Carte 0 : Le noir

… Si froid… Il avait si froid… Tellement que sa peau lui brûlait atrocement. La morsure de l'eau glacée lui rongeait les chairs.

Il avait essayé, lutté mais rien n'y avait fait.

Maintenant, il luttait seulement pour survivre, pour ne pas retomber dans cette eau noire et mortelle.

Il était si épuisé que seules quelques forces parvenaient encore à maintenir ses doigts déchiquetés refermés sur cette roche sombre aux aspérités tranchantes sur laquelle il avait échoué avec peine dans l'espoir de ne pas se noyer. Ses jambes et une partie de son dos étaient encore englouties dans l'onde maléfique. Ses yeux entrouverts essayaient encore de percevoir quelque chose dans cette atmosphère hostile et obscure. Sa respiration saccadée se frayait un chemin tortueux entre ses dents serrées pour se transformer en fine buée blanche.

Il était exténué mais il essaya encore une fois, une ultime fois aux vues du peu de forces qui lui restait, de se hisser complètement sur la roche plate où il avait trouvé maigre refuge lors de cette tempête démente qui l'avait avalé lors de sa chute, mais peine perdue. Cela ne fit que griffer une fois de plus son visage, ses doigts abîmés, rouvrir ses plaies. Il ne sentait déjà plus ses jambes.

Il se laissa retomber inerte sur la roche dure, comprenant que la fin n'était sans doute pas bien loin pour lui. Il fixa sa main posée près de son visage, le protégeant bien mal du vent déchaîné, cette main écorchée qui avait tenu une chose sacrée et puissante, noire comme l'ébène et les ténèbres, brillante comme le jour.

Son nom lui était venu de là.

Cette main qui avait réussi à ouvrir toutes les portes pour retrouver cet être cher, cette personne qui symbolisait pour lui ses souvenirs, ses espoirs, son courage, sa foi. Car dans les yeux de cette personne, son reflet lui apparaissait comme celui qu'il avait tant cherché à paraître, tant espéré être en réalité, un garçon généreux, sensible, juste, protecteur, un garçon sur qui on pouvait compter et qui ne trahirait jamais les siens.

Il ferma les yeux tandis qu'un sourire douloureux s'étira sur ses lèvres mangées, mordues à de nombreux endroits.

C'était ça, un imposteur, il n'était en réalité qu'un imposteur, lui qui avait tant voulu briller et se montrer à la hauteur des espoirs que les gens avaient mis en lui, il n'avait fait que plonger encore et encore dans ces ténèbres qu'il exécrait. Il avait trompé tous ceux qu'il aimait, il s'était menti à lui-même.

Finalement, cette fin solitaire au milieu de nulle part n'était que justice pour cette carcasse prisonnière des moindres élans de son cœur.

Son regard devint vide.

S'ils s'étaient parlés, lui avaient-ils pardonné tout cela ?

Sûrement que oui, eux, ils baignaient dans cette lumière qu'il avait tant cherché à atteindre et qu'il avait effleuré pendant quelques instants du bout des doigts, avec lui, le porteur de lumière, avec elle son souvenir, avec eux son courage et sa force.

Pendant quelques minutes, son épée s'était teintée du même éclat que celle qui illuminait constamment l'épée de cet ami pur qu'il avait trahi, rejeté de toutes ses forces par jalousie, dépit, envie.

Lui, la face sombre du Porteur de Lumière, il allait peu à peu s'éteindre.

Une larme coula le long de sa joue blanche.

Il priait pour que malgré tout cette douleur disparaisse.

Il avait honte, encore et encore, il avait peur de cette fin solitaire et ça le faisait encore plus souffrir de savoir que jusqu'au bout il n'aurait pas été à la hauteur.

Après tout, cette fin ne devait pas être autre que celle-là, pour lui ; cet être lâche et vil.

Il se recroquevilla encore plus, se sentant plus que jamais misérable et sali.

Lentement, ses yeux se scellèrent, sa respiration se fit plus hachée et dangereuse.

Lentement, ce corps impie se décidait à mourir.