Bonjour à tous, j'ai réécrit ma fiction. Vos impressions sont les bienvenues :) Bonne lecture !
Clermont-Ferrand, mai 2024
« Angie, je n'arrive pas à le croire, j'ai réussi à en trouver… J'ai déniché quatre entrées pour ce soir ! »
Cette voix… elle la connaissait. Elle lui paraissait si lointaine… Elle posa une main sur ses paupières. La lumière l'éblouissait.
« Angie, réveille-toi, c'est un miracle ! »
Angelina ouvrit lentement les yeux pour sortir du gouffre du sommeil et se mit à bâiller. Esther venait de revenir dans leur appartement, une enveloppe noire à la main. Un sourire se dessinait sur ses lèvres.
« Quatre entrées ? » reprit Angelina, à demi réveillée.
Esther, distraite par de joyeuses pensées, se mit à chantonner avec enjouement. Leurs deux autres colocataires les rejoignirent dans la salle de séjour.
« Esther, de quelles entrées s'agit-il ? » lui demanda Angelina dans un murmure, en se redressant sur le canapé pour mieux l'observer.
Mais, son amie éluda à nouveau la question. D'une voix forte, elle s'adressa aux deux autres colocataires :
« Hé ! les filles ! Regardez ce que j'ai pour vous ! »
D'un mouvement, elle fit glisser quatre tickets entre ses doigts, comme si elle ouvrait un éventail.
« Non, impossible ! Tu as réussi à en trouver ! s'émerveilla l'une des deux.
— Et cela grâce à Mel et à ses talents d'investigatrice, glorifia Esther en désignant la seconde. Une recherche sur Internet… et maintenant quatre entrées pour nous. Les filles, cette soirée deviendra mémorable ! »
Les trois jeunes femmes gloussèrent, sautillèrent, poussèrent des cris d'allégresse. Elles affichaient des sourires radieux et se tenaient les mains comme si leur union avait la particularité d'être indissoluble. Angelina suivait ses amies du regard. Il était rare de les voir aussi joyeuses. Sereine, elle se laissa aller sur le canapé, les mains rabattues derrière la tête.
« COMMENT OSES-TU ! »
Cette voix ! Un visage maigre lui apparut. Veronica. Ses cheveux courts ébouriffés faisaient ressortir son regard venimeux. Ce soir-là, elle était vêtue d'un minishort en jean déchiré, ainsi que d'un haut ample qui dénudait ses épaules.
« Esther et Mel se sont démenées pour obtenir des entrées à cette soirée et toi tu restes là sans broncher ? critiqua-t-elle de sa voix stridente qui menaçait de se briser d'un moment à l'autre. Qu'attends-tu pour te préparer ? »
Juste avec quelques mots, Veronica avait réussi à la rendre mal à l'aise. Angelina porta une main à son crâne. Sa tête était engourdie, elle ne parvenait pas à sortir des griffes de son somme.
« Quelle soirée ? demanda-t-elle, sans tenir compte de l'humeur exécrable de sa colocataire.
— Bah ! celle de "L'Etrange", quand même ! » s'exclama Esther.
Angelina sentit son sang se glacer.
« Qu… quoi ! balbutia-t-elle, interloquée, en se redressant tout à coup. Dites-moi que vous n'êtes pas sérieuses… Vous ne comptez pas réellement aller là-bas ? »
Esther était distraite par l'euphorie des deux autres. Elle ne l'écouta pas. Angelina s'adressa aux trois filles :
« Écoutez-moi… il y a un truc bizarre dans cette boîte…
— Bah ! C'est bien pour ça qu'on l'appelle "L'Etrange" ! rit Veronica, incitant les autres filles à faire de même.
— Je suis sérieuse ! On ne devrait pas aller là-bas.
— Si tu ne veux pas y aller, on revendra ta place. »
Angelina sentit la peur la saisir. Ses mains se mirent à trembler.
« Angie ? Est-ce que tout va bien ? »
Son regard dévia instantanément.
Mélaine. Ses deux tresses d'un blond céleste lui donnaient l'innocence d'une enfant. Il y avait dans ses grands yeux bleus une douceur naturelle et attachante.
« Tu as encore fait un cauchemar, n'est-ce pas ? »
Ses petites lèvres arrondies bougeaient à peine et ses mains étaient jointes dans son dos, derrière une robe à la blancheur éclatante.
Angelina confirma d'un mouvement de tête. Mélaine soupira et s'assit à ses côtés.
« Je vois… murmura-t-elle.
— Je… je ne le supporte plus, Mel ! C'est… c'est comme si une force s'emparait de mon esprit sans que je puisse en avoir le contrôle ! Je m'assoupis soudainement… à n'importe quel moment… puis je vois ces choses… ces images… je ne les comprends pas. Toutes ces images s'assemblent, mais elles n'ont aucun sens.
