Bonjour à tous ! Pour ma nouvelle histoire, le récit d'une vengeance toute particulière qui m'a été inspirée alors que je cherchais des infos sur les apparitions de Matt dans le manga. En effet, dans le chapitre 61, un mafieux dit à Mello : « Pourquoi quelqu'un comme toi, qui a obtenu la tête d'un chef de la mafia que même Kira n'a pas pu tuer, tu t'intéresses autant à ce cahier ? ».
Attention, point de vue qui sort des sentiers arpentés par beaucoup de mes collègues auteurs, car je me défais du mythe purement made in ffnet selon lequel Matt et Mello sont d'ex colocataires et meilleurs amis du monde depuis toujours et Mello et Near des ennemis viscéraux depuis la première seconde où leurs regards se sont croisés. Présence d'OCs qui ne tiennent pas du tout le premier rôle mais sont hautement nécessaires (allez raconter quoi que ce soit avec le peu de personnages qu'on a en stock). Références au premier chapitre des Smithcatchers assez nombreuses pour que je comprenne si vous songiez au méchant-mot-de-sept-lettres.
« En espérant que cela vous plaise » ;)
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IMPITOYABLE
Chapitre 1 : Et pour quelques cigares de plus…
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Savez-vous ce que ça fait, d'avoir les entrailles bouffées par la colère et l'envie d'exploser la tête du premier qui ouvrira la bouche ? Savez-vous ce que ça fait, lorsqu'on croit manipuler les autres et qu'en fait ces autres s'en aperçoivent, et ne le prennent pas bien, et décident de monter un coup en douce pour vous dévisser proprement le crâne ? Savez-vous ce que ça donne, lorsqu'en plus, vous les manipuliez pour leur propre bien ?
Mello se demanda comment cela avait pu tourner aussi mal.
Pas le fait d'avoir une dizaine d'armes pointées sur lui et le double de regards hostiles, le tout dans le parking le plus glauque de New York, en compagnie de ceux qu'il avait eu l'amabilité d'ériger au rang d'alliés provisoires.
Ça, il avait presque l'habitude.
Il se demanda plutôt comment, à cause d'un vague excès de confiance, il avait pu réussir à faire foirer une année entière de labeur.
- J'ai pourtant cru que nous avions un arrangement.
- Tout est dans le mot « croire », lui répondit l'homme aux dents de requins qui le toisait de son sourire carnassier.
C'était dur de se taire. Oui, lorsque l'homme que vous aviez aidé à devenir ce qu'il était, un brillant mafieux, non, le plus brillant mafieux de toute la Grande Pomme, ordonnait à ses petits camarades de se débarrasser de vous proprement, sans s'y tremper les ongles, sans même faire l'effort d'essayer de vous tuer – comme si vous ne valiez rien. Comme si vous n'étiez même pas une menace assez importante pour qu'il ressente le besoin de vous exécuter – et le montrait comme ça, en privé, dans un coin crasseux et sans panache, ça faisait mal.
Ça démangeait.
- Comme dans « Vous croyez que je ne vais pas vous buter dans la minute qui suit » ?
Oups. C'était sorti.
La dizaine de canons se pointa directement vers sa poitrine. Mais personne ne tira. Ce n'était qu'un pied-de-nez de plus. « Regarde, tu es en mon pouvoir. Un mot de moi et tu es mort. Mais tu n'en vaux pas la peine, tu sais ? » Tout sourire, Gio Rosselli fit un mouvement du bras et les armes s'abaissèrent. Mello ne fut pas dupe. Les viseurs étaient peut-être vers le sol mais il n'entendit personne remettre le cran de sécurité.
- Tu as quel âge, quinze ans ? lança l'homme.
- Dix-neuf, corrigea-t-il d'une voix machinale rendue plate par un calme forcé.
- Ecoute, gamin. Ça arrive à tout le monde, de se faire doubler. Mieux vaut que ce soit par moi que par quelqu'un de moins pacifique. Plus tard, tu m'en remercieras, argua-t-il en lissant la chevalière en or qu'il portait à l'index.
Mello en doutait très sérieusement. Pour commencer, le premier mot qu'il aurait choisi pour qualifier Rosselli n'aurait pas été pacifique. Le reste ne passerait pas le seuil de ses lèvres, parce qu'il avait encore besoin de rester en vie un moment s'il comptait mettre une raclée à Near.
Il avait envie de lui pulvériser la face. De l'étriper l'étrangler l'écarteler l'éviscérer. Calme. Il allait l'émasculer l'ébouillanter l'écrabouiller et émietter ses restes aux quatre coins de la jetée de Brooklyn. Concentre-toi sur ces images mentales, Mello. Visage lisse. Fais un putain d'effort pour te concentrer ou c'est toi dont on trouvera les restes dans l'Atlantique. Si on les trouve.
