Prologue
Je suis venu rencontrer le chef de Ceux Qui Sont Tombés du Ciel.
En d'autres circonstances, Bellamy aurait fait valoir sa place, mais aujourd'hui la situation est trop illogique et terrifiante pour revendiquer le titre de chef. Un bref coup d'œil à Clarke lui a fait comprendre qu'elle non plus ne semble pas prête à assumer cette fonction dans un moment pareil. Personne ne le veut. Même Spacewalker, d'habitude si prompt à négocier avec l'ennemi fait une tête de dix pieds de long devant le spectacle.
Un type inconnu est assis au milieu du camp.
Ce n'est pas vraiment le genre de situation que Bellamy s'imaginait trouver en se réveillant. La journée aurait dû être calme, ou plutôt habituelle. Il serait parti à la chasse avec Miller et les autres en fin de matinée. Il aurait perdu patience à les voir manquer des tirs à 5m d'un cochon sauvage alors même qu'un enfant aurait fait mieux. Agacé par ce manque d'efficacité, il aurait pris le relais en poursuivant la bête affolée sur un bon kilomètre avant de la rattraper et puis aurait réussi un coup parfait. En fait non, il l'aurait surement perdu au milieu de la broussaille luxuriante qui borde le sud du camp. Mais puisque seule son imagination atteste la véracité de cette partie de chasse, disons qu'il aurait attrapé l'animal.
Je suis venu rencontrer le chef de Ceux Qui Sont Tombés du Ciel.
Ce type habillé de haillons ne devrait pas être là, et ne pas ruiner cette matinée. Pas après une nuit si paisible, la première depuis des jours, des semaines peut-être. Pas de fille(s)à cajoler, pas de veille sur le mur d'enceinte, pas de bruits étranges au milieu de la nuit, pas de blonde en furie venu le contre dire. Une nuit parfaite, seulement lui et la partie inconsciente de son cerveau qui lui renvoie des images de sa vie sur l'Arc, avant la mort de sa mère, avant le bal, avant les emmerdes. Une nuit reposante, agréable, pas trop froide, juste assez pour le faire se blottir confortablement au milieu de son lit.
«Bellamy… On a un problème. »
C'est tout ce que lui a dit Miller en le tirant du sommeil. Sur le coup il a failli l'envoyer se faire mettre avec un mot bien senti. Et puis il a vu sa tête, blême. Il lui a demandé des explications, des précisions, quelque chose pour expliquer l'urgence, et surtout pour justifier de façon valable qu'on puisse mettre un terme à son sommeil de plomb. « … Il vaut mieux que tu viennes voir. »
Enfoiré de Miller, tout ce qu'il ne fallait pas lui dire. L'urgence apparente n'a pas suffi à lui donner de l'entrain. Il s'est levé péniblement, repoussant ses couvertures avec violence l'air de dire « T'as plutôt intérêt à ce que ça en vaille la peine. Je dormais… La première fois que ce mot semble avoir du sens depuis qu'on est arrivé dans ce nid à emmerdes ! ». Miller n'a pas bronché, même devant l'humeur massacrante de son leader, il est resté campé devant la bâche qui protège l'intérieur de la tente de la morsure du froid. Pour que Miller ne parte pas devant prendre les choses en main avant l'arrivée de Bellamy, c'est que se doit être important. En enfilant son pantalon, le chef autoproclamé des 100 - les acclamations d'une bande d'adolescents perdus au milieu de la forêt est une forme de scrutin qui laisse à désirer - a finalement ressenti l'urgence, peut être moins face à la situation qu'à cause du froid. L'hiver arrive, c'est une certitude, et si il est déjà si pressé d'enfiler son manteau alors que la neige ne tombe pas encore, alors il a de quoi douter de l'efficacité de son vêtement quand les températures tomberont au plus bas.
Pas le temps de s'interroger sur la météo, Bellamy est fin près et Miller l'entraine à sa suite. Même s'il le savait déjà, il constate qu'il est anormalement tôt pour qu'on soit venu le secouer dans sa tente. Le ciel est encore nimbé de rose et la lune n'a pas totalement disparue derrière le fin manteau nuageux qui se lève déjà à l'ouest. La journée va être froide et venteuse. Un bref coup d'œil autour de lui lui fait comprendre qu'à cette heure, le camp est remarquablement calme et tranquille. Lui qui le voit toujours grouillant d'activités, semblable à une fourmilière dans laquelle s'affairent des milliers d'ouvrières infatigables s'accommode bien de cette ambiance sereine. « Ce serait toujours comme ça sans ces putains de terriens » se dit-il en suivant Miller qui a pris la tête.
C'était avant d'arriver devant le vaisseau.