— Tu as juste fait un rêve, rien de plus, intervint Esther qui releva ses cheveux à l'aide d'une pince. Tout le monde fait des rêves. »
Angelina fut prise d'un rire amer.
« Juste un rêve ? reprit-elle. Esther, cette nuit, j'ai aperçu ce lieu. J'ai vu qu'on irait à cette soirée alors même que j'ignorais que tu avais ces places ! Il semblerait bien que ce simple rêve dont tu parles se réalise vraiment ! »
Veronica se mit à sourire. Elle n'en croyait pas un mot.
« Ne l'écoutez pas, les filles. Elle est sous l'empire de la folie là…
— De la folie ? répéta amèrement Angelina.
— Véro a raison, soutint Esther, les rêves prémonitoires n'existent pas. Tu ne peux pas prédire l'avenir. C'est impossible. Personne n'en est capable. (Elle marqua une pause, puis décréta :) J'ai un ami qui ne va pas tarder à arriver. Tu as un quart d'heure pour te changer, pas plus. Si tu n'es pas prête d'ici là, on partira sans toi. »
Angelina entra dans la salle d'eau et laissa glisser ses vêtements à ses pieds, alanguie. Son corps lui pesait et sa tête était de plomb. Elle savait pertinemment que son cauchemar en était la cause. Elle s'appuya contre la paroi de la douche et étudia son visage dans le miroir du mur opposé. Un éclat améthyste ombrait le vert de ses yeux et une longue chevelure de jais ondulait dans son dos. Angelina se regardait souvent en se demandant de qui elle tenait ses traits. Orpheline, elle avait eu un accident de voiture à l'âge de seize ans, qui avait tué ses parents sur le coup. Angelina avait survécu, mais depuis elle souffrait d'amnésie. Sa vie antérieure était un trou noir, un vide béant dans lequel il était impossible de saisir le moindre détail. Angelina regrettait de ne pas se rappeler le visage de ses parents. Les seuls souvenirs qui lui restaient étaient ceux relatés par Mélaine, une jeune infirmière de vingt-deux ans qui avait connu sa mère. Mélaine avait fait beaucoup pour elle : après son émancipation, elle l'avait généreusement recueillie dans sa collocation et aidée à s'adapter à sa nouvelle vie. Désormais, Angelina considérait Mélaine comme une véritable amie.
Angelina enclencha le mécanisme qu'elle aimait tant, celui qui la détachait de ses interrogations et la ravivait. L'eau se répandit sur ses joues de toute sa fraîcheur. Elle ferma les yeux et essora d'une torsion sa chevelure lorsque la porte s'ouvrit à sa grande surprise.
« Oh ! désolée… bredouilla Mélaine, les yeux écarquillés.
— Ce n'est pas grave. J'avais justement fini, mentit Angelina en se recouvrant d'une serviette.
— Je… je voulais te donner ta place, déclara timidement son amie en lui tendant une invitation.
— Ah ! Merci.
— Je… je me suis dit que comme demain tu n'as pas cours, peut-être tu viendrais avec nous… »
Soirée VIP – L'Etrange
Vendredi 17 mai 2024
Ces mots apparurent en relief lorsque Angelina prit le carton dans sa main. Elle l'inclina, intriguée, et un symbole s'illumina aussitôt.
« Qu'est-ce… », bredouilla-t-elle.
Un pentagramme inversé recouvrait le carton et semblait s'enflammer par moments. Angelina inclina davantage l'invitation et un serpent se mit à glisser sur chaque pointe, formant un cercle autour du symbole. Il était doté de trois têtes. La première se mordit la queue, la deuxième le corps, et la dernière sortit du cœur du pentagramme, la gueule béante, deux longs crocs luisant de leurs pointes aiguisé resta un instant sans voix. Cette image qui venait de s'animer sous ses yeux lui était familière.
« J'ai déjà aperçu ce symbole… murmura-t-elle sans détacher son regard de l'invitation.
— C'est le logo de "L'Etrange", expliqua Mélaine de sa voix légère et cristalline. On le surnomme l'"Hydre Noire". Il est assez connu. "L'Etrange" est une boîte renommée, tu sais…
— Non… démentit Angelina en s'adossant au mur. Ce n'est pas ça… La première fois que j'ai aperçu ce symbole, c'était dans mes rêves. »
Mélaine baissa les yeux et se mordilla pensivement la lèvre inférieure.
« Tu ne me crois pas, toi non plus, hein ? Tu ne penses pas que je puisse réellement faire des rêves prémonitoires, n'est-ce pas ? » s'enquit Angelina.
Elle vit son amie hausser timidement les épaules.
« C'est si… bizarre ! confia Angelina en se laissant glisser au sol. Cette sensation… elle est encore présente… et ces images… elles étaient horribles ! Mais je n'arrive plus à savoir de quoi il s'agissait ! Je n'y parviens plus ! »
Sa voix se brisa. Elle masqua son visage derrière ses mains.