Presque un sourire. Non, pas de sourire. Ça fait impertinent. Une année de travail de perdue. Une saloperie d'année mise à la poubelle parce que l'orgueil d'un pauvre mec n'a pas pu supporter des ambitions au niveau du potentiel de la mafia qu'il avait entre les mains. Le souffle régulier. C'est là qu'il va frapper, Mello. Il va t'humilier. Il veut t'humilier. Il veut te faire réagir, et tu n'es pas bête, tu es sanguin mais pas bête, et tu sais qu'il n'attend qu'un geste malheureux de ta part, qu'une micro-trace d'agressivité et de désir de revanche pour demander à ses gorilles de tirer.
L'homme chuchota quelque chose à l'oreille de son voisin. Puis il fit mine de retrousser ses manches, s'avança vers Mello et lui envoya son poing dans la figure.
Pense à Near. Si tu meurs, tu ne pourras pas vaincre Near. Ce connard d'albinos est plus important qu'un petit chef illégal de rien du tout, hein Mello ? Douleur. Hein Mello, que tu veux réagir. Mais tu n'es pas con et tu ne le feras pas.
Et Rosselli sait que tu sais, et il s'amuse, il profite de l'instant présent pour te faire encore plus mal, parce qu'il sait que tu ne réagiras pas. Il veut te pousser à bout. Il veut que tu cèdes, que tu admettes ta défaite pour mieux te descendre, le salaud.
Etonne-le. Fais-lui croire que tu n'es qu'un mollasson qui n'a rien dans les bras. Et tu vivras.
Mello valdingua au sol. Il ne bougea pas. L'homme se campa au-dessus de lui, sourit brièvement, et lui releva le menton juste assez haut pour lui décerner une nouvelle volée de coups de poing. Puis, ce furent les pieds.
Putain, ça faisait mal. Ça faisait mal, putain. Ça faisait mal mal mal mal maaaal maaaaaaaaaaaaal…
Rosselli prit un peu de recul, et attaqua de nouveau. C'était une position de garde négligée. Provocante. Ça foisonnait d'ouvertures, et c'était fait exprès. Rosselli voulait le tenter. Mello, contractant jambes et côtes, fit appel à toute sa force mentale pour ne pas saisir la cheville qu'on lui offrait comme un cadeau pour prendre sa revanche.
Un bleu au coude.
Une veine qui explose dans le menton.
Des contusions partout, sur les flancs, sous le cuir de sa veste.
Le bruit d'un cartilage qui craque.
Du sang dans la bouche.
Je vais te tuer, connard d'ingrat. Oui c'est un rictus que tu vois sur mon visage, entre deux ecchymoses, oui c'est une grimace mais c'est une grimace de douleur et de rage. C'est drôle, hein ? "Quand va-t-il céder, ce petit impertinent ?" Vas-y, frappe, ça fait mal. Tu t'en souviendras lorsque j'inverserai les rôles. Tu te souviendras de chaque blessure.
Et un coup dans les dents.
Quand Rosselli en eut assez, Mello avait plus de contusions sur le corps qu'au lendemain d'un entraînement commando.
- C'est moi qui commande ici, gamin, conclut l'homme en reculant de quelques pas. Toi, tu dégages.
Si je peux me lever.
L'humiliation était toute chaude du sang qui lui coulait sur les tempes. Etourdi par la souffrance, Mello considéra la dizaine de quidams qui avaient troqué la gâchette contre les rires et envisagea un instant de précipiter les choses. Puis il se leva, difficilement – ces saloperies de canons braquées sur lui, encore –, et prit la direction de la sortie.
Tu vas mourir, Rosselli.
Tu vas mourir.
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Mello avait quitté la Wammy's House à la veille de ses quatorze ans, avec pour tout bagage un sac qui contenait deux tenues de rechange et assez de chocolat pour tenir une semaine. Il avait également eu le bon sens de rafler avec lui les économies de la cantinière, mais ce n'était pas avec vingt livres en poche qu'un gamin, aussi brillant fût-il, allait subvenir à ses besoins, encore moins quand ceux-ci consistaient en le renversement d'un criminel international basé de l'autre côté de la planète. Après deux jours d'errance et un retour brutal à la réalité, il s'était donc décidé à se trouver une activité lucrative. Malheureusement pour lui, il était difficile de prendre au sérieux un môme sans diplôme ni papiers d'identité qui clamait sous tous les toits être un génie – un génie certes, mais un génie en-dessous de l'âge légal d'emploi des mineurs – et lorsqu'il dénicha enfin un poste de serveur sous-payé dans un taudis infâme, cela faisait déjà trois semaines qu'il usait de petits larcins pour ne pas mourir de faim.
