Crixus

Il avait suffi d'une seule erreur. La dernière. Exposer son dos. Il s'apprêtait à abaisser son épée, à prendre la vie de ce traître et ennemi de Jules César. Les Dieux n'en avaient pas voulu ainsi. Car déjà, il sentait la lance pourfendre ses chairs, le fer traversant l'abdomen, déchirant sa peau.

Un cri perça ses tympans alors que ses mains calleuses et tâchées de sang se portèrent sur le gouffre qui s'ouvrait dans son corps. Sa vie s'écoulait à présent, le liquide rouge se mêlant à celui déjà présent sur ses mains. Sur son corps. Déjà, il était à genou.

L'agitation autour de lui le laissait sans voix, la douleur lancinante tiraillant ses flans et son cœur. Naevia était à ses côtés, si proche mais déjà si loin. Que n'aurait- il pas donné pour la toucher, une dernière fois ?

- S'agit- il du Gaulois qui cherche à faire chuter Rome ?

Marcus Crassus. L'ennemi. Il approchait, vainqueur et fier, couvert de sang, sans blessures profondes. Contrairement à lui. Crixus. Le Gaulois invaincu. Mis à terre par un gamin.

- Et sa putain de femme ! Annonça Jules César en indiquant Naevia d'un geste de la main.

- Vaincu par ma main.

C'était le jeune romain dont Crixus ne connaissait pas le nom. Les traits d'un enfant mais les paroles et l'intonation d'un homme, d'un soldat. Un lâche. Qui l'avait frappé dans le dos.

- Récupère ton épée. Elle a été trop longtemps éloignée de mains inappropriées.

Une nouvelle force se mit à scintiller dans le cœur de Crixus. Une dernière envie de combattre. La rage d'être tombé sans honneur, sa légende et son nom souillés par la tromperie et la lâcheté d'un romain. Il porta sa main à l'épée, souhaitant par-dessus tout voir ses doigts se refermer sur le pommeau. Une très belle arme. En vain.

Le gamin se releva, la force et la conviction de la victoire dans sa voix.

- L'homme vit toujours… Je le ferais crucifier !

Un nouveau cri, alors, bien plus meurtri. Naevia. A genoux sur le sol, la boue maculée de sang. Une lame d'acier sous son menton, taquinant sa gorge. La mort dans ses yeux. Quant à lui, ses mains restaient compressées sur ce flot de vie qui s'échappait de lui. Il senti sa respiration s'amenuiser, déjà son cœur louper quelques battements.

- Non ! S'écrias Marcus Crassus - j'utiliserais l'opportunité d'envoyer un message à Spartacus.

Spartacus. Son plus grand ennemi de la maison de Batiatus. Devenu son ami, son frère. L'homme qui lui avait montré la voix. Qui l'avait aidé à retrouver les bras aimants de Naevia. Ses yeux s'accrochèrent à ceux de la jeune femme. Sa femme. Liés par le sang, la douleur et l'amour.

- Pour qu'il connaisse les profondeurs de son échec. Et quel sort je lui ferais subir également.

Toute lueur de combativité a disparu de son regard. Il n'y avait plus de feu dans ses prunelles. Le Gaulois invaincu a mis pied à terre. Il ne se relèvera pas. Alors, il se mit à murmurer pensivement des mots pour son amour. Ne pas briser ce dernier contact. Ce dernier élan de tendresse. Ne pas mourir dans ses bras mais dans ses yeux.

- Prends- lui sa tête !

Un déchirement dans tout son être lorsque le cri de Naevia s'éleva. Il aurait aimé porté un dernier baiser à cette bouche aimée, savourer une dernière fois ses lèvres aimantes. Ses pensées s'écartèrent. Loin de ce monde, de cette terre. Il entendit encore l'écho de l'amour de Naevia. Pria pour qu'elle ne le rejoigne pas trop vite.

Je t'attendrais mon amour.

Il meurt libre. Il meurt aimé.