Chapitre 1 :
Le vent ébouriffait mes cheveux tandis que je tournais sur moi-même. La clairière était toujours aussi belle que dans mes souvenirs.
La lumière se diffusait dans les arbres environnants, et je me tenais dans un rayon de soleil qui me faisait frissonner. Il ne manquait qu'une seule chose à ce tableau parfait. Je m'interdis d'y penser. Il m'avait quittée il y a si longtemps. 100 ans. Un siècle sans entendre sa voix, son rire si chaud, sans me noyer dans ses yeux topaze. 100 ans sans être éblouie par son sourire en coin. 100 ans qui n'avaient pas été suffisants pour m'accoutumer à son absence, et faire diminuer la douleur.
Victoria avait tellement bien calculé son coup. Elle savait ce qu'elle faisait en me transformant : elle me condamnait à une éternité de souvenirs et de douleur en l'absence de mon Edward. Elle savait que rien ne le remplacerait dans mon cœur. Elle savait que je passerais une éternité de souffrance à me débattre dans les ténèbres. Je retins un sourire amer.
Mais tu n'es pas seule, me chuchota une petite voix, et Emeline ?
Emeline. Comment avais-je pu l'oublier ? Ma petite sœur. Je l'avais trouvée, il y avait 50 ans de cela. Elle était en train de mourir d'un cancer, dans un hôpital de province, en France. Elle m'avait irrésistiblement attirée. Je ne sais toujours pas pourquoi. Je l'avais transformée. Cela faisait si longtemps que je vivais seule ! 50 ans de solitude à tenter de me détruire, tout en sachant pertinemment que je n'y réussirai pas. C'est alors que j'avais compris ce qu'avait dû ressentir Carlisle après sa transformation. Emeline avait été une bouffée d'espoir pour moi. L'impression que je n'avais plus à m'occuper uniquement de moi m'avait poussée à aller de l'avant.
Un océan de lumière tourbillonna soudain dans ma tête, et je me mis soudain à courir, sans savoir où j'allais. Les arbres défilaient autour de moi, tandis que je continuai ma course folle, si vite que les animaux que je croisais avaient à peine le temps de frémir que j'étais déjà loin. Lorsque je m'arrêtai enfin, je me tenais en face d'une grille de fer peinte en vert foncé. Elle fermait l'accès à un jardin verdoyant, au fond duquel je pouvais, grâce à ma vision de vampire, apercevoir une grande maison. Blanche. Pourquoi avais-je atterri là ? C'est alors que j'avisais les voitures garées devant la grille. Une BMW décapotable rouge, une Mercedes S55 AMG noire, une Porsche 911 turbo jaune et… une Volvo argentée. Qu'avais-je fait ?
Je reculais et me dissimulai derrière un mur, de façon à pouvoir voir sans être vue, et encore moins sentie. Devais-je repartir ? Etais-je capable de les voir tous passer, à quelques mètres de moi, insouciants, heureux ? Dans quelle mesure serais-je à même de supporter de le voir ? Je décidais de tenter l'expérience. Après tout, je n'allais pas donner la satisfaction à Victoria de me lamenter sur mon sort pour l'éternité.
Un léger raclement m'avertit que la grille s'ouvrait. Six créatures d'une beauté fantastique apparurent derrière. D'abord venaient Alice et Jasper. Elle était toujours aussi gracieuse, sa démarche ressemblant plus à celle d'une danseuse qu'autre chose, mais elle semblait inhabituellement triste. Avaient-ils des problèmes ? Jasper lui tenait la main, toujours aussi séduisant. Derrière eux, venaient Emmett et Rosalie, lui aussi musclé qu'elle était fine, puis Carlisle et Esmé. Chaque couple monta en voiture, un air étrangement sérieux sur le visage. Je remarquai alors qu'aucune parole n'était échangée. Que leur arrivait-il ? Edward n'était pas là. Etait-il… ?
J'aurais juré que mon cœur mort avait sauté dans ma poitrine lorsqu'il apparut, infirmant mon horrible hypothèse. Il n'avait pas changé. Toujours aussi beau, toujours aussi semblable à un dieu. Toujours éblouissant de perfection. Ses yeux d'un ocre soutenu. Il avait chassé peu de temps auparavant, en conclus-je.
Tous montèrent en voiture sans me remarquer. Mais aucune ne démarra. Qu'attendaient-ils ? C'est à ce moment-là que le vent tourna, m'apportant une odeur étrangère. Je me retournai. Derrière moi, immobile, se tenait un vampire d'apparence jeune (je ne lui donnai pas plus de 19 ans), les cheveux noirs, les yeux dorés, le visage figé dans un masque de méfiance.