Il ne tarda pas à entendre parler, le bouche à oreilles aidant, de méthodes plus efficaces pour gagner vite et bien sa pitance. La notion de légalité avait été refoulée loin dans les profondeurs de sa tête blonde depuis longtemps et c'est ainsi qu'il se retrouva, entre autres activités, à revendre pour le voisin des quantités de stups qu'il n'avait jamais vues que dans les calculs théoriques de sa salle de classe.
Il découvrit alors le premier des avantages de son statut de mineur : on ne pouvait pas l'arrêter. Ce qui, de loin, ressemblait à un argument pour l'exploitation de ses semblables par les réseaux criminels se changea en un véritable tremplin, et Mello commença à tisser sa toile. Il connut bientôt la totalité des revendeurs du Hampshire et les principaux réseaux de vol et du marché noir. Les flux de clandestins ne lui résistèrent qu'un trimestre, et bien avant, Mello eut compris quel parti il pourrait en tirer. Puisque la face légale de la planète lui était interdite – les alliances appartenaient à Near –, il lui restait la face cachée. Il avait désespérément besoin de pouvoir, d'argent, d'informations, et s'il était bien un milieu qui pouvait lui fournir tout cela, c'était celui de la pègre.
Il monta dans l'estime de son fournisseur le jour où il lui sauva la mise par un coup de bluff admirable, alors qu'une descente de police avait été opérée dans son quartier. Grâce à son réseau d'information, la marchandise fut sauvée. Les forces de l'ordre firent chou blanc et Mello se vit gagner, en un soir, la confiance de tout un secteur. Par un remarquable hasard, un seul homme était tombé, et Mello fut projeté par la même inadvertance à ce poste convoité. Il avait déjà lâché depuis longtemps son job de serveur lorsqu'il se retrouva parachuté à la tête du réseau de stups et qu'il dîna en tête-à-tête avec le Grand Patron le jour de ses quinze ans.
Mais bientôt, le Hampshire lui parut bien petit et ce fut vers tout le pays que se tourna son regard. Après quelques essais fructueux dans des milieux aussi divers que l'extorsion de fonds au niveau national ou le chantage politique, il mena sa première opération de grande ampleur – l'enlèvement d'un ministre.
Une guerre des gangs victorieuse plus tard, il trouva l'Angleterre trop étroite pour ses ambitions personnelles et s'envola sous un faux nom pour New York. Il était déjà connu pour ses plans tordus mais infaillibles et ce fut sans trop de peine qu'il érigea à coup de réputation justement gagnée son réseau de « collaborateurs ». Sans doute aurait-il dû, à ce moment-là, se douter qu'il avait eu les yeux plus gros que le ventre en ciblant son dernier et plus gros poisson : le chef de la plus influente des Cinq Familles.
Gio Rosselli n'avait pas apprécié que son nouveau « consultant » aux dents longues veuille rediriger autant de ses activités.
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Mello entra en trombe dans l'appartement. Il avait la rage au ventre.
Il l'avait tellement que ses dents crissaient de manière irrégulière et que son visage changeait d'expression quatre fois toutes les millisecondes. Pour qui connaissait Mello, capable de tenir dix longues heures avec une même expression superficielle et provocante, ce simple constat était de mauvais augure.
Sergueï lui tournait le dos et ne vit donc rien de cela. Il était attablé derrière son ordinateur, un havane à la main. Sergueï raffolait des havanes. Avec un bon stock de Montecristo, on pouvait s'acheter ses services pour un mois et son cœur pour l'éternité.
-Je vais le défoncer, éructa Mello.
Sergueï ricana sans lâcher des yeux son écran.
-Ecoute, fit le blond. Lâche toutes tes activités. Je veux que tu trouves là, maintenant, un moyen de faire sauter la tête de Rosselli.
-Gio ? s'étonna Sergueï. Mais qu'est-ce qu'il t'a fait ?
-T'occupe. Je t'expliquerai plus tard.
Sergueï était l'un des meilleurs hackeurs de sa génération. Le second, selon Mello, et sans doute le premier de toute la côte Est. Il était né la tête dans les fils de son processeur, et le jour où il avait enfin compris l'étendue d'un tel talent, il avait quitté St Petersburg pour « visiter » le monde. Il avait quitté Cuba après un énième remous politique qui lui avait fait chaud aux fesses, mais son serveur était toujours en Russie, chez un contact talentueux. Il s'était alors décidé à poser les pieds en terrain capitaliste. C'était là que Mello l'avait harponné.
