C'est la première fic que j'écris sur Eragon, alors dites-moi ce que vous en pensez. Les lieux et la plupart des personnages appartiennent à Christopher Paolini, sinon Galaad est à moi. Bonne lecture !

Les flots noirs étaient déchaînés. Le bateau tanguait violemment à leur rythme. Le ciel chargé d'épais nuages sombres crachait sa pluie et ses éclairs. Les voiles blanches avaient été baissé. Le vent était trop violent. Sur le pont inondé, les marins s'agitaient, courraient en tous sens, criaient à tors et à travers, écopaient énergiquement. Sous eux, leurs camarades ramaient à s'en briser les membres contre les courants. Tapant avec force sur son tambour, un gros homme dirigeait le rythme tel un chef d'orchestre.

La colère des cieux et de la mer semblait s'abattre avec précision sur le navire. Les marins étaient superstitieux. Les dieux désapprouvaient le voyage, ils devaient faire immédiatement demi-tour, soutenait-ils. Les soldats qui naviguaient à leurs côtés les intimidèrent à reprendre le travail et à cesser leurs simagrées. Malgré leur attitude impassible, les hommes d'armes craignaient que leurs paroles ne fusent prophétiques. Mais ils avaient reçu des ordres. Ils devaient obéir. Et le commandant, bien au chaud dans sa cabine, refuserait catégoriquement de rejoindre les côtes de l'Alagaësia avant que la mission ne soit exécutée. Il était inutile d'aller s'attirer ses foudres en le dérangeant. Surtout pour de simples croyances de matelots. Bon grès, mal grès, le voyage se poursuivit.

La tempête avait commencé en début d'après-midi. Le soir était tombé et elle n'avait point cessé. Au contraire, elle avait gagné en force. Les conditions de voyage devenaient vraiment pénibles. Des hommes étaient même passés par dessus bord. D'autres tombaient malades. Le froid et la fatigue les envahissaient et leur volaient leurs forces. La pluie glacée et le vent qui les fouettaient ne faisaient qu'accentuer ces malaises. Le jour n'allait pas tarder à se lever et l'on priait en silence qu'il en serait de même pour la tempête. Tempête qui, de plus, allongeait considérablement la durée du voyage. Si le temps s'améliorait dans quelques heures, ils pourraient atteindre l'île du Vroengard durant la prochaine nuit. Sinon, trois seraient nécessaires.

Le Vroengard était une île volcanique qui avait été conquise au début du règne de Galbatorix. Une guerre de trois longues années avait été nécessaire pour faire plier les fiers guerriers vroengardois. Le courage et la force de ces simples humains avaient impressionné les Parjures. Ils leurs avaient laissés la vie sauve. Mais il y avait des conditions. Vroengard devenait une colonie de l'Alagaësia. Et tous les garçons de dix ans devaient rejoindre l'armée de Galbatorix qu'ils serviraient quelques années avant de retourner sur leurs terres s'ils le désiraient.

Le bateau qui se débattait en mer en ce moment même était en route vers l'île pour récupérer les impôts que les vroengardois devaient au roi. Deux trois soldats parmi eux venaient de finir leur service militaire et rentraient chez eux. Le commandant avait pour ordre de ramener les garçons de dix ans à l'empire s'il y en avait.

Le paysage était si sombre qu'on ne distinguait pas la limite de la mer et du ciel. Seuls quelques torches éclairaient le navire. Même le guetteur du haut de son mât ne pouvait voir les côtes escarpées de l'île. Ils étaient plus proches qu'ils ne le pensaient, déroutés par les intempéries.

Le soleil était à son zénith. La tempête avait cessé au petit jour et seuls quelques arbre couchés marquaient son passage.

La verte et fertile Vroengard avait l'habitude des tempêtes. Ses habitants vivaient dans des villages entourés de hautes cloisons de bois. Le vent ne pouvait presque pas les atteindre. Les majestueuses falaises escarpées sur les côtes empêchaient les inondations.

Dominant l'une d'elle, tournée vers l'Est, une fillette fixait la mer. Elle s'était assise sur un rocher une heure auparavant. Elle semblait attendre quelque chose. Ébouriffés par la brise marine, ses cheveux pâles retombaient sans cesse sur son visage rond. De plus en plus agacée, elle les chassaient régulièrement.

L'ombre d'un bateau apparut non loin. Le coeur de la petite fille manqua un battement quand elle le vit.

Elle se leva d'un bond et courut vers l'intérieur des terres. Elle traversa à vive allure les champs de blé. Elle atteignit rapidement son village. Elle contourna les barrières imposantes en troncs d'arbres. Une grande porte était ouverte, dos à la mer. L'enfant s'y engouffra. Un chemin de terre parfaitement droit, longé par des petites maisons en bois et en chaume, la conduit directement sur la place du village. Les commerçants et passants cessèrent leurs activités et se tournèrent, inquiets et avides, vers elle.

-Ils sont là ! cria t-elle. Ils arriveront en milieu d'après-midi sûrement.

La consternation se lit aussitôt sur les visages. Ainsi la tempête n'avait pas suffi à éloigner le navire de Galbatorix. Ils avaient espéré en vain.

Une dizaine d'hommes furent désignés pour aller rassembler l'or et les céréales des impôts pour le roi.

