« Vous prendriez laquelle, Lizzie ? Celle-ci ou celle-là ? »

Elizabeth Keen sursauta et tourna la tête vers sa droite. Toujours aussi élégant, Raymond Reddington se tenait à ses côtés sans qu'elle l'ait vu ou entendu approcher. Sous son chapeau, il lui adressa un sourire chaleureux en guise de salutations. Elle baissa les yeux et regarda ce qu'il tenait en main.

« Je préfère celle de droite. L'autre n'est définitivement pas votre style… »

Il haussa les sourcils, porta la cravate à son cou et se regarda dans la psyché. Bart Simpson, armé de deux révolvers fumant, lui renvoya un visage grimaçant qui était pour le moins de mauvais goût, mais il préféra s'en amuser.

« Je trouve qu'elle me va bien. Je la prends. »

Elizabeth roula des yeux et eut un soupir d'exaspération.

« Vous ne m'avez pas fait venir jusqu'ici pour me parler chiffons… Qu'est-ce que vous avez à me dire ? »

« Je vous sens tendue, Lizzie… Est-ce que tout va bien ? »

« Ça peut aller. »

Reddington pencha la tête sur le côté et la considéra gravement avec son acuité habituelle.

« Que vous me cachiez des choses, passe encore… tout le monde a des secrets. Mais un mensonge ? Vous ne m'avez pas habitué à ça. »

« J'utilise vos méthodes. J'apprends tellement en vous regardant. »

« Le sarcasme ne vous sied guère, en revanche… » Il se tut un instant. « … Je comprends que vous cherchiez à vous protéger après tout ce que vous avez traversé dernièrement. Mais je ne suis pas l'ennemi ici et je ne vous ai jamais menti. »

« Vraiment ? Alors vous avez une façon bien à vous de détourner la vérité… »

« Parce ce que je préfère taire des réponses que vous n'êtes pas prête à entendre ? Parce que ces réponses mettraient en péril, non seulement votre vie, mais aussi celles d'autres personnes qui dépendent de moi ? Parce que j'ai donné ma parole ? »

Elizabeth le regarda avec amertume.

« Que vaut la parole d'un assassin tel que vous ? »

Le visage de Reddington se figea et ses yeux se rétrécirent.

« Que vaut celle de votre ex-mari ?... » Répliqua Red en se penchant légèrement vers elle. « … Où est Tom, Lizzie ? Où l'avez-vous caché ? »

La jeune femme se tut et le regarda dans les yeux sans ciller. Au bout de quelques secondes, Red sut qu'il n'obtiendrait pas de réponse. Il lui adressa un sourire aimable.

« Vous savez que ce n'est qu'une question de jours avant que je découvre où il est. Autant nous épargner une perte de temps. »

« Faites ce que vous voulez. »

« Cette défiance me fait de la peine, Lizzie. »

« Ne vous en prenez qu'à vous-même. C'est vous qui m'avez trahi. »

« Et on en revient toujours à Sam… »

« Oui, toujours. Je ne vous pardonnerai jamais. »

« Vous êtes en colère... A cause de ce que j'ai fait et à cause de Tom. Je vous comprends et j'accepte votre position parce que je suis passé par là, moi aussi… Sachez aussi que je ne regrette pas d'avoir été celui qui vous a ouvert les yeux. C'était un mal nécessaire. J'ose espérer, qu'un jour, il en ressortira quelque chose de bien et que vous comprendrez. Je l'espère sincèrement. En attendant, notre accord ne tient qu'à un fil... Comme je vous l'ai déjà dit, vous n'avez qu'un mot à dire et vous n'entendrez plus jamais parler de moi… »

« C'est trop facile. Vous aimeriez que je me lance à votre poursuite. Pour vous, cette mascarade n'est qu'un jeu… Sachez que je ne vous ferai pas ce plaisir. »

« Serait-ce un risque que vous seriez prête à prendre, Lizzie ? Il me semble qu'il y a encore beaucoup trop de questions restées sans réponses. Votre curiosité naturelle n'y résisterait pas. »

« Vous êtes prêt à parier ? »

Pour toute réponse, Reddington se mit à sourire énigmatiquement, découvrant des dents parfaites. Il inclina la tête et sa voix calme baissa d'un ton.