Sergueï avait passé la trentaine et aucune envie de perdre ses grandes vacances dans feu sa natale URSS.
-Tu veux me faire crever avant l'heure, accusa l'informaticien. Gio est un dur.
-Et toi, tu es censé être le meilleur.
Mello fit le tour du bureau. Le cigare se consumait, avant-dernier d'une pile conséquente.
-Ecoute, dit-il après inspection de la pénurie, j'ai un arrivage de havanes en fin de semaine. Ça te dit, un impôt de dix pourcents en nature ?
Sergueï cracha une bouffée de fumée.
-Si tu me prends par les sentiments…
-Parfait.
-Je vais quand même envoyer une carte postale à ma mère, histoire qu'il lui reste un souvenir de moi, dans sa kitchenette pourrie, en-dehors de la carcasse de ma bécane et de ses photos du Komsomol. Une fois que Gio saura qui l'a trahi.
-Pense à joindre une mèche de cheveux, railla Mello.
-Tu peux parler. J'irai pas chercher tes restes au fond des égouts.
Mello haussa les épaules.
Il se dirigea vers la fenêtre ouverte – la patte de Sergueï, pour évacuer la fumée de ses joujoux – et la claqua d'un coup sec. Les papiers qui jonchaient le sol voletèrent un instant avant de s'arrêter. Les plans d'une raffinerie qu'il avait prévu de faire exploser dans une optique de sabotage industriel. Ça, c'était du Mello tout craché. Rosselli pouvait toujours rêver pour qu'il ne reprenne pas l'affaire à son compte.
-Tu es sûr que tu ne veux pas quelque chose de plus soft ? demanda Sergueï qui pianotait désormais activement sur son clavier.
-Quel genre ?
-Je vide ses comptes et j'en fais donation en son nom à un couvent, je dévoile ses données en fond d'écran du FBI, je file l'accès de son réseau à des potes pour tester leurs derniers virus.
-Tu saurais hacker le FBI, toi ?
-Merci de ta confiance. On voit ce que ça fait, de bosser ensemble si longtemps.
-Je veux les trois.
Considérant que la discussion était close, il tourna les talons. Il avait un crack financier à enclencher, lui. Sans parler du fait que la raffinerie n'était pas la porte à côté. Il n'hésita pas une seconde avant d'appeler les bénéficiaires de l'opération. Cinq heures plus tard, l'argent serait sur son compte au Bahreïn et lui, très loin.
En fin de compte, ce qui lui prit le plus de temps fut de choisir son véhicule.
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Gio Rosselli était une véritable star du monde de la pègre. A dix ans, il avait braqué sa première banque, et ce n'était qu'à treize que la police lui avait mis le grappin dessus avant de le relâcher faute de preuves. Ce n'était qu'un avant-goût public de ce que le gamin sans le sou de Manhattan allait produire lorsqu'il fit valoir son appartenance au monde de la truanderie new-yorkaise.
S'il s'était hissé assez loin dans la hiérarchie du crime, c'était Kira qui avait été sa plus grande aide. Outre le ménage effectué dans les échelons supérieurs, l'autoproclamé Dieu de ce Monde lui avait permis de prouver à tous combien il était intouchable. Son nom avait circulé, mais jamais il n'était venu garnir la liste des morts quotidiennes. Il ignorait lui-même par quel miracle il échappait à la purge mais n'avait pas manqué de le faire remarquer haut et fort à ses associés. En réalité, Gio Rosselli ne s'appelait pas Gio. Il ignorait tout de son propre nom et ce n'était pas sa mère défunte qui aurait l'occasion de l'éclairer à ce sujet. Il prenait si bonne garde de son image que le FBI lui-même ne pouvait pas se targuer de disposer de la moindre photo récente. Les gens qui avaient vu son visage et en étaient ressortis vivants disaient généralement qu'il avait plus de cicatrices que de peau vierge, et que ses traits ne restaient de toute manière pas longtemps inchangés. C'était d'ailleurs un petit jeu chez lui que les combats au couteau. Dans l'arène.
Et il n'avait encore jamais perdu.
On disait que son nom figurait en tête de la liste des dix criminels les plus recherchés de la planète. Fort heureusement pour son orgueil, les américains avaient mis un moment avant de qualifier Kira de meurtrier. Ç'avait été un coup dur lorsque celui-ci lui avait finalement volé sa place dans des circonstances obscures. Gio avait alors demandé à un petit malin de réhabiliter son nom dans les listes informatiques du FBI, en échange d'une entrée sur tapis rouge à son service, mais le troufion s'était fait prendre. C'est bon donc, je suppose.