Le calme apparent prend une toute autre tournure quand il se retrouve derrière une marée humaine amassée autour de l'engin. Pas un bruit, pas une voix qui ne s'élève, tout le monde semble attendre quelque chose en gesticulant nerveusement. Il repère une fille qui danse d'un pied sur l'autre, comme sous le coup d'une envie pressante qu'il faut pourtant maîtriser. Un autre gamin dont il a oublié le nom se ronge les ongles avec anxiété à côté d'un type qui joue des coudes pour mieux voir la porte du vaisseau.
« Qu'est ce que c'est que ce bordel ? » se dit Bellamy.
Pas le temps de poser la question que Miller leur taille une brèche au milieu de l'attroupement pour rejoindre leur pseudo centre médical. Le cerveau de Bellamy fuse. Les autres habitants de l'Arc sont arrivés ? L'épidémie s'est réveillée ? Anya est venue négocier la trêve ? Non, cette dernière solution est la moins crédible de toutes. Elle veut leur mort depuis l'explosion du pont, et la petite escapade de Finn et Clark n'a rien arrangé. Pourtant il pensait avoir du temps, le terrien qui s'est entiché d'Octavia leur a dit qu'ils annulaient finalement leur attaque, qu'ils regroupaient des forces à l'ouest pour être sur de les anéantir une bonne fois pour toute. Et encore selon le terrien ils vont attendre que l'hiver ait fait son œuvre avant cela. Pourquoi gaspiller de l'énergie à les attaquer quand ils peuvent simplement attendre et leur mettre suffisamment de pression pour qu'ils ne quittent plus leur camp. Le froid et la faim auront fait le gros du travail quand ils se décideront à lancer un siège, décimant surement la moitié des 86 encore en vie aujourd'hui.
Les questions quotidiennes refont surface quand Bellamy parvient enfin à s'extraire de la foule. Elles sont si habituelles qu'elles traversent sont esprit en un éclair à présent. Où elles sont peut être si profondément encrées en lui désormais qu'il ne s'attarde plus dessus. On leur avait dit qu'il pourrait peut être mourir à peine le pied posé à la surface de la terre. Mais on ne leur avait jamais dit que chaque jour serait fait de la peur de mourir, dans une heure, le lendemain ou même dans une semaine. Que chaque jour serait une bataille pour vivre avec ce poids, que chaque pas avant serait une occasion de plus de passer l'arme à gauche et qu'en définitif cette terre, leur terre, la Terre, ne veut peut être pas d'eux.
Je suis venu rencontrer le chef de Ceux Qui Sont Tombés du Ciel.
En entrant dans le vaisseau, Bellamy retrouve le cercle habituel. Eux, comme lui, sont ceux qui ont le droit de décider, car bien qu'il le regrette parfois, Bellamy Blake ne peut pas tout décider tout seul. Clark a son mot à dire parce qu'elle a su prouver que ses arguments sont valables et parce qu'elle est la seule capable de sauver la vie de l'un d'entre eux en cas de blessure grave. Clark écoute l'avis de Finn, même si ça ne plait pas à Bellamy, ce qui lui donne le droit d'être là. Raven a surement beaucoup de qualités, mais la seule qu'il retient d'elle c'est qu'elle peut fabriquer bombes et munitions sans poser trop de questions et sans s'émouvoir de l'utilisation qu'on en fait. Monty peut les nourrir avec des graines et des plantes quand la viande vient à manquer et en cas d'erreur de sa part, on s'en sort simplement avec l'impression de se réveiller d'un bad trip. Jasper s'est montré capable de tirer dans un pot rempli de poudre pour faire exploser un pont, ce qui constitue pour Bellamy un bon argument à sa présence. Quant à Octavie…. C'est sa sœur, et même si pour lui ce n'est pas un justificatif de taille, elle fait valoir ce droit naturel avec une persévérance qu'il pourrait trouver touchante si elle n'avait pas tendance à se foutre dans la merde en sautant à pieds joints. Avec Miller, la bande est au complet. Peut être que la dehors, dans cette masse d'individus obnubilée par ce qu'il se passe à l'intérieur, se trouve des personnes qui auraient une utilité bienvenue dans le cercle des décideurs, mais aucun d'eux n'a été livré avec une fiche technique intitulée « Listes des capacités utiles en cas d'atterrissage critique sur Terre. Option : mode survie en terrain hostile et mode guerre avec d'improbables survivants de la Bombe. » Non, Bellamy Blake n'a pas la chance de pouvoir avoir recours à un casting, il doit attendre qu'une situation lui fasse voir les capacités d'une personne et même si ces situations périlleuses ne manquent pas, il s'attarde rarement sur ce genre de détail.
Pourtant, aujourd'hui il doit bien s'attarder sur un détail. Qui est ce type assis au milieu du vaisseau ?
