Comme tous les matins depuis des années déjà, quand j'ouvre les yeux, je peux voir les vielles poutres usées, le plafond à la peinture blanche écaillée, et quelques rayons de lumière qui traversent les volets de ma tour. Je ne me souviens pas avoir jamais vu autre chose, et comme je ne connais rien d'autre, ça ne me manque pas.
Je repoussais les draps blancs jaunis par le temps, et me levais, pour aller ouvrir la seule fenêtre de ma chambre. Ma seule ouverture sur le monde extérieur. J'adorais sentir la brise dans mes cheveux, sur mon visage. Comme si cette fraîcheur balayait tous mes doutes.
Je m'accoudais au rebord de la fenêtre, et observais ce monde auquel je n'aurai jamais accès, sauf peut être dans mes songes les plus beaux. Je regardais les oiseaux voler d'arbres en arbres, l'herbe frémir sous les assauts du vent, j'entendais au loin, le bruit de cette rivière dont Mère me parle tout le temps.
Petite, je suppliais Mère de m'y emmener, je rêvais de sentir l'eau passer entre mes doigts, portée par le courant, je rêvais de toucher l'écorce des arbres...Mais avec le temps je me suis résignée.
Sortant soudainement de ma contemplation je m'installais devant ma coiffeuse, observant le reflet que me renvoyait le miroir. Celui d'une jeune femme d'une quinzaine d'années peut être, avec de grands yeux marron alertes. Mais le plus singulier chez elle, c'était ses cheveux aux reflets dorés, si longs qu'ils en trainaient par terre.
Je fus tirée de ma contemplation par un cri venu de l'extérieur.
« Lucy, Lucy ! Lance-moi ta chevelure ! »
Je reconnu immédiatement la voix de Mère, et m'avançais vers la fenêtre, laissant tomber ma chevelure toujours intacte. Je sentis une forte pression, aussitôt suivie d'une douleur lancinante au crâne, signe que mère était en train de monter.
Quand je la vis enfin, je saisis sa main, pour l'aider à passer le rebord de ma seule échappatoire.
A peine sur pied, elle me serra dans ses bras, comme si sa vie en dépendait. Surprise par cette marque d'affection plus qu'inhabituelle, je reculais de quelques pas, l'interrogeant du regard.
«- Qu'y a-t-il Mère ? Quelque chose ne va pas, demandais-je, inquiète.
Elle leva un sourcil interrogateur, et s'approcha de moi.
Au contraire, tout va très bien ma chérie ! Une mère n'a donc pas le droit de témoigner son affection à sa fille ?
-Si, bien sûr Mère, répondis-je. »
Je savais très bien ce qui allait suivre. Elle allait s'assoir près de ma coiffeuse, m'ordonner de me mettre sur ses genoux, puis me brosser les cheveux, tout en me demandant de chanter pour elle. C'était un peu notre rituel.
Alors, anticipant sa requête, je m'asseyais près d'elle et commençais à chanter ; doucement d'abord, puis, me laissant aller, sans savoir, qu'à quelques mètres de moi se trouvait mon destin.