Cela mis à part, la carrière de Gio Rosselli avait été une longue série de sans-fautes parsemée çà et là des tombes de ses ennemis.
C'est pourquoi il avait peu apprécié de découvrir, lorsqu'il voulut acquérir un joli MP5 tout neuf pour remplacer son dernier qui s'enrayait un peu trop souvent à son goût, que l'intégralité de ses comptes d'Uruguay, des Seychelles, d'Antigua et de Grenade avait été vidée au profit d'une association caritative gérée par des religieuses au Congo.
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Mello menait toujours ses missions à bien, Rosselli ou non. Une usine à faire sauter, c'était une usine à faire sauter. Point barre.
Il vit la fumée de loin. Le bruit, étouffé parmi les klaxons des voitures, n'aurait pas été une indication suffisante, mais les nuages noirs et feu qui laissaient éclore leurs champignons au-dessus de la zone industrielle parlaient d'eux-mêmes. Une réussite. Il leva la visière de son casque et se tourna pour admirer le spectacle. A l'arrêt, dans les embouteillages. Le conducteur qui le suivait, qui visiblement n'avait pas l'éternité devant lui, abaissa sa fenêtre pour vociférer qu'il pouvait si l'envie lui en prenait avancer de trois mètres avant que le gus à sa gauche n'y colle sa voiture. Mello lui fit un signe reconnaissant, tourna la clé sur le contact, et engagea sa moto sur la bande d'arrêt d'urgence.
Trois kilomètres et des centaines de voitures plus tard, il bifurqua sur une aire routière. Il stoppa sa moto à l'écart derrière une poignée d'arbres et en descendit en jetant son regard le plus noir à la fillette qui observait son manège. La gamine s'enfuit en larmes. Après un dernier regard pour s'assurer que personne d'autre ne risquait de le surprendre, il décrocha une bouteille opaque à l'arrière de son véhicule, en vida le contenu sur la moto et fit quelques pas en arrière. Puis il sortit de sa poche un paquet d'allumettes et en craqua une. Il leva la main. Visa. Ajusta.
D'une détente souple du bras, il projeta la petite flamme avant de se reculer précipitamment.
Il y eut un « boum ».
Les mains dans les poches, il s'éloigna du foyer d'incendie. Il avait déjà dépassé la station d'essence lorsque le gardien en sortit, désorienté, et le croisa sans le voir. Mello rejoignit la rocade à pieds, et ce fut d'excellente humeur qu'il se décida, dans un accès de dérision, à faire du stop. C'est ainsi qu'il s'installa finalement, après vingt minutes de recherche, à l'arrière d'une voiture familiale aux sièges maculés de miettes et dont le conducteur avait l'air au bord de la dépression.
-Vous choisissez mal votre jour, déclara d'une voix laconique l'homme qui aurait bien eu besoin d'une dose de Prozac.
-On les choisit rarement, vous savez, rétorqua Mello pince-sans-rire.
-Je veux bien vous croire. Je vous dépose où ?
Et ce fut tout.
Après un voyage singulièrement silencieux, Mello se fit déposer au sud de Central Park et se décida à faire une petite marche. Ce fut donc détendu qu'il arriva, trois quarts d'heure plus tard, en bas de chez Sergueï. Il sifflota en composant le code, et ne s'arrêta ni dans l'ascenseur, ni en insérant la clé dans la serrure, et pas même lorsqu'il claqua la porte derrière lui – auquel moment la mélodie de l'Arnaque avait déjà gagné quelques canards –. Il garda les yeux rivés sur le sol, prenant soin à ne pas piétiner la paperasse en se tournant pour boucler la serrure.
-Ça avance ? lança-t-il à la cantonade, mais personne ne lui répondit.
La fenêtre était ouverte comme à son habitude. La papeterie volait toujours autant, et dans l'atmosphère flottait une odeur de Montecristo que les courants d'air n'étaient pas encore parvenus à chasser totalement.
Mello dépassa le pan de mur.
Sergueï était étendu de tout son long sur son bureau. Sa main gauche appuyée au clavier étalait sur son écran une chaîne ininterrompue de « g ». Au bout de son bras droit, étalé sur la surface plane, ses doigts étaient ouverts. Un cigare en avait roulé. Son dernier. Il finissait de se consumer là où débutait la gerbe de sang.
Mello sut que, s'il cherchait bien, il finirait par retrouver, parmi le foutras, la balle qui était passée sous l'omoplate pour ressortir en ricochant entre deux côtes.