La petite fille quitta la place. Plus personne ne s'intéressait à elle. Elle avait accompli son office. Elle fila sans demander son reste chez elle. Sa famille vivait au pied des barrières. Son père était pêcheur. Sa mère filait et cousait contre quelques piécettes. Ils étaient très pauvres et subvenaient aux besoins de leurs deux enfants comme ils le pouvaient. La fillette avait un frère de deux ans son aîné. Il avait dix ans. Les soldats de l'Empire allaient l'emmener, elle le savait. À cette pensée, sa gorge se noua. Comme Galaad allait lui manquer ! Qui allait jouer avec elle ? Qui la protégerait des méchants garçons qui lui tiraient les cheveux ? Elle s'essuya rapidement les yeux et poussa la grossière porte en bois de sa maison.

Sa mère, une femme maigre et vieillie prématurément, cousait dans un coin à la lueur d'une bougie. Son père, un homme noueux, regardait dans le vide, nerveux. Galaad devait être dans sa chambre. Elle referma le panneau dans un claquement sec. Le pêcheur sortit de sa léthargie le temps de demander :

-Ils seront bientôt là, n'est-ce pas ?

Sa fille hocha la tête. Il enfouit son visage dans ses mains.

-J'irai pas.

Ils sursautèrent tous les trois. Personne n'avait vu Galaad se glisser silencieusement dans la pièce. Ses grands yeux noirs semblaient brûler tant il était décidé. Le petit coeur de sa cadette se gonfla d'espoir.

-C'est vrai, Galaad peut rester s'il veut, soutint-elle.

-Non. Le service militaire est obligatoire, répliqua son père d'une voix étrangement ferme.

-Je me cacherai, s'obstina le jeune garçon. Je n'ai pas à aller me faire tuer si je n'en ai pas envie, non ?

Sa mère étouffa ses sanglots dans son ouvrage. Ses trois frères étaient morts en servant le roi. Elle craignait ce jour par dessus tout. Elle ne voulait pas perdre son fils. Mais elle ne pouvait rien y faire.

-Ils te trouveront et tout le village en subira les conséquences, poursuivit son époux. Tu savais que ce jour arriverait. Tu as eu le temps de t'y préparer. Tu as de la chance. À part les Vardens, rien n'annonce une guerre. Et ils se tiennent tranquilles en ce moment. Tu n'auras peut-être même pas à combattre. Alors, cesse de croire que tu vas à l'abattoir. Tu fais peur à ta soeur et rappelles de mauvais souvenirs à ta mère.

Face au regard sévère de son père, Galaad se tut. Mais au fond de lui, il bouillait toujours contre cet enrôlement forcé. Comme il haïssait l'Empire ! Et ce roi qui les ruinait avec ses impôts et qui emportait les fils. Fils qui devaient combattre pour lui, mourir pour lui, alors que sa cause n'était pas la leur.

Impuissants, les vroengardois regardaient les soldats emporter sur leur bateau leurs maigres richesses. Mais le pire était cette rangée d'une douzaine de petits garçons qui attendaient que le commandant ait fini de les recenser. Une fois qu'il eut noté tous leurs noms sur son parchemin, il ordonna à ses hommes de fouiller l'île afin de vérifier qu'il ne restait aucun enfant. Ils devaient reprendre la mer le lendemain au lever du soleil.

Galaad serra les mâchoires, lutta contre l'envie de déserter. Du coin de l'oeil, il vit sa petite soeur venir vers lui. La fillette s'accrocha à son bras, le regard suppliant, les yeux humides.

-Tu reviendras, hein ? gémit-elle.

Il fit une grimace en tentant un sourie rassurant.

-Oui, je te le promets. Dès que mon service est terminé, je rentre immédiatement à la maison. Même si je dois revenir à la nage pour cela.

-Tu sais, tu peux attendre un bateau. On est pas à un mois près. Et puis d'abord, faut que t'apprennes à nager.

-J'avais oublié ce détail, admit Galaad.

Mêlant rire grelottant et larmes abondantes, elle se jeta dans les bras de son frère. Il la serra contre lui, la berça doucement. Elle était venue toute seule. Ses parents n'avaient pas eu le courage de venir.

-On se retrouvera, Aglaë, je te le jure. Et quand je reviendrai, je me rattraperai.

-Tu te rattraperas en quoi ?

-Je frapperai tous les garçons qui auront osé toucher à ma petite Aglaë pendant mon absence.

-Et si j'ai un fiancé, tu deviendras ami avec lui ?

-Non, à lui aussi, je lui casserai la figure.

La fillette éclata de rire.

Le commandant ordonna aux nouvelles recrues de rentrer dans le bateau. Galaad embrassa sa soeur une dernière fois. Puis il se détacha d'elle et suivit ses futurs compagnons d'armes. Sur le pont, il se retourna, épousa du regard son île natale puis son village. Ses yeux s'attardèrent sur le visage rond et triste d'Aglaë. Les larmes de sa cadette furent l'ultime image qu'il emporta du Vroengard. Sa gorge se noua, mais il s'empêcha de pleurer.

Il se tourna vers un soldat et lui demanda :

-Combien de temps dure le service ?

-Dix ans.