Une jeune fille d'environ dix-huit ans se tient fièrement devant le Conseil des Anciens de son peuple, dans ses yeux bruns aucune hésitation, seulement la détermination, malgré qu'elle guide son regard vers l'arrière de la tente plutôt que dans les yeux de la porte-parole. Ses cheveux noués en un demi chignon ornementé lui arrivent aux genoux, sa peau pâle n'est coloré que par deux rougeurs diffuses ponctuant son visage au niveau des joues. Elle a un visage harmonieux et porte un kimono aux couleurs claires. Ses poings sont serrés sur un long sceptre d'or, elle ne semble pas décidée à la moindre concession. Cette fille, c'est moi.

Si je suis devant le conseil aujourd'hui c'était que je viens de leur faire part d'une décision importante que j'ai prise, moi, Lei Liao, princesse héritière par mon sang du trône des Kowait depuis la défection de ma sœur aînée, en toute liberté et de mon plein libre-arbitre. A savoir quitter la caravane qui nous sert de pays mouvant pour aller faire un tour dans le monde en solitaire. Ils doivent avoir mal digérer le départ de Hua parce que leurs regards sont assez pesants. Je suis à deux doigts de me mettre à transpirer tant je suis mal à l'aise, et pourtant je ne suis pas facile à impressionner vu le nombre de fois où je me suis retrouvée devant eux durant ma formation à la régence.

« —Tu es sûre de ton choix ? »

J'ai rarement vu tante Ling aussi sérieuse. Tante Ling, c'est une petite dame toute ridée (nos parents nous ont eus assez tard et même si elle était la cadette de ma mère les épreuves l'ont fait vieillir vite) aux cheveux d'un gris un peu fané et aux yeux marron qui pétillent d'intelligence. Elle a l'un des regards les plus étincelants de tous les anciens et je déteste me frotter à elle quand j'essaye de négocier un peu de liberté parce que je rate mon coup trois fois sur cinq.

C'est elle qui s'est occupée d'Hua et moi à la mort nos parents et notre petit frère dans un incendie et elle a toujours fait attention à ne pas nous laisser de côté même si elle était déjà mère. Et je persiste à dire que sa fille, Jing, fait un meilleur choix que moi pour le trône. Elle est toute douce, compréhensive mais elle peut être ferme quand il y a nécessité. Bref, elle est du genre une main de fer dans un gant de velours, comme Hua, exactement ce qu'il faut pour le trône ! Pas comme moi qui préfèrerait ne pas avoir à me mêler de la vie des autres, même pour les aider à régler leurs problèmes. Ne nous trompons pas : je sais manier la diplomatie dans le cadre d'un exercice et j'adore mon peuple, nous sommes comme une grande famille, vraiment. Mais j'ai surtout envie de parcourir les routes par moi-même, ce qui n'arrivera jamais si je reste ici.

« —Oui, Tante Ling, sûre et certaine.

—Tu pourrais le regretter. »

Là, j'avoue, je hausse les épaules. Cette mise-en-garde est inutile ! Je suis parfaitement consciente des risques mais je suis décidée à vivre pleinement ma vie, qu'importent les risques. J'en ai marre d'être couvée comme si un rhume allait me faire disparaître. Bon, d'accord, j'exagère.

« —Je sais mais je veux partir. »

Les anciens se regardent comme s'ils pouvaient lire dans les pensées de leurs compagnons, ce qui ne m'étonnerait pas tant que ça étant donné que nous sommes un peuple de magiciens. Et je suis l'une des meilleures, sans vouloir me vanter. Ce qui, étant donné que je suis une descendante de ligne directe de notre fondatrice Isis, une des plus puissantes magiciennes ayant existée, n'est pas très étonnant. On est un peu tous ses descendants dans la caravane mais plus la lignée est directe plus notre relation avec les Rukhs est grande, ce qui nous permet de faire des sorts fabuleux, même si nous n'arrivons qu'à la cheville des Magis, et encore.