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Mello avait connu Sergueï par hasard. Il filait, un soir, un escroc qui pouvait lui faire perdre gros, lorsqu'un parieur éméché l'avait bousculé pour payer sa tournée à la cantonade. Mello avait dû abuser des jurons, parce que sa cible avait pris la poudre d'escampette. « Pas grave, gros » lui avait assuré le parieur en jetant un coup d'œil par-dessus son épaule, « je te le retrouve en un clin d'œil. » Mello avait dû puiser dans sa réserve de patience pour ne pas tordre le bras affectueux qui s'était appuyé sur lui.
Ce fut seulement le lendemain, après une bonne nuit pour se remettre de ses émotions, qu'il aperçut dans sa boîte mail un message intitulé « le gros lourd d'hier » avec, en pièce jointe, une magnifique carte actualisée tous les dixièmes de secondes sur laquelle se mouvait un petit point baptisé « ton escroc ».
Sergueï Milanov était un putain de génie. Et Mello, pas du genre à le laisser filer. A tel point que le blond avait fini par investir son appartement, et, pour finir, sa vie.
Il redressa le corps de son ami, et trouva, coincé sous le cendrier, une feuille sortie de l'imprimante sur laquelle on avait tracé du bout d'un index sanglant les mots « Your turn ». Ses doigts tremblèrent de rage. Dans un remarquable élan de self-control, il alluma une bougie, plongea les doigts dans la cire et glissa l'inscription encore rubiconde dans une pochette plastifiée qu'il passa sous le bras. Puis il récupéra une poignée de papiers qu'il tria soigneusement, rangea, et il ferma les yeux du mort d'un geste presque doux. Il fit basculer la bougie sur le sol.
Un jet de clés plus tard, Mello était en voiture - dans une Audi RS4 jaune pétante qu'il avait pris soin d'aller choisir sous la fenêtre de Rosselli -, une musique assourdissante s'élevait de l'autoradio, et il filait en direction de la côte Ouest.
Certains jours de sa vie l'avaient frustré, mais celui-là battait des records. Il faut dire qu'encore, jamais il n'avait perdu autant de choses en une même journée, si l'on exceptait la date fatidique de son départ de l'orphelinat.
Cette fois, cependant, on lui avait enlevé ses attaches autant que son travail. Mello pouvait prétendre cloisonner vie privée et professionnelle avec talent, ce qui n'était pas dur lorsqu'on connaissait l'étendue de la première, mais il n'y avait jamais eu que Near qui ait été capable de faire sauter les plombs.
Un jour, Near et Mello avaient été amis. Cela paraissait bien lointain, plus encore que celui où l'albinos avait réduit à néant cette relation de confiance. Mello se demandait parfois s'il y avait eu quoi que ce soit de réciproque, ou si, au contraire, l'esprit dépourvu d'empathie de son ex camarade n'avait jamais perçu la différence entre les deux états de lieu.
Mello sentait que la bombe au fond de ses entrailles était sur le point d'exploser. Il percevait le tic-tac de son cœur, le point de touche du détonateur, et les fils qui les reliaient avec plus de fragilité que jamais. Il pouvait prétendre ne pas se laisser aveugler par les sentiments. En général. Personne n'était aussi indifférent que ce cinglé de Near, et oui, à lui, il arrivait de perdre le contrôle. Il pouvait se targuer du fait que c'était plutôt rare.
Mello détestait perdre, Mello avait eu les yeux plus gros que le ventre, Mello avait perdu.
Non.
Mello n'avait pas perdu.
Il fit un virage en épingle au beau milieu de nulle part et s'arrêta à la première station service qu'il venait de dépasser. L'air était chaud et sec. Son saut brusque sur le siège du passager brisa la tablette de chocolat encore emballée qui y gisait, qu'il ignora. Pour se défaire du stress, Mello avait mangé plus de chocolat en une journée que durant le mois passé. Il saisit le téléphone dans la boîte à gants, composa un numéro et bondit hors de la voiture.
Un parking peu rempli, deux énormes camions dont l'un tractait un container alimentaire noté Superfresh. La tonalité qui résonnait sans discontinuer à son oreille.
Mello piaffa d'impatience.
-Cin à l'appareil, j'écoute. Si vous êtes un publicitaire, un annonceur, un banquier ou un assureur, appuyez sur le téléphone rouge. Si vous vous êtes trompé de numéro ou que vous comptiez faire une petite blague téléphonique de merde, le conseil s'applique aussi. Si vous êtes un flic, prenez l'arme qui se trouve à votre ceinture et appuyez-la sur votre tempe. Si vous êtes un contrôleur fiscal…
-Cin, c'est Mello, coupa le blondin.
-Oups. Excuse-moi, j'ai pas reconnu le numéro. Qu'est-ce qui t'amène, vieux ?
-Les angelots ont toujours une dent contre Sauce-Tomate ?