« Vous bouillez intérieurement. Si vos magnifiques yeux bleus pouvaient tuer en cet instant, je serai étendu à vos pieds sans que vous en éprouviez le moindre remord… »

Déstabilisée, Elizabeth détourna le regard l'espace d'un dixième de seconde, avant de revenir promptement se fixer sur les yeux verts inquisiteurs de son interlocuteur.

« Je ne souhaite pas votre mort. »

« Encore un mensonge, Lizzie ? » Il secoua la tête en riant doucement. « Il faudra faire nettement mieux pour me convaincre… »

Elizabeth lui retourna un visage impassible. Pourtant, Reddington disait vrai. Sa rage prenait de plus en plus souvent des proportions inquiétantes et menaçait de la submerger. Dans ces moments-là, elle avait trouvé un moyen de focaliser sa colère et de se vider la tête : soit elle se rendait au stand de tir du Bureau de Poste pour vider quelques chargeurs sur des cibles en carton soit elle descendait dans les salles d'entraînement également en sous-sol, et tapait dans des sacs de sable jusqu'à en avoir mal partout.

Si elle ne faisait pas ça, elle avait l'impression d'être une bombe à retardement prête à exploser. Pendant quelques secondes, elle caressa l'idée de se servir de Raymond Reddington comme punching ball. Après tout, il était la source de toutes les catastrophes qui s'étaient abattues sur elle depuis un an. Tout avait changé depuis le premier jour où elle avait croisé son regard. Pour son plus grand malheur, le criminel était devenu le point central de sa vie. Quel que soit l'endroit vers lequel elle portait son attention, Red était là, omniprésent… même quand il n'était pas près d'elle… Et c'était épuisant à la longue, terriblement frustrant, et risqué au possible...

L'aura de danger qui émanait de lui attirait irrésistiblement la jeune femme, tout comme le soleil avait attiré Icare, jusqu'à ce qu'il se brûle les ailes et plonge mortellement dans la Mer qui portait désormais son nom. Il y avait trop d'incertitudes, trop d'ambigüités, trop de mystères autour de Raymond Reddington. La seule chose dont Elizabeth Keen était sûre et certaine, c'est qu'elle n'avait aucunement l'intention de finir comme le fils de Dédale.

Reddington lui donna le bras et la ramena au présent en l'entraînant lentement vers la sortie du magasin

« Vous savez ce qu'il vous faut ? Un nouveau cas… Rien de tel qu'un bon vieux criminel à poursuivre pour chasser les idées noires… » Ajouta t'il d'un ton enjoué. « J'aurai dû me rendre compte plus tôt que l'inactivité ne vous convenait pas… »

Il s'arrêta soudain et se tourna vers elle en la regardant intensément.

« Votre sourire me manque, Lizzie. Je donnerai n'importe quoi pour qu'il revienne éclairer votre visage. »

Elle ne fit aucun effort pour lui plaire et détourna les yeux. Quand la colère ne l'animait pas, elle se sentait lasse, vide. Elle se rendit compte que même ces tentatives de séduction ne l'atteignaient plus. Quelque part, une alarme résonna, mais elle l'ignora : s'en inquiéter, c'était faire jaillir des émotions refoulées, des douleurs qu'elle avait réussies à taire, c'était aussi s'enfoncer dans des eaux dangereuses. Non, il valait mieux enterrer les souffrances plutôt que de les affronter. Et vivre avec la rage au fond du cœur.

« Je vous redonnerai le sourire. »

« J'en doute. »

Comme une étrangère, Elizabeth s'entendit prononcer ces mots froidement et sut qu'elle venait de dresser une nouvelle barrière entre eux. Une expression fugitive d'inquiétude passa dans les yeux de Reddington. Cela n'avait duré qu'une seconde, mais elle se surprit à s'en réjouir avec une joie mauvaise. L'alarme dans sa tête résonna soudain plus fort.

Le criminel se redressa soudain et son expression se fit plus dure.

« Demain, dans une semaine, un mois, un an, vous vous souviendrez de ces paroles et vous vous demanderez pourquoi vous les avez prononcées… Ne cédez pas, Elizabeth, accrochez-vous à votre humanité, à ce qui fait que vous êtes ce que vous êtes, et posez-vous la bonne question : que voulez-vous vraiment ? »

La jeune femme tressaillit et le dévisagea, alors que quand bien même, elle savait qu'il ne lisait pas dans les pensées. Dans le rêve qu'elle faisait de façon récurrente certaines nuits, il lui posait la même question. Et elle était incapable d'y apporter une quelconque réponse.