Les Anciens tournent de nouveau leur regard vers moi et j'ai presque envie de prier pour qu'ils disent oui. Je partirai de toute façon mais avec l'autorisation c'est tout de même plus simple. Je crois qu'ils le savent d'ailleurs.

« —Très bien, nous t'y autorisons. »

Là je ne peux pas me retenir et un large sourire fend mon visage précédemment sérieux. Je crois même que mes yeux pétillent tellement je suis contente, je les salue en m'inclinant, mes poings l'un contre l'autre dans le salut traditionnel de notre peuple.

« —Merci beaucoup ! »

Je tente de ne pas paraître trop enthousiaste mais peine perdue, ma voix tremble tant l'effort d'être impassible est grand. Je n'ai jamais été aussi contente ! Et pourtant je suis loin d'avoir eu une vie malheureuse.

Je sors de la tente et vois Jing qui attend à côté en distrayant les enfants pour qu'ils ne dérangent pas la réunion des Anciens. Je sens d'ailleurs que ceux-ci vont râler pendant un encore long moment. Elle m'aperçoit et se lève, elle attend. Je suis un peu gênée d'être aussi contente alors que je vais tous les quitter mais l'absence de réelle autonomie me pèse trop pour que je change d'avis.

« —Ils ont dit oui !

—C'était prévisible, sourit-elle, on sait tous ce qui se passerait s'ils disaient non. »

J'hoche la tête en riant, c'est vrai que je suis prévisible, quand je veux quelque chose je l'obtiens, qu'importe le moyen. Et là, je veux ma liberté ! Mais l'obtenir dans les règles est tout de même plus facile. On marche vers notre tente à tante Ling, Jing et moi, quand elle baisse la tête. Je la regarde et je vois son sourire un peu triste avant qu'elle ne le cache derrière ses longs cheveux noirs. Jing c'est une poupée aux longs cheveux soyeux couleur ébène et aux yeux d'un noir charbon. Je dis fréquemment qu'elle n'a aucun défaut physique à sa plus grande gêne, ce qui est toujours amusant. Contrairement à moi qui ai un trop petit nez et deux ou trois boutons qui restent de mon adolescence, elle, elle n'a aucun défaut notable. Je l'ai assez jalousé quand nous étions plus jeunes et puis je me suis fait raison, surtout que je sais que je suis jolie aussi. J'ai un physique harmonieux, je ne suis ni trop grande ni trop petite, j'ai des yeux marron doré qui pétillent comme des pierres précieuses (dixit tante Ling et Jing) et les coins de mes lèvres sont naturellement relevées donc on dirait que je souris tout le temps. Donc, oui, je sais que je suis jolie, mais Jing c'est différent, elle est magnifique. Et elle s'embellie en vieillissant. La nature a des favoris, moi je vous le dis.

« —Dis Lei, tu comptes revenir un jour ? »

Je la regarde, étonnée. C'est vrai que je n'ai pas parlé de retour… et je n'en sais rien. Je sais juste que je veux être libre pendant un temps, peut-être qu'au bout d'un moment ça me lassera d'être seule et que je voudrais retourner auprès de mon peuple ou peut-être que je ferais comme Hua et que je rencontrerais un homme avec qui fonder une famille. Aucune idée. Mais qui peut prédire le futur ? Le plus amusant c'est de se laisser porter par le destin tout en profitant de chaque jour donné. C'est la règle de vie des Kowait, une règle que j'applique parfaitement. Je regarde loin devant moi et je souris, un peu.

« —J'en sais rien Jing. »

Elle hoche la tête, je sais qu'elle est triste de me voir partir. D'abord Hua, moi ensuite et il n'y a qu'elle qui reste. Nous avons été élevées ensemble, c'est ma meilleure amie et ma deuxième sœur. Moi aussi, je suis un peu triste de la quitter.

« —D'accord. »

C'est vrai, je n'en sais rien. Mais je sais une chose : demain soir au plus tard, je serais libre. Et ça, ça n'a pas de prix.