Mello avait utilisé un nom de code, mais la rage qui suintait dans sa voix suffisait à le trahir - s'il n'avait pas en plus oublié de crypter un mot sur deux. Il y eut un souffle exaspéré à l'autre bout du fil.
-Qu'est-ce que tu as encore foutu ?
Mello fit les cent pas.
-Ecoute, dernièrement j'ai un petit peu merdé.
-Un petit peu ?
Cin connaissait Mello depuis l'épuration d'un centre-ville qui avait fait quelques dégâts collatéraux. Ils avaient eu l'occasion de travailler ensemble à de maintes reprises, dont la fois mémorable où ils s'étaient retrouvés dans des camps opposés et où seule une collaboration avait évité leur destruction mutuelle. Cin savait que c'était par cette occasion qu'il avait gagné l'estime de Mello. Il savait également que lorsque Mello se plantait au point de l'admettre à haute voix, on n'était jamais très loin de la troisième guerre mondiale.
-Oui, admit Mello. Je me suis brouillé avec Rosselli. Il va falloir que tu me files un coup de main.
Il s'approcha du bolide du routier et l'inspecta d'un œil expert. Ce qui ne l'empêcha pas de remarquer le bref silence de son interlocuteur.
-Je verrai ce que je peux faire.
-Après-demain, au même endroit ? demanda Mello, qui prenait la chose pour acquise.
-Tu es où, là ?
-Sur la route.
Nouveau soupir exaspéré.
-Ne me dis pas que tu viens en voiture ?!
-Tu préfères l'avion ? Pour prendre le risque d'un attentat-surprise ? rétorqua-t-il. Non, sûrement pas. Je connais les méthodes de Rosselli. N'importe quelle caisse est plus sûre qu'un transport programmé à l'échelle nationale. Et puis, j'ai besoin de temps pour réfléchir.
-Les gens normaux ne considèrent pas que conduire quarante heures non-stop à trois cent à l'heure soit une manière décente de réfléchir.
-Je ne suis pas normal, Cin, ricana-t-il.
-Sans déc'.
-Je te rappelle, dit Mello qui venait de voir le routier revenir vers son camion. Ne cherche pas à me joindre, c'était un emprunt. Ciao.
Il raccrocha aussi sec. Puis il ouvrit le téléphone, retira la batterie et balança le tout par-dessus la bâche Superfresh. Il y eut un petit « pop » lorsque l'appareil rebondit sur le toit du véhicule. Mello s'éloigna d'un pas vif, mains enfoncées dans les poches de son blouson, et rejoignit l'Audi jaune dont il reconsidéra soudain l'absence de discrétion. Bizarrement, cet aspect lui plut. Il bazarda tout de même l'autoradio. On n'était jamais trop prudent, et surtout, le son dancefloor commençait à lui perforer les tympans.
Sergueï adorait sortir après une mission ardue. La musique sauvage des boîtes de nuit le faisait rentrer en extase, quand il acceptait de rentrer avant la tombée du jour bien sûr. Il se postait devant l'entrée des clubs, sortait un havane, et observait la foule grouillante des gens qui ne voulaient pas finir leur sortie seuls. Sergueï n'était jamais seul, avec son Montecristo pour lui tenir compagnie. Sergueï et la fumée, Sergueï et le cylindre qui roulait entre ses doigts, c'était toute une histoire d'amour. Il refusait parfois de prolonger ses explorations avec une fille parce qu'elle lui disait ne pas en apprécier les odeurs.
Il revit, l'espace d'une seconde, le cigare qui avait roulé des doigts blancs du hackeur. Sa dernière volonté, une bouffée de fumée. Au moins le meurtrier avait-il eu la décence de le laisser l'exécuter. Quoique. Peut-être Sergueï avait-il entendu approcher la mort, et peut-être encore avait-il allumé la friandise dans son attente.
Mello s'en voulait de lui avoir volé sa mort.
Mello s'en voulait de détruire ce à quoi il s'était attaché.
Mello avait la rage aux dents. Et l'intention de répondre au message ensanglanté.
Il démarra en trombe.
Lorsqu'il arriva à Los Angeles, deux jours plus tard, ce ne fut pas pour admirer le soleil couchant qu'il s'arrêta face à la mer.
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Deux heures qu'il avait passé les lettres monumentales d'Hollywood.
Une cave, ça ne valait pas un parking. Encore moins celle-là dont les issues étaient barrées d'étroites portes aux serrures propices à la surveillance. Glauque, sombre et peu pratique pour la fuite. C'est pourtant celle-là que Mello avait choisi, de tous les hôtels luxueux où il aurait pu croiser le parrain de la mafia californienne. Pour une simple raison. Il savait de source sûre que ce soir, Rod Loss y était.