-Qui es-tu ?
Il me jaugea. Et s'il faisait partie du clan Cullen, à présent ? Je ne pouvais pas lui révéler mon nom ! Par chance, il céda :
-Je m'appelle Nathan. Nathan Cullen. Et tu es en train d'espionner ma famille. Que veux-tu ?
-Rien, je passais par là, c'est tout. J'ai été intriguée par cette famille. On m'avait dit qu'ils étaient nombreux, et je m'interrogeai. Comment faites-vous ?
Je m'efforçais de prendre l'air curieux, mais il n'eut absolument pas l'air convaincu.
-Tu sais parfaitement la réponse, grogna-t-il, tu partages notre régime alimentaire.
Zut ! Il faut croire que ma malchance refaisait surface ! C'est alors que j'entendis les portes des voitures se rouvrir. Edward avait dû lire les pensées de Nathan, ou alors celui-ci l'avait appelé, je n'en sais rien. Toujours est-il que je les sentis soudain, tous autour de moi, menaçants. Pas question qu'ils me reconnaissent ! Que faire ? Nerveuse, je mordillai ma lèvre inférieure. Contre sept vampires beaucoup plus vieux et plus aguerris au combat que moi, je n'avais aucune chance…
Puis je reportai mon attention sur Nathan. Je ne savais rien de lui, mais s'il avait appelé les autres, c'est qu'il avait peur de n'être pas de taille contre moi, donc qu'il était conscient de sa propre faiblesse... Sans rien qui aurait pu le mettre en garde, je me jetais soudain sur lui et le repoussais loin de moi. Il alla heurter le mur, mais ne tarda pas à se relever. Trop tard. Sans attendre, je me jetais dans la brèche que j'avais créée, commençai à courir. J'entendis derrière moi des pas légers, mais ils ne tardèrent pas à disparaître, et je me retrouvai de nouveau dans la clairière.
Tremblante, je m'assis dans l'herbe grasse et enroulai une mèche de mes longs cheveux bruns autour de mon index. Les Cullen avaient donc un nouveau membre. Je haussai les épaules. Ils avaient vite comblé mon absence. Je me laissai aller dans l'herbe et contemplai le soleil, m'amusant à le faire miroiter sur ma peau. Absorbée par ma tâche, je n'entendis pas le vampire s'approcher de moi et ne sortis de ma transe que lorsqu'il me sauta sur le ventre.
-A quoi tu rêves Bella ?
Je sursautai :
-Tu ne m'avais pas entendue ? s'exclama la jeune fille en face de moi
Je m'efforçai de prendre un air contrit. Son sourire s'effaça aussitôt.
-Tu pensais encore à lui, n'est-ce pas ?
Je hochais la tête, de nouveau envahie par la tristesse. Je sentis alors son énervement, qui me surprit :
-Enfin, Bella, s'exclama-t-elle, depuis 50 ans que nous vivons ensemble, tu n'arrêtes pas de penser à lui ! Je déteste te faire de la peine, mais regarde les choses en face !
La douleur me déchira la poitrine, ce qui ne lui échappa évidemment pas. Prise de remords, elle s'accroupit devant moi.
-Bella, je ne veux plus que tu aies mal. Tu es ma sœur, et je déteste te voir dans cet état.
-C'était notre clairière, l'interrompis-je. Nous y venions quand il faisait beau. C'est là que nous avons eu notre première vraie conversation sur tout cela. Je n'étais qu'une humaine, et j'étais complètement fascinée par le scintillement de sa peau. Nous étions tellement bien, à ce moment-là !
Les yeux fermés, je revivais ce moment de douceur où il m'avait avoué ce qu'il ressentait pour moi. Le bien comme le mal.
-Je ne pourrais jamais l'oublier Emeline. Ce que je ressentais pour lui était trop fort.
-Je le sais bien.
Evidemment. C'était au moins la cinquantième fois que nous avions ce genre de conversation. Se relevant, elle me tendit la main.
-Allez, viens, on va chasser. Il ne faudrait pas manger tout le monde, demain !
Demain. Rentrée au lycée de Forks. Heureusement qu'ils n'y seraient pas.
La chasse me changea agréablement les idées, la sensation du sang chaud coulant dans ma gorge éclipsant toutes mes autres sensations. Je me laissais aller à chantonner ma berceuse. Contrairement à ce que j'aurais pu penser, revoir les Cullen m'avait fait du bien.
