient leurs derniers moments ensemble.

Inexorablement, son état empira et, deux jours après ses 25 ans, le médecin lui annonça que les soins ne suffiraient pas. Il avait l'air encore plus désolé qu'Alice, comme si ce qu'il avait du mal à encaisser était l'échec de la médecine, et pas tant la mort d'une femme.

Une femme qui était condamnée à mourir avant ses 26 ans. Bien avant.

Ce constat l'avait étrangement apaisée. Au moins, il n'y avait plus de place pour l'incertitude et la peur panique du verdict qui lui tiraillait le ventre depuis des semaines.

Hermione, elle, vivait dans le déni. Déconnectée de la situation, elle ne se levait plus que pour les moments passés avec celle qu'elle aimait.

Elle avait connu les morts, et pourtant rien ne l'avait préparé au terrible moment où elle sut que son amoureuse allait mourir. Pendant la guerre, on vivait au jour le jour. Tant que les proches rentraient de combat, ils n'étaient pas morts. Ici, la situation était différente et Hermione se méfiait plus que tout de cette fausse sécurité que lui donnait la clinique.

Alors elle ne préférait pas penser.

Elle avait songé un instant à kidnapper Alice pour l'emmener dans le monde sorcier, mais elle savait que là-bas, pas plus qu'ici, on ne savait soigner un cancer.

Alors elle ne fit rien.

Et elle ne put qu'assister, impuissante, à l'agonie d'Alice.


Hermione apprit la mort de sa moitié par téléphone. Lorsqu'elle vit le numéro inconnu s'afficher sur l'écran de son portable, son cœur s'emballa.

La voix au bout du fil était d'un métallique désolé.

Sur le coup, la brune crut mourir. Elle ne put rien faire d'autre que de s'écrouler par terre et de laisser échapper les torrents de larmes qu'elle gardait en elle depuis tout ce temps.

À ses côtés, James, un des amis avec qui elle prenait le train, ne comprit pas tout de suite ce qu'il se passait. Lorsque la Gryffondor, sanglotante, lui hoqueta un "C'est Alice" tremblotant, il ne sut quoi dire.

Il tenta de lui remonter le moral durant les quelques minutes de trajet et hésita à l'accompagner jusque chez elle. Mais entre temps, la brune s'était reprise et affichait un air qui, bien que triste, ne semblait plus aussi affolement brisé que dix minutes auparavant. Il fallait dire que ça l'arrangeait, il se sentait comme décalé face à elle.

Et pourtant.

À peine James eut il le dos tourné que les larmes d'Hermione se remirent à couler sans s'arrêter.

Elle avait imaginé la mort d'Alice. Des centaines de fois. Par habitude...

Mais dans aucun de ces scénarios la femme qu'elle aimait ne mourrait seule dans son sommeil. Elle avait imaginé qu'elles partiraient ensemble. Qu'elles passeraient leurs derniers moments ensemble. Alice devait encore tenir plusieurs semaines, selon l'avis des médecins.

Un instant, elle se surprit puérilement à traiter les médecins de connards. Mais au fond, tout cela était inutile, tellement inutile. Haïr ceux qui avaient tenté de retenir Alice ne servait à rien sinon à alimenter le sentiment d'injustice terrible qu'elle vivait.

Alice était morte. La réalité de cet état était si simple qu'elle en paraissait pire encore.


Le jour de l'enterrement, personne ne manquait. Il y avait la famille, les collègues, certains élèves et même les voisins. Et puis, surtout, il y avait Hermione, qui se fit la réflexion que les invités à l'enterrement étaient sans doutes les mêmes que ceux qui l'auraient été à leur mariage.

Si elles avaient eu le temps de se marier.

On l'enterra, et ce fut tout. Ce fut terminé si rapidement que la brune se demandait si cette journée s'était vraiment passée. Elle resta encore quelques mois à Londres, le temps d'achever ses études.

Puis, comme la moindre parcelle de cette vie lui rappelait Alice, elle partit.


"PETITES ANNONCES :

Recherche maître des Potions pour une collaboration sur un projet secret. Pour plus d'informations, veuillez envoyer un hibou à l'impasse du Hibou, n°4.


Certains ont le sang bleu, d'autres le sang chaud. Leila, elle, avait le sang blanc. Leucémie. Le sang blanc. C'est d'un poétique étonnant, non ?

Bien sûr, cette histoire t'est destinée. Mon seul regret est que tu n'aies pas eu le temps de la lire jusqu'au bout. Je pense qu'elle t'aurait plu.