Mello entra par la grande porte - il ne cherchait pas à se cacher. Il passa sous l'œil méfiant de malfrats de seconde zone, parcourut le hall d'un pas de conquérant, dévala des escaliers qui sentaient l'urine et la crasse, et ne s'arrêta qu'au moment où il lui fallut faire face à un gorille qui gardait la porte qu'il comptait bien franchir. Il s'approcha jusqu'à se trouver à la hauteur de l'homme et se mit sur la pointe des pieds pour se retrouver à hauteur de ses oreilles. Il savait que celui-ci attendait le code.
-Baisse les yeux, lui souffla-t-il à la place.
Le malfrat obéit sans réfléchir, pour voir Mello plonger la main dans sa poche droite et en extraire une liasse de billets qu'il leva à sa hauteur. L'homme fronça les sourcils en signe de dénégation.
-Plus ?
Mello leva la main davantage et abattit sur l'épais crâne la crosse de son Beretta que les dollars cachaient. L'homme s'écroula. Dans son dos, Mello entendit le bruit d'une dizaine de chiens qu'on armait. Il laissa tomber son arme. Lentement, il leva les bras et les plaça derrière sa tête. Puis il leva les yeux vers la caméra de surveillance et sourit.
-« Tiens, vous avez sorti le vitriol ? » énonça-t-il d'une voix moqueuse. Je viens voir Rod Loss.
Il tourna un bref instant le regard, mais aucun des quatre criminels postés dans l'entrée n'abaissa son arme à l'entente du mot de passe.
-Et je suis sûr qu'il acceptera de me recevoir, ajouta-t-il.
Comme aucun d'entre eux ne réagissait, il donna un coup de pied négligent dans la porte. Et sourit. De manière à bien dévoiler ses canines taillées en pointe.
-Quoi ? s'agaça-t-il alors que les truands tardaient à coopérer. Le code a changé ? En une nuit ?
Sa réplique fut suivie d'un long silence. Puis, l'un des hommes fit un pas en avant et tâta sa tenue pourtant très ajustée au corps, à la recherche d'une arme. Mello grimaça lorsque les mains s'attardèrent en des recoins intimes, et son tortionnaire eut un mouvement de recul devant son regard lubriquement calculé. En accord, la porte s'ouvrit avec un grincement. Derrière l'attendait Rod Loss, son crâne chauve luisant sous les néons, en contraste avec la chevelure chaotique de son interlocuteur actuel. Plus deux hommes. Deux autres bestioles à l'air de gorille qu'il savait trompeur.
Mello s'avança d'un pas assuré.
-Vous permettez ? prononça-t-il avant de se baisser pour récupérer son arme.
Sans prendre garde aux airs hostiles des individus qui l'entouraient, il l'attrapa et la rangea négligemment dans son holster. Puis il plongea les yeux dans ceux de Rod Loss.
-J'ai une personne à vous vendre. Et je suis certain qu'elle vous intéresse.
Il y eut un long silence.
-Sous quel droit penses-tu être en position de passer un marché avec nous ? demanda le parrain de sa voix grasse et glaciale, lorsqu'il accepta finalement de prendre la parole. Et surtout, pourquoi en t'adressant directement à moi ?
-J'ai tous les droits, rétorqua-t-il avec arrogance. Je ne vous demande rien en échange. Tout ce que je viens vous annoncer, c'est que je suis prêt à vous offrir la tête de Gio Rosselli sur un plateau. Pas de contrat, pas d'engagement de votre part. La seule chose que je veux, c'est une place de consultant.
Il eut un petit sourire, et poursuivit :
-Rosselli est mon gage.
-Hm.
-Tentant, n'est-ce pas ? Vous n'êtes pas dans les meilleurs termes.
-Et qu'est-ce qui te fait croire que je vais accepter de te renvoyer sans te trouer de balles ? dit le chauve. Non. Plutôt, qu'est-ce qui te fait croire que tu as la moindre chance de t'en sortir ? Je ne parle même pas de ces accusations qui te feraient passer au fil du Syndicat du Crime.
Il y eut un kof, kof, affaire des mariniers, kof. Puis :
-Parce que je suis Mello, répondit-il d'un ton bouffi d'orgueil.
Quatre canons se levèrent de concert.
Mello sourit.
-C'est une bonne idée. Je vous conseillerai, pour débuter, de renforcer la sécurité.
x-x-x
Notes de fin :
Même s'il ne s'agit que de deux mots, « j'aime » ou « j'aime pas », s'il vous plait, prenez six petites secondes pour laisser une review.
Je vous assure que ça me fera plaisir :)
PS : un bonbon par référence trouvée !