« Tu n'es pas en état de sortir, je vais prévenir les autres. Il y a des bus qui font la navette entre Clermont et "L'Etrange". Nous rejoindrons les filles un peu plus tard.
— Non… ça va, je… (Angelina poursuivit, hésitante :) En fait… je me rappelle juste un détail, il me revient par bribes… Il y avait ce jeune homme… Il m'incitait à le suivre… »
Son amie s'arrêta, surprise par cette révélation, mais Angelina n'en tint pas compte et continua, absorbée par le souvenir de son rêve :
« Il était… différent. J'ai vu son visage… Sa peau était d'une pâleur effroyable… et ses yeux chatoyaient… (Elle marqua une pause puis conclut :) Il avait des crocs. »
Mélaine déglutit et chuchota :
« Ce n'était qu'un affreux cauchemar.
— Non ! Non, Mel ! C'était bien plus qu'un simple rêve ! J'ai vu ce jeune homme comme je te vois à présent. J'ai vu des détails de cette soirée que ma propre imagination n'aurait jamais été capable d'inventer. Écoute, je ne me souviens pas de tout, mais je te garantis qu'il n'y avait rien de bon dans ce que j'ai aperçu ! »
Mélaine s'apprêtait à repartir, Angelina la retint par le poignet.
« Pourquoi est-ce que vous ne m'écoutez pas ?
— On veut juste s'amuser un peu.
— Vous amuser ? Mais cette soirée risque de mal se finir ! Tu ne me crois pas ?
— Désolée… »
À ce dernier mot, Mélaine se libéra de son emprise et sortit de la pièce.
Angelina ne la rattrapa pas. Son cauchemar lui avait donné la boule au ventre et elle ne parvenait plus à se remettre de ses émotions.
Ce cauchemar ne peut pas être une simple coïncidence.
Déterminée, Angelina ouvrit l'armoire à sa gauche et sortit une robe noire à corset. Elle se rendrait sur les lieux de cette soirée pour en avoir le cœur net.
Angelina se vêtit de sa robe et noua une ceinture de soie autour de sa taille. Ses doigts resserrèrent avec maladresse les lanières de cuir qui se prolongeaient au creux de ses reins.
« Mel ! » appela-t-elle avec regret.
Des bruits de pas retentirent dans le couloir. Un instant plus tard, son amie apparut au seuil de la porte. Ses tresses étaient dénouées et sa chevelure d'un blond céleste ondulait le long de sa taille de guêpe. Angelina vit qu'elle tenait deux rubans bleus entre ses doigts pâles.
« Oh ! Tu étais en train de te coiffer ? Je suis désolée…
— Ce n'est rien, Angie, la rassura-t-elle.
— Je… j'avais juste besoin de ton aide pour resserrer ma robe. »
Mélaine acquiesça d'un signe de tête et s'exécuta.
« J'ai averti les filles que nous partirions un peu plus tard, annonça-t-elle.
— Merci. »
Un bruit strident retentit au-dehors. Mélaine sursauta et tira d'un coup sec sur les lanières du corset de sa protégée sans même s'apercevoir de son geste. Quel était ce klaxon qui résonnait bruyamment sur la route isolée ? Angelina, dans un premier temps surprise par ce bruit inattendu, se retrouva rapidement à court de souffle, étouffant sous la pression exercée par son amie.
Intriguée, Mélaine se précipita vers la fenêtre et se pencha pour mieux observer le spectacle. Angelina la toisa, le regard sombre, les lèvres entrouvertes de suffocation suite à son geste maladroit. Les cheveux de sirène de Mélaine scintillaient à la lueur des réverbères, le vent les faisait ondoyer délicieusement sur sa peau à la blancheur séraphique. Elle semblait abasourdie, en admiration devant l'étendue de la ville.
Angelina la rejoignit. Le cœur de Clermont-Ferrand brillait dans la nuit, beau et mystérieux à la fois. Sa cathédrale en pierre noire s'élevait au-dessus de la capitale auvergnate, telle une ombre vespérale. Ses deux flèches majestueuses étaient si hautes qu'elles semblaient vouloir percer les nuages.
« Incroyable… », souffla Mélaine, les yeux grands ouverts.
Angelina suivit le regard de son amie. En contrebas, Esther et Veronica, toutes deux vêtues de minishorts, marchaient gaiement en direction d'une limousine aux vitres teintées. Elles chantonnaient au rythme de leurs déhanchements. Angelina et Mélaine échangèrent des regards, étonnées. Elles ignoraient à qui appartenait la luxueuse voiture. Elles restèrent ainsi, à contempler sa splendeur jusqu'à ce qu'elle glisse le long de la route isolée.
